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Rémy Giraud, un homme de goût !

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Dans ce monde de la haute gastronomie fortement médiatisée, le chef doublement étoilé depuis 1993, Rémy Giraud, fait montre d’un profil pour le moins atypique. Loin des palaces ou des établissements phares du Guide Michelin, c’est dans des restaurants pour VRP que cet amoureux du terroir a fait ses classes avant qu’une rencontre déterminante avec celle qui partage sa vie ne lui donne enfin des ailes et une confiance en lui tout autant qu’en sa cuisine. Depuis 1986, c’est à deux heures de Paris, au Relais & Château des Hauts-de-Loire, que le chef Rémy Giraud transmet sa passion du produit et cultive une cuisine faussement simple dont chaque création est une explosion gustative.

« La France est un pays si riche de terroirs qu’il est primordial de ne pas pratiquer une gastronomie uniformisée mais de cultiver nos différences. »

Un papa facteur qui ne savait pas cuire un œuf, une maman couturière, rien ne vous prédestinait au métier de chef cuisinier. Qu’est-ce qui vous a donné cette envie de vous mettre aux fourneaux ?

Cela me vient sans aucun doute de mon grand-père avec qui j’allais me promener dès que j’avais un peu de temps de libre, après l’école ou les mercredis. On allait cueillir des champignons ou à la pêche avec une petite bouteille qui, plongée dans l’eau, nous permettait d’attraper des vairons. On capturait aussi des petits oiseaux, on ramassait des escargots, it des anguilles avec des fagots de sarments. Il est le point de départ de ma passion pour le produit, avant même mon amour pour la cuisine.

Vous évoquez les champignons et ces cueillettes avec votre grand-père. Je crois que ce produit est aujourd’hui encore un élément clé de votre cuisine au goût de nostalgie ?!

Le champignon évoque en effet en moi de merveilleux souvenirs et c’est en plus un produit que j’affectionne tout particulièrement au niveau du goût. La région centre où se trouve mon établissement est propice aux champignons qu’ils soient de culture ou sauvages avec la Sologne ou les forêts de Blois où l’on retrouve de nombreuses espèces que je me plais à inclure dans mes préparations culinaires.

Saint-Pierre poêlé sur l’arête, endives braisées et profiteroles de salsifis truffées, dentelle de peau croquante et keylime
Crédit photo : Charlotte Lapeyronie

Vous vous accordiez, je crois, adolescent, des escapades avec vos cousins pour aller traquer les lapins ou pêcher l’écrevisse dans les ruisseaux… Est-ce là aussi le point de départ pour votre amour du bon produit ?

Outre mon grand-père, le point de départ pour l’amour du bon produit me vient en effet de mes cousins qui, tous, étaient fils d’agriculteurs. Ces escapades en leur compagnie donnaient un petit côté Raboliot qui m’a effectivement transmis ce goût pour le bon produit que l’on allait chercher nous-mêmes dans les bois et les forêts avoisinantes. C’était une habitude d’adolescent que l’on retrouvait à l’époque chez tous les enfants des milieux paysans je pense. J’aimais cette symbiose avec la nature. Après, je crois que le côté gourmandise est également essentiel et comme, dès mes sept ans, je vouais une passion à la cuisine, tous ces éléments imbriqués les uns aux autres m’ont permis de me construire un palais et de me focaliser sur le bon.

On imagine le chef doublement étoilé que vous êtes perpétuellement derrière ses fourneaux. Vous arrive-t-il encore d’aller chasser ou pêcher afin d’être au plus près de la nature, des produits que vous sublimez dans vos assiettes ?

J’aime aller à la chasse mais je ne chasse pas ce qui est un paradoxe. Je faisais, à une époque, moins maintenant, beaucoup de chasse à courre au lièvre ce qui me permettait de pratiquer mon autre passion, le cyclisme. Je continue bien sûr à aller à la pêche. Comme vous le disiez, tout cela fait partie intégrante de la passion dont je me nourris. Je m’imprègne de tous ces éléments que je retrouve dans la nature et qui vont m’inspirer ensuite dans la création un plat.

À 12 ans, vous passez vos vacances scolaires dans le routier du bourg dans lequel vous habitez, « Le Cheval Blanc ». Que gardez-vous de ces moments, de cet apprentissage de la « vie » en cuisine ?

Cela a été un apprentissage compliqué et à la dure, assez éloigné de mes espérances premières. J’aspirais en effet à apprendre la cuisine, me retrouver au plus près de ce qu’était déjà ma passion et, finalement, j’ai dû débuter, pour mes premières vacances, à ne faire que du nettoyage, du lessivage, de la plonge… Bref, toutes ces tâches nécessaires mais ingrates qui n’étaient aucunement en corrélation avec mon désir d’apprendre la cuisine. Cela a bien failli me dégouter du métier mais, fort heureusement, comme j’ai persévéré et que j’y suis retourné de nombreuses années avant d’entrer à l’école hôtelière, on m’a finalement fait confiance pour que je commence à m’essayer à la cuisine.

Rouget en bécasse et cannellonis de cèpes caramélisés
Crédit photo : Christine Besson

Après une formation à l’école hôtelière de la Roche-sur-Yon justement, vous travaillez dans des restaurants pour V.R.P. Comment passe-t-on de ces restaurants pour V.R.P à chef doublement étoilé depuis 1993 au domaine des Hauts-de-Loire, ce Relais & Châteaux dont vous êtes aux commandes depuis 1988 ?

Ce sont les opportunités de la vie. J’ai tout d’abord travaillé dans nombres de petits restaurants de la côte vendéenne dont je suis originaire. Après un service militaire à Bordeaux, à l’âge de 18 ans, j’aspirais à une forme de liberté. Je suis donc allé travailler dans le Nord de la France puis au château d’Isenbourg, à Rouffach, en Alsace. Il s’agissait là de restaurants gastronomiques mais non étoilés. Dans la vie de chef, il y a toujours une personne que l’on oublie mais qui a une importance capitale, c’est son épouse ! J’ai rencontré ma femme au château d’Isenbourg et c’est elle qui m’a décomplexé vis-à-vis de cette infériorisation qui était mienne. Je n’avais pas réellement confiance en mes capacités et je croyais que le fait de travailler dans des grandes maisons et prétendre à devenir étoilé n’était simplement pas fait pour moi. Je me minimisais comme le dit fort justement mon épouse ! Finalement, elle m’a poussé vers les Hauts-de-Loire, ce premier restaurant étoilé où nous sommes arrivés en 1986.

Il est vrai qu’en regardant votre parcours, on constate que votre épouse et vous-même formez un véritable binôme, avançant main dans la main depuis 1986 pour obtenir, dès 1993, deux étoiles au Guide Michelin !

Sans elle, il y a fort à parier que ma vie aurait été différente, que j’aurais choisi un autre chemin. Je n’aurais certainement pas osé prendre certains risques, mais face à son épouse, on est galvanisé, on veut donner le meilleur de soi-même et prouver qui l’on est. Elle est sans nul doute l’élément moteur de ma vie. Je parle en mon nom bien sûr mais je pense qu’il en est ainsi pour nombres de chefs dont la femme, souvent dans l’ombre, a un rôle primordial quant au déroulé de leurs carrières.

Si vous deviez définir votre cuisine en quelques mots ?

Ma cuisine est basée sur les fondamentaux en utilisant les produits de saison. Souvent, j’ai des remarques de clients tout autant que de l’équipe qui m’accompagne et qui me disent que j’ai une cuisine faussement simple. Ce sont des petits touches originales fruit d’une réflexion, d’une odeur qui m’auront inspiré. Je dirais également que, depuis plusieurs années, ma cuisine s’est tournée vers le végétal. Non par effet de mode, mais réellement par un penchant naturel. Jeune, j’avais tendance à mettre les légumes sur le bord de l’assiette mais, l’âge aidant, ils sont devenus un élément central et un merveilleux axe de créativité. Le cuisinier selon moi ne fait bien que la cuisine qu’il aime et, comme j’apprécie beaucoup plus aujourd’hui les légumes, je pense les magnifier davantage que ce n’était le cas il y a une ou deux décennies.

Le chef Rémy Giraud

Comme vous l’évoquiez, depuis 1988, la gastronomie a énormément évolué, se tournant vers le bio, le moins gras, le moins sucré. Depuis cette époque vouée à une gastronomie roborative, vous avez dû, vous aussi, faire évoluer votre cuisine ?!

On doit être effectivement à l’écoute de nos clients qui, eux-mêmes, sont sensibles à cette médiatisation nécessaire faite depuis plusieurs années maintenant sur le « mieux manger ». La gastronomie s’est donc elle aussi tournée vers le plus sain, le moins sucré, le moins salé, soucieuse d’éradiquer le mauvais gras. Je prends toujours en exemple l’école hôtelière où l’on nous apprenait à faire la crème anglaise en utilisant 250 à 300 grammes de sucre par litre. Aujourd’hui, pour la même recette, je n’utilise plus que 100 grammes. La recherche médicale nous a fait prendre conscience des dangers à utiliser en trop grande quantité tel ou tel produit. Il est donc de notre devoir de chefs étoilés de montrer l’exemple afin de prouver que la gastronomie, le goût, l’excellence culinaire ne sont plus antinomiques avec le fait de se nourrir sainement en préservant sa santé.

Vous disiez : « Le plat provient d’un mystère, d’une odeur, d’un bruit, d’une conversation secrète avec ma femme, d’une balade au bord de l’eau… » Sont-ce là tout autant de sources d’inspiration pour laisser éclore une nouvelle recette ?

Ce sont effectivement les premiers ingrédients d’une recette auxquels j’ajouterai les souvenirs d’enfance qui viennent s’y greffer fort de l’expérience acquise au fil des années. Un bruit, une odeur ou bien encore un moment sont pour moi une merveilleuse source de créativité.

Tatin de pommes aux coings et sorbet pomme verte
Crédit photo : Christine Besson

Et entre ce moment d’inspiration fruit d’une odeur, d’un bruit… Et le plat finalisé que le client peut déguster dans l’assiette, quelles sont les étapes ?

C’est une question qui revient souvent chez les clients qui viennent manger chez moi. Savoir comment nait une nouvelle recette est quelque chose qui les passionne. Il peut m’arriver de créer un plat en un jour comme en un mois. Il n’y a aucune règle prédéfinie concernant cette notion de temps. Souvent, cela débute par une idée qui me passe par la tête et que je vais noter sur un petit bout de papier. Quand j’étais plus jeune, ce qui est moins vrai maintenant car je suis quand même un peu plus fatigué, il m’arrivait de me lever en pleine nuit car une idée venait de me traverser l’esprit. C’est un processus créatif assez étrange. Parfois, je bloque sur une association de produits, sur un mélange de saveur que je souhaite intégrer à une recette et j’y pense, j’y pense encore et, pourtant, rien ne vient. Impossible de trouver la clé ! Cela reste une coquille vide. Et puis, un an après, je fouille dans mes petites notes, dans ces papiers sur lesquels j’ai griffonné des idées et là, un flash et la recette qui ne parvenait pas à voir la jour nait tout à coup en un temps record. C’est là, je crois, la magie de la création dans toute forme d’art.

À partir du moment où la recette est définie, testée, goûtée et validée, reste-t-elle figée ou continue- t-elle à évoluer avec le temps ?

Avec moi, elle évolue systématiquement. Il m’arrive fréquemment de remettre au goût du jour d’anciens plats en y ajoutant à chaque fois une nouvelle texture, un nouvel ingrédient, une nouvelle palette de couleurs tout autant gustatives que visuelles. Cela peut être une technique de cuisson, une garniture… C’est d’ailleurs lorsque le plat me semble totalement abouti et que mon équipe sait exactement le reproduire que j’aime passer à autre chose. La gastronomie doit être à mon sens une évolution constante. J’aime que des recettes dorment pendant une ou plusieurs années pour les ressortir ensuite et les remettre à la carte en y apportant un vent de fraîcheur. Cela permet de retrouver des classiques mais en les modifiant.

Un plat deux étoiles, est-ce une parfaite combinaison entre plaisir gustatif et plaisir des yeux ?

Je pense qu’un plat est avant tout un plaisir gustatif. Le beau est un plus ! L’inconscient peut en effet être parfois perturbé par le visuel d’un plat ou l’environnement dans lequel ce plat est dégusté et qui l’en éloigne de l’essentiel, c’est-à-dire du goût. Je vais vous prendre l’exemple du vin. Si vous dégustez une bouteille quelle qu’elle soit, que vous parlez avec le vigneron, que vous la buvez au pied des vignes où a mûri le raisin, forcément, elle aura une toute autre saveur que si vous la buvez chez vous dans un environnement tout à fait différent et sans connaître toute l’histoire qui se cache au-delà de la bouteille. Il ne faut donc pas à mon sens pour un plat que le décorum fasse oublier le goût ou bien encore ne le mette au second plan.

Pensez-vous qu’il soit du devoir de tout chef de valoriser le terroir tout autant que de s’en imprégner ?

Le terroir dans lequel on vit, on travaille, est une source d’inspiration permanente. C’est l’élément clé dont on se nourrit et qui influence la cuisine que l’on propose. Après, il est effectivement de notre devoir de mettre en valeur les producteurs locaux. La France est un pays si riche de terroirs qu’il est primordial de ne pas pratiquer une gastronomie uniformisée mais de cultiver nos différences. Cette richesse, il faut absolument la mettre en avant.

Le partage, la transmission sont deux éléments clés dans votre vision de la gastronomie. Est-ce pour cette raison que vous avez créé L’Art Des Mets où les mercredis et vendredis vous proposez un cours de cuisine, clôturés par un repas au cours duquel les convives peuvent déguster leurs créations ?

C’est une partie de moi qui me permet de transmettre, au-delà de mes équipes, aux gens qui aiment la cuisine et veulent apprendre. Je donne d’ailleurs également des cours de pâtisserie à des enfants dès l’âge de cinq ans et je prends un plaisir fou à voir leurs yeux qui s’illuminent de mille feux quand ils mettent la main à la pâte. La transmission est vraiment un point essentiel dans mon approche de la cuisine. Je n’ai pas écrit de livre de recettes et, je vais peut-être vous étonner, dans ma bibliothèque, seule la bible d’Escoffier à droit de cité. Rien ne remplace en effet selon moi le geste, les mots et les conseils afin de pouvoir véhiculer aux autres cette passion qui m’anime depuis mon plus jeune âge. Je n’ai aucun problème à expliquer aux clients qui me posent la question le secret de telle ou telle recette mais, dans un livre de cuisine, je trouve personnellement qu’il manque l’essentiel, c’est-à-dire l’âme. Ce qui est fabuleux avec les enfants, c’est de voir à quel point on peut capter leur attention pendant plus d’une heure et comme ils sont passionnés par la cuisine et le fait de mettre tout de suite en pratique ce qui pour eux n’était que de la théorie.

Aujourd’hui cette transmission familiale s’est hélas un peu perdue du fait de notre société où la maman travaille et a rarement le temps, comme c’était le cas pour les générations précédentes, de transmettre un savoir culinaire ?!

À une époque, effectivement, le papa travaillait et la maman, qui restait à la maison, était souvent un vrai cordon bleu qui se plaisait à transmettre son savoir à ses enfants. Aujourd’hui, le temps manque alors, forcément, on achète des plats tout faits ou, au mieux, on prépare des plats le week-end que l’on congèle pour les manger durant la semaine. Même si les derniers évènements dramatiques que nous venons de vivre avec cette crise de la Covid a remis un peu le plaisir de cuisiner au goût du jour, on constate hélas que l’adage « chassez le naturel et il revient au galop » a bien vite été remis au goût du jour ce qui est bien dommage.

Beaucoup de chefs, même parisiens, optent aujourd’hui pour un potager afin d’obtenir une autonomie partielle voire totale concernant les légumes, fruits, herbes ou aromates proposés aux menus.  Avoir votre propre potager, c’est une plus grande liberté de création culinaire tout autant que l’assurance de la qualité du produit proposé ?

J’en reviens là à mes origines paysannes qui sont le fruit du bon sens tout simplement. Ce que l’on produit est, par essence, toujours meilleur en goût tout autant qu’en qualité. « Au Cheval Blanc », le fameux routier que vous évoquiez et dans lequel je travaillais dans les années 70, on possédait un potager, un verger et même un cochon qui consommait les déchets. Un potager, c’est l’occasion de pouvoir tester de nouvelles variétés qui viendront nous inspirer pour des plats. Je cultive par exemple la melonnette jaspée de Vendée. Je sélectionne également des tomates avec le jardinier du Château de la Bourdaisière, Nicolas Toutain, qui ne possède pas moins de 600 variétés de tomates. Cela me permet de sélectionner des variétés adaptées au terrain. J’ai également, au sein du potager, planté et récolté de la Morelle de Balbis qui est une petite tomate assez peu commune qui se marie magnifiquement avec le gibier. Il y a également les conopodes que l’on appelle la noisette de terre. On consomme ces petits tubercules qui ressemblent à un mini topinambour et ont un merveilleux petit goût de noisette. Avoir son propre potager, c’est pouvoir essayer tout un tas de choses. C’est l’occasion de découvrir des plantes, des légumes, des fruits oubliés ou plus au goût du jour et qui font montre de qualités gustatives incroyables. C’est un plaisir immense et sans fin de pouvoir ainsi être producteur de ce qui va ensuite nous servir pour préparer de nouveaux plats.

Le potager
Crédit photo : Fabrice Rambert

Si je vous invite à dîner, que dois-je vous préparer pour vous faire plaisir ?

Préparez-moi ce que ce que vous vous préférez. Je suppose qu’à la fin de cette interview vous me connaissez un peu mieux donc, sachant que la cuisine vient du cœur, quand elle est réalisée avec amour, elle ne peut qu’enchanter celui qui la goûte.

Armand Arnal, poésie culinaire
Freddie McGregor, positive vibrations

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  1. C’est agréable à lire et lorsque tu commences à ressentir les envies qui te font saliver et de rechercher l’adresse du cuisinier interviewé, c’est que c’est bon comme une belle promesse.
    Ce n’est pas la première fois que je ressens ceci en vous lisant.