Entretiens Gastronomie

Jacques Genin, l’hymne à l’amour

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Jacques Genin est un homme entier, un amoureux passionnant qui s’est construit dans la difficulté, la rudesse d’une vie d’adolescent passée dans le sang, la sciure et la sueur d’un abattoir des Vosges. La difficulté, l’homme a su la magnifier pour en faire sa force et rythmer son existence au son d’un maître mot : Le partage. Cet art du partage, c’est d’abord dans la gastronomie qu’il l’a conjugué avant de choisir une autre voie royale, celle onctueuse d’un chocolat d’exception qu’il sublime, transformant en une pièce d’orfèvre chaque fève de cacao passée entre ses mains. C’est dans sa boutique parisienne de la rue de Turenne que Jacques Genin nous accueille pour un échange qui dépasse largement le simple cadre de l’interview. Entre émotion aux larmes, souvenirs douloureux et coups de gueule sur une société aseptisée qui prône l’uniformité au détriment de la différence, on se dit qu’effectivement la vie est une grande boîte de chocolats qui, miracle, nous offre parfois la chance de rencontrer des pépites.

« Si l’étiquette « bio » suffit à multiplier par trois le prix, je suis définitivement contre ! »

Quand on pense Jacques Genin, on pense chocolatier d’exception, superbe boutique du Marais, Palaces… Cette image est pourtant bien éloignée de l’homme que vous êtes qui s’est construit dès 12-13 ans en tuant des bovins ou des chevaux à la masse aux abattoirs de Saint-Dié-des-Vosges ? Comment s’est opérée la transition entre l’adolescent que vous étiez et l’homme que vous êtes aujourd’hui ?

Ce n’est pas un souhait d’aller bosser à 13 ans, surtout quand tu ne sais pas ce que tu veux faire dans la vie, mais bon tu n’as pas vraiment le choix pour t’en sortir. Tu fais ça jusqu’à 19 ans en te disant : « Mais ma vie ne va quand même pas ressembler à ça ! » J’aspirais à autre chose alors, un jour, je suis parti pour que tout change ! Ça a été le point de départ, ensuite la vie c’est quoi, c’est les rencontres que tu vas faire, qui vont t’épanouir et faire ce que tu deviens, bref l’homme que je suis aujourd’hui.

Et ces rencontres justement, elles vous ont conduit au chocolat ?

Ces rencontres m’ont surtout amené à aimer la nourriture qui véhiculait des valeurs de partage qui me correspondaient tout à fait. Je parlerais d’amour et non de passion car la passion, c’est le déraisonnement de l’individu et, dans le déraisonnement, tu ne peux te construire qu’étapes par étapes. Ces gens que tu rencontres autour d’une table, ce ne sont pas que des médecins ou des avocats non, mais des personnes entières qui te permettent d’ouvrir ton esprit à autre chose, de découvrir, de comprendre… J’avais une véritable soif d’apprendre, d’aller vers l’autre. J’étais bien sûr comme tous ces gamins qui ont connu une enfance disons difficile, j’avais cette soif de reconnaissance, d’exister, de me sentir bien dans ma peau. Le regard des autres a compté quand j’étais gamin. À un moment, je ne voulais plus que l’on me regarde ainsi, j’avais besoin de me sentir respecté, juste bien. Je me suis dit : « Tu m’apprécies c’est bien, tu ne m’aimes pas tant pis mais je vais mener la vie que je souhaite et non celle que l’on m’impose ! » Quand j’ai commencé à me lancer dans la vie professionnelle, ça a été douze patrons, douze cons ! J’ai vite compris que j’avais là un sacré problème et que la seule solution était que je travaille pour moi, être mon propre patron. Même si cela devait avoir un certain prix, je ne voulais pas que quelqu’un puisse penser pour moi, décider pour moi. Je me suis donc lancé dans la restauration en faisant plein de petits boulots. Quand j’arrive à Paris en 1979, je découvre la ville et là c’est…

Jacques Genin, passionnant et passionné…

Un choc ?

C’est autre chose qu’un choc, c’est une curiosité. Au départ, j’ai bossé dans une boîte de jazz, place du Châtelet. C’était un univers que je ne connaissais pas. Je me suis dit : « Génial, je vais être au bar pour apprendre à faire des cocktails ! ». Tu parles, j’étais à la plonge ! Mais bon, cela a eu le mérite de me sortir du cadre des abattoirs, et ça m’a permis de découvrir une musique qui me plaisait même si je ne la comprenais pas. Je voulais en savoir plus alors j’ai tanné mon patron pour descendre dans cette cave où des groupes jouaient tous les soirs. Comme j’étais à l’étage, j’entendais cette musique mais avec la frustration de ne pas savoir ce qu’il se passait sur scène, ce qu’étaient ces instruments que j’entendais. Quand mon patron a enfin accepté que je descende, je me souviens de cette vision d’un public bien habillé et de ces types qui jouaient comme des dieux, soufflant dans des trompettes ou des sax. Un soir, un musicien qui me voit planté là me demande quelque chose. Forcément, je ne comprends rien à la question posée par ce type. Un couple assis juste à côté me traduit en m’expliquant qu’il me demande un whisky. Je remonte et je lui redescends son verre. Le musicien me propose de m’asseoir. Là, il prend sa trompette et me joue un air, rien que pour moi. Waouh, j’étais à ce moment le garçon le plus heureux du monde. Quelque temps plus tard, je me rends avec un groupe d’amis au New Morning pour un concert et, en découvrant l’affiche, je dis à tout le monde : « Je connais ce Monsieur ! » Mes amis se mettent à rire sans croire que j’ai pu le servir et passer un moment avec lui. Après le concert, je ne me démonte pas et je vais voir ce musicien à qui j’avais servi un whisky quelques temps auparavant. Par chance, il me reconnaît et, au bout d’un moment, se joint à notre table. Je vois mes potes devenir blancs. Le musicien en question, c’était Miles Davis ! C’est un exemple de toutes ces merveilleuses rencontres que j’ai pu faire à Paris. Ce que j’aimais dans ce monde de la restauration, de la nuit, c’est que je pouvais rencontrer des gens totalement différents, des personnalités, comme des inconnus aux histoires merveilleuses et sans que quiconque ne me juge.

La gastronomie c’est l’émotion, le partage, la personnalité que le chef va mettre dans sa cuisine, bref des valeurs qui vous ressemblent forcément !

Ce sont des choses qui me ressemblent mais que je ne connaissais pas à l’époque. C’est ma rencontre avec le chef Alain Chapel qui va m’apprendre toutes ces valeurs. Vers 19 ans, avant de venir sur Paris et alors que je travaille encore dans les abattoirs, j’entends parler sur RTL de Monsieur Chapel. J’avais envie d’en apprendre plus sur lui, sur sa cuisine. Alors, un jour, je décide de me rendre à Mionnay, là où se trouve son restaurant. Je pars donc de Saint-Dié-des-Vosges pour aller dans l’Ain. Comme je n’avais vraiment pas beaucoup d’argent, je me prends un billet de troisième classe. J’arrive après des heures de trajet devant le fameux restaurant de Monsieur Chapel et là, je m’aperçois en regardant la carte que je n’ai même pas de quoi me payer un plat. Alors que je suis planté là, un homme sort du restaurant et me dit « Bonjour Monsieur ! ». C’est la première fois que l’on m’appelle Monsieur alors je reste un peu hébété. Il m’invite à entrer et je n’ose pas lui dire que je n’ai pas assez d’argent pour manger dans ce restaurant. Il m’assoit à table et là, je me retrouve dans un lieu dont je ne soupçonnais même pas l’existence. J’ai un peu honte. Un Monsieur arrive et me demande si je désire un apéritif. À l’époque, je ne buvais pas d’alcool et je ne fumais pas. Il me propose alors de l’eau plate ou gazeuse mais, de là où je viens, ce n’est même pas imaginable de payer pour de l’eau et de boire autre chose que celle du robinet. On me tend une carte avec des noms compliqués qui ne me parlent pas du tout. Le maître d’hôtel revient et me dit : « Monsieur Chapel va s’occuper de vous ! » Là, je reconnais qu’il s’agit en fait de la personne qui m’a fait entrer dans le restaurant en me voyant planté plusieurs minutes à regarder la carte située à l’entrée. Bref, je mange un repas divin et c’est pour mon palais une découverte extraordinaire. Le problème, c’est que tout en mangeant, j’ai forcément la boule au ventre car je sais pertinemment que je n’ai pas assez d’argent pour régler l’addition. Dans ma tête, je suis en train de voler l’homme que je suis venu découvrir et c’est un sentiment terrible. À la fin du repas, Monsieur Chapel vient me voir, il me raccompagne à la porte et me dit tout simplement : « Merci d’être venu ! » Je ne sais pas quoi lui répondre. Plus tard, je comprends qu’il n’y avait rien à dire, juste apprécier la grandeur d’un tel Monsieur. Je pars à la gare de Mionnay et, en montant dans le train, je sais que c’est ça que je veux faire. Ce n’était pas le métier en lui-même, mais cette incroyable générosité.

Vous êtes un homme de challenge puisque vous avez ouvert votre premier restaurant alors que vous ne saviez pas cuisiner simplement parce que la mère de votre fille vous avait lancé un défi !

Est-ce que c’est du challenge, du défi ? Avant je disais oui, aujourd’hui je dis non, il fallait simplement que j’existe.

Et le travail, c’est votre moyen d’exister ?!

Ça l’a été pendant des années effectivement ! Et puis, avec le temps, j’ai découvert qu’il y avait autre chose, d’autres éléments dont on pouvait se nourrir comme la musique, le théâtre, la lecture, le cinéma… Bref l’art ! Par contre, j’ai toujours pris le parti avant tout de me faire plaisir dans ce que je fais. Depuis mes 19 ans, je n’ai jamais exercé un travail dans lequel je n’étais pas heureux, émancipé. Si je ressentais la moindre lassitude, je passais à autre chose. La vie n’est pas faite pour s’ennuyer en répétant éternellement les mêmes choses.

Le chocolat aux câpres de Jacques Genin

C’est important de garder cet esprit passionné dans le travail ?

Je ne sais pas si c’est passionné ou amoureux. Je fais très attention avec la passion. L’amour est un sentiment profond qui te permet d’avoir un peu de recul. Les passions, elles, j’en ai eu quelques-unes et c’est destructeur tout autant que cela te nourrit.

Ça fait se sentir vivant !

Oui, tu existes et surtout rien ne peut t’arrêter. Ces passions, c’est aussi l’occasion de se dire : « Et pourquoi moi je n’y arriverais pas ? Et pourquoi cela serait impossible ? » Ce n’est pas parce que tu as été élevé et qu’on t’a rabâché que telle ou telle chose n’était pas pour toi que tu dois le croire. Si tu mets du cœur, des sentiments, tes tripes dans quelque chose, alors tu y arriveras. Quand j’ai ouvert cette boutique rue de Turenne à Paris, c’était juste une folie de faire ça. Un laboratoire en plein cœur de la capitale, au prix du m2, c’était n’importe quoi. Mais à partir du moment où tu te donnes autant dans ton travail, ce que certains appellent la folie, toi tu appelles ça un art de vivre !

Vous êtes un amoureux de la gastronomie, mais l’amour du chocolat, c’est venu comment ?

Je suis un amoureux du produit avant tout. Le chocolat, j’ai plongé dedans quand ma fille devait avoir deux ou trois ans. Je voulais lui donner les plus beaux anniversaires. C’est comme ça que je me suis lancé là-dedans. Et puis, après 23 ans de restauration, cela commençait à me peser. J’avais besoin de nouveauté, de prise de risques, d’autre chose.

C’est la lassitude qui vous fait passer à autre chose, donc avancer !

Oui, toujours et en tout. Tu n’as qu’une vie. Les gens qui ont peur de mourir sont ceux qui ne se sont pas réalisés. Moi, je n’ai pas cette appréhension de la mort. Souvent, on me dit : « Jamais tu ne quitteras cette boutique ! » Mais c’est une erreur, il y a forcément autre chose à découvrir, encore. Ce qui est sûr, c’est que comme j’ai été actif 45 ans de ma vie, je ne me vois pas rester sans rien faire. Je vais juste, peut-être, avec les années, considérer mon temps différemment. Être en retraite, ce n’est pas autre chose que disposer de son temps comme on le souhaite. Ce n’est pas mettre les gens de côté pour attendre qu’ils crèvent car la société ne veut plus d’eux.

Vous avez appris sur le tas. Ce côté : « j’essaye et je vois ce que ça donne ! » offre selon-vous une plus grande liberté ou est-ce un handicap ?

Il y a les deux aspects en fait. L’avantage, c’est que tu restes totalement vierge de ta liberté. Le désavantage, c’est que lorsque tu apprends, c’est beaucoup plus long. Bien sûr, tu peux apprendre de quelqu’un mais là, tu vas apprendre ses qualités comme ses défauts. Dès le départ, je savais qu’en apprenant sur le tas, les choses allaient être beaucoup plus longues, compliquées, que j’allais commettre des erreurs… Et alors ?! Tu n’apprends que de tes échecs, pas de ce que tu réussis. Tu retiens ce qui te meurtrit car tu veux, la fois prochaine, en faire quelque chose de beau. J’ai cette idée de toujours aller de l’avant, se dire que l’on n’est pas encore arrivé là où on le voudrait. Se fixer des objectifs inatteignables est ce qui te permet de toujours rester dans la course.

Et vous avez une idée de cet objectif même inconscient que vous vous êtes fixé ?

Non et je ne le souhaite pas.

Encore aujourd’hui, vous êtes un homme qui souhaite vivre au jour le jour ?!

Tout à fait. Là nous sommes dans une situation très particulière, mais je la vis au jour le jour. Je n’ai pas envie de vivre dans ce schéma où tous les matins je me dirais : « Oh mon Dieu, mais qu’est-ce qu’il va m’arriver ? » Tu vis les choses alors pourquoi les anticiper avec de la crainte ? Moi, je ne connais pas ce sentiment. Cette façon de penser me vient certainement de l’enfance.

Avoir été élevé à la dure comme on dit, ça forge ?

Enormément. Et puis, j’ai encore cette insouciance de me dire, on verra bien. Lorsque je prends un peu de recul sur ma vie et sachant d’où je viens, je me dis : « J’ai aimé les plus belles personnes et ça a été réciproque, j’ai dégusté les meilleurs mets, j’ai bu les plus beaux vins du monde, j’ai dormi dans les plus beaux endroits… Qu’est-ce que je peux avoir de mieux ? » Certes mon enfance a été dure, mais si elle avait été simple, si j’avais été un enfant aimé, en serais-je là aujourd’hui ? Il y a fort à parier que non ! Le seul regret que je pourrais formuler, c’est l’intolérance que j’ai pu avoir à l’égard de certaines personnes dans l’écoute par exemple ou dans le fait de leur demander d’être moi alors qu’ils ne le souhaitaient pas, bref d’avoir choisi pour eux.

Aujourd’hui, nous sommes dans une société qui prône la culture de masse, la consommation de masse… On a peu à peu perdu l’esprit de clocher, la démarche d’aller acheter le bon produit chez le petit commerçant de proximité au profit des hypermarchés. La grande distribution, ça vous inspire quoi ?

Je travaille personnellement en direct avec de petits producteurs sans passer par Rungis tout simplement parce que je ne le veux pas. Je paye les produits plus chers mais je suis là, encore une fois, totalement indépendant. Quand tu regardes bien, dans une société, ce n’est pas le produit qui te coûte le plus cher, c’est la masse salariale. Ce qu’il se passe dans la grande consommation me peine énormément car on s’est suicidé. Ces grandes surfaces, moi je n’y mets jamais les pieds tout simplement par ce que j’ai toujours été contre. En enlevant le boucher de quartier, le poissonnier, le maraîcher, on a simplement tué ce lien qui unissait les gens. On a fait cela soi-disant pour que les consommateurs économisent de l’argent, mais ce n’est rien de moins que leur mentir. C’est une politique pensée, réfléchie de transformer le consommateur en mouton c’est tout ! J’ai été choqué par exemple que pendant cette période de confinement, on ait fermé les marchés alors que les grandes surfaces, elles, étaient ouvertes là où l’air en vase clos est le plus vicié qui soit. Ce que je déplore c’est que l’on se soit porté garant et caution de cette création des grandes surfaces qui envahissent de plus en plus le paysage et ça, simplement par facilité d’esprit, pour tout centraliser et perdre malheureusement cet esprit de clocher, cette joie des habitudes auprès des commerçants de proximité. On pouvait dire non à tout ça mais hélas on ne l’a pas fait !

Aujourd’hui, par effet de mode, on parle énormément de « bio » que l’on nous vend à toutes les sauces et dont, je crois, vous n’êtes pas grand fan ?!

Si l’étiquette « bio » suffit à multiplier par trois le prix, je suis définitivement contre ! Il y aurait un vrai cahier des charges, un vrai travail, de vraies résolutions… Mais quand on sait que l’on peut avoir cette appellation « bio » avec des produits pour travailler la terre qui viennent d’on ne sait où, c’est se moquer du monde. Je préfère que l’on me parle d’agriculture raisonnée sur laquelle on travaille de moins en moins de produits que de cette vague de « bio » où, quand vous regardez bien, vous retrouvez les mêmes produits en définitive en grandes surfaces ! Comment l’agriculture « bio » peut-elle aujourd’hui produire presque autant qu’une agriculture expansive ? Il faudrait peut-être se poser des questions ! Je déteste que l’on se moque des gens. Aujourd’hui, sur les marchés, il y a de plus en plus de petits producteurs qui proposent leurs produits en direct. Je ne comprends pas pourquoi tous les gens ne font pas cette démarche d’acheter chez des maraichers plutôt que dans des magasins où, finalement, on ne paye que cette étiquette « bio » collée en gros sur la devanture. Moi, mes légumes viennent de toute la France. Mes dernières fraises Mara sont arrivées de Champagne. Je devais avoir cinq cagettes et, finalement, je n’en ai reçu que deux. Et bien je suis content car c’est un très beau produit et je fais avec ce que l’on me fournit.

Comment nait une nouvelle recette ?

Après 23 ans, les idées ne germent plus que de moi mais d’une équipe. Il y a d’abord Sophie qui m’accompagne depuis 18 ans. C’est aujourd’hui assez impulsif comme démarche. L’un des membres de l’équipe va me dire : « Pourquoi on n’essaierait pas ça ? » Et hop, on est parti. Ils font l’essai puis je goûte et j’apporte quelques corrections.

Cette équipe justement c’est avant tout des coups de cœur plus que des CV avec des très belles références ?!

Le CV, je m’en fous ! Les personnes avec qui je travaille, je dois d’abord les aimer. J’ai besoin de cette relation humaine. Si je n’ai pas cet élément primordial, ça part au clash. Comment travailler en te disant que les gens avec qui tu vis la plus grande partie de ta journée ne sont que des employés ? Non, justement, ce ne sont pas que des employés. Ce sont des personnes à qui tu demandes de travailler un produit dont ils doivent être amoureux pour le sublimer. On leur demande énormément alors on se doit de les aimer.

L’accord parfait !

Vous aimez le vin. Vin et chocolat, ça se tente ?

Oui, mais très peu d’accords fonctionnent quand même. À un moment, on en a fait une mode tout simplement parce qu’il y avait là un filon pour gagner de l’argent. Et moi, les modes, je n’aime pas ça ! Un bel accord, ce n’est pas forcément deux produits qui entrent en symbiose, mais deux produits qui peuvent s’entrechoquer pour développer autre chose. Pour moi, le plus bel accord parfait que j’ai eu l’occasion de goûter, c’est le Château Yquem et le Roquefort. C’est un mariage parfait car, de base, on est sur deux moisissures, plus de la sucrosité, de l’acidité. Mettre un vin rouge sur un chocolat, c’est par exemple toujours délicat. Dans le monde du chocolat, tu as des terroirs qui peuvent être très puissants et donc annihiler complètement le vin. Tu prends alors le risque de faire des associations dans lesquelles tu vas transformer une bouteille d’exception en de la vinasse. La mode prouve que l’on n’invente rien car tout est cyclique et revient tous les vingt ans. Parlons de saison et pas d’autre chose ! Lorsque je vois qu’en fin d’année, on peut trouver des bûches à la framboise, je trouve cela tout simplement triste. Tu demandes à une clientèle d’être éduquée sur le goût et tu ne fais ni plus ni moins que la trahir. Les mandarines, quand on était petit, tu ne les avais pas sur les marchés avant le 10/15 décembre. Aujourd’hui, tu les trouves déjà. On a perdu cette joie de découvrir un produit en fonction des saisons. Tout a été standardisé en voulant nous imposer un goût unique et insipide. Moi, tu vois, j’attends des noix de Périgord et je suis impatient de découvrir la nouvelle récolte. Pourquoi vouloir tout et tout le temps ? Dame nature a bien fait les choses alors on devrait juste penser à la respecter. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes ont des allergènes dans cette société où tout doit être cultivé de manière propre avec des produits pesticides. Moi, je fais partie de ces gosses qui ramassaient les fraises dans le jardin avec la terre et qui les mangeais sans les avoir lavées. Et bien je pense avoir bien moins de problèmes de santé que tous ceux que l’on a voulu nourrir avec des produits totalement aseptisés.

Si je vous invite à déjeuner, je vous prépare quoi pour vous faire plaisir ?

C’est une belle question. Prépare-toi, ça suffira amplement ! C’est ce que tu vas être qui va compter plus que ce que tu vas me préparer. Je vais pouvoir le partager que si je sens que je vais passer un bon moment. Sinon ton plat sera certainement bon, mais il n’y aura rien de plus. Une amitié, c’est deux personnes et tout est comme ça. S’il n’y a pas les deux, il ne reste rien. La vie, c’est ça, cette union, ce partage et savoir accepter qui est l’autre, l’accepter avec ses défauts, ses différences pour s’en nourrir. Bien sûr, j’en parle beaucoup plus facilement à 62 ans que 30 ans en arrière quand j’étais beaucoup plus volatile et intransigeant. Je ne pardonnais rien aux autres comme à moi-même, mais j’étais bien moins épanoui qu’aujourd’hui.

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