Entretiens Musique

Stephen « Cat » Coore, une vie en vert, jaune, rouge

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Stephen "Cat" Coore

Lorsqu’en 1977 Third World publie son album « 96° In The Shade » et le titre éponyme, le duo formé de Stephen « Cat » Coore et Michael « Ibo » Cooper ne se doute pas qu’il a là composé un hymne, pierre angulaire de la musique reggae et testament protestataire, qui traversera les décennies sans prendre une ride, repris en cœur par toutes les générations amoureuses de cette musique en vert, jaune et rouge. C’est depuis la Jamaïque, alors que la série de concert prévu pour promouvoir leur dernier né « More Work To Be Done » a, de fait, été annulée que Stephen « Cat » Coore se prête au jeu de l’interview pour une plongée en immersion dans ce reggae qui dépasse largement le cadre musical pour s’ériger en véritable culture.


« On parle de ségrégation, de racisme, de lutte des classes depuis des décennies pour ne pas dire des siècles et, malheureusement, on a l’impression que rien ne bouge. »

Entre votre premier album éponyme en 1976 et votre dernier né « More Work To Be Done » l’année dernière, quelle est votre vision de l’évolution du reggae sur plus de quatre décennies ?

Regardons surtout les années 70 où, en l’espace de dix ans, le reggae a véritablement explosé sous l’impulsion de Bob Marley, Burning Spear, Steel Pulse, Third World, Aswad, Culture… Pas mal de groupes qui ont participé à faire rayonner le reggae à travers le monde. Après cela, dans les années 80, il y a eu Freddie McGregor qui a eu deux gros hits. Puis, en 85/86 est apparue la vague du dancehall avec Yellowman, Shabba Ranks. Bien sûr, il ne faut pas oublier ceux comme Bob Andy qui, dès les années 60, ont posé les fondations de ce style musical sans parler des années 50 et le mouvement Ska.

Le reggae dépasse largement le cadre musical pour s’ériger en véritable culture. Comment définiriez-vous cette culture justement ?

C’est une culture emplie d’un message fort de défense des droits de l’homme. Nos morceaux nous permettent de parler de ceux qui souffrent, ceux qui sont opprimés et, par le biais de la musique, nous tentons de nous faire les messagers des plus faibles, de celles et ceux à qui, malheureusement, on ne donne que très rarement la parole. Vous avez raison, le reggae dépasse largement le seul cadre de la musique pour se faire l’écho du peuple d’abord jamaïcain mais aussi de tous ceux qui subissent l’injustice en raison de leur couleur de peau, de leur condition sociale… Le reggae, c’est l’histoire du tiers monde, de la population noire.

Le reggae est un acte militant, une rébellion contre toute forme d’oppression ?!

Tout à fait et la musique est le meilleur vecteur de communication qui soit. Quand vous faites passer un message par le biais d’un morceau, vous savez qu’il aura plus de poids, qu’il touchera plus de monde puisque la musique, par définition, est universelle et plus marquante qu’un simple discours.

En quoi le côté spirituel de cette musique vous influence-t-elle dans le processus de composition ?

Ce côté spirituel est ancré en nous et nous vient de la culture rastafari, ce mouvement tout à la fois social, culturel et spirituel qui est à la base issu de la foi chrétienne, ce que peu de gens savent. Nous suivons les préceptes de Haïlé Sélassié Ier, couronné Négus d’Ethiopie en 1930. Spirituellement, nous devons savoir qui nous sommes au fond de nous afin de l’exprimer au mieux extérieurement.

Le fait d’appeler votre groupe « Third World » était aussi un moyen de lutter contre cette oppression, de donner la parole aux plus opprimés ?

Effectivement. Notre message ne parle pas qu’en notre nom mais au nom de tous ceux qui se reconnaissent en nos paroles. Le Tiers Monde, c’est ceux que l’on montre du doigt, les plus pauvres et c’est cette voix que nous avons souhaité voir s’élever. Notre groupe a toujours embrassé toutes les cultures comme de nombreuses influences musicales, du R&B au jazz, même la musique classique… Nous sommes très ouverts. Ce qui est assez drôle, c’est que dans les années 70, beaucoup nous critiquaient en raison de ce mélange d’influences qui foisonnait dans notre musique. Aujourd’hui pourtant, tout le monde s’en est inspiré. Si vous écoutez Damian Marley, vous retrouvez de la pop, du reggae Roots, du dancehall, de la funk… Dès qu’un morceau débute vous savez que c’est lui car, en mélangeant toutes ces influences, il est parvenu à créer un style musical unique. J’aime cette idée que les artistes aujourd’hui ne soient plus enfermés dans un seul genre, cela élargit leur panel, leur couleur musicale et leur permet d’étendre leur champ de communication.

Outre vos mélanges d’influences musicales diverses, Third World a été sans doute le premier groupe de reggae à amener une bonne dose de virtuosité instrumentale. Cela provient-il du fait que vous ayez eu tous les deux un parcours de musique classique et que, vous concernant, vous ayez pratiqué le violoncelle plusieurs années avant de vous mettre à la guitare ?

La plupart des membres de Third World ont effectivement un bagage musical assez conséquent. Ibo et moi-même étudiions la musique lorsque nous étions au lycée. Au fil de années nous avons eu de très bons musiciens au sein du groupe. Je pense qu’en musique comme dans tout domaine artistique du reste, la base est essentielle. Il vous faut un socle solide afin de pouvoir vous exprimer librement sans de potentielles contraintes dues à des lacunes dans votre formation de musicien.

Après le violoncelle, vous vous êtes tourné vers la guitare classique, mais je crois que vous étiez beaucoup plus attiré dès le départ par la guitare électrique ?!

C’est vrai que même si j’ai continué le violoncelle pour valider mon année de fin de lycée, j’ai toujours été très attiré par la guitare électrique. J’ai débuté par la guitare classique mais mes oreilles étaient plus tournées vers Santana et Jimi Hendrix qu’autre chose. Santana propose une musique latine mais qui prend ses racines dans la musique africaine et que j’aime tout particulièrement.

Pouvez-vous nous parler de cette collaboration sur le morceau « Try Jah Love » en compagnie de Stevie Wonder ?!

Stevie Wonder était venu en Jamaïque après le décès de Bob Marley. Il nous a invités pour le rencontrer et souhaitait partager la scène avec nous au festival Sunsplash pour interpréter le morceau « Redemption Song ». Après ce concert, il nous proposé de venir à Los Angeles pour enregistrer avec lui dans son studio. C’est ainsi que tout a débuté et, forcément, nous nous sommes liés d’amitié. Cela a été une expérience fantastique car nous admirions réellement Stevie Wonder tout autant pour sa musique que pour l’homme qu’il est.

En 1975, vous faisiez la première partie de la tournée internationale de Bob Marley. Que gardez-vous de cette période ?

Nous étions jeunes, insouciants et en pleine évolution en tant que groupe. Faire la première partie de Bob Marley qui devenait de plus en plus important sur la scène musicale était quelque chose de tout simplement fabuleux. On a eu l’occasion de jouer au Lyceum Theatre à Londres, puis Birmingham, Manchester… Nous étions comme une fleur en train d’éclore et cette tournée en compagnie de Bob nous a permis d’éclore beaucoup plus vite forcément.

Bob Marley a vraiment ouvert une porte pour tous les artistes originaires de Jamaïque !

Il a joué un rôle primordial pour tous les artistes jamaïcains mais plus largement pour tous les artistes de la scène reggae comme Steel Pulse qui viennent de Birmingham. Bob Marley nous a permis d’être reconnus du public mais également d’attirer la lumière sur nous afin de pouvoir signer des contrats avec des maisons de disques. Lorsqu’il a signé avec Chris Blackwell, fondateur de Island Records, le reggae a pris un réel essor. Ce qui est assez paradoxal, c’est que lorsque les Etats-Unis nous ont ouverts les bras, c’est tout d’abord sur les radios des universités blanches que nous avons été diffusés alors que les radios « black », elles, ne nous passaient pas sur les ondes. Puis les gens avec le succès de Bob Marley se sont vraiment intéressés au reggae, nous proposant toute une série de concerts dans le pays.

Votre hymne contestataire, “96° degrees In The Shade”, enregistré en 1977, était assez prémonitoire lorsque l’on constate le réchauffement climatique actuel ?

Oui, cette chanson fait écho également à la vague de protestation actuelle du « Black Lives Matters ». Ce morceau fait référence à Paul Bogle qui fut pendu par les autorités britanniques en 1865, un vrai héros jamaïcain qui s’est battu pour faire entendre le droit des noirs. Il voulait que les gens, peu importe leur couleur de peau, soient intégrés quel que soit le pays où ils se trouvaient, qu’ils aient droit à un métier. Cette lutte ne cessera jamais car regardez où l’on en est aujourd’hui !

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La musique reggae est une musique de paix, une paix qui semble bien loin en ces temps agités !

On parle de ségrégation, de racisme, de lutte des classes depuis des décennies pour ne pas dire des siècles et, malheureusement, on a l’impression que rien ne bouge. Beaucoup de personnes ont tenté de faire avancer les droits des plus pauvres, des plus opprimés, en véhiculant un message de paix sans aucun effet. De pauvres gens innocents qui n’ont commis aucun crime continuent de se faire assassiner en toute impunité. Il faut continuer à poursuivre le combat, en permanence pour faire entendre nos droits, pour que la couleur de peau ne soit pas discriminatoire. Martin Luther King est mort pour que les droits des noirs soient respectés et aujourd’hui on a la désagréable impression que sa mort a été vaine. Actuellement, les tensions sont que plus importantes avec cette crise de la Covid qui engendre une énorme récession économique et un chômage qui ne cesse de grimper. Même face à cette épidémie, tout le monde n’est pas sur un pied d’égalité entre les plus forts et les plus faibles qui trinquent et vont un peu plus plonger dans une irréversible pauvreté.

C’est le statu quo le plus total avec cette épidémie. Quels sont les projets de Third World en espérant que les concerts vont bientôt pouvoir reprendre à travers le monde ?!

Je reste optimiste même s’il faut rester vigilant face à cette épidémie tant qu’un vaccin ne sera pas trouvé. Bien sûr, nous devions venir en France pour promouvoir sur scène notre dernier album et, malheureusement, tout a été annulé. Nous donnerons prochainement un concert en ligne avec Freddy McGregor, c’est déjà bien même si, évidemment, rien ne remplace la sensation d’être sur scène et de partager notre musique avec notre public. Pour l’instant je reste en Jamaïque avec mes deux fils en attendant que la situation soit un peu moins anxiogène aux Etats-Unis qui est certainement le pays le plus touché par cette épidémie qui tue encore chaque jour. Mais on espère bien pouvoir venir vous rendre visite prochainement quand la situation sera un peu plus calme.

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