Société

Alice Loffredo, militante féministe

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EntretienAlors que l’affaire qui a conduit Dominique Strauss-Kahn, ex-président du Fonds monétaire international, devant les tribunaux new-yorkais défraie la chronique, les mouvements féministes sont montés au créneau, s’insurgeant contre le silence au sujet de la supposée victime qui, si ses dires se révèlent exacts, doit être soutenue et protégée. Outre la chute de l’un des hommes les plus puissants de la planète, l’affaire DSK met le doigt sur la délicate question de l’agression sexuelle et de la chape de plomb qui, hélas, l’entoure. Alice Loffredo, 24 ans, militante à « Osez le féminisme ! » livre son point de vue sur cet épineux sujet de société et nous explique ce qu’être féministe signifie en 2011 !


« Depuis le début de l’affaire DSK, 1400 femmes ont été violées en France »

Comment est né « Osez le féminisme » ?

Né en juin 2009, « Osez le féminisme » était à l’origine un réseau créé par quelques jeunes femmes mobilisées sur la mise en danger du planning familial. Ce réseau informel s’est développé, puis est devenu une association loi 1901. J’ai personnellement rejoint « Osez le féminisme » en 2010, sensibilisée par la campagne de l’association sur le viol, profondément marqué comme un fait de société. Je me suis rendue à des actions militantes pour soutenir cette campagne, puis j’ai intégré l’association, un mouvement assez jeune dans l’âge de ses militants et militantes. Je dois être féministe depuis que j’ai 2 ans et demi. Je suis née en 1986, un peu après la loi Roudy (loi qui assure l’égalité homme-femme au niveau de la loi française, votée le 13 juillet 1983 alors qu’Yvette Roudy était ministre des Droits de la femme). Un peu moins de trente ans après le vote de cette loi, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes n’est toujours pas acquise, il y a toujours du sexisme, du harcèlement, des viols… Ce qui m’interpellait déjà petite, c’était le discours prétendant qu’il n’y avait plus besoin d’être féministe puisque les femmes avaient obtenu les mêmes droits que les hommes. C’est vrai au regard de la loi, mais certainement pas dans les faits ! Il faut se battre pour continuer à faire avancer le droit de la femme.

Pourquoi employez-vous le terme « Osez » ? Pensez-vous qu’être féministe est perçu comme une tare dans notre société ?

Le terme est né pour exprimer que le féminisme était encore un combat d’avenir. Dans un contexte très peu propice à la femme, c’était une démarche proactive et pas normale. Il faut comprendre qu’aujourd’hui, le combat pour faire valoir le droit des femmes reste le seul à être marginalisé. Depuis les années 1960 et la naissance du MLF, le droit des femmes a considérablement évolué (avortement, contraception, accès à des postes à hautes responsabilités…).

Pensez-vous que la situation des femmes en France en 2011 requière encore l’action de mouvements féministes ?

Depuis les années 1960, ce qui a changé, c’est l’égalité dans les droits. On a le droit de vote, le partage de l’autorité parentale, le droit à l’avortement, à la contraception, le droit de posséder un compte bancaire… Évidemment, ce sont de grandes avancées ! Ce que l’on oublie de dire, c’est que cette égalité est acquise dans la loi, mais pas dans les faits. 80% des tâches ménagères sont réalisées par les femmes. Seuls 10% des enfants sont pris en charge par les crèches, et l’on assiste donc à une augmentation de la prise en charge des enfants par leur mère. 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Les femmes gagnent 27% de moins que les hommes. À niveau égal et poste égal, il y a toujours 10% d’écart de salaire sans qu’aucune explication tangible ne soit donnée. Notre leitmotiv est en plein cœur du social et du sociétal pour faire appliquer les lois, afin que les hommes et les femmes disposent des mêmes chances, des mêmes vies. Il y a deux jours, nous avons sorti « Vie de meuf », livre qui raconte le sexisme dont sont victimes des femmes au quotidien. C’était au départ un blog. Nous avons regroupé une partie des textes dans un volume qui, je peux vous l’assurer, est assez éloquent et symptomatique des progrès qu’il reste à faire.

La condition des jeunes femmes dans les cités est-il un sujet de préoccupation ?

Nous nous affirmons comme un mouvement progressiste et nous souhaitons un changement global de la société. Dans les cités, il y a des conditions sociales déplorables créées par des gouvernements successifs. Les cités connaissent une tension exacerbée due aux problèmes sociaux. Nous parlons ici d’une différence de niveau, mais pas de nature ! Lorsque l’on parle de « tournante » par exemple, on a tendance à penser qu’un homme qui viole une femme est forcément noir, originaire de banlieue et pauvre. C’est un cliché tout à fait faux ! Les femmes victimes de viol, comme les violeurs, sont issus de toutes les classes sociales. Sur la question religieuse, nous sommes un mouvement laïque qui promeut la laïcité. Pour nous, la religion est un moyen d’oppression des femmes. La loi de 1905 sur la laïcité a permis aux femmes de s’émanciper, et le voile nous paraît une aberration. C’est par une vision progressiste de la laïcité que les femmes arriveront à s’émanciper.

Vous sentez-vous plus en phase avec « Notre corps nous appartient » ou « Je ne suis pas un canapé, je ne suis pas convertible » ?

Je suis très : « Notre corps nous appartient ». La sexualité des femmes doit passer par trois mots essentiels qui sont : plaisir, désir et consentement. Nous sommes réfractaires à un retour de l’ordre moral. La liberté sexuelle est LE progrès essentiel du siècle dernier. Nous avons récemment lancé « Osez le clito ». Cette campagne s’inscrit dans une déconstruction de la sexualité reproductrice. Le plaisir clitoridien a cet atout d’être un plaisir sans pénétration. On ne veut pas d’une vision hétérocentrée de la sexualité. Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers Dominique Strauss-Kahn, soupçonné d’agression sexuelle sur une employée d’hôtel.

Quel est votre jugement sur la manière dont les medias hexagonaux se font l’écho de cette affaire ?

Nous sommes choquées, ahuries. Nous sommes attachées à cette présomption d’innocence, mais nous aurions souhaité que les médias se limitent à ce terme et à ce qu’il implique. Au lieu de cela, la présomption a servi à véhiculer un déferlement de blagues, de commentaires d’un sexisme éhonté. On parle hélas très peu de la présumée victime et des conséquences de cette agression sur elle et sur sa vie, si ses dires sont exacts. Il y a eu une confusion terrible entre ce qu’est la liberté sexuelle et ce que sont les violences sexuelles. Nous ne sommes pas là dans la drague française contre le puritanisme américain ! Il ne faut pas oublier que si les faits étaient avérés, ce ne serait pas une affaire de mœurs, mais un crime. Nous sommes attachées à la liberté sexuelle, et ce n’est pas parce que Strauss-Kahn a eu beaucoup de liaisons ou est un prétendu séducteur qu’il s’est transformé en violeur. Bien sûr, nous ne faisons pas l’amalgame. Les violences sexuelles sont réparties dans la société au sein de toutes les classes sociales. 75 000 femmes sont violées en France tous les ans, et il serait peut-être temps d’agir ! Depuis le début de l’affaire DSK, 1400 femmes ont été violées en France. On aimerait donc que les médias parlent de l’agression sexuelle et nous aident à faire reconnaître le viol non comme un fait divers, mais comme une marque de la domination masculine dans cette société. Alors que les médias se déchaînent, on entend aujourd’hui des voix s’élever pour dire, qu’au-delà d’être un séducteur, DSK pouvait être pressant et même avoir un comportement déplacé avec la gent féminine. Vous ne pensez pas qu’il est un peu facile de tenir de telles allégations aujourd’hui ? Pour tous ces faits, la présomption d’innocence s’applique. Ce sont pour l’instant des on-dit, et je ne peux donc me permettre de commenter des faits qui ne sont pas avérés. Il faut savoir que seules 10% des femmes victimes d’un viol portent plainte. Lorsque l’on regarde la teneur des propos des médias français dans l’affaire DSK, vous trouvez cela étonnant ? Que DSK soit un coureur ne nous pose pas de problème du moment que les rapports sexuels sont consentis et qu’ils induisent du désir, et du plaisir ! Là, on parle d’agression sexuelle. Il y a un doute porté sur les victimes présumées, une chape de plomb, et que l’on soit une femme en vue ou une citoyenne lambda ne change rien au problème. Les femmes victimes de viol sont astreintes au silence par un tabou et parce que l’on fait peser sur elle une certaine culpabilité.

Lorsque le fondateur du magazine « Marianne », Jean-François Kahn, parle de « troussage de domestique » pour évoquer l’affaire DSK, cela vous inspire quel sentiment ?

Cela m’inspire du dégoût. Comment un homme, qui est sans doute un individu brillant par ailleurs, peut-il tenir de tels propos ? La connerie n’est pas l’apanage des gens lambda. Ce qui caractérise les propos de Jean-François Kahn, c’est qu’ils sont beaucoup plus révélateurs de sa vision des femmes que de son amitié supposée avec Dominique Strauss-Kahn. On peut comprendre que les amis de cet homme soient perturbés, anéantis par la nouvelle. Mais l’amalgame entre la compassion pour DSK et le fait de qualifier un viol de troussage de domestique est une honte. C’est la négation de l’humanité. L’affaire DSK met en lumière le drame de l’agression sexuelle qui est au cœur de l’accusation. Pensez-vous qu’il pèse sur ce sujet une honte qui empêche encore certaines victimes d’aller déposer plainte ? C’est un combat que l’on mène depuis longtemps auprès de la classe politique. Je pense qu’il faudrait agir comme pour la sécurité routière, aujourd’hui devenue une grande cause nationale. Prévention et répression ont fait diminuer le taux de mortalité sur la route. Je m’aperçois que l’on a fait ça pour les accidents de voiture, mais pas pour les 75 000 femmes qui sont victimes d’agression sexuelle chaque année. Comment ne peut-on pas se rendre compte dans notre société que c’est un véritable enjeu, un vrai problème pour tous, femmes et hommes ? Si les hommes et les femmes étaient égaux dans notre société, le drame du viol ne resterait pas ainsi en suspens. Mais cela demande un changement de paradigme total. Ce n’est pas parce que l’on est née femme que l’on doit subir toute sa vie des discriminations en tout genre.


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