Entretiens Gastronomie

Anthony Denon, Serment chef !

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À peine nommé chef à la table du Connétable, dans cet écrin de verdure au milieu du sublime domaine de Chantilly qu’est l’auberge du Jeu de Paume, qu’Anthony Denon a dû fermer ses portes pour cause de crise de la Covid. Cette période a été pour lui l’occasion de prendre du recul sur sa cuisine et revenir, à l’heure de la réouverture, empli de beaux projets qui mettent en valeur le terroir, le végétal et les producteurs locaux auxquels ce futur très grand passé par les fourneaux prestigieux d’Alain Ducasse ou Jean-François Piège est viscéralement attaché.

« Notre planète étouffe, de nouvelles maladies apparaissent alors le « bien manger » en respectant notre environnement devrait être au centre des débats. »

La cuisine, vous êtes tombé dedans dès l’enfance ?

Mon père est chef de cuisine au Bouillon Chartier à Paris et ma mère est également dans la restauration donc effectivement, depuis tout petit, j’ai grandi dans ce monde culinaire qui me prédestinait à choisir moi aussi cette voie.

Et quelles sont justement vos premières émotions culinaires ?

C’est vraiment la cuisine aux côtés de ma grand-mère, les odeurs qui flottaient dans la pièce, les bons produits travaillés simplement. Ces préparations de plats qui permettent le week-end de réunir toute la famille autour d’une table.

Y a-t-il un plat qui résonne en vous comme une madeleine de Proust ?

Une Daurade marinée avec du citron, des tomates, de l’huile d’olives, cuite au four. La cuisson permet d’obtenir une sauce qui met en relief tous les arômes du plat.

Vous remplacez Julien Lucas à l’Auberge du Jeu de Paume à Chantilly début 2020 et, quelques mois plus tard, le gouvernement décrète la fermeture de tous les restaurants pendant près de quatre mois. Comment avez-vous vécu cette situation particulière et forcément frustrante ?

En toute honnêteté, je l’ai au départ mal vécue car je venais d’arriver à l’Auberge du Jeu de Paume avec une nouvelle carte, une nouvelle équipe, de nouveaux produits. Avec le temps, j’ai compris que cette période m’avait néanmoins permis de prendre du recul sur moi-même, d’améliorer certaines choses et de revoir ma composition culinaire. Je me suis revu dans mon organisation, dans ma façon de cuisiner. Ensuite, cela a également été l’occasion de me rapprocher de petits producteurs, d’être au plus près du terroir. Tout cela m’a donné l’envie de proposer aujourd’hui une cuisine qui soit encore plus en phase avec moi-même.

La relation entre le chef et le producteur est quelque chose d’essentiel pour vous ?

Je fais ce métier car j’adore la relation humaine. Tous ces petits producteurs que l’on ne connaît pas forcément proposent des choses fabuleuses que l’on se doit de mettre en lumière. C’est notre rôle, à nous chefs, de nous y employer. J’ai envie de montrer à celles et ceux qui viennent nous rendre visite à l’Auberge toute la richesse de ce merveilleux terroir qui nous entoure.

Vous travaillez surtout avec des producteurs des environs afin de favoriser le circuit court ?!

Pour 60%, ce sont des producteurs autour de Chantilly. Après, comme tous les produits ne sont pas disponibles autour de l’Auberge, je fais également appel à des fournisseurs de Méditerranée ou de Bretagne par exemple. Tout au long de ma jeune carrière, j’ai établi des liens avec des producteurs envers lesquels je suis resté très fidèle.

Crillon, Meurice, Louis XV à Monaco ou Plaza Athénée aux côtés d’Alain Ducasse, que gardez-vous de cet apprentissage dans ces lieux prestigieux auprès des plus grands chefs français ?

Avec un peu de recul, cela a été des années extraordinaires dans un monde de la précision, de la haute-couture culinaire. Cela m’a permis d’acquérir une grande rigueur dans mon travail. Tous ces moments passés dans ces endroits de prestige auprès de chefs si merveilleux ont été pour moi une merveilleuse rampe de lancement.

Et ce choix de l’Auberge du Jeu de Paume, c’était une envie de prendre votre envol en tant que chef ?

Je pense être arrivé à maturité. J’avais le besoin de m’émanciper, de m’exprimer et montrer aux gens qui je suis. Après, je ne pouvais pas refuser une telle offre, celle d’être chef d’un si beau lieu au cœur du domaine de Chantilly. Pour moi, l’Auberge du Jeu de Paume est l’équivalent de tous ces grands palaces parisiens, mais à la campagne. Cela me correspond parfaitement, le côté végétal étant en parfaite adéquation avec ma cuisine.

On a encore l’image des grands chefs qui gèrent leurs équipes façon « commandos » militaires avec une certaine dureté. Cette image d’Epinal est-elle toujours d’actualité ?

Les jeunes cuisiniers qui nous rejoignent n’attendent pas la même chose qu’il y a vingt ans. Il y a, dans les cuisines, un côté beaucoup plus humain qu’auparavant je pense et l’on se doit, en tant que chef, de faire preuve de beaucoup de pédagogie à l’égard de l’équipe qui nous entoure. On ne peut tout simplement plus se permettre d’être dur, voire méchant comme cela pouvait être le cas il y a plusieurs décennies. La gastronomie a changé, les chefs ont changé avec aujourd’hui de jeunes « prodiges » âgés d’à peine plus de vingt ans. Je passe 80% de mon temps dans la transmission, à expliquer mes recettes, à écouter, à partager.

Comment définiriez-vous votre style culinaire ?

Je pense proposer une cuisine rafraîchissante, contemporaine, basée sur des recettes un peu à l’ancienne dans la tradition de la grande gastronomie française. J’y ajoute ma touche personnelle en utilisant de nouvelles manières de cuire les produits, d’utiliser les condiments, de dresser les assiettes.

Le dressage dont vous parlez, vous y pensez lorsque naît l’idée d’une nouvelle recette ?

Au départ, je focalise mon idée sur le goût principalement. Bien sûr, pour le client, la première image du plat sera son visuel et il mangera tout d’abord avec les yeux. Il est donc important, lorsque la recette est aboutie, maîtrisée de penser au dressage pour marier le bon au beau.

Votre cuisine est axée sur le végétal. Respecter l’environnement jusque dans l’élaboration d’une nouvelle recette, ça devrait être la « norme » aujourd’hui en haute gastronomie comme ailleurs ?

Ce n’est pas à moi de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire, mais il est important de prendre en considération les problèmes majeurs de notre société. Notre planète est étouffée, de nouvelles maladies apparaissent alors le « bien manger » en respectant notre environnement devrait être au centre des débats. Je privilégie donc le végétal. C’est une démarche qui souhaite prouver aux clients que l’on peut justement se régaler avec un légume tout autant si ce n’est plus qu’avec une viande.

Pensez-vous que l’on puisse changer les habitudes des consommateurs, les inciter à se tourner vers les circuits courts plus que vers la grande distribution ?

Il faut s’y employer, même si cette prise de conscience prendra du temps. C’est à nous, chefs, d’amorcer ça. Il est peut-être temps de changer nos menus, de mettre l’environnement au cœur de l’assiette. Alain Passard a pris la décision, il y a longtemps maintenant, de ne cuisiner que des légumes et, aujourd’hui, sa démarche fait de plus en plus d’émules. Il a prouvé que l’on pouvait être inventif, respectueux de l’environnement tout en se régalant avec des légumes.

Dans ce végétal, y a-t-il justement un légume que vous prenez plaisir à mettre au centre de vos assiettes et à faire découvrir à vos hôtes ?

Actuellement, je suis très axé sur l’artichaut que j’ai redécouvert et que je travaille de plusieurs façons différentes, en plusieurs cuissons. C’est un légume qui accepte de nombreuses associations et me permet d’être très créatif. Avant cela, il y avait eu l’endive et le champignon.

Justement, vos recettes murissent-t-elles longtemps entre l’idée de départ et le fait de pouvoir les déguster dans votre restaurant ?

Je suis, comme beaucoup de chefs un éternel insatisfait. Je suis donc toujours en train de penser la recette, de continuer à vouloir l’améliorer ou alors, tout à coup, à l’arrêter car elle ne me plait plus. Je me lasse très rapidement des plats. J’ai donc besoin de me renouveler en permanence et de garder toujours cet élan créatif qui me permet d’avancer.

À l’Auberge du Jeu de Paume, vous bénéficiez d’un cadre idyllique au cœur du Domaine de Chantilly. Y possédez-vous votre propre potager à l’image de plus en plus de grands chefs qui cultivent leurs propres légumes ?

J’aimerais avoir la chance de faire pousser des légumes dans le parc du château mais ce n’est pas le cas. Dans mon approche culinaire ça serait quelque chose de magnifique, mais je garde cette envie de mettre tous les producteurs avec qui je travaille sous les feux des projecteurs.

Depuis Paul Bocuse, le chef est sorti de sa cuisine pour peu à peu être ultra médiatisé. Ces chefs « stars » sous les feux des projecteurs du petit écran, cela vous inspire quoi ?

Je trouve que ces grands chefs ont beaucoup de courage de se mettre en avant car, être ainsi sur le petit écran et ultra médiatisé, c’est forcément s’attirer des gens qui vous aiment et d’autres qui vous détestent. Ce n’est pas forcément évident à assumer.

Quand, comme vous, on a eu la chance de travailler comme adjoint d’un trois étoiles au Meurice, ce Graal reste l’objectif vers lequel on tend inexorablement ?!

C’est forcément un aboutissement pour soi comme pour l’équipe avec qui l’on travaille. Tout chef rêve un jour d’obtenir cette troisième étoile, mais il ne faut pas oublier que l’on fait d’abord la cuisine pour nos clients avant de la faire pour un guide.

Si je vous invite à dîner, je vous prépare quoi pour vous faire plaisir ?

Des lasagnes de légumes d’été accompagnées d’un vin tonique.

Desmond Myers, le feu sacré
Sophie Alour, au gré du vent

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