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Vincent Courtillot, géophysicien

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EntretienVincent Courtillot est un dissident. Un dissident qui critique largement la thèse un peu trop rapidement admise de l’influence majeure de l’émission de gaz à effet de serre sur le changement climatique que semble connaître notre planète bleue. Traité de « fraudeur », voire « d’incompétent », par ses propres confrères il y a cinq ans, le géophysicien a publié de nombreux articles qui, aujourd’hui, relancent le débat. Alors, le réchauffement constaté du climat est-il normal ou anormal ? Quelles en sont les causes ? L’influence solaire sur le réchauffement climatique prime-t-elle sur celle des gaz à effet de serre ? Réponse de Vincent Courtillot !


« Voilà 12 ans que le “réchauffement climatique” semble avoir cessé alors que, naturellement, la production de gaz à effet de serre ne cesse d’accélérer. »

Alors que l’on pointe du doigt l’homme comme cause principale du réchauffement climatique, vous dites que, contrairement aux idées reçues, les causes peuvent être multiples. Quelles sont-elles selon vous ?

Que les causes potentielles soient multiples (soleil, aérosols, éruptions volcaniques, gaz à effet de serre…) est accepté par tous. En effet, la question est : « Quelle est la cause principale ? » Là encore, tout le monde est d’accord pour dire que, depuis des millions d’années, le soleil est la cause principale, même si la concentration en gaz à effet de serre a pu jouer sur des modulations significatives. Ce qui pose problème est de savoir si, depuis quelques décennies, les gaz à effet de serre ont pris le dessus sur le soleil comme moteur principal des changements climatiques.

En l’an 1000, il faisait sur Terre beaucoup plus chaud qu’aujourd’hui alors que l’homme ne produisait pas autant de CO2. Comment l’expliquer ?

Non, pas « beaucoup plus chaud » mais « à peu près aussi chaud » [avec, comme toujours, des incertitudes importantes qu’on ne devrait jamais oublier, ndlr] et, sans doute, des différences régionales importantes. Les reconstitutions de température globale de Moberg et collègues publiées dans Nature en 2007 montrent, lors des siècles qui entourent l’an 1000, des températures voisines [rappelons que le climat est une moyenne sur le long terme de la météo et que le climat d’une unique année donnée n’a pas de valeur statistique, ndlr], quoiqu’un peu inférieures aux valeurs globales « actuelles » [des dernières décennies, ndlr]. Mais au niveau régional, le Groenland apparaît alors plus clément qu’aujourd’hui ; même si ce n’était sans doute pas un paradis pour les Vikings, ils y ont pratiqué élevage et agriculture qui seraient aujourd’hui impossibles.

Tempêtes, tsunamis, ouragans, tornades, tremblements de terre, éruptions volcaniques… Il semble que la nature se déchaîne. Est-ce le cas ou simplement le fait qu’aujourd’hui, les médias retransmettent plus l’information qu’autrefois ?

Il ne me semble pas que la nature se déchaîne, et je répondrais plutôt « oui » à votre question. La statistique des événements extrêmes est un problème difficile et un sujet de recherches actives. C’est ainsi que pour les tornades, qui semblaient avoir augmenté au cours du XXe siècle, des chercheurs se sont aperçu qu’il n’y avait pas de variation significative des tornades les plus sévères, mais que le nombre des « tornades moyennes » augmentait considérablement : parce qu’on y fait plus attention, que les médias en parlent plus volontiers et que les intéressés songent de plus en plus à leurs primes d’assurance… Autre exemple de phénomènes extrêmes : trois séismes géants de magnitude supérieure à 9 se sont produits depuis l’an 2000. Il y en avait eu trois en tout au XXe siècle, avec un délai de 40 ans entre celui d’Alaska de 1964 et celui de 2004 à Sumatra. On ne peut certainement pas déduire, sur des bases aussi réduites, qu’une accélération de la sismicité est en cours.

Décharges sauvages, pollution de l’eau, pollution de l’air, acidification des océans… Quelles peuvent être les conséquences d’une telle détérioration de notre environnement ?

Je ne peux répondre de manière exhaustive à une question si vaste. Le problème numéro 1, ce sont les conséquences prévisibles de l’augmentation de la population et notamment de la population urbaine dans le siècle qui vient [quoique l’augmentation ralentisse, et que celle qui est aujourd’hui prévue soit très inférieure à celle qu’on nous annonçait il y a 30 ans, quand on la croyait à tort exponentielle, ndlr]. Ceci entraîne des conséquences parfaitement prévisibles (avec bien plus de sûreté que les prévisions climatiques) dans la plupart des domaines que vous citez. Et il y a longtemps que je pense que le traitement des déchets et la pollution de l’eau et de l’air, notamment l’accès à l’eau potable, pour ne pas parler de la faim dans le monde ou de l’éducation, sont des priorités très supérieures à celles qui sont liées au « changement climatique » (et qui n’ont rien ou peu à voir avec lui). Qui plus est, à condition de faire certains investissements et de former des jeunes compétents, nous nous donnerons les moyens d’imaginer et de construire des solutions permettant de remédier à ces problèmes.

Quel est le rôle des océans dans le stockage et l’émission de CO2 ?

Il est très important. L’océan « absorbe » au moins la moitié du carbone émis par l’homme en plus des autres sources naturelles, et peut être plus. Il joue le rôle de retardateur et de régulateur : le cycle d’une molécule d’eau se compte en gros en semaines dans l’atmosphère, mais en milliers d’années dans l’océan. Mieux comprendre le couplage entre océan et atmosphère est un challenge très actuel.

Plus que le CO2, la variation d’orbite de la Terre sous l’influence de l’attraction de planètes géantes n’est-elle pas une « autre » explication du réchauffement climatique ?

Ce n’est pas « une » autre explication, dans le sens où les deux ne s’excluent pas et ne fonctionnent pas sur la même échelle de temps. L’influence des variations d’orbite semble bien être le moteur des récents épisodes de glaciation qui se sont succédé tous les 100 000 ans depuis 400 000 ans (entre autres). Nous sommes depuis environ 8 000 ans dans une période « interglaciaire » et la sortie de la dernière glaciation a vu le développement de toutes les civilisations humaines [dans ce cas c’est plus le froid que le chaud qui était un problème, ndlr]. Et il ne fait guère de doute que, dans quelques milliers d’années, nous « repiquerons » vers une nouvelle glaciation, qui paraît inévitable. Les problèmes à propos du « changement climatique » se posent à l’échelle du siècle qui vient, pas des millénaires…

Pensez-vous que la focalisation des États sur le réchauffement climatique est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt, un moyen habile de se polariser sur un sujet anxiogène sans parler d’autres problèmes graves comme l’accès à l’eau potable, la déforestation massive ou encore le traitement des déchets ?

Je ne sais pas si c’est volontaire ou habile. On crée une anxiété forte, alors qu’on a d’autres raisons, encore plus réelles à mes yeux, d’être inquiets. Mais de toute façon, ce n’est pas en ayant peur au-delà de toute raison qu’on résout les problèmes. C’est en agissant pour former des jeunes et trouver des solutions. Jusqu’ici l’humanité a en général trouvé les solutions. Mais cela demande des moyens et de la conviction.

Vous dites que, derrière la lutte contre le CO2, se cache une forme de néocolonialisme en direction de la Chine ou de l’Inde, dont le développement gênerait les occidentaux. Vous pouvez quelque peu argumenter ce raisonnement ?

C’est en effet une impression. On dit aux Chinois, aux Indiens, aux Brésiliens : arrêtez de vous développer en tentant d’atteindre le niveau de confort et de sécurité que nous, Occidentaux, avons atteint. Donc cessez d’abattre des forêts, de brûler du charbon et du pétrole. Restez en là où vous en êtes. Vous ne pouvez prétendre atteindre le niveau que nous, coloniaux, avons atteint en partie en exploitant vos ressources depuis quelques siècles. Naturellement, aucun de ces pays ne le fera vraiment. Et des efforts isolés de petits pays comme le nôtre n’auront aucun effet mesurable.

La décennie 1999-2009 aura été la plus chaude depuis cent ans et pourtant, vous dites que les températures baissent…

Oui ! Voilà un bon exemple du fait qu’on peut dire deux choses exactes, en apparence contradictoires – mais en apparence seulement –, et laisser les auditeurs partir avec deux visions contradictoires. Pour bien comprendre, il vaut mieux s’aider d’un graphique, regarder les observations. Vos lecteurs en trouveront un par exemple sur le site officiel du Met Office Britannique
http://www.metoffice.gov.uk/hadobs/hadcrut3/diagnostics/global/nh%2Bsh/index.html
Il s’agit des écarts (à une certaine moyenne, ce point n’est pas important) des températures moyennes globales de la basse atmosphère tous les mois depuis 1850 jusqu’en 2010. Vous y distinguez bien la variabilité de ces moyennes d’un mois, d’une année, d’une décennie à l’autre, et les tendances à la baisse de 1870 à 1910, à la hausse de 1910 à 1940, à la baisse de 1940 à 1970, à la baisse de 1970 à 1998 (le maximum) et à la baisse depuis, c’est-à-dire depuis 12 ans. Certes il y a réchauffement (irrégulier dans le temps et l’espace, et mal corrélé aux variations en croissance accélérée des gaz à effet de serre) entre le début et la fin du XXe siècle. Mais voilà 12 ans que le « réchauffement climatique » semble avoir cessé alors que, naturellement, la production de gaz à effet de serre ne cesse d’accélérer. Comment le comprendre ? Comme la variabilité est grande, vous voyez bien qu’au moins pendant quelques années après un maximum et avec une pente qui descend, mais qui descend plus faiblement qu’elle n’avait monté au cours des 30 années précédentes, vous avez à la fois un grand nombre de « records » entre 2000 et 2010 sur des valeurs moyennes mensuelles ou annuelles, et en même temps, la plupart des minima, des maxima et la moyenne elle-même décroissent !

Selon vous, l’émission massive de CO2 ne serait pas néfaste, et pourrait même être un avantage vis- à-vis de la production agricole par exemple. Pouvez-vous développer cette idée ?

Là encore, mon but est de faire réfléchir. Devant une modification de quelque paramètre que ce soit, il faut évaluer les avantages et les inconvénients, dresser un bilan complet quantitatif. Dans le cas de l’émission du CO2, on ne cite la plupart du temps que les désavantages. Or on sait bien que la production agricole croît avec la concentration de l’atmosphère en CO2. Les maraîchers dans certains pays augmentent la teneur en CO2 de leurs serres pour accroître le rendement des tomates. Autre exemple, si la température moyenne s’élève, on risque plus de canicules l’été, mais moins de périodes de gel l’hiver. Or, au moins dans certains pays, le froid intense tue plus que la canicule. Il faut donc analyser les pertes en vies humaines dues à ces deux catastrophes avant de pouvoir faire un bilan de l’aspect néfaste ou non d’un réchauffement ou d’un refroidissement. Rappelons en passant que le climat a toujours changé, et drastiquement, depuis 18 000 ans, et que la caractéristique de l’humanité est de s’y être adapté avec ingéniosité.

Vous êtes géophysicien. En quoi l’activité au centre de la Terre influence-t-elle le climat ?

C’est une question plus délicate, appelant une réponse plus technique. Au centre de la Terre, comme vous dites (en fait à 2 900 km sous nos pieds dans le noyau, en partie fait de fer liquide), se fabrique le champ magnétique de la Terre par « effet dynamo ». Ce champ nous protège en partie des rayons cosmiques et guide les particules chargées venant de l’espace qui, quand le soleil se met en colère (lors des orages magnétiques), causent les aurores boréales, des pannes de courant dans certains satellites et dans certains réseaux terrestres à hautes latitudes (au Canada par exemple). Si le pôle magnétique fluctue beaucoup et s’écarte momentanément beaucoup du pôle géographique, les aurores boréales peuvent descendre à basse latitude. Ceci se serait produit plusieurs fois dans le passé historique et archéologique, peut être par exemple vers 800 avant Jésus Christ, quand le prophète Jérémie a vu des « lumières célestes »à la latitude de Babylone/Bagdad (où des aurores boréales sont aujourd’hui impossibles). Les particules chargées et les modifications du champ magnétique de la Terre et du champ électrique à haute altitude (dans l’ionosphère) peuvent changer les conditions de formation des microgouttelettes d’eau qui font et défont les nuages. Et plus la couverture nuageuse est importante, plus le sommet des nuages réverbère d’énergie solaire vers l’espace, refroidissant d’autant la surface de la Terre. Voilà comment on peut imaginer que les variations des champs magnétiques de la Terre et du Soleil peuvent influencer le climat (et en cas de variations extrêmes affecter les civilisations humaines – voir les travaux d’Yves Gallet et collaborateurs). Ce type de modèle n’est pas démontré ; il est aujourd’hui très discuté. La récente expérience CLOUD au CERN, publiée dans Nature en août, tente d’avancer dans ce domaine et a fourni des résultats très intéressants mais encore incomplets. À suivre…

Votre point de vue sur le réchauffement climatique a fait de vous un dissident par rapport à la position du Giec (Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat). Aujourd’hui, les « climato-sceptiques » sont de plus en plus nombreux. Cela vous inspire quoi ?

En soi, pas grand-chose. Il est certes agréable de ne plus être traités, comme il y a 5 ans, de fraudeur et d’incompétent par certains collègues ou certains journalistes qui se pensent eux-mêmes plus compétents… Il est satisfaisant d’avoir publié désormais une dizaine d’articles dans les revues internationales à lecteurs. Il est agréable d’avoir présenté récemment à Berlin une conférence invitée à la 11e réunion annuelle de l’European Meteorological Society et que la majorité des collègues présents (notamment les physiciens du soleil) aient dit à haute voix combien ils appréciaient nos travaux. Mais ce n’est pas cela qui démontrera la véracité de nos propos. La vérité en sciences ne se décide pas par un vote ou un sondage. L’important est que le débat reste ouvert. Il y a quelques années, souvenez vous en, tout le monde disait : « Le problème est réglé, la réponse est dans les rapports du Giec, circulez il n’y a plus rien d’autre à voir. » Il faut multiplier les observations de bonne qualité, mieux réfléchir à la façon de prendre en compte les incertitudes, être beaucoup plus modestes dans les prévisions. Comme nous pensons que le rôle du Soleil a été sous-estimé, et que se succèdent des périodes d’environ 30 ans où la tendance se maintient, il est bien possible que les 20 prochaines années soient dans le prolongement des 10 dernières, et donc que nous ayons une légère baisse des températures. Certains physiciens du soleil pensent même pouvoir dire que celui-ci va passer dans un mode de fonctionnement plus ralenti, équivalent au fameux « minimum de Maunder » pendant la première moitié du XVIII siècle, où les taches solaires avaient disparu. Le minimum de Maunder a coïncidé avec la période la plus froide du « Petit âge glaciaire » (qui a duré du 14e au 19e siècle). Ces physiciens suggèrent qu’un nouveau « Petit âge glaciaire » nous guette à l’échelle de 50 ou 60 ans. Le réchauffement irrégulier du XXe siècle serait alors un optimum traduisant un cycle solaire d’environ 1 000 ans, qui avait culminé au temps des Romains et vers l’an mil, et que nos descendants regretteront peut être…

Peut-on parler de la part du Giec d’une forme de totalitarisme intellectuel ?

Volontaire ou involontaire, conscient ou inconscient de la part de beaucoup de ses participants, la réponse est hélas un peu positive. Cela dit, comme je l’ai écrit ailleurs, un mécanisme de type Giec ne peut fournir les réponses « pré-demandées », même avec la plus grande honnêteté et la plus grande ardeur au travail. J’ai essayé de montrer par exemple qu’un « Giec de la dérive des continents » aurait mis plus de 60 ans à « dire la vérité » entre les travaux fondateurs de Wegener en 1913 et l’acceptation de la tectonique des plaques par au moins 90 % des géologues, qui n’a pas eu lieu avant 1970-1980.

Total et Schlumberger financent un programme à l’Institut de physique du Globe. Que répondez- vous à ceux qui vous ont accusé de conflit d’intérêt avec le lobby pétrolier ?

C’est absurde et diffamatoire. En tant que directeur de l’IPG, j’ai accepté de lancer des programmes de recherche cofinancés par ces grandes compagnies. C’était la demande des chercheurs, et l’évaluation en était positive. On aurait pu craindre que j’arrête ces programmes et non que je les encourage, si je pense que séquestrer du gaz carbonique dans les profondeurs terrestres n’est pas vraiment utile ou nécessaire. Mais je fais mes recherches comme chercheur indépendant, et cela n’a pas à influencer les décisions que j’ai prises comme directeur au nom de mes collègues. Inutile d’ajouter que je n’ai pas reçu un sou des compagnies pétrolières pour mes propres recherches.


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