Entretiens Gastronomie

Benoit Vidal, étoiles des neiges

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C’est au cœur des alpages, dans un chalet traditionnel tout de bois et de pierres vêtu, que le chef catalan Benoît Vidal, tombé amoureux de la Savoie et de son terroir à l’authenticité prononcée, a posé ses ustensiles de cuisine. Dans un cadre idyllique, brut, du domaine skiable de la mythique et très prisée station de Val d’Isère, entre deux descentes hivernales ou randonnées estivales, une clientèle internationale peut, au choix, venir s’attabler au bistrot gourmand ou prendre place à l’atelier d’Edmond, restaurant gastronomique couronné de deux étoiles au Michelin et s’enivrer les papilles d’un menu qui fait la part belle aux produits locaux. Chaussez vos skis et préparer vous a glisser sur la piste aux étoiles du chef Benoit Vidal !

« La gastronomie, c’est ni plus ni moins qu’une équipe de rugby avec un chef dans le rôle du capitaine. »

La restauration, peut-être plus encore que tout autre secteur, a été touchée de plein fouet par cette crise du Covid. Cette fermeture forcée a- t-elle mis en péril votre restaurant ?

On a appris cela le samedi soir juste avant le service et il a fallu digérer le coup de massue. Je dois dire que l’on était un peu K.O. debout ! On a paré au plus pressé et pris les choses en main en traitant la marchandise que l’on avait à disposition afin qu’elle ne soit pas perdue. Nous avons réalisé des plats à emporter pour toutes celles et ceux qui quittaient prématurément la station. Cela nous a permis d’écouler tout ce que l’on avait de frais. Le reste a été séché, déshydraté comme les herbes dont je me sers de condiment toute l’année. On a vraiment traité au plus rapide avec un nettoyage et une fermeture dans la foulée.

Cette période de fermeture vous a-t-elle permis de prendre du recul et peut-être revoir votre façon d’aborder le métier ?

Au départ, c’est un choc car, forcément, on se pose des questions au niveau économique concernant le système sur lequel on a travaillé et que l’on a mis en place depuis des années, un système qui, en un instant, s’effondre. Dans un second temps, on se pose effectivement des questions sur l’avenir, de quelle manière l’économie va se relancer ?! J’ai pris la décision importante d’arrêter le restaurant gastronomique en période estivale pour ne garder que la partie bistrot. Sur l’hiver, j’avais une carte et nous allons désormais ne proposer que des menus afin de restructurer et pouvoir être plus performant.

Vous pensez que malgré les aides de l’état, le secteur de la restauration sortira profondément changé de cette crise ?

C’est une évidence. J’ai beaucoup de confrères qui se posent des questions sur ce que sera l’avenir car, malgré la réouverture, les clients ne répondent pas forcément présents. Les lieux touristiques n’ayant pas redémarré, les établissements qui font leur chiffre en partie grâce à une clientèle internationale se retrouvent dans une situation pour le moins compliquée. On espère que l’activité sera repartie à l’hiver prochain, mais c’est aujourd’hui que les décisions doivent se prendre.

On a l’impression que pas mal de chefs étoilés repensent leur structure au sortir de cette fermeture obligatoire inhérente au confinement ?

On ne peut pas vivre que de rêves. C’est une entreprise avec un aspect économique et il convient de trouver le juste milieu entre la viabilité de l’entreprise et une masse salariale très conséquente inhérente à tout restaurant étoilé. C’est ce qui pose problème et qui fait que nous allons peut-être devoir penser les choses un peu différemment. On va profiter de l’été pour mettre en avant la partie bistrot afin d’avancer pas à pas pour préparer l’hiver au mieux.

Bonbon d’huître au lard de la vallée d’Aoste

Le fait que Val d’Isère soit une station de ski mondialement connue vous attire une clientèle internationale. Cette mondialisation a-t-elle une influence sur votre cuisine, dans le choix des produits intégrés à vos menus ?

Au contraire, j’ai pris le parti de prendre le contre-courant de la mondialisation. Plus ça va et plus je réduis les écarts géographiques de mes produits. Je tente autant que faire se peut de rester saisonnier et local afin que la clientèle qui vient d’un peu partout puisse découvrir une cuisine de caractère avec une identité forte imprégnée d’un terroir et d’une histoire locale. Je crois qu’aujourd’hui les gens aiment retrouver dans leurs assiettes l’endroit où ils se trouvent et ce que cet endroit raconte en histoires gustatives.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus de circuits courts, d’écoresponsabilité… Dans votre approche de la grande cuisine, avez-vous développé tout autant le respect de l’environnement qu’une politique visant au zéro déchet ?

Quand on est restaurateur, on se doit d’aller chercher les producteurs les plus proches et la qualité. J’ai personnellement toujours travaillé en privilégiant les productions locales, avec cette dimension éco-responsable en choisissant des produits que je peux transformer au maximum afin de limiter le gaspillage. On va par exemple utiliser des produits pour le restaurant gastronomique dont on utilisera les chutes pour le bistrot. Nous avons mis en place des bornes électriques, on trie nos déchets, on a mis en place un compost pour l’été… Cette démarche a toujours été la mienne.

Ecrevisses er réduit de carottes zestes d’agrumes

Pour les légumes, vous faites appel à des maraichers ou vous cultivez vous-même ?

L’été, c’est plus simple car il y a des maraichers du côté de Bourg-Saint-Maurice, des petits agriculteurs avec lesquels je travaille. Sur Val d’Isère, je cueille beaucoup et l’on a pas mal de plantes et d’herbes qui me servent de condiments pour ma cuisine.

Comment nait une nouvelle recette ? Est-ce l’inspiration d’un produit, une texture, une volonté d’association de goûts ?

Cela peut avoir un aspect très spontané, un produit que l’on a goûté et que l’on souhaite transformer ou intégrer dans un plat. Cela peut aussi être une démarche un peu plus intellectualisée où je vais partir d’une histoire locale, d’une tradition pour remettre au goût du jour ce que mangeaient les anciens, le restituer en ayant cette trame qui parle de la région. Il n’y a rien de défini dans la créativité. Cela peut être un produit, une saveur, la découverte d’une plante que l’on a transformé en huile ou en pickles…

Vous êtes catalan d’origine, comment êtes-vous tombé amoureux de la Savoie ?

J’aime l’identité, l’authenticité et lorsque je suis arrivé à Val-d’Isère, j’ai été servi ! Je suis venu sur les conseils d’un ancien chef et je suis vraiment tombé amoureux de cette région. C’est un terroir, un caractère très marqué que l’on retrouve dans les constructions en pierre et en bois par exemple. Il y a aussi ce côté fond de vallée, assez pudique qui me ressemble beaucoup. La discrétion doublée d’une forte personnalité, c’est assez moi en fait !

Le chef est sa cuisine !

La cuisine est une expression de soi-même. J’ai une personnalité réservée, mais j’essaye de mettre dans ma cuisine tout ce que j’ai au fond de moi. Mes assiettes parlent beaucoup plus que moi et sont donc une communication intérieure de ce que je ressens.

Aujourd’hui, beaucoup de grands chefs étoilés participent à l’émission Top Chef qui voit, chaque année, éclore de jeunes talents très prometteurs. La cuisine mise sous les feux des projecteurs du petit écran, c’est un concept qui ne vous correspond pas forcément ?

Il ne faut jamais dire jamais, même si ce n’est pas trop ma marque de fabrique. Certains chefs le font très bien et portent des messages grâce à leur médiatisation, ce qui est important. Notre profession a évolué dans le bon sens et la mettre sous les feux de projecteurs tout en montrant le dénominateur commun qui est le travail avant toute chose, c’est essentiel. La notion de plaisir que l’on transmet justement par le biais de ces émissions à la jeune génération est quelque chose de bénéfique.

Noix de St Jacques au beurre demi sel, jus de bardes ai cidre & bourgeon de sapin

La notion de plaisir est essentielle dans la cuisine. Je crois que, vous concernant, votre Madeleine de Proust, c’est l’œuf à l’oseille de votre grand-mère. Cela résonne à vos papilles comme un merveilleux retour en arrière ?

J’ai toujours voulu être cuisinier, trainant depuis tout petit dans les jupons de ma mère et de mes grands-mères. J’avais cette envie de toujours vouloir goûter les plats avec gourmandise. Au carnaval, enfant, je m’habillais déjà en cuisinier avec la volonté, un jour, de monter moi aussi mon propre restaurant. C’était donc, dès le départ, quelque chose de profondément ancré en moi.

Dans un cursus scolaire dans lequel vous ne trouviez pas vraiment votre place, la cuisine s’est-elle imposée comme une bouée de sauvetage ?

C’était plus un chemin sur lequel je me suis senti tout de suite bien qu’autre chose. Cette possibilité d’exprimer ce que je n’arrivais pas forcément à formuler par les mots. Cette envie de faire plaisir aux autres, d’accueillir.

Ce sens du partage, c’est ce que l’on retrouve dans votre cuisine ?!

J’aime être un marchand de bonheur, que les gens repartent du restaurant avec le sourire. J’ai une cuisine très généreuse dans laquelle je mets du cœur, de l’âme, de l’envie, de la passion, un sens du partage.

Un partage conjugué tout autant avec les clients qui viennent déguster votre cuisine qu’avec les producteurs qui vous fournissent ces produits d’exception !

Oui, c’est toute une chaîne qui fait partie intégrante de notre cuisine. C’est aussi un partage avec nos équipes, savoir gérer les caractères forts, faibles, les doux, les nerveux. Il y a, au quotidien, toute cette alchimie à gérer et qui est plaisante. On est des humains, partageant une même passion que l’on tente de véhiculer. On pousse les gars dans leur retranchement pour aller chercher au plus profond d’eux qui ils sont vraiment. Je suis natif du Sud et j’ai une âme un peu rugby donc ce sont là des valeurs qui me parlent. La gastronomie, c’est ni plus ni moins qu’une équipe de rugby avec un chef dans le rôle du capitaine. On a besoin au quotidien de gars avec nous qui partagent au plus près ce que l’on vit. Il y a de moins en moins de jeunes qui se lancent dans la profession et il nous faut dynamiser l’aspect service qui est primordial dans le processus du restaurant étoilé.

Guy Savoy me parlait de son amour du rugby, des similitudes entre le fonctionnement d’une équipe pro et celle d’un restaurant étoilé et Philippe Etchebest est lui-même ancien rugbyman. On est entre gastronomie et rugby sur le même terrain ?

J’avais eu une discussion avec un ancien international de rugby avec lequel j’avais parlé pendant des heures. On est effectivement très proches. Il y a un groupe, un collectif, on souffre ensemble, on travaille ensemble, on gagne ensemble, il y a des pics de stress pendant le service comme pendant le match, on lâche la pression ensuite, on partage tout, on fait un effort collectif avec une forme d’abnégation, il y a cet aspect du sacrifice du temps passé en cuisine tous les jours au détriment de sa famille, le briefing avec l’équipe avant le service est également un moyen de répéter les lancements de jeu… C’est vraiment très similaire.

L’Atelier d’Edmond

Vous avez obtenu, une première étoile en 2012, une deuxième en 2015, la troisième étoile, c’est le Saint-Graal auquel tout grand chef aspire ?

Les choses viennent quand elles le doivent. Je ne me couche pas ni me réveille tous les jours en ayant cette idée en tête et heureusement. Le principal, c’est faire plaisir à nos clients tout en se faisant plaisir. Après, effectivement, la troisième étoile, c’est un peu le Graal, toucher le ciel avec le bout du doigt ! Je suis quelqu’un qui vit très mal la critique et qui souhaite que le client reparte en étant le plus heureux possible. Je suis jusqu’au-boutiste.

Si je vous invite à dîner, que dois-je vous préparer pour vous faire plaisir?

Quand je vais chez des amis, j’aime les grands plats de partage que l’on met au milieu de la table. Pot-au-feu en hiver, grandes salades, barbecue, le partage avant tout chose. Du simple, mais convivial.

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