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Naïke, infirmière libérale à Toulon tombe le masque

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EntretienElles sont au front, se débrouillent avec les moyens du bord et continuent pourtant à se rendre chez celles et ceux qui ont besoin de soins. Elles, ce sont les infirmières libérales qui, en pleine épidémie de Covid-19, craignent pour la santé de leurs patients souvent fragilisés par la maladie comme pour la leur si peu protégée. Pourquoi la France a-t-elle dû faire face à une pénurie de masques ? Quel est le mot d’ordre du ministère auprès des professionnels de santé pour tenter d’endiguer la propagation de l’épidémie ? Les mesures de confinement doivent-elles être plus strictes ? Alors que les questions se multiplient, les réponses restent hélas, pour l’heure, toujours en suspens…

« Respecter le personnel médical, ce n’est pas l’applaudir pour ce qu’il fait au quotidien, c’est lui permettre de se protéger face au virus et ce n’est pas le cas ! »

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Manque de masques, manque d’informations des pouvoirs publics… Comment se passe votre travail au quotidien et vous sentez vous en situation d’insécurité ?

Le manque de masques est bien réel. Depuis le début de l’épidémie, on est bien conscient qu’il nous faudrait des masques FFP2 afin de nous protéger correctement face au virus mais on n’en a jamais eu. Alors oui, on nous en promet à la télévision, on nous assure que des masques vont arriver. Certaines d’entre nous disposaient de petites réserves dans nos cabinets que l’on a déstockées depuis longtemps. Là, on travaille avec des masques chirurgicaux qui nous sont délivrés en pharmacie. On en a 18 par semaine et par infirmière, sachant que l’on est supposées en changer toutes les trois heures. Avec le peu dont on dispose, c’est juste impossible ! Résultat, on tourne avec deux masques par jour, un pour la tournée du matin et un pour celle de l’après-midi. L’idéal serait qu’au moins nos patients puissent en avoir également. Ce n’est bien évidemment hélas pas le cas !

Vous aimeriez vous sentir plus soutenues avec un discours clair des pouvoirs publics ?!

Tous les soirs, on est applaudies du haut des balcons. C’est très sympa, mais personnellement je n’en ai rien à faire que l’on m’applaudisse. Ce que je veux c’est du matériel. Dire merci ce n’est pas nous respecter. Respecter le personnel médical, ce n’est pas l’applaudir pour ce qu’il fait au quotidien, c’est lui permettre de se protéger face au virus et ce n’est pas le cas !

Et chez vos patients, vous notez une crainte lorsque vous leur rendez visite ?

En fait, il y a deux écoles. Dans le Sud de la France, il y a un léger décalage avec vous car le gros de la crise pandémique n’est pas encore arrivé. Le Covid-19 reste encore assez invisible pour la plupart de la population si ce n’est que les rues sont pour la plupart désertes. Tant que les gens n’ont pas une personne dans leur entourage touchée par le virus cela reste assez peu concret pour eux, hormis ce qu’ils en voient à la télévision. Il y a donc des comportements totalement irresponsables avec des gens qui ne mesurent pas le risque qu’ils prennent ou font prendre aux autres et sortent pour prendre le soleil en bord de mer. D’autres, à contrario, sont très inquiets. Des collègues n’avaient par exemple pas de masque pour leurs tournées et ont été remerciées, ce qui veut dire : fin des prises en charge. Les familles ont pris à leur domicile les personnes âgées et les infirmières ne passent donc plus du tout. Les patients que l’on continue à aller voir et qui sont atteints de pathologies graves comme des cancers du poumon, des personnes immunodéprimées ne comprennent pas la raison pour laquelle nous, infirmières, avons droit à des masques et pas eux. Cela crée un climat assez pesant dû à une incompréhension entre le message véhiculé à la télévision par les pouvoirs publics et la réalité du terrain où le manque de moyens est flagrant. Ces patients nous demandent des masques car ils craignent pour leur santé ce qui est bien normal, mais vous comprenez qu’avec uniquement deux masques par jour, nous sommes dans l’incapacité de leur en fournir.

On était depuis plusieurs mois au courant de l’apparition des premiers cas de Covid-19 en Chine. Pensez-vous que l’Europe et donc la France a trop minimisé ou pas assez anticipé l’ampleur du phénomène ?

C’est ma grosse interrogation. Cela fait plusieurs mois que l’épidémie a débuté en Chine… Comment expliquer qu’aujourd’hui, l’Etat soit pris de court en n’ayant pas anticipé ce besoin essentiel de masques ?! On est vraiment dans une situation totalement incompréhensible. On ne peut pas dire : « On ne savait pas ! » Le stock de masques, on le connaissait. Il y a plusieurs semaines déjà que l’on aurait dû en faire produire des millions supplémentaires, pas attendre d’être dos au mur pour relancer la production. Et aujourd’hui où en est-on ? De quelle manière la production de masques a-t-elle été relancée ? Qui aura le droit d’en avoir ? Dans combien de temps va-t-on en disposer d’un assez grand nombre sans avoir besoin de perpétuellement se rationner ? C’est à toutes ces questions que j’aimerais que les pouvoirs publics répondent au lieu de dissimuler les choses derrière : « tous avec nos soignants ! ». On a vu cette épidémie arriver de loin sans se rendre compte des dégâts que cela allait provoquer en Europe. Le virus n’a pas de frontière et il était illusoire de le penser. Résultat, on se retrouve aujourd’hui dans une configuration dramatique que l’on ne parvient plus à endiguer.

Clairement, il y a eu là un gros couac dans le système étatique ?!

Sans aucun doute et c’est un énorme souci. C’est, à notre niveau, très insécurisant de ne pas savoir quand on sera équipées en masque où encore quelles sont les procédures à adopter face à la propagation de l’épidémie. Il y a un cruel manque d’unité dans les informations que l’on nous donne. Quelle est par exemple la procédure pour se protéger au mieux ? On croise des collègues qui n’ont qu’un masque là où d’autres vont avoir des blouses plastifiées pour les soins rapprochés, des charlottes. Chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a et si vous n’avez pas la chance de connaître un cuisinier qui vous a refilé toutes ses charlottes de cuisine et ses surchaussures et bien vous devez vous débrouiller seule ! C’est vraiment du bricolage.

Le Sud n’est pas encore touché par le Covid-19 comme peuvent l’être le grand-Est ou bien encore la région parisienne. Vous craignez ce pic de l’épidémie que vous connaîtrez probablement dans quelques semaines ?

Nous ne sommes pas du tout organisées. On aimerait une structure plus soudée avec une politique globale inhérente à cette structure où tout le monde aurait un rôle prédéfini et bien précis. En profession libérale, nous ne sommes pas rattachées à un service hospitalier donc nous devons nous gérer en équipes de deux sans savoir réellement ce que l’on doit faire. Alors, oui, on reçoit des appels de la caisse primaire d’assurance maladie. C’est la seule chose qui soit à peu près officielle. On nous appelle afin de savoir celles et ceux qui sont prêts à aller au contact d’éventuels patients infectés par le virus. Après, quand on demande si l’on aura une dotation spécifique, des masques, des blouses pour nous protéger… On nous répond que personne n’en sait rien et que probablement, il faudra là encore nous débrouiller avec les moyens du bord. Résultat, la CPAM essuie un refus massif des infirmier(e)s libéraux de prendre en charge des patients à domicile dans de telles conditions. Cela nous chagrine beaucoup car notre vocation première est bien entendu d’aider les gens. Mais on ne peut le faire au détriment de notre sécurité qui là n’est nullement garantie.

Justement, aujourd’hui, on constate des décès de praticiens dans les hôpitaux, des foyers infectieux dans plusieurs EHPAD. Pensez-vous que l’épidémie soit devenue incontrôlable ?

On essaye de ne pas trop y penser car, de toute façon, on n’a pas les moyens pour lutter efficacement. Donc faire face à une pandémie massive, on va forcément y être confrontés. Il va falloir essayer de gérer cela au mieux ou au moins pire avec le peu de moyens mis à notre disposition. Il y a des questions que j’essaye d’éluder un peu je vous avoue. Je rentre le soir à la maison retrouver mon mari et mes enfants avec mes fringues de travail et, forcément, cette peur de ramener le virus dans la maison où eux sont confinés est forte.

Le personnel de santé est toujours en première ligne avec peu de moyens. Vous pensez que cette crise du Covid-19 va laisser des traces dans le milieu médical ?

Il y a forcément des bonnes volontés qui vont s’éteindre après cette crise. J’en discutais avec des amis infirmiers qui sont de la même promotion que moi et on en est tous au même point. On s’est dit qu’après cette crise, beaucoup d’entre nous auraient le désir de changer de boulot tant on manque de considération. Personnellement, je vous le dis, moi j’aimerais rester confinée, mais ce n’est pas ce pour quoi j’ai signé lorsque je me suis engagée dans cette voie ! Les gens comptent sur moi et je ne peux bien sûr pas les laisser seuls chez eux.

Le gouvernement incite les gens qui le peuvent à aller travailler afin de ne pas paralyser totalement l’économie du pays et, en même temps, nous explique qu’on n’a pas connu une épidémie aussi dangereuse depuis plus d’un siècle. Comprenez-vous ce double discours ?

Non seulement je ne comprends pas, mais le fait de souffler en permanence le chaud et le froid, cela nous insécurise en tant que soignants parce qu’on n’a pas d’informations précises. En ville par exemple, on ne peut pas s’étonner que les gens choisissent l’info qui leur est la plus favorable. Des personnes qui n’ont jamais fait de jogging de leur vie vont se découvrir une passion subite pour la course à pied afin de pouvoir sortir au maximum et contourner la loi. D’autres sont continuellement dehors prétextant promener leur chien. Il y a bien sûr de la mauvaise volonté de leur part, mais comme l’information n’est pas claire, ils n’ont rien à appliquer de concret. Je crois que, malheureusement, les gens ont besoin de limites très précises, d’un cadre afin de ne pas y déroger. Là, tant que ce n’est pas interdit et bien c’est qu’implicitement, c’est autorisé. Il faut être clair, strict et éviter de partir dans tous les sens avec un discours que chacun adapte à sa sauce. Le résultat aujourd’hui, c’est que certaines personnes multiplient les contacts dehors. Ensuite, lorsque nous nous rendons chez elles pour les soigner, on se retrouve face à des personnes qui ont de gros risques de contracter le virus. Ils se mettent en danger, nous mettent en danger comme toutes celles et ceux que nous visitons pendant nos tournées.

Il aurait fallu là encore un message plus clair et des mesures plus strictes à vos yeux afin de limiter la propagation du virus ?!

C’est une évidence. Quand on voit qu’en Chine avec la rigueur extrême et la collaboration totale de la population, il leur a fallu trois mois de confinement strict pour commencer à voir le bout du tunnel ! On se dit mais comment allons-nous nous en sortir sans aucune discipline, ni informations claires ?

Votre discours laisse penser que vous êtes à la fois un peu désespérée comme résignée face à cette situation ?!

Je le suis forcément un peu mais, en même temps, en étant en permanence dans l’action au quotidien cela évite de trop penser, de se laisser envahir par des idées qui ne seraient que négatives. Il faut aider autant que faire se peut et aller de l’avant. Il sera temps, ensuite, de faire le bilan de tout cela et de prendre des décisions.

Et vous êtes en lien avec les hôpitaux de la région ?

Pas du tout et, là encore, c’est un réel problème. Comme m’a dit la personne de la CPAM, seul organisme officiel avec lequel nous sommes en lien : « Prenez-vous en charge les patients atteints du Covid-19 ? ». Lorsque je lui ai dit oui mais à certaines conditions. Elle m’a répondu : « Cela n’entre pas dans les cases, c’est oui ou c’est non ! ». Il y a zéro communication. Après on a tous des copains qui bossent dans les hôpitaux, mais c’est notre seul lien. Ça et les groupes qu’on a créés sur les réseaux sociaux afin de se transmettre les informations. À part cela, on ne sait pas du tout comme cela se passe à l’hôpital. Auront-ils besoin de libérer des lits et envoyer des patients à domicile dont on devra s’occuper ? C’est la grande interrogation à tous les niveaux. Pour l’instant on est dans une sorte d’attente anxieuse.

Depuis déjà des semaines le professeur Raoult explique que la Chloroquine pourrait s’avérer efficace contre le Covid-19. Pourquoi ne multiplie-t-on pas les tests auprès de patients malades ?

C’est un bel exemple que l’information n’est pas maîtrisée et qu’il n’y a aucune unité dans le discours. Dès qu’un message, une initiative est montrée ou faite à la télévision, cela crée des réactions démesurées. À la moindre intervention présidentielle tout le monde se rue dans les supermarchés par peur du manque. Pour la Chloroquine, on a vu une arrivée massive des gens vers Marseille et les pharmacies pour obtenir ce médicament où, là encore, il n’y a pas pour l’instant de résultats avérés dans le sens où ils seraient validés par le ministère de la santé. Les gens pêchent çà et là des infos à la télévision et comme ils n’ont pas le recul nécessaire, ils font selon leur bon vouloir puisqu’il n’y a pas un message clair et unique de la part du gouvernement. Cela ne démontre qu’une chose, c’est que l’Etat ne s’était pas préparé à gérer une telle épidémie et n’a pas été à même d’en mesurer l’étendue.


Carole, infirmière anesthésiste
Mathieu Salama, la voix sacrée

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