Economie

Pierre Priolet, exploité agricole

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Entretien Les bulldozers venus abattre les 13 hectares de poiriers de Pierre Priolet ont mis en lumière tout le dysfonctionnement du système agricole hexagonal. Cet arboriculteur du Vaucluse avait, grâce à son son site consommer-juste, tenté d’apporter des réponses à l’hémorragie rurale. Mais dans un monde de consommation de masse contrôlé par les grandes surfaces et où l’on privilégie le visuel au goût, les moulins à vent ont eu raison de la pugnacité de notre Don Quichotte paysan. Face à un Etat léthargique qui laisse mourir les hommes de la terre, l’utopie de Pierre Priolet est un rayon de soleil sur le sol tari d’une agriculture moribonde. Notre homme courage n’a heureusement pas dit son dernier mot et compte bien repartir au combat. Qu’on se le dise !


Les bulldozers à l’assaut de votre verger, plus que ces arbres abattus, est-ce pour vous le symbole d’une petite mort de l’agriculture hexagonale et de son système de fonctionnement ?

Lorsque les engins sont arrivés, j’ai eu le sentiment de me trouver ouvrier dans une usine qu’on venait délocaliser. On tente aujourd’hui de délocaliser l’agriculture victime de cette course au travail moins cher. Je pense que la société a perdu ses repères essentiels de vie.

Pensez-vous que le problème majeur de l’agriculture aujourd’hui est d’avoir abandonné aux industriels et à la grande distribution la commercialisation de ses productions ?

L’agriculture telle qu’elle est aujourd’hui connaît trois malheurs. Tout d’abord la division des agriculteurs face à leurs problèmes. Ensuite le fait que l’on produise des biens périssables que l’on est donc obligé de vendre à un instant T. Et enfin, que la grande distribution profite de nos faiblesses en se transformant en prédateur parfait. Ces grandes surfaces abreuvent les consommateurs de prix cassés, de leader du prix bas. Mais le moins cher par rapport à quoi ? Personne ne répond à cette question et on a le sentiment d’un véritable abus de langage.

Aujourd’hui, on achète les fruits et légumes sur les étals en fonction de leur apparence et non de leur qualité gustative. Pourquoi ?

Pendant vingt ans, on nous a vendu du consumérisme comme si le « manger beau » était essentiel. Mais la nature ne produit pas que du beau et il suffit pour cela de regarder le genre humain. Si on vit tous ensemble avec nos différences, c’est que cette différence est essentielle. Croire que les fruits doivent être beaux pour être bons est du domaine de l’utopie. On privilégie l’apparence à la qualité gustative de la nourriture ce qui est pure folie. Il ne faut pas oublier que les agriculteurs sont des nourriciers et pas hommes du marketing. Notre but est de vendre un produit, pas son emballage ! Aujourd’hui, on massacre les agriculteurs qui ne peuvent vivre de leur terre sur les prix et on massacre les consommateurs sur les prix d’achat des produits. Résultat, le monde rural se meurt et de plus en plus de personnes ne peuvent manger à leur faim. Pour moi, le droit à la nourriture est un droit inaliénable qui est aujourd’hui bafoué. La société doit se reprendre et donner à chacun une dignité par le travail.

Mais comment expliquer, alors que les consommateurs se plaignent d’acheter des produits sans goût, que vous soyez obligé de détruire un verger qui engendre de si bons fruits ?

La grande distribution veut vendre des produits qui ne bougent pas pendant quinze jours alors, ils achètent des produits immatures. Le commerce moderne fait tout pour dégoûter les gens de manger des fruits et légumes frais qui ont du goût pour les tourner vers les seuls produits industriels que ces grandes surfaces souhaitent mettre en avant dans leurs rayons. La grande distribution a fait son travail jusque dans les années 90, mais la dérive financière à pris le pas et, pour compenser les pertes, on tue peu à peu les producteurs simplement en ne les payant pas. L’eau, l’air, la terre ne sont pas un marché comme les autres. Ce sont des éléments indispensables à la vie et il est insupportable d’entendre parler de marché les concernant.

Actuellement l’agriculteur vend sa production à perte, alors que la vente à perte est interdite. Comment l’expliquer ?

C’est la logique économique actuelle. Seule le seconde mise en marché a une interdiction de vente à perte. On est tellement habitué à la spoliation que cela paraît naturel. Cette situation est de surcroît cautionnée par l’Etat qui se désengage de tout. Comment expliquer que vos poires, payées 0,17 euros le kilo alors qu’elles reviennent à 0,35 euros à la production, soient revendues dans l’hypermarché entre 2,80 et 3 euros le kilo. On se moquerait de nous ? Tout le monde croit qu’il y a 1 million d’intermédiaires, c’est faux ! Il y a moi (soit un prix de 0,35 centimes à la production), le groupement de producteurs ou les expéditeurs (25 et 65 centimes pour l’emballage, l’étiquette) puis la grande distribution. On passe donc de moins de 1 euro à 3 euros en prix de vente en grande surface pour le consommateur. Ensuite, ces enseignes nous parlent de prix bas, de prix cassés, c’est une hérésie. Il n’y a hélas aucune réglementation pour combattre cet état de fait. Les grandes surfaces se permettent une marge conséquente alors qu’au départ, il suffirait qu’elles achètent 20 centimes de plus nos produits pour sauver les agriculteurs de la misère

Aujourd’hui, un agriculteur peut-il vivre sans la grande distribution ?

85% de la production française passe par la grande distribution donc difficile de vivre sans ! Si rien n’est fait, il n’y aura plus, à terme, que des produits venus de l’étranger dans les grandes surfaces. Toute la société est basée sur la vente à perte et c’est insupportable car c’est là qu’est la cause de la déperdition du monde rural. On ne peut bien sûr pas dire qu’il y a une entente sur les prix au sein des enseignes de la grande distribution, mais on peut constater qu’ils pratiquent tous le même prix. Ensuite, aux consommateurs de se faire leur propre point de vue sur la question. Vous souhaitez permettre à chacun dans tous ses actes d’achat de pouvoir connaître objectivement les conséquences de son geste. Il est vrai que peu de gens savent par exemple en achetant des produits contenant de l’huile de palme qu’ils contribuent à la déforestation en Asie et donc à la disparition d’espèces animales ! C’est aussi pour cela que j’ai créé mon site « consommer-juste ». Consommer juste, cela veut dire que lorsque j’achète un produit, je prends connaissance des conséquences de mon acte. C’est plus puissant qu’un bulletin de vote de contrôler de la sorte ses achats quotidiens, c’est agir directement sur l’économie, donc l’argent, soit le nerf de la guerre. Ce n’est pas moi en produisant mais vous en achetant qui allez faire bouger les choses. Il faut dire aux consommateurs qu’ils ont le pouvoir et que nous, agriculteurs, nous travaillons pour eux. Le juste prix n’est pas que pour le producteur, mais doit suivre la chaîne jusqu’au consommateur que l’on vole aujourd’hui et qui ne peut nourrir sa famille. Prendre des impôts au consommateur pour donner des aides aux agriculteurs c’est le voler deux fois. Les agriculteurs ne demandent qu’une chose, qu’on leur paye leurs produits sans les spolier.

Vous dîtes que L’Etat n’a aucun moyen susceptible de vous aider et que c’est à vous d’imaginer des solutions et de faire en sorte d’œuvrer pour le bien de tous. Mais alors à quoi sert l’Etat aujourd’hui pour le monde agricole ?

C’est à l’Etat de se poser des questions. Je suis un simple citoyen, j’essaye de réveiller les consciences. À partir du moment où il y a une situation injuste, on se doit de la montrer. Il faut obliger l’Etat à assumer son rôle vis-à-vis du citoyen. Il y a de plus en plus de pauvres dans notre pays simplement parce que l’Etat ne fait pas son travail. Il nous faut entrer en résistance face à cela.

Parlez-nous de votre projet qui consiste à donner à toutes les exploitations agricoles intéressées la possibilité de vendre 1000 m2 de leurs terres agricoles en terrain constructibles ?

L’idée est de dire que l’Etat est ruiné et ne peut ou ne veut pas nous aider. Nous, agriculteurs, avons des terrains. On peut faire cadeau au pays de 1000 m2. Ce prix du terrain irait à 40% dans la trésorerie de l’agriculteur et à 60% à un fond capable de créer des magasins. Cela représente des milliards pour l’état. Mais visiblement on préfère voir des terres en friche. 60% iraient donc à un Fond Agricole d’Utilité Publique. Ce fond ferait l’acquisition de magasins qui seraient dirigés par un chômeur de plus de 53 ans ayant les compétences requises et emploieraient trois ou quatre jeunes de 18 à 25 ans sans qualification avec un vrai CDI. C’est l’idée, mais visiblement, l’Etat se fout de mes idées. 3% d’agriculteurs ne représentent rien. Les hommes politiques parlent de karcher dans une cité. Là, ils engrangent des voix ! Dans un monde agricole basé sur la production venue de la terre, on a besoin de temps alors que dans notre société tout est à l’immédiat. Le Président de la République est élu pour cinq ans, deux ans pour bosser et trois ans pour travailler à sa réélection. La donne est injouable et engendre un écart entre les politiques et les citoyens. Il ne faut pas perdre de vue que les campagnes qui meurent c’est toute la vie du pays qui va mourir.

« Devenir agriculteur dans les conditions actuelles est un acte plus que suicidaire »

Sur le papier, votre projet paraît merveilleux pour dynamiser le secteur agricole et lutter contre le chômage. Pourquoi ne se concrétise t-il pas ?

L’Etat s’en fout royalement. Personne ne m’a appelé pour me dire que mon concept était intéressant ou même utopique. Moi je n’ai pas fait l’ENA et mes idées ne les intéressent pas. Je ne parle pas en mon nom mais pour des jeunes agriculteurs en train de mourir. Devenir agriculteur dans les conditions actuelles est un acte plus que suicidaire alors qu’en réalité nourrir ses concitoyens est l’acte le plus noble que l’on puisse faire et il est dommage de décourager les jeunes d’exercer un aussi beau métier.

Comment imaginez-vous le monde rural dans 10 ou 20 ans si rien n’est fait pour lui venir en aide ?

Mal très mal, peut-être mort si rien n’est fait. J’écris actuellement un livre qui sortira chez Robert Laffont en février. C’est le témoignage de 40 ans de vie dans le monde agricole et j’espère qu’il permettra aux gens d’y voir plus clair. Je suis sûr que ça va bouger car les personnes qui n’arrivent plus à s’en sortir financièrement en ont marre et vont forcément réagir. Moi en tout cas je m’engage à faire en sorte que les choses bougent et j’irai jusqu’au bout !


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

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