Société

François Jost, sémiologue

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« Les médias et nous » aux éditions Bréal


EntretienSociologue, sémiologue, professeur à la Sorbonne Nouvelle-Paris III, Directeur du Centre d’Etude sur les Images et les Sons Médiatiques (CEISME), écrivain, François Jost est un homme aux multiples casquettes. Depuis la parution de son ouvrage, « L’empire du loft » en 2002 qui l’a fait connaître du grand public, François Jost est considéré comme une « référence » du monde télévisuel, analysant les images véhiculées par un média à l’influence sans cesse grandissante auprès de nos concitoyens. Entre télé-réalité et révolutions au cœur du monde arabe, l’analyste nous livre ses impressions sur un monde vu par le prisme du petit écran.


« Dans la hiérarchie de l’information, les journalistes sont plus attentifs à l’audience qu’à la vérité du monde. »

En 2001, la télé réalité a totalement modifié le paf, pris d’ailleurs un peu de court par le succès du loft. Sommes-nous entrés à partir de là dans une nouvelle aire télévisuelle du « tout est diffusable » ?

Pour la télévision, il n’y a jamais de rupture brutale. La télé réalité n’a été que le prolongement de toute une vague de docu-soap que l’on avait vu naître quelques années auparavant. La télé-réalité est en fait un programme de convergence des médias. L’événement central se déroule à la télévision, on demande aux gens de voter et, en plus, on peut suivre sur ordinateur en temps réel le quotidien des candidats. Depuis, le phénomène s’est largement étendu. Mais il faut néanmoins se souvenir qu’avant l’émergence de la télé réalité, il y avait déjà des web cams et des sites proposant des gens qui s’exhibaient sur le net dans leur quotidien. L’astuce d’Endemol a été de reprendre le concept d’un autre média et de le généraliser à la télévision à des heures de grande écoute. Secret, mensonge, sexe, trahison, la télé réalité n’est que le reflet de ce qui fait tourner le monde vu par le prisme du petit écran ! Ce concept de télé réalité a quelque peu changé au fil du temps et des émissions. Le premier slogan d’Endemol était : « soyez vous-même ! » On captait le quotidien des candidats qui était par la suite monté de façon à proposer aux téléspectateurs des petits récits. Désormais, les émissions sont clairement réalisées par les producteurs et on ne demande plus au candidats d’être “authentiques” mais de jouer un rôle. Nous sommes donc passés de l’être au paraître. Secret Story en est un exemple parfait ! C’est le secret et la demande faite aux candidats de mentir volontairement afin de faire croire des choses aux autres qui est au centre du programme. Cela démontre la place prépondérante des producteurs qui, avant, se mettaient très en retrait.

En définitive, qui y a t-il de plus pornographique, le film du premier samedi du mois sur Canal Plus ou « Secret Story » ?

Je ne dirai pas que « Secret Story » est pornographique ! Ces émissions, en France, sont plutôt prudes par rapport aux autres pays. Une paire de fesses, des seins, c’est beaucoup moins que ce que l’on peut voir dans les films diffusés à une heure de grande écoute et interdits seulement au moins de douze ans. Je parlais plus de l’obscénité du programme ! Là, effectivement, ce qui me gène, c’est la complaisance des producteurs qui se moquent délibérément des candidats qu’ils tournent au ridicule et qui, en définitive, ne sont sélectionnés que pour leur bêtise. Ce qui me dérange, c’est que ces émissions font l’éloge de la connerie. Je trouve cela très peu digne.

En votant pour son ou sa candidate, le téléspectateur est donc enfin juge d’un quotidien sur lequel il peut, pour une fois, intervenir ?

Je compare cela à la position divine. Le spectateur croit pouvoir tout voir et il juge d’après les images qui lui sont proposées. C’est un peu le jugement dernier ! Comme je l’ai écrit, en Argentine, le terme employé pour décrire ce processus qui consiste à éliminer un candidat est le Paredon. C’est le même que celui utilisé pour les condamnés à mort que l’on met contre un mur pour être fusillés. C’est donc un terme très fort et empli de significations qui démontre à quel point le téléspectateur se sent maître de la « mise à mort » télévisuelle d’un candidat. L’autre vraie nouveauté de ce type d’émission, c’est son mode de fonctionnement lucratif. En faisant appel au téléphone, on finance les programmes d’une manière nouvelle. On fait croire au spectateur qu’il est libre pour donner son avis et influer sur le sort d’un candidat (ce qui reste à prouver !) mais tout cela n’est fait en définitive que pour gagner de l’argent. Le téléspectateur, lui, vote et a, effectivement, en influant sur le sort d’une personne, l’impression de prendre une revanche sur son quotidien. Il a le pouvoir d’exclure et en retire un grand plaisir.

En 2002, le front national s’est retrouvé au second tour de l’élection présidentielle après un fort taux d’abstention au premier tour. Les jeunes sont donc plus enclins à voter pour des « héros » éphémères de télé réalité que pour conserver une démocratie ?

Certains programmes sont les symptômes d’un problème plus profond. D’après les études que l’on connaît, les Français ont envie de voter, mais ils ne se sentent pas bien représentés par les hommes politiques. Ce sur quoi la télé réalité a influé puisqu’elle propose aux jeunes de voter pour « élire » ou éliminer des personnes qui leur ressemblent. Ce système de vote est donc, pour eux, une sorte de défouloir futile. Ce qui est curieux, c’est qu’en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est retrouvé au second tour des élections présidentielles, les jeunes du loft ont appelé les Français à aller voter. La télévision récupère certains sentiments des téléspectateurs qui sont persuadés que les hommes politiques ne répondent pas à leurs attentes.

Aujourd’hui, on constate que la jeunesse réussit à organiser des révolutions par le biais des réseaux sociaux d’Internet. Comment analysez-vous ce phénomène ?

On a pu constater, dans les évènements en Egypte par exemple, deux logiques en place. La logique du vieux monde, celle de Hosni Mubarak, qui pensait qu’il suffisait de contrôler la télévision pour ne pas contaminer les choses. En Tunisie comme en Egypte, on a pu constater que l’utilisation d’un nouveau média non pas vertical comme la télévision mais en réseau avait bouleversé les choses. Internet est un outil formidable ou épouvantable suivant la manière dont il est utilisé. Ces évènements ne prouvent pas que la toile est une chose géniale, mais un outil révolutionnaire qui peut avoir de très bons ou de très mauvais usages.

Quel est votre regard sur la façon dont la télévision a montré les évènements en Tunisie ou en Egypte ?

Globalement il y a bien évidemment des progrès par rapport à la manière dont la télévision avait traité certains grands évènements du passé comme la révolution en Roumanie de 1989. On a pu noter que les journalistes étaient beaucoup plus prudents par rapport aux images qu’ils recevaient, ne tirant pas de conclusions hâtives. En revanche, du côté négatif, ce qui m’a gêné, c’est que les journalistes n’ont pas intégré le fait qu’informer sur l’origine des images était aussi important que les images elles même. Savoir d’où proviennent les images permet de moins se faire manipuler. Sont-ce des images officielles, celles d’une agence ou d’un envoyé spécial ? Une après-midi, je voyais des gens lancer des pierres sur la caméra. On a appris bien plus tard qu’il s’agissait de l’hôtel où tous les journalistes étaient cloîtrés. On aurait donc pu comprendre en amont qu’il y avait à l’égard des journalistes une véritable hostilité. On peut s’étonner qu’aujourd’hui, les JT semblent polarisés sur les trajets en avion de la ministre des affaires étrangères Michèle Alliott-Marie ou les vacances en Egypte du premier ministre alors que le monde arabe semble prêt à exploser ! Les directeurs de rédactions ont simplement remarqué que l’audience avaient fortement baissé lorsqu’ils parlaient des évènements en Egypte ou en Tunisie et que les gens se reportaient sur « Plus belle la vie » sur France 3. Les journaux télévisés orientent l’information en fonction des parts de marché, ce qui est un effet pervers de la recherche perpétuelle de l’audience et de la psychologie des téléspectateurs. La télévision serait donc partiale vis-à-vis de l’information, orientant les sujets traités au gré de ses envies ? Dans la hiérarchie de l’information, les journalistes sont plus attentifs à l’audience qu’à la vérité du monde. On peut surtout le déplorer quand il s’agit du service public. Que les chaînes privées fassent cela, c’est purement dans leur logique commerciale. Mais le service public doit montrer le changement culturel et informer au sens strict du terme. Le traitement de l’information par la télévision est indubitablement plus proche du Parisien ou de France Soir que du Monde. Il ne faut pas oublier qu’un journal télévisé tient dans une page de quotidien !

On se souvient de l’importance des Guignols de Canal Plus qui, par le biais de leur marionnette, avaient rendu Jacques Chirac très sympathique aux yeux des Français ou du JT de TF1 a qui on avait reproché de jouer volontairement la carte de l’insécurité. Pensez-vous que la télévision puisse influer sur la campagne présidentielle de 2012 ?

Sur des idées, c’est possible, sur une personne, c’est plus compliqué ! Sur des gens inquiets sur ce que leur réserve le monde, certains reportages renforcent la peur. On se souvient en 2002 du reportage de TF1 au JT sur un vieux Monsieur qui avait été frappé violemment (“Papy Voise”). Cette diffusion à l’aube du premier tour a peut-être fait que certaines personnes indécises ont voté pour Le Pen plutôt que pour Jospin. Pour qu’un candidat soit élu, il faut qu’on le croit ! Si le reportage d’un journaliste vient accréditer ce que dit le candidat, cela peut influencer certaines personnes pas forcément orientés politiquement et qui, finalement, vont faire peser la balance dans un sens le jour J.


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