Entretiens Musique

Freddie McGregor, positive vibrations

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C’est à l’âge de sept ans, aux côtés d’Ernest Wilson et Peter Austin, que Freddie McGregor débute sa carrière dans le berceau du reggae qu’est Kingston, la capitale Jamaïquaine. On est alors en 1963, année charnière qui, pour tous les amoureux de cette musique en vert, jaune, rouge, marque la naissance du trio Bob Marley, Bunny Wailer et Peter Tosh dont « little » Freddie croisera la route au sein du mythique Studio One. 40 albums et près de six décennies plus tard, cette encyclopédie vivante du reggae n’a rien perdu de sa ferveur légendaire et multiplie les projets comme l’atteste son dernier single en date : If God Is For Us. Fermez les yeux, vous êtes en Jah magique !

« Le reggae a indéniablement perdu en qualité depuis l’époque de Bob Marley. »

cliquez ici pour découvrir la vidéo de Freddie McGregor, If God Is For Us

Vous avez débuté votre carrière au début des années 60, à l’âge de sept ans. Pouvez-vous nous parler de ces années aux côtés des Clarendonians ?

Quand je regarde en arrière, vers ce début de carrière, je me dis que tel était mon destin. Je n’ai pas maîtrisé la manière dont les choses se sont déroulées en fait. Ernest Wilson, qui était plus âgé que moi, était mon meilleur ami. Lui et Peter Austin faisaient déjà partie du groupe les Clarendonians. Ils étaient très populaires en Jamaïque avec des morceaux comme Shoo Be Do, Rude Boy Gone A Jail ou bien encore Can’t Be Happy. C’est donc avec eux que je suis allé à Kingston pendant leur deuxième session d’enregistrement en studio. Ma mère n’avait pas peur de me laisser comme cela, à un si jeune âge, aller à Kingston. À cette époque, nous vivions à McGregor Gully à l’Est de Rollington Town avec la tante d’Ernest. C’était un environnement assez dur avec pas mal de heurts dans le voisinage. Après j’ai vécu chez Monsieur et Madame Dodd qui m’ont pris sous leur aile. Je continuais à aller à l’école dans le coin avec Ernest mais, à partir de ce moment, toute ma vie était polarisée sur la musique et rien que la musique. De 1963 jusqu’à 1979, je n’ai pas cessé de trainer dans les studios me nourrissant de toutes ces sessions d’enregistrement auxquelles je pouvais assister. C’est en 1979 que j’ai réalisé mon premier projet en dehors du mythique Studio One avec Niney the Observer. Nous avons appelé cet album Mr McGregor. C’est à partir de ce moment que l’on s’est intéressé à moi et que j’ai eu une proposition en Angleterre qui a coïncidée avec le succès de l’album Big Ship.

Dans ces années là, quand la lumière rouge s’allumait et que l’enregistrement débutait en studio, toute erreur était interdite pour les musiciens sous peine de devoir tout recommencer. On est là bien éloigné des techniques actuelles d’enregistrement assistées par ordinateurs ?!

Oui, à l’époque de « Little » Freddie, les techniques d’enregistrement étaient vraiment particulières avec une approche assez live. En studio, nous n’avions que deux pistes pour l’enregistrement, ce qui compliquait sacrément la donne. Une piste était dédiée aux musiciens et l’autre à la voix. Les musiciens devaient tout à la fois être talentueux et parfaitement rodés aux morceaux à enregistrer pour éviter le plus possible la moindre erreur. Quand tout le monde était au point, on nous disait : « Messieurs, êtes-vous prêts ? » Et là, on se lançait. Un, deux, trois : L’ingénieur du son appuyait sur un bouton et la lumière rouge s’allumait, ce qui signifiait que les bandes tournaient pour l’enregistrement. À partir de ce moment-là, plus personne ne pouvait faire le moindre bruit. La concentration était maximale car toute erreur était synonyme de perte d’argent et ça, on ne pouvait pas trop se le permettre. Je me souviens que l’on faisait généralement deux prises, au pire trois mais jamais plus. Ensuite, on choisissait celle qui nous semblait la plus aboutie. Impossible de mélanger les prises, de faire du bricolage comme c’est aujourd’hui le cas avec les ordinateurs.

Vous évoquiez Kingston, une capitale qui résonne comme une terre promise pour tout amateur de reggae. Pouvez-vous nous parler un peu de l’atmosphère qui régnait dans cette ville à l’heure des balbutiements de cette musique née réellement au début des années 60 ?

C’était une vie pas forcément facile mais on était heureux. On se levait à cinq heures du matin pour prendre le bus qui nous conduisait à l’école. Je me souviens que ma mère me mettait du papier journal sous le t-shirt afin de me protéger du froid matinal et me donnait un thermos de thé pour me réchauffer pendant le trajet. Sur le chemin, nous passions devant un cimetière et le chauffeur de bus s’arrêtait quelques minutes ce qui nous impressionnait beaucoup. Le bus portait le numéro 13 car notre école se situait au 13 route de Brentford. Ensuite, il tournait à gauche et là se trouvait le Studio One. L’école m’a permis d’acquérir une certaine éducation, mais je dois avouer que je n’étais pas forcément très tourné vers les études. Le studio One, pour moi, c’était la vie, l’effervescence des sessions d’enregistrement. En trainant là-bas, j’ai pu rencontrer tous les grands noms de l’époque qui, eux aussi, venaient enregistrer. Il y avait une énergie et une créativité folles. Je me souviens que tous les musiciens d’instruments à vent portaient des stylos dans les cheveux, ce qui était le signe qu’ils étaient en train d’écrire leurs parties musicales. Pour moi, ce studio, c’était un peu comme la plus brillante des universités dans laquelle je côtoyais les meilleurs professeurs que je puisse espérer avoir. Pendant des jours, des semaines, nous attendions que Dennis Brown vienne au studio afin de pouvoir l’approcher. Il faut comprendre que pour nous, Dennis Brown, c’était un peu Michael Jackson ! À partir du moment où j’ai enfin pu le rencontrer, le courant est tout de suite passé entre nous et nous sommes devenus les meilleurs amis du monde, des presque frères.

Vous nous parliez de ce surnom de « Little » Freddie. Je crois que c’est Bob Marley lui-même qui vous a donné ce surnom ?!

Depuis mes premiers pas au studio, j’ai eu la chance de croiser Bob Marley et Bunny Wailer. Je me souviens que Bob m’avait installé à l’arrière du studio trois caisses de bières afin que je sois assez haut pour pouvoir chanter dans le micro. C’était des moments magiques.

Vous avez déclaré que grâce à Bob Marley, le reggae a connu ses lettres de noblesse et qu’il était donc du devoir de ses successeurs de poursuivre sa route en veillant à garder la qualité musicale qui était la sienne. Pensez-vous justement que le reggae soit aujourd’hui qualitativement à la hauteur de ce qu’il était à l’époque de Bob Marley ?

Hélas non ! Le reggae a indéniablement perdu en qualité depuis l’époque de Bob Marley. Lorsque Bob est malheureusement décédé, beaucoup de personnes y ont vu une opportunité de surfer sur la vague de sa réussite et de profiter des portes qu’il avait été le seul à ouvrir dans l’industrie musicale. Bob, par la qualité de sa musique, par son travail d’une minutie incroyable, par son inspiration merveilleuse et son immense talent nous obligeait à donner le meilleur de nous-même afin d’espérer toucher du doigt son inspiration. Après, tout le monde s’est reposé sur ses lauriers et comme il n’était plus là pour être le moteur et l’exemple vers lequel tout musicien de reggae devait tendre, le niveau a donc sensiblement baissé. Depuis la disparition de Bob Marley, on cherche de nouveaux artistes capables de renouer avec la rigueur qui était la sienne. C’est à nous les anciens à continuer notre travail en espérant être des exemples afin que naisse une nouvelle génération qui soit aussi inspirée et créative que les jeunes gens que nous étions dans les années 60.

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la religion dans votre vie et dans votre musique comme le prouve une fois encore votre dernier single : If God Is For Us (si Dieu est pour nous !)

La religion est un point central de ma vie et ce depuis ma plus tendre enfance. Nous sommes assez proches de l’Afrique dans notre rapport à la religion. La Jamaïque, comme l’Afrique, est pauvre et il faut savoir se débrouiller dès le plus jeune âge. On se tourne vers la religion pour y trouver un point d’ancrage, quelque chose à quoi se raccrocher. Nous croyons en un créateur universel. Il faut trouver sa propre vérité intérieure, les solutions aux difficultés du présent et un guide pour nos actions futures afin de ne pas se perdre, se fourvoyer dans l’inutile, dans un chemin qui nous éloignerait de la vérité. La lecture de la Bible nous permet de voir où se situe la vérité et de s’y tenir. Il faut suivre la parole de Dieu car seul Lui sait ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Si Dieu est pour nous comme le dit mon dernier morceau, alors rien ne peut se mettre en travers de notre chemin, pas même ce virus qui nous a pris de cours et obligés à rester confinés pendant plusieurs mois. C’est le message que je souhaite véhiculer aujourd’hui. Il faut être prêt à faire face à toute situation. Personnellement cette crise de la Covid n’a pas fait que je me suis apitoyé sur mon sort en me disant : « Les festivals vont être annulés, je ne vais pas pouvoir me produire sur scène… » Non, je me suis occupé de ma ferme, à faire pousser mes légumes et à me rendre à mon studio d’enregistrement pour composer, créer et créer encore. Peu importe ce qui nous arrive dans la vie, tant que l’on a Dieu à nos côtés, on est capable d’affronter les épreuves en y étant le mieux préparés possible. Aide toi toi-même et alors Dieu t’aidera et fera le reste. C’est ma philosophie de vie !

C’est ce qui transparaît également dans la culture Rastafari qui est la vôtre ?

Tout à fait. Lire la Bible nous permet d’être en communion permanente avec notre Seigneur, notre père, notre guide. C’est à nous de véhiculer sa parole, de mettre en lumière son message, d’aider ceux qui n’ont rien, ceux qui souffrent, ceux qui sont malades ou dans le besoin. Peu importe que tu sois riche ou pauvre, l’important est de partager, d’aider à la hauteur de ses moyens. J’ai toujours essayé d’être juste, de faire ce qui me semblait bon en suivant les préceptes de sa majesté et je sais qu’il m’en saura gré au moment du jugement dernier.

Depuis le départ, la musique reggae a été la voix du peuple, la voix des opprimés, des pauvres. Après des décennies, il semble que le message soit encore hélas d’actualité.

Les problèmes sociaux, les inégalités, la pauvreté… Tout cela n’a hélas cessé de croître et pourtant il semble que les artistes actuels s’éloignent du message qui était le nôtre. Aujourd’hui, plutôt que de faire passer un message qui tendrait à réduire justement les inégalités et faire du reggae cette voix des sans voix, on a l’impression d’avoir assisté à un virage à 180° avec des morceaux qui parlent de gangs, de malfaiteurs, d’argent. Moi, je veux dire à la jeune génération d’arrêter de se perdre dans ces clichés, de rester positive. Pensez à faire le bien autour de vous, penser à répandre la bonne parole, celle de notre Seigneur plutôt que de prendre des chemins de traverse qui ne vous conduiront que vers le mal, vers une perte totale du sens de ce que doit être votre vie.

Vous avez enregistré une reprise du morceau Equal Rights des Heptones, un morceau dont le thème est encore hélas d’actualité si l’on en juge par les inégalités de droits entre les individus au sein de notre société ?!

J’adore ce morceau qui a un message si fort, si en phase avec notre société. J’ai voulu enregistrer ce titre qui a pour moi une résonnance toute particulière. Peu importe la couleur de peau, la race, la culture… Tous les hommes doivent avoir la même liberté et les mêmes droits. On se fiche de savoir qui tu es, d’où tu viens, ce en quoi tu crois ou ne crois pas, que tu sois riche ou pauvre, mettre tous les humains sur le même pied d’égalité, égaux devant la justice devrait être la base de toute société.

Vos morceaux depuis vos débuts sont emplis de positivité. Faut-il, en toutes circonstances, être plein de « positive vibrations » comme le chantait Bob Marley ?

Je crois que c’est effectivement la clé. Les gens, tout au long de ma carrière, m’ont respecté et ont aimé mes albums car ils ont été sensibles à ce message positif et de paix que j’ai toujours souhaité véhiculer. Durant ma longue carrière, jamais mon nom n’a fait la une des journaux pour une quelconque histoire de drogue, d’arme à feu. J’ai toujours tenté d’être le plus en phase avec mes chansons. Je crois que si tu te conduis bien, alors les gens te respecteront, si tu te conduis mal, ils seront en droit d’être irrespectueux avec toi.

Cliquez sur l’image pour découvrir la vidéo Bawling de Freddie McGregor

Pensez-vous que votre longévité musicale soit liée à l’intemporalité de vos morceaux qui, justement, leur ont permis de traverser les décennies ?

Je le crois sincèrement. Depuis mes premiers pas en studio et mes premières compositions, je me suis toujours focalisé sur le fait de proposer des morceaux qui aient des thèmes intemporels. Je n’étais pas du genre à faire une session et me dire : « Ok, c’est bon, c’est en boîte, je peux rentrer chez moi ! » Non, à chaque fois, je me disais : « Comment puis-je faire pour que ce morceau soit encore écouté et puisse toucher celles et ceux qui l’entendront dans 20 ou 30 ans ?! » Je me pose toujours des dizaines de questions quant à savoir s’il faut ajouter sur tel ou tel morceau des instruments à vent, des chœurs…

Chanteur producteur et même batteur, vous avez enregistré plus de 40 albums, travaillé avec le gratin du reggae… Peut-on dire que musicalement parlant, votre vie a été pleine ?!

Dire le contraire serait compliqué ! J’ai enregistré tant de titres que, parfois, j’en réécoute et je ne m’en souviens même plus tant il y a eu de sessions faîtes en studio. J’ai tendance pourtant à ne pas trop regarder en arrière et, aujourd’hui encore, je me concentre sur le futur, sur tous ces projets qui m’animent et continuent à être de merveilleuses sources d’inspiration.

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