Gastronomie

Simone Zanoni, chef étoilé du restaurant Le George

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EntretienPassionné, engagé, aussi à l’aise plongé dans le luxe et l’effervescence du palace George V où il officie depuis 2016, aux commandes du restaurant étoilé Le George, que dans le calme et la sérénité de son potager des Yvelines où il cultive ses légumes, Simone Zanoni respire l’Italie du terroir jusque dans l’inspiration de sa cuisine méditerranéenne aux multitudes de saveurs. À 43 ans, le chef, qui a écrit ses premières lettres de noblesse culinaires chez le célébrissime et triplement étoilé Gordon Ramsay, à Londres, nous fait partager sa vision d’une gastronomie raisonnée, respectueuse de l’environnement, née dans les fourneaux de la cuisine familiale en Lombardie. Rencontre la tête dans les étoiles !


« Près de 50 % de ce qui est produit part à la poubelle. Et on appelle ça croissance ? On est juste en train d’accélérer le processus pour se balancer contre un mur ! »

Vous êtes né en Lombardi et avez été initié à la cuisine par votre famille. Pouvez-vous nous parler de vos premiers souvenirs culinaires, de ces senteurs qui ont bercé votre jeunesse dans la maison familiale ?

Plus je prends de l’âge et plus ces souvenirs sont présents en moi car, avec les années, on a de plus en plus la nostalgie des souvenirs émus de son enfance. J’ai eu la chance, dès mes premiers pas, de côtoyer un monde qui, malheureusement, disparaît peu à peu, le monde de la ferme, du terroir. Mon père travaillait à l’usine non loin de chez nous, dans cette région très industrialisée qu’est la Lombardie, poumon du Nord de l’Italie. En même temps, il a toujours voulu nourrir sa famille avec des produits de qualité. Il me disait : « Simone, la viande que l’on achète n’a pas le même goût que celle que l’on peut élever », et même chose pour les légumes. Notre vie de famille était donc basée sur une organisation quasiment autosuffisante par rapport à la nourriture que l’on consommait. On cultivait nos propres légumes, on réalisait nos conserves, on produisait notre propre alcool… C’est hélas quelque chose que l’on perd de plus en plus aujourd’hui où tout est devenu très accessible en masse et qui, malheureusement, par une surproduction et une surconsommation, participe au fait de détruire peu à peu les richesses de notre planète. Il y a cinquante ans, on mangeait de la viande une à deux fois par semaine là où, aujourd’hui, elle fait presque partie intégrante de chacun de nos repas. Notre mode de vie était, à cette époque, beaucoup plus éco-responsable. Je me souviens, par exemple, que lorsque l’on récoltait nos courgettes en été, une partie était dédiée à la consommation quotidienne et une autre était destinée aux conserves afin de répartir notre approvisionnement tout au long de l’année. Même chose avec les potirons que nous stockions dans le grenier afin de pouvoir les consommer sur plusieurs mois.

Produire, consommer ce qui est nécessaire, c’était la base de l’alimentation à l’époque !

Oui, nous vivions dans une sorte d’autarcie, consommant que ce que l’on produisait avec un minimum de gaspillage. J’ai donc, dès mon plus jeune âge, “cultivé” mon palais avec des produits de qualité issus de la terre. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, lorsque l’on me dit “bio”, c’est quelque chose qui ne me parle pas car, personnellement, je ne connais pas autre chose. Derrière ces souvenirs, il y a, à mon sens, une philosophie très importante que j’ai acquise par rapport au respect des produits végétaux mais surtout animaux. De nos jours, on consomme de manière irraisonnée tout simplement par ignorance de ce qu’est réellement le produit animal, la bête vivante avant qu’on ne la tue pour se nourrir ! Chez moi, par exemple, j’ai un poulailler car je voulais que mes enfants puissent revivre un peu ce que j’avais connu à leur âge. Au-delà des deux œufs quotidiens qui nous permettent de ne pas avoir à en acheter, c’est mon fils qui s’occupe de nettoyer le poulailler. Un œuf, pour lui, ce n’est donc pas une boîte que l’on met dans son caddy au supermarché, mais ce que la poule pond tous les matins et qu’il va chercher avant d’aller à l’école ce qui fait déjà une sacrée différence.

Il faut donc, selon vous, connaître la bête que l’on a dans son assiette pour apprécier la nourriture à sa juste valeur ?

Tout à fait ! Dernièrement, chez moi, une poule a été malade et j’ai expliqué à mon fils, du haut de ses neufs ans, qu’il fallait la tuer car elle ne pourrait pas guérir. La tuer, cela voulait donc dire la manger. S’il a accepté l’idée, tuer la poule a engendré une grosse crise de larmes car le problème, aujourd’hui, c’est que la jeune génération ne parvient pas à faire le lien entre l’animal vivant et celui que l’on trouve en barquette dans les grandes surfaces. Comprendre cela, c’est respecter l’animal qui va servir à nous nourrir et donc, peut-être, lutter d’un certain point de vue à cette surenchère permanente de la consommation de masse. On fait croire aux gens, par un système marketing bien huilé, qu’il faut consommer de la viande et de la protéine animale en abondance. C’est aujourd’hui hélas quelque chose d’acquis qui est entré dans leur esprit alors que ce n’est qu’une vaste supercherie qui tend à faire consommer toujours plus sans même respecter le produit que l’on mange, c’est-à-dire l’animal ! Qui aujourd’hui parmi la jeune génération a vu tuer un cochon alors qu’on ne cesse de manger du jambon en barquette ? Qui a vu une vache être abattue à l’heure où les hamburgers pullulent ? Emmener les écoles dans les abattoirs, bien sûr ce serait une thérapie de choc mais, en même temps, cela participerait sans nul doute à faire respecter l’animal dont on se nourrit.

C’est notre société qui a donc biaisé ce rapport à la nourriture ?!

C’est évident ! Au-delà de notre ignorance par rapport à l’agro-alimentaire, l’être humain a tendance à associer l’aspect visuel au goût. C’est beau, donc c’est bon ! C’est ce que l’on souhaite nous faire croire aujourd’hui dans une société qui tend à l’uniformisation des choses. C’est stupide. De nos jours, même sur les marchés, il faut qu’une pomme soit bien ronde, bien laquée, bien brillante pour qu’elle attire l’œil et que le client ait envie de l’acheter. Vendre étant le nerf de la guerre, on va donc gorger la pomme de pesticides pour qu’elle réponde à un critère visuel qui corresponde à ce qu’on a intégré dans l’esprit du client. Là encore, il serait important que les enfants aillent dans un verger pour récolter des pommes sans traitement afin de voir qu’elles ne ressemblent en rien à celles proposées sur les étals.

Entretien

Si notre société ne le fait pas, c’est donc la transmission générationnelle qui devrait nous inculquer certaines valeurs vis-à-vis de ce que l’on a dans notre assiette. Je crois, à ce sujet, que votre grand-mère a joué un rôle primordial dans votre initiation à la cuisine et à ses techniques. Est-ce elle qui a fait germer en vous cette vocation dès le plus jeune âge ?

Au départ, il y a eu mon grand-père qui m’a emmené pendant trois étés de suite aux pâturages lorsque j’étais tout gamin. Nous partions en montagne pendant un mois et là, il m’apprenait à faire le beurre, le fromage… Le lait chaud non filtré et mousseux qui sort de la vache est encore aujourd’hui une sensation qui reste intacte dans mon palais. Malheureusement, mon grand-père, qui avait fait la guerre en Russie, est décédé alors que je n’avais que huit ou neuf ans.

Vous vous êtes donc encore plus rapproché de votre grand-mère !

Pour ne pas la laisser seule, elle a emménagé non loin de notre maison. Tous les soirs, en rentrant de l’école, j’allais dormir chez elle et passais une grande partie de mon temps à ses côtés. Avec son piano de cuisson à bois, elle m’a donc initié à des techniques bien particulières comme la cuisson à basse température. Ce n’était pas un réel enseignement, mais, à force de la voir faire, de comprendre, j’ai peu à peu moi aussi maîtrisé les différentes techniques de cuisson. Rôtir à feu vif, cuire plus lentement à 180°, l’eau chaude en bas du piano pour pocher… Du poulet rôti, au ragout en passant par les pâtes fraîches, apprendre était un réel plaisir qui s’est donc fait tout naturellement. Là encore, elle a généré en moi une passion pour la nourriture, de plumer le poulet jusqu’à le servir à nos repas dominicaux en famille, c’est tout le processus qui m’enchantait.

Du plaisir derrière les fourneaux de votre grand-mère aux cuisines du chef Gordon Ramsay, quel a été le chemin ?

Au Lac de Garde où je travaillais en Italie pour me faire un peu d’argent afin d’obtenir une relative indépendance financière, j’étais souvent confronté à une clientèle anglo-saxonne et, le fait de ne pouvoir communiquer avec eux me frustrait terriblement. Le désir d’apprendre est toujours, en tous domaines, ce qui m’a motivé. Alors, j’ai décidé de tenter ma chance en Angleterre. Au bout de deux ans, alors que je commençais à bien maîtriser la langue, j’ai repris des études culinaires et j’ai répondu à une annonce où Gordon, qui n’avait pas encore la renommée qui est la sienne aujourd’hui, cherchait des commis de salle. Là, dès mon premier jour, je me suis rendu compte que, plus qu’un simple restaurant, j’avais rejoint une école militaire !

Une sorte de légion où il fallait filer droit ?!

C’est très violent dans tous les sens du terme. Cela ressemblait aux méthodes qui existaient dans les cuisines des grands chefs français jusque dans les années quatre-vingt, avec bien sûr du positif en matière d’école de la vie, mais avec également beaucoup de points négatifs. Aucun respect pour la personne, abus physique… Les chefs anglais qui étaient venus faire leurs gammes de l’autre côté de la Manche avaient simplement importé dans leurs cuisines une méthode qui, visiblement, portait ses fruits en France dans les restaurants étoilés. Même si c’était très cruel, j’avoue que ce fonctionnement à la dure, très militaire, me plaisait. Au départ, Gordon m’a expliqué que j’avais beau venir d’une école, je ne connaissais rien et, pire, je ne servais à rien ! La seule chose qu’il m’offrait, c’était un poste de plongeur. « Tu acceptes ou tu te casses ! » a t-il ajouté. J’ai répondu : « ok ».

Un sacré challenge de partir tout en bas de l’échelle !

Je suis un homme de défis et je voulais lui prouver que même passer six mois à laver des assiettes en me faisant insulter ne me faisait pas peur. Dès que j’avais un peu de temps libre, je devais me coltiner trois caisses de champignons à éplucher. Malgré la dureté du quotidien, je n’ai jamais abdiqué et j’ai, petit à petit, gravi les échelons. C’était peut-être extrême, mais cela reste une expérience unique. Soit tu encaisses les coups, tu fermes les yeux et tu avances, soit tu baisses les bras et tu pars. Il n’y a pas de demi-mesure.

Entretien

Belle revanche, à 27 ans, vous devenez justement chef du restaurant triplement étoilé de Gordon Ramsay à Londres. Un trois étoiles qui représente la consécration absolue pour un chef, cela se gère comment au quotidien ?

C’est assez simple, c’est une véritable dévotion. Toute ta vie tourne autour de ton métier. Aujourd’hui encore, je me demande comment j’ai pu faire pour encaisser cette pression permanente. Ma femme, que j’ai rencontrée à cette époque ne comprenait pas comment je faisais pour tenir. Je rentrais à la maison à une heure trente et je repartais le lendemain matin à six heures. La moitié des personnes qui travaillaient à mes côtés étaient plus âgées que moi. Je devais donc m’imposer. J’étais vraiment un salopard, mais je n’avais pas le choix ! J’avais été formé par un mec violent alors je l’étais moi-aussi. Combien de fois me suis-je retrouvé à me battre dehors en sortant les mecs de la cuisine car les choses n’allaient pas comme je le souhaitais ! Le lundi était le jour le plus terrifiant car, en arrivant, je ne savais pas qui aurait jeté l’éponge et quitté son poste, incapable de tenir ce rythme de fou.

C’est étonnant de voir ainsi l’envers du décor, ce grand écart entre cette violence dont vous parlez en cuisine et la quasi perfection, le calme en salle pour satisfaire les clients de ces restaurants étoilés ou tout semble maîtrisé !

Tout est fait pour le client, pour qu’il garde un souvenir impérissable de son expérience aussi bien gustativement que dans le service qui lui est apporté. Nous, par contre, même si l’on doit sourire en venant en salle s’assurer que tout se passe bien, en cuisine, on reste intraitable. C’est là un mode de fonctionnement nécessaire car la pression est vraiment énorme et l’était encore bien plus à cette époque. Il faut comprendre que lorsque Gordon a obtenu sa troisième étoile, l’explosion médiatique a été telle qu’en quatre ans, comme chef de son restaurant, je n’ai dû connaître que vingt services où nous n’étions pas complets. Les gens ne pouvaient réserver que trois mois à l’avance. C’est simple, le 11 janvier au matin par exemple, les réservations ouvraient à neuf heures et, à neuf heures vingt, le restaurant était complet pour le 11 avril ! On recevait plus de cinq-cents appels par jour. C’était réellement un truc de dingue.

Et on arrive à tenir le coup à 27 ans avec une telle pression quotidienne ?

J’étais solide, mais cela m’a conduit à faire des choses qui peuvent paraître complètement folles. Je me souviens d’un matin où ni Gordon, ni les chefs exécutives n’étaient là. En me rendant au travail en moto, en raison de la fatigue, j’ai fermé les yeux et j’ai percuté un camion. Je me suis réveillé dans le véhicule des secours qui me conduisait à l’hôpital. Dans le lit d’hôpital et malgré la douleur insupportable à l’épaule, j’ai regardé ma montre… Il était déjà 8h30. Impossible de laisser l’équipe toute seule ! J’ai signé une décharge, je me suis bourré de cachets et, trente minutes plus tard, j’étais aux fourneaux. J’ai travaillé toute la semaine avec la clavicule cassée en deux et l’os s’est ressoudé au fil des semaines tout en travaillant. Aujourd’hui, bien sûr, ça paraît dingue, mais c’était ma vie, un parti pris ! Pendant deux ans, nous avons été élus deuxième meilleur restaurant au monde, alors il fallait tenir la barre coûte que coûte.

Mais on ne peut pas tenir ce rythme indéfiniment, d’où le besoin d’aller voir ailleurs, de relever de nouveaux challenges !

Au-delà de ta santé, avec le temps et un peu de recul, tu te rends compte qu’en ne vouant ta vie qu’au travail, tu passes inexorablement à côté d’autres choses. J’ai donc expliqué à Gordon que j’avais besoin de changer d’air, de voir autre d’autres horizons. À l’époque, il avait pris un contrat au Trianon Palace et m’a mandaté là-bas. Dire qu’on est arrivé en terrain non conquis est un euphémisme, connaissant le caractère provocateur de Gordon qui ne cessait de titiller les chefs français. Au départ, on s’est fait taper sur les doigts pour ne pas dire autre chose par la presse, par tout le monde. Alors que tous les grands chefs français partaient à Londres pour ouvrir des restaurants, Gordon a été le seul à vouloir faire le chemin inverse. Forcément, cela a fait grincer bien des dents. On a tenu bon et, encore une fois, comme j’aime les challenges, celui-ci, de taille, était plaisant à relever. La consécration, c’est qu’au bout d’un an, on a obtenu directement deux étoiles au Michelin. L’expérience s’est poursuivie jusqu’en 2016, mais la cuisine franco-méditerranéenne ne répondait pas à mes attentes. J’avais envie d’autre chose.

C’est ce qui a motivé votre choix, en 2016, de rejoindre Le George, le restaurant méditerranéen fraîchement ouvert de l’hôtel de luxe, le Georges V ?

En premier lieu, j’avais le projet d’ouvrir un ou deux restaurants italiens sans prétention à Versailles, et puis j’ai reçu un coup de fil d’un ami qui m’a dit que Le George, qui avait ouvert un an auparavant, avait perdu son chef depuis deux mois. Je suis donc allé rencontrer le directeur du George V, José Silva, un homme très charismatique, visionnaire, qui avait ouvert Le George car il pensait que la cuisine italienne pouvait apporter une touche nouvelle au Palace qu’est le George V. J’ai signé mon contrat dès le lendemain.

Au-delà du fait de retrouver une cuisine faite de vos racines italiennes, vous êtes engagé pour une gastronomie raisonnée, proche là encore de ce que vous avez connu dans votre enfance !

Effectivement, mon souhait premier a été de redevenir plus autonome dans notre manière de fonctionner et de nous approvisionner. Avoir son potager, lorsque tu tiens un petit restaurant à la campagne, est une chose assez simple, mais modifier les rouages d’un palace est forcément beaucoup plus compliqué à mettre en place. Lorsqu’une décision est prise, il faut se demander si cela peut nuire à l’image du restaurant et donc du George V. Il y a 700 personnes qui travaillent ici et on génère 130 millions d’euros de chiffre d’affaires, tu ne peux donc pas prendre les choses à la légère. J’ai un peu forcé la main en montrant à ma direction l’importance de devenir plus éco-responsable, revenir tout simplement à ce que je connaissais lorsque j’étais gamin.

D’où l’idée de créer un potager, le domaine de Madame Elisabeth dans les Yvelines, pour y planter vos propres légumes et les récolter pour votre cuisine ?!

C’est effectivement la première pierre de l’édifice qui nous permet de récolter aujourd’hui entre 8 et 9 tonnes de légumes par an. 60 % des légumes qui se trouvent dans les assiettes du George proviennent de notre potager dont toutes nos tomates et une grande partie de nos herbes aromatiques. On cultive, on recycle presque 90 % de nos déchets alimentaires qui partent en compost et retournent nourrir la terre du potager. Pour aller toujours plus loin dans ce concept d’autosuffisance, j’ai le projet de prendre un hectare dans une ferme afin d’être, à terme, 100 % indépendant en légumes avec un système de tunnels pour l’hiver et une machine à compostage près du potager pour boucler la boucle.

Une grande cuisine, un grand produit que l’on maîtrise de la plantation à la cuisson donc…

Il ne faut pas résumer la grande cuisine à la qualité intrinsèque du produit. Ce discours est valable, mais il n’est pas complet. Comment fait-on pour continuer à avoir ces bons produits ? Il faut bien s’en occuper ! Si on ne commence pas dès aujourd’hui à protéger ces produits, il faut comprendre que, dans vingt-ans, ils ne seront plus là ! Un chef, grand ou petit, ne doit pas se focaliser uniquement sur l’assiette qu’il sert. Il doit se demander si elle est respectueuse de la planète, de notre écosystème, penser aux conséquences que l’on va générer lorsque l’on met tel ou tel plat à la carte. C’est devenu la clé !

D’où l’aspect primordial de cette gastronomie raisonnée !

Raisonnée, raisonnable, responsable… On peut l’appeler comme on le souhaite mais il faut veiller à respecter l’environnement et nos ressources naturelles, ça c’est sûr ! Quand tu vois que certains restaurants te proposent des bars de ligne à la carte au mois de janvier ou février, pour moi c’est une véritable ineptie. En cette période le bar se reproduit ! Un chef est pour moi le symbole d’une personne qui navigue avec des œillères et devrait avoir une vision incontestablement moins restreinte. Dire : « Je suis un grand chef donc j’achète des bars de ligne de quatre kilos », c’est de la vraie connerie. Au bout d’un moment, ces bars de quatre kilos, il n’y en aura plus et là, on fera quoi ? Moi, mon bar, déjà ce n’est pas un bar sauvage mais un poisson issu d’un élevage raisonné en pleine mer situé en Espagne. Il est élevé avec de la nourriture bio, il se reproduit, il nage, il n’est pas gras, pas bourré d’antibiotiques…

Recyclage de votre marc de café pour la pousse des champignons, non utilisation de produits chimiques en cuisine… Vous êtes sur tous les fronts !

On génère cent kilos de marc de café par semaine. Au lieu de le balancer, une champignonnière vient le récupérer, ce qui nous permet d’avoir plus d’une tonne de Pleurotes par an qui se retrouvent à la carte du restaurant dans une assiette que j’ai pensée autour de ce champignon. Nous n’avons pas hélas le temps de tout expliquer au client alors je suis en train de faire préparer de petites fiches qui seront consultables avec le plat proposé. Les produits chimiques, c’est ma bête noire. Au George, ils sont proscrits. Vinaigre et citron font tout aussi bien l’affaire pour lutter contre les bactéries et, au moins, aucune incidence néfaste sur notre planète.

Là, vous abordez vos initiatives au sein d’un grand restaurant parisien mais pensez-vous que la croissance démographique mondiale va, à moyen terme, obliger le grand public à repenser son rapport à la nourriture et à l’environnement afin de préserver nos ressources naturelles ?

C’est justement au grand public de dicter ce changement. L’offre n’est basée que sur la demande. Si la demande est mauvaise, l’offre le sera aussi. Tant qu’il y aura de la demande pour des produits ultra transformés, tu trouveras toujours un imbécile pour les fabriquer. Pour que la demande change, il faut initier le public et ce surtout dès l’enfance. Il faut sensibiliser la jeune génération qui, elle, s’intéresse aux problèmes de l’environnement. Mon fils, qui était habitué à manger les hamburgers que je prépare à la maison, ne comprenait pas pourquoi il n’avait jamais mis les pieds dans un fast-food, contrairement à ses copains qui vont au Mac Do deux à trois fois par semaine. Je l’ai emmené et il m’a dit : « Papa, ce n’est pas bon ! » Je crois qu’il faut simplement arrêter le formatage, la facilité et initier le palais afin que les choses changent tout naturellement. Il ne faut pas nier, car nier c’est créer le désir. Je suis intimement persuadé que chaque enfant est assez intelligent pour préférer un hamburger fait maison à cette bouffe aseptisée des fastfood ! Et dire que bien manger est cher est une vaste fumisterie. Revenir à la simplicité d’une soupe le soir, de légumes gratinés au four, d’un morceau de fromage, ça ne revient pas plus cher que ces trucs en barquette que tu trouves en grandes surfaces. On ne sait tout simplement plus s’alimenter normalement comme on le faisait autrefois.

Au-delà de revenir aux bases même de l’alimentation, le gaspillage est également le grand fléau de notre société !

Le gaspillage alimentaire est tout simplement en train de nous tuer ! Près de 50 % de ce qui est produit part à la poubelle. Et on appelle ça croissance ? On est juste en train d’accélérer le processus pour se balancer contre un mur ! Aujourd’hui, tu as une offre qui est bien supérieure à la demande alors que justement on mange moins qu’il y a dix ou quinze ans. Finis les gros déjeuners d’affaire par exemple ! Pour remplir toutes ces grandes surfaces, ces magasins, il faut produire. Alors, oui, on produit, mais pourquoi finalement, pour jeter ?! La méthode, pour nous pousser à consommer plus, a été de réduire dans le temps les dates de péremption. Essaie de manger un yaourt un mois après la date indiquée sur l’emballage et tu verras bien qu’il est encore bon et ne risque pas de te rendre malade.

Aujourd’hui lorsque vous pensez un plat pour le restaurant, vous ne pensez donc plus uniquement au goût mais également à cette gastronomie raisonnée ?!

On n’est pas parfait mais on essaie, oui. Satisfaire gustativement le client tout en respectant la planète, c’est possible, alors pourquoi s’en priver ? On ne veut pas pour autant tomber dans les extrêmes. Les extrêmes en tous domaines, c’est dangereux. On demande aux gens d’être modérés, pas d’être vegan, mais de se limiter à de la viande une à deux fois par semaine comme le faisaient nos grands-parents et leurs parents avant eux. L’homme n’est pas fait pour être vegan car, depuis des siècles, il a besoin de protéines animales. Imagine si demain toute la planète devenait vegan, elle sombrerait deux fois plus vite ! Le lait, le fromage, c’est vital à mon sens ! Pour les plats que je mets à la carte du restaurant, je pense également à lutter contre le gaspillage. Je propose par exemple une escalope de veau milanaise, épaisse, cuite à basse température, puis panée. Pour avoir une qualité de viande comme cela, j’achète des carrés de veau entiers. Mais une fois que je me suis servi de la longe pour mon escalope, il y a tout le reste. Je me suis donc demandé comment optimiser tout le carré de veau pour ne rien gaspiller. J’ai imaginé faire confire la poitrine extérieure pendant quarante huit heures à basse température puis j’effiloche la viande que je mélange avec la sauce faite avec la carcasse, ce qui donne une farce, un produit réalisé avec ce qui, à la base, devait aller à la poubelle. Economiquement c’est intéressant car je propose à la carte des Tortellis farcis qui n’étaient que les restes de ce que j’avais acheté pour pouvoir réaliser mon escalope milanaise. À la fin, j’ai zéro déchet et les os sont même utilisés en étant broyés pour me servir à la réalisation du compost organique.

Vous avez éduqué vos enfants au respect de l’environnement du produit alimentaire, mais pensez-vous que l’école devrait également participer à cette éducation de manière beaucoup plus active ?

Sans aucun doute. Pourquoi n’arrivons-nous pas à nous nourrir de la culture des autres pays afin d’améliorer la nôtre ? Je suis personnellement fasciné par les écoles au Japon où les enfants maîtrisent la gestion de la cantine en préparant la table, en la débarrassant, en participant à la préparation de leurs repas, en touchant le produit qu’ils vont manger. Savoir ce que la France a fait géopolitiquement il y a deux cents ans, ok je ne suis pas contre, mais ne serait-il pas plus intéressant d’emmener les enfants dans les fermes, dans les potagers pour respecter la planète. Le système de l’éducation française doit sans conteste évoluer. Aujourd’hui, si un enfant doit faire un choix, vaut-il mieux qu’il connaisse sur le bout des doigts le passé de son pays ou qu’il sache comment améliorer son futur ? C’est là la réelle question qu’il convient de se poser et à laquelle il est urgent de répondre !


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