Société

Typhaine de Penfentenyo, entraide générationnelle

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EntretienPour quelles raisons notre société a-t-elle perdu ce nécessaire liant intergénérationnel si riche en savoir et en émotion ? L’hyper individualisme du monde occidental nous a-t-il conduit à la cécité vis-à-vis de nos aïeux ? La solitude des personnes âgées est-elle une fatalité, à l’heure où l’ultra consommation prévaut sur les liens sociaux ? Si le fatalisme et le mode de fonctionnement de notre société chaotique nous poussent hélas à répondre par l’affirmative, c’était sans compter sur la pugnacité de Typhaine de Penfentenyo, fondatrice de l’association Ensemble2Générations. En proposant à l’étudiant(e) de vivre chez une personne âgée, moyennant une présence et quelques petits services, la dame au grand cœur permet de lutter non seulement contre l’isolement des seniors, mais également contre les problèmes de logement rencontrés par les jeunes générations. Une merveilleuse idée sur laquelle devrait sans nul doute se pencher le gouvernement. À bon entendeur…


« On perd un temps fou à courir après le dernier gadget technologique à la mode alors que l’on ne connaît même pas son voisin ! »

Comment est née l’idée d’Ensemble2Générations ?

Je connaissais bien l’abbé Pierre et j’étais très sensible aux cris d’alarme qu’il lançait concernant la précarité des jeunes et l’isolement des personnes âgées, dont on a vu les dramatiques conséquences lors de la canicule de 2003. J’ai donc souhaité allier les deux en créant, en 2006, cette association qui se veut un échange solidaire, un lien entre deux générations qui ont oublié de s’apporter l’une l’autre depuis de trop nombreuses années. L’idée était de développer un système de logement gratuit pour les jeunes étudiants, en échange de présence et de quelques services. En créant cette association, je me suis hélas rendu compte qu’après vingt années d’individualisme, il fallait un profond changement des mentalités afin de revenir à une forme d’entraide mutuelle. Nous avons aujourd’hui cinq ans d’expérience, et je pense que nous avons franchi un grand pas en avant. On s’aperçoit que les personnes âgées ont identifié un besoin qu’elles ne savaient pas résoudre. Selon une étude, dans quelques années, la « dépendance » ne concernera que 20 % des personnes âgées, ce qui signifie que 80 % d’entre elles vont vouloir rester chez elles. Même si ces dernières ont conservé toutes leurs facultés mentales, certaines tâches quotidiennes vont néanmoins, avec le temps, leur être de plus en plus compliquées. Alors, si des jeunes peuvent leur offrir un peu d’aide tout en instaurant une vraie relation d’échange intergénérationnel, pourquoi s’en priver ? « La vie est une chance qu’il faut saisir », disait Mère Térésa et, à mon sens, la vieillesse que tant de personnes redoutent confère aux gens une grâce particulière. La personne âgée n’est en effet plus dans le faire, elle est dans l’être et apporte donc à autrui de l’écoute, de la disponibilité, de l’accueil, du savoir… Depuis le départ de l’aventure, nous avons mis en place 600 binômes, 600 histoires particulières de lien entre deux personnes que rien ne prédisposait à se rencontrer, et c’est une merveilleuse réussite.

Comment un jeune intéressé doit-il procéder afin d’intégrer votre association ?

Il suffit de se rendre dans un premier temps sur le site Internet de l’association et de remplir en ligne un dossier de candidature. Ensuite, en fonction des critères, la personne sera reçue pour un entretien afin de bien définir ses motivations, ses centres d’intérêt pour trouver des points communs essentiels à la bonne entente du binôme. Étonnamment, il faut savoir que si l’on parle de solitude chez les personnes âgées, ce poids est également vrai chez les jeunes. La première demande n’est en effet pas d’ordre économique, mais une volonté d’échange chez les étudiants qui nous démarchent. La solitude subie par certains jeunes est bien évidemment également liée à un facteur financier. Pas facile de sortir au restaurant, d’accompagner des amis dans un bar ou encore de recevoir des gens à dîner lorsque le porte-monnaie est vide ! Il est temps, je pense, avec cette crise économique et financière qui nous frappe de plein fouet de réapprendre à partager. J’espère une prise de conscience de la population et un changement des mentalités, car il est indispensable de trouver de nouvelles formes de services de proximité intergénérationnels. Aujourd’hui, tous nos binômes ont un lien qui perdure des années car l’échange ne se limite pas au partage d’un même logis. Il se crée une affection qui demeure intacte, même lorsque le jeune part voler de ses propres ailes. En nouant ces liens, on est dans le vrai, dans le dialogue, dans le sentiment, loin du paradigme de notre société qui est aujourd’hui dans le : « Pour être heureux, consommez ! »

Quels « critères » faut-il remplir afin d’être susceptible de faire partie de votre association ?

Mettre un binôme en place est une alchimie assez complexe. Lorsqu’une personne âgée nous appelle, nous nous rendons à son domicile, nous parlons avec elle afin de connaître ses besoins, ses goûts, ses attentes… Tout cela est important afin de créer un binôme qui fonctionne. Pour l’une de mes premières visites, je me souviens m’être rendue dans un luxueux appartement de Boulogne qui était empli d’objets dédiés au monde du rugby. En parlant avec ce Monsieur, il m’a confié être le père de Max Guazzini, l’ancien président du Stade Français. Le lendemain, une jeune Marocaine m’a appelé et sa passion était… le rugby ! Ils ont vécu deux années ensemble, et c’était un conte de fée. Le cœur de ce métier est de trouver l’étudiant le plus à même de s’adapter à la personnalité de la personne âgée. Nous prenons donc du temps pour constituer un binôme.

À quoi doit s’engager celui ou celle qui va vivre chez une personne âgée de votre association ?

Nous proposons trois modes de fonctionnement. Soit le jeune opte pour un logement gratuit et, dans ce cas, il s’engage à être là le soir à l’heure du dîner. Il a « droit » à deux week-ends par mois, trois semaines de vacances et une soirée « libre » par semaine. Il faut savoir que la moyenne d’âge des personnes âgées qui nous contactent est de 80 ans. Elles se sentent rassurées de passer par l’association car là, il y a une tierce personne qui fait le liant. Malgré leur solitude, ces personnes ne feraient jamais d’elles-mêmes la démarche en passant une annonce, car l’insécurité qu’on leur montre à la télévision les effraie. La deuxième formule concerne les personnes âgées qui ont du mal à accepter le fait qu’elles ont besoin de quelqu’un pour les aider un peu au quotidien. Là, l’étudiant va payer une somme de 100 euros par mois et sera là pour quelques services, comme aller faire les courses et chercher les médicaments si la personne âgée est souffrante, promener le chien… Tout cela est réalisé dans un esprit de cohabitation et de convivialité. La troisième formule est un loyer classique, mais 20 % en dessous des prix du marché. Là, il n’y a pas de réel engagement de la part de l’étudiant même si, inévitablement, une relation de cœur et de dialogue s’instaure entre les deux personnes ! Les entretiens préalables sont donc cruciaux afin de mettre en place le bon binôme, celui qui sera complémentaire.

Les deux personnes qui vont habiter ensemble se rencontrent-elles avant l’emménagement ?

Oui et elles signent ensemble une convention d’hébergement. Nous procédons également à un suivi toute au long de l’année. Nous organisons une fois par an une fête entre tous les étudiants au mois de novembre et un goûter entre tous les seniors, afin que tous puissent partager leur vécu. Mon souhait est de créer à terme un véritable réseau. Le processus est déjà en marche puisque nous avons 12 agences actuellement J’espère avoir allumé un feu qui ne demande qu’à s’étendre et que je me dois d’entretenir !

Y a-t-il un « profil » de personnes âgées qui vous contactent ?

La base, c’est le cœur, l’envie de partager, de briser cette solitude qui s’est peu à peu installée. Tous les milieux sociaux, toutes les cultures, toutes les professions sont représentés dans nos binômes, le but étant que les personnes s’enrichissent l’une l’autre de leur savoir mutuel, de leurs passions, de leur envie de donner…

Pensez-vous que notre société, trop individualiste et repliée sur elle-même, perd cet échange intergénérationnel essentiel ?

C’est à mon avis l’un des gros problèmes de notre société actuelle : perdre peu à peu cet échange essentiel entre les générations qui ne savent plus communiquer et s’ignorent l’une l’autre. Je visite pas mal de pays d’Europe de l’Est où cet échange générationnel se poursuit. Cela donne à mon sens une grande richesse de cœur. L’individualisme poussé à l’extrême comme aujourd’hui n’est qu’un habile moyen de manipuler les masses. On nous mène en bateau idéologiquement par le biais d’une société de consommation qui a plombé les liens entre les gens. Nous ne sommes plus dans l’essentiel, mais dans le superficiel ! On perd un temps fou à courir après le dernier gadget technologique à la mode alors que l’on ne connaît même pas son voisin ! Autrefois, on vivait ensemble car les logements le permettaient, on allait au restaurant en famille… J’espère que les relations entre les gens vont changer pour revenir à l’essentiel et, en ce sens, peut-être que la crise va y aider. D’années en années, on a de plus en plus de personnes âgées qui nous contactent. Il faut également montrer l’exemple, et c’est la raison pour laquelle, j’ai accueilli chez moi, lors du départ de ma fille pour des études à l’étranger, un jeune étudiant qui passait son bac avant de faire son séminaire. Il est nécessaire de savoir se remettre en question et donner un peu plus de soi.

Lorsque le jeune quitte le domicile de la personne âgée parce que sa vie prend un autre chemin, la séparation n’est-elle pas délicate à gérer ?

Certains restent ensemble un an, d’autres trois, donc il se crée forcément des liens forts qui vont se poursuivre même après la « séparation ». Selon une étude réalisée par un cabinet en politique sociale, le taux de satisfaction des personnes constituant un binôme est aujourd’hui de 95 %, ce qui prouve que l’initiative répond à un réel besoin. Regardez actuellement dans les HLM où vivent des personnes âgées seules, les gardiennes d’immeuble deviennent rapidement des aides à domicile pour pallier cette solitude et les difficultés rencontrées par les seniors. Il y a donc, dans toutes les classes sociales, un potentiel énorme de logements intergénérationnels, mais il faudrait que l’État aide un peu plus les associations comme la mienne. L’étudiant qui va vivre gratuitement ou presque chez une personne âgée ne va pas demander d’allocations logement. Malgré cela, le gouvernement vient de supprimer, il y a trois mois, les emplois aidés. Résultat : comment vais-je pouvoir payer les trois personnes qui m’aident sur ce projet ? Dois-je les licencier et abandonner ? Je veux bien me battre et tenter au mieux de venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin, mais il faudrait que l’État offre les moyens de se développer lorsque l’on rend service à la société. Un SMIC coûte 20 000 euros à une association, comment voulez-vous que je les trouve ?

Vous proposez également aux personnes âgées de se former aux rudiments de l’informatique. Vous pouvez nous en parler ?

Aujourd’hui, la personne âgée est doublement isolée. Elle l’est par son grand âge, mais également par la fracture numérique qui, par méconnaissance, l’empêche de s’ouvrir au monde depuis chez elle. Textos, mails… Le lien avec la famille et les enfants passe forcément par cela désormais ! Grâce à un partenariat que nous avons mis en place et qui nous permet d’obtenir des ordinateurs clés en main à 95 euros, l’étudiant forme donc la personne âgée à Internet un peu tous les jours. Visiter le Louvre ou la Chapelle Sixtine lorsque vous avez du mal à vous déplacer et à sortir de chez vous est un luxe auquel les personnes âgées sont très sensibles. Il est donc important de les former aux joies du Net et cela, quel que soit leur âge !


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