Sport

Bernard Thévenet, coureur cycliste

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EntretienVictorieux à deux reprises du Tour de France (1975 et 1977), Bernard Thévenet restera aux yeux du public l’homme qui a terrassé le « cannibale » Eddy Merckx sur la grande boucle. Alors que le Tour 2011 se voit déjà entaché par le dopage supposé du champion en titre, l’Espagnol Alberto Contador, « Nanard » évoque ce sujet tabou qui ronge la petite reine depuis de trop nombreuses années, et biaise la donne d’un sport où compétiteurs et organismes de lutte antidopage semblent jouer au chat et à la souris. Entretien avec un champion hexagonal qui, lui, a eu le mérite de reconnaître avoir joué avec le feu !


« Je pense honnêtement que l’immense majorité des coureurs n’est pas dopée et ne fait pas partie du gang des tricheurs. »

Vous êtes originaire d’un hameau appelé « Le guidon ». Un nom prédestiné pour une carrière de cycliste !

Je suis effectivement né à 200 mètres de ce hameau. J’ai vécu là-bas de l’âge de 8 à 22 ans, mais dire que cela a influencé ma décision de devenir coureur cycliste serait exagéré. Enfant, j’avais une attirance pour les sports collectifs. Malheureusement, le petit village dans lequel j’habitais n’avait pas de club sportif. Je me suis donc tourné vers le vélo. J’ai commencé à égrainer seul les routes de la région et, assez rapidement, j’ai eu la chance de rencontrer deux garçons du village qui, eux, faisaient déjà des courses amateurs. J’allais aussi souvent que je le pouvais les voir courir, et c’est ainsi que je me suis décidé à prendre une licence. J’ai remporté une première course chez les cadets et je me suis alors dit que j’étais peut-être fait pour ce sport. J’ai continué à gravir un à un les échelons du cyclisme amateur jusqu’à l’âge de 21 ans, âge auquel je suis enfin passé pro après avoir remporté le championnat de France junior.

Pour votre premier Tour de France en 1970, vous avez été appelé à la dernière minute suite au désistement de deux de vos coéquipiers. Ce fut une plongée un peu spéciale dans le grand bain !

Je ne m’y attendais pas du tout ! J’ai été averti le mercredi, et il fallait être le jeudi à Limoges. Je pense avoir été choisi car j’habitais le moins loin du lieu de rassemblement pour le Tour. Sur le coup, lorsque le directeur sportif m’a dit qu’il allait m’inscrire pour la Grande Boucle, je lui ai répondu que je n’étais pas préparé ni physiquement, ni mentalement et que j’allais droit dans le mur. Commencer ainsi et abandonner rapidement aurait sans aucun doute mis un sérieux frein à ma progression et m’aurait catalogué comme un loser. Je suis allé prendre conseils auprès d’un ancien coureur du Tour, Victor Ferrari qui avait participé à l’événement en 1929. Il m’a dit que c’était une chance incroyable que je devais saisir. Pour me rassurer, il a même téléphoné à mon directeur sportif de l’époque qui m’a confirmé que le résultat n’aurait pas d’influence sur la suite de ma carrière puisque cette première participation se faisait à la dernière minute. Je me souviens que les fins d’étape sur la première semaine de Tour étaient très difficiles car le peloton roulait à vive allure. J’ai failli être éliminé sur l’étape qui reliait Valenciennes à Bruxelles ! Puis, il y a eu une étape à Mulhouse qui comprenait un col assez délicat à gravir. Là, j’ai fini dans le premier groupe et j’ai recouvré le moral. Le problème, c’est que je ne savais pas vraiment calculer mes efforts d’un jour sur l’autre. Ma forme physique oscillait donc entre le très bien et le très mal ! Le vrai déclic s’est produit sur l’étape du 14 juillet que j’ai remportée à La Mongie, après l’ascension du Mont Ventoux. Gagner une étape du Tour fait indéniablement parler de vous et vous ouvre des portes. J’ai finalement bouclé ce premier Tour de France avec une victoire au compteur, ce qui m’a permis d’entrer dans la hiérarchie du monde cycliste. Ma carrière était lancée !

Que gardez-vous de la rivalité qui vous opposait à Eddy Merckx et de votre première victoire en 1975 face au « cannibale » ?

C’était bien sûr un peu spécial ! Je suis passé pro après Eddy. Lorsque j’étais amateur, j’avais énormément d’admiration pour lui et pour ce qu’il avait apporté au cyclisme. Me retrouver quelques années après à me battre contre lui et à gravir les cols à ses côtés, c’était une sensation assez étrange. Il est sûr que remporter le Tour devant Merckx, que l’on disait invincible, me faisait une superbe carte de visite. Sur le coup, j’étais bien évidemment ravi de gagner, mais je ne mesurais pas la portée de cette victoire, dont on me parle encore aujourd’hui. Il y avait entre Eddy et moi un respect commun, et l’on ne s’est jamais autant parlé qu’après ce premier succès sur la Grande Boucle. Nous entretenons d’ailleurs encore aujourd’hui d’excellents rapports. Peut-on dire que, dans votre carrière, les Tours de 1978 et de 1981 ont été des Tours de France de trop ? Non je ne regrette pas d’y avoir participé car, le Tour, c’est toujours un grand événement. En cyclisme, il faut voir jusqu’où l’on peut aller et ne pas avoir peur de repousser ses propres limites. De plus, même si on a quelques signaux sur son état de forme, ce dernier varie sensiblement d’une étape à l’autre. Lorsque cela devient difficile, on se dit toujours que l’on aura peut-être plus de jambes le lendemain. De toute façon, si je n’avais participé qu’aux courses où j’étais au mieux de ma forme, je n’aurais pas gagné grand- chose !

En 1979, vous avez admis avoir pris de la cortisone, ce qui a engendré chez vous une maladie du foie. Pensez-vous que le cyclisme puisse être un jour totalement propre ?

Cet épisode a été en fait mal interprété. À cette époque, il faut savoir que certains médecins affirmaient que la cortisone n’était pas bonne pour la santé pendant que d’autres nous en prescrivaient. Aujourd’hui, cette substance est considérée comme dopante alors qu’elle n’apparaissait pas sur la liste des produits interdits à l’époque. Les contrôles étaient d’ailleurs déjà nombreux puisque les trois premiers de l’étape ainsi que deux coureurs tirés au sort devaient se soumettre à un test de dépistage après l’arrivée. La seule différence, c’était que l’on était moins suspicieux. Je me souviens par exemple d’une étape où Luis Ocana nous avait mis pas loin de 8 minutes. Tout le monde a salué sa performance sans se poser la moindre question. Aujourd’hui, une telle avance ferait sans nul doute polémique !

Dans les années 1970, il semble que le dopage était quelque peu amateur dans son approche. Aujourd’hui, le fan de cyclisme a l’impression que les courses se résument à un jeu du chat et de la souris entre les coureurs et les organismes de lutte contre le dopage !

Je pense honnêtement que l’immense majorité des coureurs n’est pas dopée et ne fait pas partie du gang des tricheurs. Ils pâtissent de l’image que l’on a du cyclisme aujourd’hui. Beaucoup sont malheureux d’être mis dans le même sac que ceux qui utilisent des produits interdits afin d’améliorer leurs performances. Même si cette assimilation entre cyclisme et dopage nuit à l’image de ce sport, on se rend compte finalement que les gens qui aiment le Tour viennent toujours aussi nombreux sur le bord des routes pour voir passer une étape. On a l’impression qu’ils pardonnent un peu aux coureurs, ce qui n’est finalement pas une bonne chose. Un tricheur qui récidive devrait être répudié à tout jamais du cyclisme. L’UCI (Union Cyclisme International) n’a peut-être pas été assez ferme au début !

Quel est votre regard sur les accusations de dopage portées à l’encontre de Lance Armstrong par son ancien coéquipier Floyd Landis ?

Y a-t-il des preuves ou pas concernant les accusations de Landis vis-à-vis de son ancien leader ? Ce qui me gêne dans cette affaire, c’est la suspicion. Cette histoire dure depuis plusieurs années, est mise en avant par les médias et, en fin de compte, on ne saura peut-être jamais la vérité ! Ce qui m’étonne et m’ennuie, c’est la lenteur de la justice concernant le cas Armstrong. Soit Landis dit la vérité et Armstrong doit être condamné, ou bien il ment et c’est lui qui doit être puni. Landis s’est fait un joli coup de pub pour vendre un livre qu’il publiera une fois l’affaire jugée mais, en attendant, ce sont tous les coureurs qui pâtissent de cette sombre affaire.

Que pensez-vous de la décision de la Fédération espagnole de ne pas suspendre Alberto Contador, contrôlé positif sur le Tour de France 2010 ?

Il n’a pas été banni du Tour 2010 et peut donc, sur le papier en tout cas, revenir. À mon avis, c’est le problème dans tous les sports où l’on a besoin d’une justice rapide. Les sanctions doivent être prises plus vite, et le cas Contador aurait dû être jugé plus tôt. Qu’il soit coupable ou non, je n’en sais rien et je n’ai pas de position, mais le cas aurait dû être tranché rapidement de manière ferme et définitive. Imaginez que la réponse concernant sa participation ne sera donnée qu’aux alentours du 20 juin par le tribunal arbitral du sport de Lausanne, soit à peine plus de 10 jours avant le départ du Tour de France. Là, on se retrouve dans une querelle d’experts qui ne rime à rien. On aurait dû réunir ces experts avant pour que tout cela soit décidé rapidement. Cela aurait évité de laisser enfler la polémique. L’année dernière, on a parlé du soi- disant vélo électrique qu’aurait utilisé Fabian Cancellara, ce qui a un peu plus semé le trouble sur le cyclisme. Son vélo a été contrôlé au prologue du Tour de France, et cela ne l’a pas empêché de gagner avec 20 secondes d’avance sur le second ! Moi, je pense que cette histoire est une pure invention. Suite à cela, l’UCI a décidé de procéder à l’examen des vélos avant chaque départ. Cela a eu le mérite de tuer la polémique dans l’œuf et l’on en parle plus ! On devrait agir rapidement de la sorte à chaque fois qu’une personne lance un pavé dans la mare !

Dans deux ans, le Tour de France fêtera ses 100 ans. Quelles images restent à jamais gravées en vous concernant cette épreuve mythique ?

Ce qui me restera, c’est la première fois que j’ai vu le peloton passer en 1961 devant la ferme de mes parents. C’était l’époque des cale-pieds chromés, des fourches chromées qui brillaient sous le soleil. Pour moi, ces coureurs étaient des chevaliers des temps modernes. Cinquante ans après, j’ai encore cette image parfaitement ancrée dans mon esprit.

Comment voyez-vous ce Tour de France 2011 ?

Il faut d’abord savoir si Contador y participera ou non ! Le Tour est toujours plus intéressant lorsque le vainqueur de l’année précédente n’est pas là. C’est généralement lui qui donne le ton et là, on se demande qui va prendre le relais. Il y a un contre-la-montre par équipe le deuxième jour qui va creuser de petits écarts. Je pense que les équipes de sprinters seront peut-être plus en difficulté que les autres années, à cause des nombreuses arrivées en cotes. La première semaine laisse plus de chance aux baroudeurs que les années précédentes et je ne peux que m’en réjouir. Une des clés de ce Tour 2011, ce seront les trois difficultés à passer le jeudi, vendredi et samedi avant l’arrivée, soit après trois semaines d’efforts. Les candidats à la victoire devront donc en garder sous le pied pour ne pas arriver totalement cuits à Paris et donc, être dans l’impossibilité de répondre si un coureur sort du peloton. Cela nous promet des rebondissements jusqu’à la fin, donc un Tour qui, sur le papier, semble très intéressant !

Est-il difficile pour un grand champion reconnu comme vous l’étiez de vivre l’après-carrière ?

Le problème est de changer radicalement de style de vie. Pendant la carrière, on vit presque en vase clos. Lorsque l’on est coureur cycliste, on est jamais au même endroit mais avec les mêmes personnes. Puis, lorsque l’on s’arrête, on se retrouve toujours au même endroit, mais plus avec les mêmes gens. Il faut donc se reconstruire une vie. On n’est pas préparé à ce changement brutal ! Il m’a fallu au moins un an pour recouvrer une vie normale. La maladie est souvent quelque chose que l’on ne montre pas dans le sport. Comme tout le monde, je suppose que vous avez été admiratif devant l’attitude de Laurent Fignon face au cancer ! Franchement j’ai été surpris lorsque l’on a annoncé sa réhospitalisation. Je l’avais vu sur le Tour et je l’avais trouvé mieux qu’au mois de mai. Le fait que Laurent ait parlé de son cancer a, je pense, apporté quelque chose aux gens qui souffrent de cette maladie. Ils se sont sentis moins seuls, moins isolés. Il a été admirable face à ce mal et, même s’il a été vaincu, il est allé au bout de son courage, de ses forces avec une dignité et une pugnacité qui ne peuvent que forcer le respect.


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