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Carole, infirmière anesthésiste

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EntretienLes hôpitaux débordent de malades infectés par le Covid-9 et les services de réanimation sont au bord de l’implosion. Manque de moyens, personnel soignant en partie contaminé et en quarantaine, effectif devant faire face à une surcharge de travail, choix cornélien pour savoir qui doit être sauvé… Derrière les messages des pouvoirs publics, quelle est la situation réelle pour celles et ceux qui, confrontés à une période dramatiquement exceptionnelle, se battent au quotidien pour sauver des vies ? Carole, infirmière anesthésiste du Sud de la France, nous fait un point sur la situation et, le moins que l’on puisse dire, c’est que cela fait froid dans le dos !


« Les primes, franchement, on attend de voir. Car le terme prime à l’hôpital, on sait ce que ça veut dire ! C’est bien souvent l’aumône histoire de calmer un peu le personnel soignant. »

Quelle est aujourd’hui la situation dans les hôpitaux du Sud de la France après la mise en place du plan blanc ?

Cela va faire deux semaines que l’on est en plan blanc. Nous avons donc annulé toutes les opérations chirurgicales non urgentes afin de libérer un maximum de lits en réanimation. La plupart des lits de l’hôpital ont été vidés. Beaucoup d’hospitalisations à domicile sont mises en place, des personnes âgées qui se trouvaient dans des services de médecine ou en gérontologie ont été placées dans des maisons de retraite. L’objectif du plan blanc est de libérer de la place pour se préparer à accueillir un afflux important de patients.

Vous avez déjà accueilli les premiers patients atteins du Covid-19 dans votre hôpital ?

Comme tous les hôpitaux du Sud de la France, nous avons effectivement accueilli les premiers patients. Mais nous ne sommes pas encore en flux tendu comme cela peut être le cas en région parisienne ou dans le grand Est. On s’attend par contre à être en plein boum dans les jours qui viennent.

Les services de réanimation sont-ils préparés à recevoir un nombre de malades en croissance exponentielle ?

On a tout fait pour ! Que ce soit à Marseille, Toulon, Draguignan, on a essayé d’ouvrir plus de lits de réanimation. Il y a les lits de réanimation actuels, les unités de soins intensifs qui sont passées en réanimation et les salles de surveillance post interventionnelle qui ont, elles aussi, ouvert des places supplémentaires. Malgré tout ce dispositif, on sait déjà que l’on manquera de lits.

Le manque de places et de matériel va-t-il conduire à un choix cornélien où l’on va devoir sauver certains patients au détriment d’autres ?

À partir du moment où une personne se trouve en réanimation, la question se pose hélas toujours ! On place des personnes en réanimation à partir du moment où l’on sait qu’on a la possibilité de les sauver. Certains patients arrivent aux urgences et, en fonction de leur état de santé, des analyses réalisées, on sait qu’elles ne survivront pas. On va les accompagner, ça c’est sûr mais hélas pas vers la guérison. Le « tri », c’est donc de se dire qu’entre une personne qui a une pathologie très lourde un âge très avancé et une personne plus jeune avec moins de complications, s’il manque des places en réanimation, on va privilégier la personne qui a une chance de s’en sortir. Il faut savoir que même avant le Covid-19, des places en réanimation, on en a toujours manquées !

Pensez-vous que la gravité de la situation ait été suffisamment anticipée par les pouvoirs publics ?

Ce que l’on sait, c’est que depuis que l’alerte a été donnée au niveau de Mulhouse et de Colmar, le plan blanc a été déclenché pour nous préparer au mieux à un afflux de patients. Dans le grand Est, l’épidémie leur est arrivée comme un vrai tsunami sans qu’ils aient le temps nécessaire pour s’y préparer. Après, tout va dépendre dans le Sud aussi de l’ampleur de l’épidémie et du nombre de personnes touchées. Car même en ouvrant des lits supplémentaires, nos services ne sont pas extensibles et il faudra donc faire avec les moyens du bord.

Effectivement, on a l’impression qu’au sein du système hospitaliser, tout le monde se débrouille plus ou moins avec les moyens du bord. Est-ce aussi l’impression que vous en avez en interne ?

Tout à fait. Cela fait maintenant un an qu’il y a de la grève à l’hôpital et rien ne change. Cela fait dix ans que je travaille dans le milieu hospitalier et les conditions vont de mal en pis d’années en années. De moins en moins de personnel, de moins en moins de moyens… On est sur de l’économie dans les soins alors que l’on parle de l’humain. Il y a foncièrement quelque chose qui ne va pas là ! On a beau tirer la sonnette d’alarme depuis des années, nous ne sommes pas pour autant entendus. Comment voulez-vous écouter des gens qui font grève, mais grève avec un brassard et tout en continuant à travailler ? Si on ne va pas travailler, personne n’ira à notre place et on ne peut pas abandonner les patients. Donc, forcément, prendre d’assaut la rue aurait un impact plus fort, sauf qu’on ne peut pas le faire par éthique professionnelle. Au final, malgré la gronde, le système continue de fonctionner et le gouvernement ne prend donc pas en compte nos revendications. Le système de santé est en crise et a été affaibli depuis des années.

Dans un récent discours, le président, Emmanuel Macron, expliquait que des moyens supplémentaires allaient être mis en œuvre et qu’une prime serait attribuée aux soignants. Ces mesures n’arrivent-elles pas un peu tard auprès d’un personnel de santé qui clament ses revendications depuis des mois maintenant ?

Les primes, franchement, on attend de voir. Car le terme prime à l’hôpital, on sait ce que ça veut dire ! C’est bien souvent l’aumône histoire de calmer un peu le personnel soignant. On verra bien ce qui nous sera proposé mais, personnellement, je suis quand même très sceptique. Cela fait plus d’un an qu’on demande à être entendu et là, il faut que la situation soit dramatique pour envisager des mesures. C’est un peu tard, même s’il vaut effectivement mieux tard que jamais !

Vous sentez un véritable ras-le-bol au sein du personnel soignant face à ce manque de moyens, d’effectifs, ce peu de reconnaissance ?

Oh oui ! Que ce soit infirmiers, aides-soignants, infirmières de bloc, infirmières anesthésistes, même les médecins, on peut dire que le ras-le-bol est généralisé. Après cette crise, les vocations pour ces métiers de la santé déjà en perte de vitesse ne vont faire que décroître un peu plus. Il faut savoir qu’en moyenne un infirmier dans le service hospitalier à une durée de vie professionnelle de sept ans. Avec ce qui se passe, le fait que l’on se mette en danger, comment voulez-vous que des étudiants aient envie de se diriger vers ce type de carrière ? Au sein de l’hôpital, il y avait même avant cette crise une vraie fatigue morale de la part du personnel soignant qui souhaitait changer de carrière en raison de la dégradation des conditions de travail depuis plusieurs années.

Les services de santé sont pourtant l’une des pierres angulaires d’une société. Comment expliquer que vous deviez faire face à ce manque d’écoute de la part du gouvernement ?

Je pense tout simplement que nous sommes de bons pigeons ! Les infirmiers c’est quoi en fait, juste des personnes qui exercent un métier de plus en plus difficile sans jamais rien dire. Aujourd’hui, seule la vocation nous fait continuer. On râle oui, mais tout en travaillant pour ne pas mettre en danger la vie des gens. C’est sûr, on n’a pas le poids des gilets jaunes ou des profs qui vont faire grève et fermer les écoles.

C’est sûr, on vous applaudit tous les soirs du haut des balcons, rendant hommage à votre travail, mais qu’est-ce qui concrètement est fait pour vous ?!

Rien justement et c’est bien là tout le problème. Par rapport aux applaudissements à 20 heures, si vous demandez à une majorité de soignants, ça nous fait plaisir mais le reste du temps cela ne nous empêche pas d’être insulté sur notre lieu de travail ou d’être agressé aux urgences. Aujourd’hui, oui on nous acclame mais demain lorsque l’épidémie sera passée, les gens auront oublié et on devra faire face aux mêmes problèmes encore et encore.

Des personnes du corps médical ont hélas payé de leur vie leur aide aux malades, emportés eux-aussi par le Covid-19. La peur de contracter la maladie, vous y pensez ?

Bien sûr on y pense comme pour d’autres maladie d’ailleurs. Certains patients ont des méningites, des bactéries multi-résistantes… Il n’y a pas que le Covid-19 ! Tous les jours on a le risque d’être contaminé par telle ou telle maladie.

Ce manque de masques dont vous souffrez pour vous protéger dans l’exercice de vos fonctions, comment le vivez-vous ?

On ne se l’explique pas. Il y a quelques années lorsque nous avons dû faire face à la grippe H1N1, Roselyne Bachelot qui avait commandé des tonnes de masques avait été lynchée. Là, on sait depuis plusieurs mois que le Covid-19 va toucher la France et, pourtant, aucune commande de masques n’a été faite. Forcément, on ne comprend pas ! Ce qui est encore plus rageant c’est que lorsque je vais faire mes courses au supermarché, les trois quarts des gens se promènent avec un masque FFP2 et moi qui intube des personnes et suis en contact avec des malades susceptibles de me contaminer, j’ai un seul masque FFP2 pour une garde de 24 heures. On est rationné alors que l’on sait qu’il faudrait changer de masque toutes les quatre heures. C’est hallucinant !

Vous avez cette crainte de véhiculer la maladie lorsque vous rentrez chez vous ?

Forcément. Mon mari est infirmier et nous avons un petit garçon. Nous sommes réquisitionnés avec l’obligation d’aller travailler tous les jours et on sait que notre enfant peut attraper le virus. Nous, on ne se fait pas trop d’illusions ! Il y a de forts risques qu’à un moment ou un autre, on soit contaminés.

Certaines personnes du corps médical reçoivent des mots dans leurs boîtes aux lettres comme s’ils étaient des pestiférés car en contact avec les malades. Vous comprenez que l’on puisse en arriver à de tels extrêmes ?

Aujourd’hui, on allume la télé et on ne parle que du Covid-19 avec l’impression que tout le monde va mourir. Il y a de l’angoisse chez toute la population. Après, forcément, en arriver à cela, à cette sorte de délation vis-à-vis d’un personnel soignant qui sauve des vies, ça choque ! On ne peut pas d’un côté nous applaudir puis nous montrer du doigt comme si nous étions des pestiférés.

Aujourd’hui dans les médias, sur les réseaux sociaux, tout le monde y va sur son petit commentaire sur le Covid-19. Ne pensez-vous pas que l’on manque d’un message unique et clair sur la situation ?

Sans aucun doute. Tout le monde dit tout et n’importe quoi. La conséquence, c’est que finalement le message est diffus et que chacun y pioche l’information qui l’intéresse sans même essayer de la vérifier. Sur les réseaux sociaux, ce qui est hallucinant, c’est que tout le monde se prend pour un urgentiste, un infectiologue… Le grand truc c’est : « j’ai entendu d’un copain du coiffeur de l’oncle d’une connaissance du travail… » C’est le brouillon, du grand n’importe quoi qui ne fait qu’ajouter à la confusion ambiante.

On parle beaucoup de la Chloroquine et des test réalisés par le professeur Raoult. Est-ce un sujet dont vous parlez également au sein du service hospitalier ?

Le professeur Raoult est un infectiologue réputé qui a réalisé un nombre énorme de recherches, de travaux. La Chloroquine est un médicament connu de tous, utilisé dans certaines pathologies comme la polyarthrite, le lupus. Ses études sont à prendre avec des pincettes car même s’il a eu de bons résultats, le test pratiqué quant à l’effet de la Chloroquine sur le traitement du Covid-19 n’a été réalisé que sur un nombre réduit de patients. Après, ce n’est pas un médicament anodin sur lequel les gens doivent encore une fois se ruer parce qu’ils ont entendu des médias en parler. Cela peut avoir des effets secondaires au niveau cardiaque, cela nécessite une prise régulière du taux de potassium, un électrocardiogramme pour vérifier que le médicament n’engendre pas des problèmes au niveau du rythme. Il n’y a pas que la Chloroquine. On s’est aperçu que certains antirétroviraux pouvaient avoir un effet positif. Mais après, tout cela demande des tests à grande échelle. On n’est pas là dans la recette de grand-mère !


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