Musique

Amandine Beyer, le violon en liberté

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EntretienLe souffle de la liberté, c’est certainement ce qui caractérise le plus justement la manière dont la violoniste Amandine Beyer aborde ses choix musicaux. Le conservatoire de Paris était trop étriqué, elle a donc choisi de poursuivre ses études à Bâle, au contact de musiciens d’univers, de cultures et d’inspirations différents. À la carrière de soliste au sein d’un orchestre philarmonique, l’artiste a préféré se partager entre différents ensembles dont celui qu’elle a fondé, Gli Incogniti, et l’enseignement, cette transmission d’un savoir essentiel à ses yeux. Des Quatre Saisons de Vivaldi à Nicola Matteis, de Bach à Jean-Ferry Rebel, le violon d’Amandine Beyer louvoie au gré de ses envies, sans contrainte, loin d’un quelconque plan de carrière, terme proscrit de son vocabulaire. Le résultat offre une musique divine, un lien magique entre la violoniste et le compositeur des œuvres qu’elle interprète dont la partition se mue en passeur de temps. Si vous doutiez encore que « la musique est le langage de l’âme », comme l’exprimait le célébrissime chef d’orchestre Otto Klemperer, une écoute des sonates et partitas de Bach, dernière œuvre enregistrée par Amandine Beyer, devrait vous en convaincre !


« J’essaye que le violon soit le prolongement de mon corps, mais hélas, parfois, il se mue en corps étranger qui refuse cette fusion de l’être et de l’instrument. »

Sur la biographie qui vous est consacrée sur votre site, on peut lire, vous concernant, le titre de violoniste itinérante. C’est ainsi que vous vous définissez ?

C’est un terme qui, outre mon propre parcours, convient bien à cette profession. Au départ, je souhaitais d’ailleurs nommer mon groupe de musique baroque « Les musiciens errants » mais hélas, cela était déjà pris ! J’aime cette idée du musicien sur la route, voyageant de concert en concert.

Membre de nombreux ensembles dont le vôtre que vous venez d’évoquer, Gli Incogniti, enseignante, concertiste… Vous êtes une violoniste à multiples facettes. Votre approche de la musique n’a aucune frontière, aucune limite. Est-ce ce côté « électron libre » qui guide votre parcours de vie ?

Un jour, on m’a demandé si j’avais un plan de carrière ! C’est assez drôle car cette expression ne fait absolument pas partie de mon vocabulaire. J’aime la musique pour la liberté qu’elle procure et, même si je souhaitais devenir musicienne depuis ma plus tendre enfance, je ne savais pas avec précision en quoi cela consistait réellement. Aujourd’hui, seules mes envies me guident et, surtout, je ne planifie rien. Au fil de mes études musicales, j’ai commencé à jouer avec divers ensembles. Musique romantique, expérimentale, baroque… Tous les courants musicaux m’ont énormément appris, et j’ai pris un profond plaisir à parcourir cette très large palette de styles. Encore aujourd’hui, mon compositeur préféré est toujours le dernier que j’ai joué ! Au conservatoire de Paris, j’ai reçu une éducation très formatée, dans laquelle je ne me retrouvais pas en tant qu’artiste. J’ai eu la chance de poursuivre mes études à Bâle où j’ai rencontré des musiciens venant du monde entier avec des horizons sociaux et culturels aux antipodes des miens, et j’ai alors découvert qu’il y avait des milliers de manières d’aborder la musique. Le conservatoire se borne à former des solistes alors que, par définition, tout le monde ne pourra pas le devenir ! Je ne voulais pas être frustrée de ne pouvoir interpréter Tchaïkovski avec le Philharmonique de Berlin, alors j’ai opté pour une approche sans frontières, uniquement guidée par mes propres envies. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je joue avec de nombreux ensembles, dont certains très peu connus avec lesquels je réalise des disques et donne des concerts.

Lorsque l’on vous découvre sur scène, vous semblez véritablement habitée. Où se trouve votre esprit lorsque vous interprétez une œuvre ?

Cela dépend vraiment des moments ! Lorsque cela se passe le mieux possible, c’est surtout l’émotion qui prime. À d’autres moments, il m’arrive d’être prise par le trac et, dans ce cas, je me concentre sur la respiration. En général, sur scène, j’aime vivre la musique comme un mouvement. Il m’arrive donc fréquemment de penser à la gymnastique, au trampoline, à la natation… Tout un panel de mouvement souvent amples et gracieux. Lorsque j’aborde de la musique du répertoire français, là, cela peut paraître un peu étrange, mais je visualise un personnage, une femme, un homme, un enfant. C’est un peu comme une scène de film au ralenti qui emplit mon esprit. Cela vaut quand je suis sur scène face à un public ! Ensuite, si je travaille une partition avec laquelle je suis déjà bien familiarisée, je pense à une sorte de connexion entre le compositeur et moi. J’aborde cette partition comme le lien le plus direct qui soit avec la pensée du compositeur. C’est drôle, mais je me sens un peu comme une médium transmettant une création parfois vieille de plusieurs siècles. C’est cet état de fusion avec la musique qui prime à mes yeux et que je tente de transmettre à mes élèves. La présence du compositeur au sein de votre esprit lorsque vous abordez une œuvre est selon moi un point essentiel pour faire passer l’émotion. Je ne me drogue pas, mais il m’arrive parfois, lorsque la connexion est totale entre la partition, le compositeur et moi-même, d’entrer dans une sorte de transe bien délicate à expliquer par de simples mots. C’est un lien temporel indescriptible où je vois, j’entends et je sens le compositeur au travers de son œuvre.

L’enseignement, la transmission de votre connaissance musicale est-elle essentielle à votre vie d’artiste ?

Plus le temps passe et plus j’aime enseigner. Au départ, cette activité, étonnamment, m’angoissait bien plus que de me produire en concert. C’était une sorte d’angoisse de la page blanche, ne pas savoir comment transmettre à mes élèves. J’enseigne actuellement au Portugal et en Suisse et je prends un réel plaisir à travailler avec la vingtaine d’élèves dont je m’occupe. Le contact et ce rapport sur la durée sont une chose très profonde, très forte. Cela instaure un rapport au temps, à soi-même, à la musique tout à fait particulier et qui, chaque jour, m’apporte un peu plus de satisfaction. Je ne leur apprends par forcément à devenir musiciens, mais à éliminer certaines barrières techniques ou psychologiques pour qu’ils se sentent le mieux possible au moment d’aborder une œuvre.

Les professeurs qui jalonnent le parcours musical façonnent-ils en partie l’artiste ?

Cela dépend réellement de l’artiste ! Je connais à ce titre de nombreux musiciens autodidactes et j’avoue que cela me fascine. Moi, j’ai toujours eu besoin de quelqu’un pour m’accompagner. J’étais d’ailleurs et je suis toujours très avide de connaissances. J’ai donc été très attentive aux conseils de mes professeurs et, lorsque j’étais à Bâle, il n’était pas rare que je me rende aux cours destinés à d’autres instruments que le violon afin de comprendre cette transmission du savoir, essentielle à mes yeux.

Comment définiriez-vous votre instrument ? Lorsque vous vous en saisissez, devient-il quelque peu le prolongement de votre corps ?

J’essaye que le violon soit le prolongement de mon corps, mais hélas, parfois, il se mue en corps étranger qui refuse cette fusion de l’être et de l’instrument. Le violon est un instrument très complexe et qui, en définitive, a très peu changé depuis sa naissance vers la fin du XVIe siècle. Il a été créé pour faire danser les gens avant qu’on ne lui trouve par la suite des qualités polyphoniques. C’est cet aspect vivant de l’instrument que l’on retrouve dans la musique baroque qui me touche particulièrement. La posture employée pour jouer ce style de musique est assez organique, et le violon devient le prolongement du bras gauche alors que l’archet, lui, est le prolongement du bras droit. Personnellement, j’ai trois façons différentes de tenir le violon en fonction du registre musical joué, la principale étant sur la clavicule. On note d’ailleurs sur des iconographies du XVIIe et XVIIIe siècle que la tenue du violon était multiple.

Après vos études de violon moderne, vous vous êtes tournée vers le baroque. Sont-ce les compositeurs ou encore la période historique que furent les XVIIe et XVIIIe siècles qui vous ont poussée vers ce style musical ?

C’est avant tout le fait que musique baroque rime avec musique d’ensemble, loin de l’idée du concerto joué seule dans son coin ! Cette musique symbolise un esprit convivial, sans concurrence, où tout le monde n’est guidé que par un seul mot : le plaisir.

Vous vous êtes attaquée aux légendaires Quatre Saisons de Vivaldi. Comment aborde-t-on une œuvre majeure du répertoire classique, maintes fois enregistrée par de prestigieux artistes ?

Il est vrai que, de prime abord, ce choix peut paraître étrange, mais Les Quatre Saisons est une œuvre que j’adore. C’est un peu comme si votre plat préféré était partagé par plein de gens sur Terre ! Cette composition de Vivaldi est une œuvre universelle dans tous les sens du terme. D’ailleurs, vu sa richesse, elle comporte tant de portes d’entrées que, quoi que vous fassiez, votre interprétation ne ressemblera jamais à celle faite par un autre artiste. Je me sens si proche de cette partition que lorsque j’interprète Les Quatre Saisons, j’ai le sentiment de dialoguer avec Vivaldi.

Passer du célébrissime Vivaldi à Nicola Matteis, encore un exemple concret de votre personnalité électron libre ?

Je pense que tout artiste est partagé entre deux feux. Celui de faire connaître des compositeurs méconnus tout en se disant que, s’ils n’ont pas passé le verdict de l’Histoire, c’est certainement pour une bonne raison. Heureusement, parfois, au détour d’une partition que l’on pose sur son pupitre, on se dit : « Mais pourquoi ? Pourquoi cette œuvre est-elle ainsi demeurée dans les cartons de l’oubli ? » Il est alors délicieux de montrer aux gens qu’il y a des compositeurs merveilleux dont on ne parle hélas pas. Cela apporte de l’optimisme sur la condition humaine. En tant qu’artiste, je pense d’ailleurs que nous avons le devoir de ne pas offrir aux auditeurs que Les Quatre Saisons de Vivaldi ou La Cinquième Symphonie de Beethoven. Il nous faut aller au-delà du panthéon musical. C’est ce que j’appelle la culture !

Le répertoire baroque laisse beaucoup de liberté à l’interprète puisque tout n’est pas figé sur la partition. Est-ce cette liberté qui vous a attirée ?

Cela en fait partie, même si on se rend compte qu’à la fin, on joue toujours comme soi-même, ce qui est finalement assez déprimant. Il est bien sûr grisant d’essayer d’ornementer dans la mesure où le compositeur le permet. Pour la musique baroque, tout n’est en effet pas noté sur la partition, et certaines choses se font donc de manière implicite. Si tous les interprètes ne sont pas d’accord, cela laisse la place à l’imagination. Il est donc important selon moi, avant d’interpréter une œuvre, surtout au niveau des tempi, de bien connaître le compositeur, la source d’inspiration de son œuvre comme le lieu où elle a été composée.

Peut-on jouer baroque avec un instrument moderne ?

Oui et d’ailleurs, certains le font très bien ! Au-delà du répertoire, le choix du violon est également lié à l’esthétisme. Je ne possède personnellement qu’un seul violon pour interpréter trois siècles de musique et, en conséquence, je dois faire appel à ma technique pour couvrir toutes ces tessitures. À vrai dire, c’est plus le choix de l’archet que celui du violon qui importe. Il est plus facile d’interpréter Bach avec un archet baroque qu’avec un archet moderne. Dans le cas contraire, je n’hésiterais pas à en changer, sachant que les cordes en boyaux sont très capricieuses en concert. Elles se désaccordent sans arrêt et se cassent souvent, étant très sensibles à la chaleur et à l’hygrométrie.

Vous êtes allée jouer en milieu hospitalier. Que gardez-vous de ces moments riches en émotions ?

C’est une expérience très enrichissante et effectivement emplie d’émotions. Je connais bien les organisateurs du festival de Sablé-Sur-Sarthe, et nous étions donc convenus de nous rendre dans trois centres qui accueillent en majorité des enfants et adolescents ayant subi des lésions cérébrales. Nous avons joué plusieurs répertoires très divers et, même si certains enfants avaient du mal à exprimer l’émotion ressentie, nous étions là face à quelque chose de vrai, d’unique. Il n’y a pas de barrière, de cérémonial. Le rapport entre la musique et l’enfant est immédiat et alors, il manifeste qu’il aime ou qu’il n’aime pas sans devoir répondre à de pseudo-conventions inhérentes à la musique classique en concert. Ils se lèvent, ils applaudissent, ils chantent, ils dansent… Ce sont des moments magiques que l’on ne peut comparer à aucun autre.


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