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Ugo Nahon, médecin à l’initiative d’une page d’informations sur le Covid-19

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EntretienUgo Nahon, 32 ans, a suivi des études d’anesthésiste réanimateur puis de médecine nucléaire avant de se tourner vers la médecine générale à Marseille. Aujourd’hui, c’est après un passage aux urgences à l’hôpital de la Timone et dans le but de répondre au désarroi d’une partie du corps médical, en proie au manque de moyens comme de personnel, qu’il a décidé de créer un projet sur les réseaux sociaux. Le but : mieux comprendre l’épidémie de Covid-19 et lutter contre la surinformation dans les médias comme en ligne. Explications !


Groupe Facebook Covid-19 : Explications et Actualités

Page Facebook Covid-19 : Explications

« Il y a un vrai décalage de compréhension de la situation entre politiques et gens de terrain. »

Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer une page d’information pour renseigner les gens sur le Covid-19 ?

J’ai eu l’idée de ce projet suite à mon passage aux urgences de la Timone. Le personnel soignant était à cran à cause d’un afflux massif de patients qui n’avait pas été anticipé. Beaucoup de personnes ne nécessitaient pas une prise en charge aux urgences, mais venaient car ils étaient paniqués. La peur engendre la peur et j’ai vu des soignants eux aussi perdre les pédales à cause du stress et du manque de sommeil. J’ai voulu, à ce moment-là, me rendre utile car j’avais déjà remarqué que les réseaux sociaux mettaient en avant des fake news et que la parole des médecins était noyée dans la masse et donc non percutante.

Ne pensez-vous pas que la multiplicité des messages de la part de l’Etat, des professionnels de santé, des médias, des sites… crée une confusion auprès de la population qui ne sait plus trop faire le tri dans toutes ces informations ?

La multiplicité des informations non triées et non vulgarisées, crée une confusion. Les chaines d’info en continu, en plus d’être très anxiogènes, relaient parfois des informations fausses et non vérifiées car elles font face à l’urgence de fournir un contenu. Les réseaux sociaux, c’est encore pire ! Le résultat est que la population ne sait plus qui croire et se rattache à des informations rassurantes qui sont aussitôt démenties. La vérité d’un jour n’est plus celle du lendemain dans le cas d’un virus émergent. D’où le côté indispensable de calmer le débat et de revenir sur des bases solides, des données actuelles, en prenant un peu de recul.

La peur face au Covid-19 est-elle selon vous à la hauteur du danger de cette épidémie ?

Cette peur n’est pas calmée quand on voit la propagation de la pandémie. Toutes les informations stressent la population qui, d’un côté, recherche inconsciemment à tout savoir pour être rassurée. Le fait de décompter le nombre de morts tous les jours accroît forcément la peur et le stress. La population ne se sent plus protégée et cela génère une angoisse supplémentaire doublée d’une colère qui monte envers les autorités. Résultat, le message de confinement passe mal et est donc moins respecté. Les mesures simples, prises dans le calme par les coréens par exemple, sont le parfait exemple que cette épidémie aurait pu être gérée plus sereinement. Mais nous sommes un pays latin et nos populations sont habituées à souvent surréagir avec l’ego français que tout le monde connaît. Nous avons aussi beaucoup de canaux de communication qui brouillent le message. Ce qui n’est pas le cas de la Chine, par exemple, qui verrouille l’info, bonne ou mauvaise.

Comment expliquer qu’alors que le confinement apparaît comme la seule mesure valable, des personnes inconscientes essayent quand même d’enfreindre la loi et sortir au mépris de tout bon sens ? Là encore, est-ce un manque d’informations ou un discours peu clair ?

Parce qu’ils n’ont pas été touché par un décès. La surabondance d’infos donne en effet l’impression que personne n’est d’accord et favorise les comportements à risque : “puisqu’ils ne savent rien, je continue à faire comme avant”. La France a beaucoup de mal avec les restrictions de libertés et nous en avons à nouveau la démonstration. Le confinement est une mesure valable mais pas la seule à mon avis. Quoi qu’il en soit, seul un confinement strict semble logique à partir du moment où l’on a opté pour cette solution. Le débat éthique est intéressant mais est-il possible de le tenir dans ce type de situation ? Est-il légitime que l’opposition s’insurge et ne vote pas des mesures de bon sens dans l’urgence sous prétexte que, peut-être, elles pourraient être liberticides dans le futur ? Est ce responsable ou irresponsable ? Les deux sont valables et malheureusement seul l’avenir le dira.

Pensez-vous que l’Etat a trop tardé à mettre en place des mesures de confinement. Le maintien du premier tour des élections municipales ayant créé une sorte d’incompréhension ?!

Oui clairement, le discours était contradictoire au début ou du moins rassurant (petite grippe). On autorisait des rassemblements de milliers de personnes et, en même temps, on annonçait une augmentation de personnes contaminées. Cela a été une erreur de maintenir le premier tour des élections municipales. Orgueil ou précipitation sont probablement au cœur de ces décisions. L’argument du coût d’un report des élections est stupide dans le cadre où le confinement va entraîner des pertes financières 1000 fois supérieures aux millions dédiés à l’organisation d’une élection. A Marseille, une proportion très forte de personnes tenant des bureaux de votes s’est avérée contaminée. Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier le taux de contagion chez les votants versus les non-votants restés confinés. Quant au moment de la déclaration du confinement, était-elle appropriée ? Difficile à dire ! La Corée n’a confiné que les personnes positives. En revanche les mesures de protections ont été très strictes dès le début, je pense que l’erreur est là.

Il a fallu trois mois à la Chine et des mesures de confinement extrêmes pour sortir de cette épidémie sans assurance qu’une nouvelle vague n’apparaisse pas. En combien de temps la France peut-elle sortir de cette épreuve ?

Malheureusement impossible à dire. Rien ne laisse hélas supposer que le “déconfinement” ne va pas créer une nouvelle contamination de personnes non encore immunisées lorsque tout le monde ressortira de chez soi. J’ai du mal, personnellement, à faire confiance aux informations venant de Chine. Dans un premier temps, ce pays a caché ou minimisé le nombre de cas. Cela est passé par l’enfermement des lanceurs d’alerte, comme ce médecin ophtalmologue qui est malheureusement décédé des suites du Covid-19 à l’âge de 34 ans. Je pense qu’ils ont sous-estimé volontairement le nombre de morts pour prouver au monde entier qu’ils maitrisaient la situation. La France sortira de cette épreuve quand elle sera mieux équipée en matériel de toutes sortes et qu’elle changera de politique en matière de santé. Il faut toujours anticiper pour mieux affronter les crises, et je le sais d’autant plus par ma formation d’anesthésiste-réanimateur.

Vous dites que l’Allemagne est un exemple de gestion de cette épidémie. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ou mal dans l’hexagone ?

La réponse est complexe et fait écho à la politique de soin française qui, à la base, est perfectible. Pas assez de places en hôpital (dont réa), pas assez de soignants, pas assez de moyens pour s’équiper. Décision hasardeuse aussi de supprimer les stocks de masques. C’était un coup de poker qui est mal tombé !
Il faut comprendre que se balader seul dans la rue ou dans sa voiture avec un masque n’a aucun sens ! L’Allemagne est le pays européen le mieux équipé. Ils ont multiplié les tests de dépistage dès le début pour isoler les malades atteints du Covid-19 et ont agi un peu comme la Corée du Sud avec la rigueur que l’on connaît. Leur système de santé est mieux préparé à affronter cette épidémie (matériels, équipements de protection…). Sans rentrer dans les détails, en Allemagne, les soignants sont mieux payés, il n’y a pas de manque de personnel, tout s’enchaîne pour que les soins soient de qualité.

Pensez-vous qu’on aurait dû multiplier les tests ?

Oui évidemment. C’est clairement l’un des points où le Pr Raoult avait raison d’alerter. C’est un peu tard désormais car on a loupé les données essentielles de début d’épidémie.

Comment comptabiliser les pourcentages de cas graves et de décès si on ne sait pas combien de gens sont contaminés ?

Aucune méthode aujourd’hui ne permet de le faire pour deux raisons essentiellement : La première est que nous ne connaissons pas les chiffres réels pour des raisons de dépistages pas toujours suffisants ; La seconde est liée à une temporalité différente entre les pays. La comparaison de l’Allemagne est difficile à faire en ce moment pour ces deux raisons. La stratégie de dépistage n’est pas la même et le pays se situe à un stade plus précoce de la maladie.

Aujourd’hui, j’ai été touché par le Covid-19 et pourtant je ne suis pas comptabilisé comme malade car non testé. Pensez-vous comme l’affirme certains médecins que l’on dépasse les 2 millions de personnes contaminées ?

Le nombre de malades est certainement largement sous-estimé car beaucoup ne sont pas dépistés. Je ne sais pas si le chiffre de 2 millions est exact mais il y en a bien plus que ce qui est annoncé tous les jours. Il n’est pas impossible que le chiffre soit supérieur d’ailleurs, sachant que les formes non graves et asymptomatiques sont l’immense majorité des cas, d’autant plus qu’elles ne sont pas testées.

On voit que l’épidémie se répand désormais massivement dans les EPHAD alors qu’on savait les personnes âgées sensibles. Là encore ne pensez-vous pas que des mesures auraient dû être prises en amont pour un confinement des plus stricts ?

Oui. Après il y a beaucoup d’hypocrisie. Les personnes âgées meurent chaque année massivement en EHPAD à cause de la grippe saisonnière et personne ne s’en émeut. Mais le gouvernement vient d’annoncer que ces cas seront comptabilisés. Nous aurons alors des statistiques sur lesquelles il sera possible de discuter. Par ailleurs, dans les EPHAD, le confinement a été déclaré plus tôt mais, quand on voit que la majorité des personnes qui travaillent dans les établissements ne sont pas protégées (aucun masque, aucune protection), il ne faut pas s’étonner du nombre de décès. Il aurait fallu tester tout le personnel qui travaille au sein des EPHAD et répéter ces tests toutes les semaines pour bien faire.

Au sein des professionnels de santé durement touchés, épuisés, mis à lourde contribution, sent-on une sorte de résignation de faire face avec peu de moyens et d’effectifs à une telle crise ?

Les gens se donnent à fond comme d’habitude. Rappelez-vous les attentats : tout le personnel soignant a stoppé la grève comme un seul homme. Nous faisons face à la même situation : responsabilité et humilité du corps soignant. Sauf que le manque de moyens criant est toujours le même alors que Mme Tourraine avait été alertée à l’époque. Le plan de Mme Buzyn d’avant l’épidémie était, lui-aussi, clairement insuffisant. Le président Macron a annoncé un plan massif d’aide après l’épidémie. Mais avec quel argent ? L’économie sera exsangue. Il y a un vrai décalage de compréhension de la situation entre politiques et gens de terrain. Espérons que les ministres successifs issus du corps médical arriveront à le comprendre avant le prochain problème de santé d’ampleur. Car il y en aura d’autres ! Pour résumer, les professionnels de santé vont au combat avec peu de moyens, certes la peur au ventre mais tous conscients qu’ils sont en première ligne. C’est l’éthique qui dicte leurs actes. C’est une guerre mais sans les moyens nécessaires pour la mener, d’où la rage de certains.

Le Covid-19 étant viral, qu’est-ce qui nous garantit qu’un vaccin sera disponible avant une nouvelle vague d’épidémie ?

Rien, hélas. Mais nous aurons une certaine immunité … Souhaitons aussi que la gangue administrative sur les essais cliniques soit desserrée et que cela nous fasse réfléchir sur la lourdeur de la mise en place des essais en France. Cette lourdeur nous empêche bien souvent d’exister sur la scène internationale avec un retard considérable au démarrage devant les défis actuels de la recherche. Pour le vaccin, on sait qu’il faut du temps et des moyens financiers importants. On trouvera, je pense, un vaccin d’ici un an si la recherche est financée. Mais si on ne change pas de paradigme, on devra faire face à d’autres épidémies avec d’autres virus. Dans ce cas, le vaccin trouvé ne servira alors plus à rien.


Julie, membre du SAMU en région PACA
Carole, infirmière anesthésiste

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