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Isabelle Filliozat, les relations parents/enfants

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Entretien « Range ta chambre ! Va te doucher ! Fais tes devoirs ! Arrête ta comédie ! » Autant d’impératifs qui trustent bien souvent le haut du panier du vocabulaire parental. Au cœur d’une société en mutation constante, nos chers bambins ne cessent d’évoluer à vitesse grand V, creusant parfois un fossé difficilement franchissable pour des parents qui souhaitent instaurer un dialogue constructif. Mais alors, que faire ? Baisser les bras, se résoudre à imposer des règles de conduite par la manière forte ou, plus pacifiquement, opter pour le fameux adage : « Il faut bien que jeunesse se passe… » ? Isabelle Filliozat, psychothérapeute et auteure de nombreux ouvrages sur la question des relations parents/enfants (J’ai tout essayé, il continue !, ou encore Il n’y a pas de parents parfaits) nous livre ses conseils éclairés afin d’éviter les rapports de force familiaux.


« L’échelle du plus ou moins autoritaire ne débouche sur rien de constructif, c’est une échelle qui mesure le pouvoir, donc qui tue la relation. »

Vous êtes fille d’un psychologue et d’une psychanalyste. Les parents restent-ils pour l’enfant des « modèles » sur lesquels il se projette ?

Ce n’est pas que l’enfant se projette, ses parents apparaissent de facto comme des modèles. Les neurones miroirs du cerveau [les neurones miroirs désignent une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité lorsqu’un individu (humain ou animal) exécute une action et aussi lorsqu’il observe un autre individu (en particulier de son espèce) exécuter la même action, ou même lorsqu’il imagine une telle action, d’où le terme « miroir », ndlr] conduisent à imiter et à reproduire ce que l’enfant voit au sein de son environnement familial. C’est une projection psychologique. En ce qui concerne l’activité professionnelle proprement dite, il est plus facile pour un fils de vigneron de prendre la relève de son père au sein d’un univers qu’il connaît et maîtrise depuis son plus jeune âge… L’influence parentale est donc, dans ce domaine également, très marquée.

Le conflit est-il inhérent à toute relation parents/enfants ?

Au-delà des relations parents/enfants, le conflit est inhérent à toute relation, et il s’avère surtout nécessaire et fondamental. Du fait que la relation avec les parents est de très longue durée, elle est forcément source de conflits. Dès que l’enfant naît, il existe en tant que personne et va donc assez rapidement s’opposer à sa mère afin de s’affirmer. Au fil des années, l’enfant va devenir adolescent puis adulte, alors que ses parents, eux, passeront de l’âge adulte à celui de personnes âgées. Les rapports vont donc évoluer dans le temps, mais le conflit lui, même s’il se déplace (je ne veux pas boire mon biberon, je ne veux pas faire mes devoirs, je ne veux pas rester dormir à la maison, je ne veux pas que vous vous immisciez dans ma vie de famille…), reste présent tout au long de cette relation parents/enfants. Il faut comprendre qu’une relation où le conflit n’existe pas est une relation de soumission d’une personne par rapport à une autre. Le conflit fait vivre la relation où deux personnes en s’opposant cherchent à exister.

Ce rapport de force qui s’instaure au fil des années entre l’enfant et ses parents fait-il également partie de sa construction vers l’âge adulte, un besoin de s’affirmer ?

Les rapports de force sont l’échec du conflit, la non-résolution progressive de celui-ci. Le conflit est sain pour faire évoluer une relation. Il est l’inverse de la violence, alors que le rapport de force induit la supériorité d’un être par rapport à un autre. Ceci implique de la contrainte, donc de la violence. Il convient de faire un distinguo entre le conflit qui permet à l’enfant comme à l’adolescent d’exister en tant que personne par rapport au modèle parental, et ce rapport de force qui est une régression de la relation.

Entre laxisme et sévérité extrême, fessés et « il est interdit d’interdire », quel est le juste milieu dans la relation entretenue avec ses enfants ?

Il est à mon avis important d’aborder la relation en dehors de ce schéma. L’échelle du plus ou moins autoritaire ne débouche sur rien de constructif, c’est une échelle qui mesure le pouvoir, donc qui tue la relation. La famille doit être un lieu d’amour, de construction, de sécurité. Changer d’échelle, donc de paradigme, est essentiel. Mon échelle est un continuum entre les besoins de chacun qui sont alors entendus et respectés. L’attitude première est d’analyser ce qu’est le besoin ! Prenez l’exemple d’une plante : si celle-ci commence à ne pas aller bien, au lieu de la mettre sous l’escalier pour ne plus m’en occuper ou la laisser avoir la forme qu’elle veut, je vais me demander pourquoi les feuilles jaunissent (est- ce que la plante manque d’eau, de lumière, est-elle malade ?) Prenez maintenant cet exemple avec un enfant ! Alors que vous discutez tranquillement avec un ami, votre enfant vous coupe la parole en déclarant : « Papa, je veux rentrer ! » Si vous restez sur cette échelle du plus ou moins autoritaire, soit vous le disputez en lui disant que l’on n’interrompt pas ainsi une personne qui parle, soit vous optez pour le mode laxiste et alors vous rentrez effectivement à la maison. Ces deux décisions sont basées sur la même croyance, celle selon laquelle l’enfant à une demande à laquelle je réponds immédiatement sans me préoccuper sur ce que peuvent cacher de tels propos. Si l’on s’intéresse aux motivations qui ont amené l’enfant à vous interrompre ainsi, cela peut vouloir en réalité dire : « Papa, j’aimerais que tu t’occupes de moi – Papa, j’ai soif – ou bien encore, je me suis disputé avec Camille ! » Nous cherchons à répondre sans même chercher à connaître le besoin que cache en réalité cette question. Si l’on cherche le pourquoi, les termes même d’autorité et de laxisme n’ont alors plus de sens.

Le dialogue est-il la base de la construction de toute relation ?

Ce n’est pas la base, mais c’est effectivement un élément fondamental. La base, au sein de la famille, est l’amour et la sécurité intérieure. Aujourd’hui, trop de dialogue entraîne, pour l’enfant, un excès d’informations, et il est donc primordial d’écouter avant de vouloir parler. Si votre enfant rentre de l’école et qu’il jette violemment son cartable au milieu du salon, soit c’est un geste récurrent et je n’ai qu’à dire « cartable » pour qu’il aille le ranger de lui-même ou alors, c’est exceptionnel et cela peut signifier qu’il s’est disputé avec un camarade à l’école, qu’il a eu une mauvaise note… Il est donc primordial d’analyser le geste en vue d’y répondre au mieux !

On parle souvent des secrets de famille. Faut-il tout révéler à l’enfant et comment choisir le moment idéal ?

Les enfants en savent souvent beaucoup plus que nous ne l’imaginons. Ils écoutent, ils perçoivent, ils déduisent ! Un jour, une mère est venue me voir en consultation car son enfant, né d’un viol, avait de très gros problèmes dans le milieu scolaire. La maman ne savait que faire et avait peur de le mettre au courant de la vérité. Lorsque je me suis retrouvée seule avec l’enfant et que je l’ai questionné, je me suis rendu compte de la violence avec laquelle il évoquait sa naissance. J’étais époustouflée de ce qu’il savait ou de ce qu’il avait compris, alors que sa mère ne lui en avait jamais parlé. Le problème n’est pas de se demander quand dévoiler à l’enfant ce « secret de famille », mais d’arrêter d’imaginer qu’il n’est pas au courant. Ne jamais mentir à un enfant est une des clés de la relation !

Comment ne pas léguer nos blessures, nos traumatismes à nos enfants ?

En les guérissant ! C’est là le seul moyen d’éviter ce legs destructeur.

Le fossé entre parents et enfants est-il aujourd’hui plus important qu’il ne pouvait l’être, il y a quarante ou cinquante ans ?

Il est bien moindre ! Cinquante ans auparavant, les parents et leurs enfants ne communiquaient tout simplement pas. Un véritable interdit pesait vis-à-vis des émotions. On vouvoyait ses parents, on en avait peur, et peu de parents osaient dire « je t’aime » à leurs enfants. Aujourd’hui, on recherche enfin une relation étroite emplie de sentiments que l’on n’a pas honte de montrer et qui permettent à la relation d’évoluer.

Les problèmes rencontrés par les parents qui viennent vous consulter aujourd’hui ont-ils changé par rapport à ceux rencontrés par leurs propres parents ?

À chaque époque ses problèmes ! Aujourd’hui, le nombre élevé de séparations au sein des couples entraîne, chez les enfants, beaucoup de questions sur l’univers de la famille recomposée. Il y a également le problème du harcèlement dans le milieu scolaire, sur lequel les politiques viennent de se pencher en raison des insultes qui fleurissent actuellement entre élèves sur les réseaux sociaux. Il était grand temps que l’on s’y intéresse en profondeur.

Aujourd’hui, dans une famille, bien souvent, les deux parents travaillent. Cela a-t-il distendu un peu plus les relations parents/enfants ?

Non ! Auparavant, les parents n’étaient pas plus proches. La mère à la maison était méprisée et s’occupait à peine plus des enfants. En réalité, de manière générale, les enfants qui vivent au sein d’une famille dont la mère travaille réussissent mieux à l’école et sont moins sujets à la dépression. Hormis dans les foyers où la maman ou le papa ont décidé de ne pas travailler car ils s’occupent des enfants et ont, à l’extérieur, nombre d’activités dans lesquelles ils s’épanouissent, une mère qui vit bien son travail est bien plus proche de ses enfants qu’une mère dépressive qui reste contrainte et forcée à la maison.

Cette course contre le temps, inhérente au mode de fonctionnement de notre société, ainsi que la crise financière connue par de nombreux foyers laissent peu de place aux sorties, au jeu, à la transmission du savoir… Comment jongler au mieux entre obligations professionnelles, course contre la montre et relation avec ses enfants ?

C’est effectivement une problématique très complexe, et à laquelle nous devons réfléchir au moment de nous rendre dans les urnes ! Choisir entre ceux qui proposent du temps pour vivre et ceux qui nous font travailler plus pour gagner moins… Répondre à ce problème demande un engagement politique ET social. Il ne faut pas laisser la société aller dans le sens du profit à tout prix. Nous ne sommes pas des machines à produire pour que certains s’enrichissent. Je trouve inadmissible que des parents aujourd’hui se retrouvent avec trois heures de transport au quotidien. Il devrait être interdit de déposer son enfant à la crèche à 7 h 30 du matin pour aller le rechercher à 18 heures ! Pour ce qui est des problèmes financiers que connaissent actuellement de nombreux ménages, on peut facilement opter pour le jeu de société qui instaure le dialogue, la relation, plutôt que de choisir le cinéma ou encore le restaurant. Le drame, c’est que dans cette société qui est la nôtre, 50 % des gens allument la télé en rentrant chez eux. Comment partager, dialoguer, construire ensemble lorsque l’on met son cerveau en veille devant un écran ? La population se complaît à mon sens un peu trop facilement de son enfermement au cœur d’un système de fonctionnement dont il serait bon de sortir.

Violences, insultes, refus d’obéir… Certains parents semblent avoir abdiqué face à leurs enfants pour le moins difficiles. Que faire dans une telle situation ?

Si l’enfant refuse d’obéir, c’est que le parent a été violent le premier ! Il faut sortir de l’éducation violente et réfléchir à comment ne pas rendre son enfant agressif, ce qui sera beaucoup plus constructif.

Un enfant qui ne veut pas ranger sa chambre ou fait preuve de mauvaise volonté en toute occasion peut-il masquer un problème plus profond ?

Parfois oui, mais cela est souvent lié à un mauvais parentage. Les parents français crient, donnent des ordres et s’étonnent ensuite que les enfants ne suivent pas ces ordres. Une patiente me disait, il y a peu, que sa fille était impossible à vivre, qu’elle refusait l’autorité parentale. Mais il faut comprendre qu’à 14 ans, on a besoin d’être respecté. Le parent ne doit donc pas chercher à générer une position de rapport de force car, dans ce cas-là, l’enfant se positionnera forcément en opposition à son parent, sous peine de se nier lui-même et donc redevenir un petit bébé. C’est la même chose avec les enfants en bas âge. Si la mère dit : « Mets tes bottes », la petite de deux ans et demi répondra bien souvent : « Non ». Elle dit « non » car elle ne veut plus être le prolongement de sa mère, elle veut grandir et avoir sa propre identité. Si la mère demande de mettre ses bottes, elle ne peut simplement plus les mettre sous peine de se renier ! Il aurait suffi de dire : « Quel temps fait-il ? – Il pleut, maman – Alors que faut-il mettre comme chaussures ? » Et là, la petite fille aurait d’elle-même mis ses bottes. Les enfants adorent apporter eux-mêmes les bonnes réponses.

Quels peuvent être les signaux d’alarme qui nécessitent que l’enfant soit vu par un psy ?

Il est important de rencontrer des parents d’enfants du même âge que le sien pour comprendre si le comportement de son enfant est inhérent à son propre développement ou s’il est la conséquence d’un problème. Ensuite, si le comportement de l’enfant est perturbant et que les autres enfants du même âge ne font pas comme lui, il faut aller consulter !


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