Art

Öpse, graffeur du collectif Le Chat Noir

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De la Grèce antique aux murs de New York, Londres, Berlin ou Paris, le graff a imposé son style artistico-contestataire sur les façades des métros comme dans les galeries d’art. Ancrés et encrés au cœur de la cité, bras visuel armé du mouvement hip-hop, les graffeurs ont su, souvent dans l’illégalité, marquer de leur empreinte l’environnement urbain quotidien transformé en idéal terrain de jeu nocturne. Öpse, initiateur du collectif Le Chat Noir, nous ouvre les portes d’un art qui, aux yeux de certains, pâtit encore de son image de vandalisme primaire. Bienvenue à Paris sous les bombes…


« Utiliser le paysage urbain et y apporter sa touche de façon colorée ne peut qu’embellir ou égayer des barres de banlieues vieillissantes. »

« Certains étaient là pour exprimer un cri. D’autres comme moi, juste par appétit » Ces paroles extraites du morceau Paris Sous Les Bombes, de NTM collent-elles à ce qu’ont été vos débuts de graffeurs ?

Tout à fait… La plupart d’entre nous (les membres du LCN) ont commencé à s’intéresser au graffiti et à pratiquer très tôt. J’ai aujourd’hui 33 ans et j’ai grandi comme mes camarades en banlieue parisienne. J’ai donc rapidement baigné dans la culture hip-hop que je n’ai jamais quittée. Gamin déjà, je me souviens des murs de ma ville recouverts de tags ou de graffitis qui symbolisaient un besoin d’exister, d’être reconnu au sein d’une société qui avait tendance à nous oublier. Alors, forcément, le soir, après l’école, en gribouillant sur des bouts de feuille, j’ai commencé à imiter ce que je voyais fleurir un peu partout dans mon environnement quotidien. Ensuite, le marqueur dans la poche, je voulu laisser mon empreinte sur les murs. Étant jeunes, il faut dire que l’on fonctionnait davantage par coup de cœur que par réelle revendication. Quand bien même il s’agissait d’un cri, je doute que nous ayons pu en avoir réellement conscience, si ce n’est pour se venger du commerçant qui nous avait mal reçus (rires). Mais il est sûr, avec du recul, que nous avions un grand besoin de nous exprimer et une envie débordante de recouvrir des murs pour faire passer notre message.

Pour celles et ceux qui font trop souvent l’amalgame, peux-tu nous expliquer la différence qui existe entre le graff et le tag ?

Le tag se fait d’un trait, il fait office de signature. C’est aussi une façon d’exister et de se faire connaître dans la cité. Plus tu es vu, plus tu arrives à tagger dans des endroits improbables et dangereux, et plus tu es respecté dans le quartier. Même si ce n’est pas toujours jugé très esthétique, il faut y voir un mode d’expression, donc une forme d’art, certes subjective, mais symbole de notre génération et de la société dans laquelle nous vivons. Le graff, lui, implique au moins un remplissage et un contour, ce qui permet de travailler sur des formats bien plus grands, plus colorés et plus complexes. Tags et graffs sont pourtant intimement liés, et je connais personnellement peu de graffeurs qui n’ont pas fait leurs premières armes avec le tag. Après, le côté « vandale » entre en compte, mais là encore, c’est un vaste débat que de définir qui sont réellement les destructeurs du monde dans lequel nous vivons. Et je ne pense pas que, question destruction, les taggeurs soient les plus dangereux pour l’avenir de notre planète !

Comment votre collectif « Le Chat Noir » s’est-il constitué ?

C’était en 2003, à Nanterre, après quelques fresques murales communes, une bonne entente, la même passion créative et l’envie de développer nos styles, moi-même (Öpse) et Socrome avons décidé de fonder le collectif Le Chat Noir ; cet animal et son univers nous ont paru être assez représentatifs de l’identité que nous voulions… Peu de temps après, nous ont rejoint Keyone, Komo et Nas (un autre membre a également été des nôtres, mais il ne fait plus partie du collectif). Aujourd’hui, après toutes ces années, nous avons une bonne cohésion et sommes toujours aussi passionnés… Avec la même envie de réaliser des fresques et de développer des projets. Toutes ces années nous auront permis d’atteindre une belle unité dans notre travail et de marquer une certaine empreinte reconnaissable et reconnue sur la scène graffiti, ce qui fait plaisir, bien entendu.

Passer des murs du métro à un mouvement artistique plus reconnu avec son site Internet demande quel type de mutation ?

Ce qui nous a toujours poussés à agir d’une manière ou d’une autre, c’est la passion du graffiti, que ce soit par sa pratique ou sa diffusion. Nous en sommes venus à créer le site web www.lechatnoircrew.com pour nous présenter, partager nos réalisations et nos actualités… L’idée est sensiblement la même lorsque nous proposons des ateliers, participons à des festivals ou à d’autres événements. L’idée est de partager, rencontrer et exister en tant qu’artistes. Dans le graffiti, le fait de se montrer, voire de se démarquer par la quantité de pièces en pleine rue, sur les métros et ailleurs, ou encore par un style original, est inhérent à cette discipline. Par conséquent, je ne pense pas qu’il y ait eu de réelle mutation, si ce n’est cette ouverture d’esprit qui nous permet d’évoluer, de tester… de progresser. Éventuellement, ça demande davantage d’organisation au sein du crew Le Chat Noir, mais rien qui ne dénature notre identité ou nos personnalités. Je crois que si nous étions confrontés à des contraintes ne nous correspondant pas, on perdrait le plaisir et du coup, l’envie de pratiquer.

Si l’on retrouve déjà des graffs dans la Grèce antique, comment est véritablement né le graffiti tel qu’on le connaît aujourd’hui en France ?

De ce que j’en sais, c’est dans les années 1970, aux États-Unis, qu’est né le graffiti sous la forme la plus proche de ce que nous pouvons voir aujourd’hui dans le monde entier. Par contre, le comment du pourquoi réel des précurseurs de ce style d’expression, je n’en sais trop rien… Je trouve plutôt bien que cet art ait perduré et commence à être reconnu. Quelque part, je le vois comme une petite victoire et une prise en considération de ce que peuvent apporter les banlieues et les cultures urbaines, bien trop souvent montrées du doigt sous un angle négatif, alors qu’il y a aussi énormément d’aspects positifs, de créativité et de volonté.

Le graff est-il inéluctablement lié au mouvement hip-hop, à sa musique, à la danse ?

Je pense que, comme dans de nombreux domaines, les choses évoluent. D’origine, le graffiti est hip hop et en est même l’un des piliers. Mais comme le métissage, les échanges culturels et le temps ont fait que des personnes d’univers culturels différents pratiquent cette discipline, pour le LCN, elle reste donc toujours hip hop. Mais il est certain que des déviations qui n’ont rien à voir avec l’essence même de cet art voient le jour actuellement.

Partir graffer un mur dans l’illégalité est partie intégrante de la vie nocturne du graffeur. Comment prépare-t-on ce type de mission en amont ?

Tout dépend du lieu, de l’ampleur de la mission, du graffeur… Ça peut aussi bien être spontané que minutieusement préparé. Mais effectivement, lorsque l’on prépare une fresque, il y a un gros travail en amont afin de répartir la tâche, savoir qui fait quoi, quel thème va être abordé, quelles couleurs utiliser… Nous commençons par des esquisses que nous nous envoyons et que nous retravaillons jusqu’à la fresque finale. Ensuite, soit il s’agit d’une fresque « autorisée » et là, on prend le temps nécessaire. Ou alors, on part pour un graff « illégal ». Là, il faut un repérage minutieux des lieux, connaître les entrées et surtout les sorties possibles, les rondes faites sur le site… Dans ce cas précis, c’est une course contre la montre qui s’engage pour tenter d’éviter d’avoir affaire aux forces de l’ordre.

Quel est le matériel que vous utilisez lors de « missions » nocturnes ?

En fonction du support : marqueurs, bombes de peinture, tournevis, extincteurs (utilisés depuis peu pour tracer sur d’énormes surfaces en un temps record).

Est-ce en raison de l’illégalité du graff que vous avez tous choisi un pseudonyme qui est l’apanage de tout graffeur ?

C’est une des raisons. Et puis, il n’est pas forcément excitant selon moi de devoir travailler sur la base de son prénom, sans compter que vu le nombre de personnes qui portent le même prénom, ça deviendrait très vite difficile de se différencier.

Le graff, c’est aussi l’envie d’imposer son style, d’être reconnu. Est-ce le désir de laisser une trace sur les murs qui fait partie intégrante du quotidien ?

C’est le désir d’être le mieux placé pour être vu, le plaisir de travailler un style de lettre ou une composition, de manipuler la bombe. Au quotidien, même sans être devant un mur ou devant une feuille à travailler des sketches de lettrage, le fait de voir ce qui s’est fait par d’autres, ou plus simplement de s’inspirer de son environnement, fait partie du graffiti.

La case « garde à vue » fait-elle partie des mots clés des graffeurs ?

(rires) Pas de tous les graffeurs, mais de la majorité, je pense que oui. Certains favorisent les terrains autorisés, sans risque de course-poursuite ou de GAV, alors que d’autres se sentent exister en tant que graffeur uniquement par le “vandale” et l’adrénaline qu’apporte ce côté illégal. Eux sont effectivement plus exposés à visiter les locaux du commissariat. Personnellement, je n’ai connu qu’une seule garde à vue, peu représentative de ce que connaissent en général les graffeurs, puisque l’inspecteur n’avait visiblement pas trop envie de se lancer dans de la paperasse et m’a relâché assez rapidement. Après, j’ai connu d’innombrables courses-poursuites dans les couloirs du métro ou dans les rues de la capitale. Mais je dois courir très vite car je ne me suis jamais fait prendre !

Où se situe d’après vous la frontière entre dégradation de biens et graffitis ?

Pas évident de répondre… C’est très subjectif comme point de vue. En tant que graffeur, je trouve qu’utiliser le paysage urbain et y apporter sa touche de façon colorée ne peut qu’embellir ou égayer des barres de banlieues vieillissantes, et donner du caractère à un quartier. En même temps, je comprends que placer son tag sur la devanture d’une maison ou d’un bien appartenant à un particulier, ça peut être une dégradation nuisible (bien qu’un tag bien placé, ça fait toujours son petit effet !). Difficile de trouver un compromis entre l’expression du graffiti dans son essence la plus basique (dans la rue, sous sa version vandale pour l’adrénaline qu’elle apporte et autres satisfactions) et aborder le sujet de la dégradation, des libertés, qui implique de ne peindre que sur des espaces autorisés (où c’est une autre forme de plaisir… D’ailleurs, ces lieux deviennent rares). Je serais tenté de dire que, quand on voit comment tourne la société, il y a bien plus vicieux et plus grave vis-à-vis du citoyen que des graffitis (sans pour autant occulter l’ensemble des points qu’implique un tel débat).

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Elles sont très variées. Je serais tenté de dire un peu tout… Les couleurs qui nous entourent, une texture, une affiche, une BD, nos origines, des voyages, le graffiti à l’échelle internationale…

Des artistes célèbres tels que Jean-Michel Basquiat se sont inspiré des graffitis, alors que des graffeurs de légende comme Seen ou Fab Five Freddy ont été exposés dans des galeries d’art. Quelle est selon vous l’influence du graff sur l’art contemporain ?

Et bien, tout d’abord, un des points non négligeables à mes yeux, c’est le fait que le graffiti est aujourd’hui partie intégrante de l’art contemporain. C’est assez récent, malgré tout. Je parle là de vrais lettrages graffiti qui ont longtemps été exclus et sous-estimés. Ensuite, je dois avouer que je ne suis pas assez ce qui se passe sur la scène contemporaine pour avoir un avis très objectif. Mais je crois que cela apporte une réelle fraîcheur et une vision moins académique de l’art contemporain.

Le graff, c’est aussi un message qui peut être politique comme celui de l’artiste britannique Bansky par exemple. Comme le disait Grandmaster Flash, « The Message » est-il aussi important que l’art visuel proprement dit dans le graffiti ?

Le graffiti ne comporte pas toujours un message concret, il apporte avant tout des émotions. Mais il paraît évident que c’est un moyen idéal pour transmettre un message. En fonction de son emplacement, il peut être vu par énormément de monde et attirer l’attention sur un thème précis, qu’il soit social, politique… Et rien que pour cela, il est un merveilleux diffuseur d’idées.


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