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Michel Polacco, écrivain et aviateur

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EntretienJournaliste, chroniqueur, ancien directeur de France Info (de 2002 à 2007), Michel Polacco est avant tout un passionné d’aéronautique, ce qui l’a d’ailleurs poussé à passer ses brevets de pilote d’avion et d’hélicoptère. Auteur de nombreux ouvrages sur l’aviation, l’espace et les nouvelles technologies, Michel Polacco a, entre autres, rédigé La conquête spatiale pour les nuls (éd. First). De Youri Gagarine à la mission Apollo 13, de Neil Armstrong à la navette américaine Challenger, l’auteur revient sur plus de cinquante ans de vols spatiaux. Attachez vos ceintures !


« Nous sommes arrivés au bout de la découverte de l’espace avec les technologies qui sont les nôtres aujourd’hui »

Avant même la possibilité des vols spatiaux, les romanciers (Jules Verne, H.G. Wells…) ont souvent évoqué la conquête de l’espace. Comment expliquer cette fascination ?

En parlant de cela avec l’anthropologue Yves Coppens, nous nous sommes dit que les premiers hommes qui se sont mis debout et ont donc pu avoir une vision du ciel permanente étaient, en définitive, les premiers à s’être intéressés au ciel. L’homo erectus (premiers hommes en position debout) vouait au ciel une véritable fascination. Ils y ont d’ailleurs placé leurs dieux. Pour eux, le ciel était tantôt favorable (soleil pour faire pousser les fruits et légumes, pluie pour irriguer les champs…), tantôt défavorable, porteur d’inquiétude (orage, tempête, foudre…). Les hommes ont donc très tôt essayé de trouver une relation entre la nature, leur existence, une relation de cause à effet entre le ciel et la terre. En ce qui concerne la littérature, dès Babylone, certains écrivains évoquaient des habitants aux confins de la terre qui, d’un seul pas, pouvaient aller sur la lune. L’un des premiers à s’intéresser à l’espace a été Cyrano de Bergerac, pas le personnage d’Edmond Rostand, mais l’original ! Il fait dire à l’un de ses personnages qu’il est allé sur la Lune et que celle-ci ressemble en tout point à la vie sur notre planète. Si Jules Verne et Wells que vous citiez sont plus contemporains, leurs descriptions restent néanmoins des allégories. Là ou Jules Verne imaginait envoyer un homme sur la Lune par le biais d’un canon, Wells, lui, pense que des êtres pouvant nous vouloir du mal existent sur d’autres planètes. Cette pensée va d’ailleurs longtemps perdurer, jusqu’à ce que la conquête spatiale nous prouve le contraire, concernant l’espace que nous sommes aujourd’hui capables de visiter par divers moyens. On est, par contre, très proche de la réalité avec Hergé et Tintin. Dans Objectif Lune et On a marché sur la Lune, publiés au milieu des années 1950, on remarque que la fusée proposée par Hergé n’est en définitive qu’une réplique du V2 allemand qui a vu le jour à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est avec cet engin que la course à l’espace va véritablement débuter !

En quoi la Guerre Froide entre les États-Unis et l’ex-URSS a-t-elle permis un essor sans précédent du vol spatial ?

Au départ, entre ces deux superpuissances, nous n’étions pas dans une logique de découverte de l’espace, mais dans un concept de guerre. Le V2, créé par les Allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est une vraie révolution qui pose les bases de tout ce que va être la conquête spatiale (la technologie des V2 fut exploitée par les Alliés après la fin du conflit mondial. Aux États-Unis, des tirs d’essai de V2 furent réalisés depuis la base de lancement de White Sands au Nouveau-Mexique. Par ailleurs, les deux premiers lancements depuis Cap Canaveral en juillet 1950, furent faits avec des « Bumpers », composés d’un V2 modifié surmonté d’une fusée WAC Corporal. Les fusées Bumper servaient pour des tests technologiques et pour l’étude de la haute atmosphère). En effet, dès la fin du conflit mondial, les Alliés se sont jetés sur les savants allemands afin de récupérer leur savoir. L’objectif était de construire des missiles de très longue portée donc des armes exo-atmosphériques. Le V2 a été le premier objet de facture humaine à dépasser la vitesse du son. Il faut comprendre que derrière la réussite de l’envoi de Youri Gagarine (premier homme à avoir effectué un vol dans l’espace au cours de la mission Vostok 1 le 12 avril 1961, dans le cadre du programme spatial soviétique) dans l’espace, c’est la course à l’armement qu’il faut y voir. Lancer un satellite signifie être capable de lancer à un missile à plus de 10 000 km ! Les États- Unis comme l’URSS se sont donc camouflés derrière la conquête spatiale pour se livrer une course à un armement de plus en plus perfectionné. Jusque dans les années 1970, tout ce qui est conquête spatiale est symbole de force, de puissance militaire.

Au-delà de la performance technologique, qu’ont représenté les premiers pas de l’homme sur la Lune dans cette bataille de l’espace ?

Au fur et à mesure de l’évolution de l’espèce humaine, les êtres humains ont découvert la relation étroite qui existait entre les astres et leurs vies. Ils ont compris qu’ils étaient en rapport avec ce qui se trouvait dans le ciel. Aller se promener sur la Lune était tout simplement du domaine de l’impossible pendant des milliers d’années, un fantasme pour des hommes qui, il n’y a pas encore si longtemps, se déplaçaient en charrettes tirées par des bœufs. Alors, il faut comprendre qu’en 1969, lorsque Neil Armstrong a posé le pied sur le sol lunaire, cet événement a tenu toute l’espèce humaine en haleine. Nous assistions à un fabuleux tour de magie, presque une magie noire qui devenait réalité. Il faut se souvenir que les croyances et religions étaient sévères avec tous ceux qui pensaient que l’on pouvait violer la virginité de l’univers, que seul Dieu pouvait connaître. Galilée n’a-t-il pas lui-même subi les foudres de l’Église ! Le 21 juillet 1969, l’homme a réalisé que l’on pouvait aller dans l’espace, puis mettre fin à tous les fantasmes d’une autre civilisation ailleurs que sur la Terre.

Comment expliquer que les grandes nations des vols spatiaux aient peu à peu abandonné l’idée de l’envoi d’hommes sur la Lune ou encore sur Mars ?

On sait grâce aux hommes et aux robots envoyés dans l’espace que, dans le système solaire, il n’y a pas d’humains qui vivent ou de forme de vie humaine. Le mystère est retombé ! Maintenant, ce qui nous ferait rêver serait de sortir du système solaire pour voir si notre galaxie ou, hors de notre galaxie, une planète est susceptible d’accueillir de la vie. Mais cela demanderait entre 40 et 80 ans de voyage aller-retour pour la planète la plus proche. Nous sommes donc devant une impasse. À l’échelle d’une vie humaine, envoyer une sonde pour imaginer un hypothétique retour, alors que celui qui l’aura lancée sera mort, est somme toute d’un intérêt limité. Il faut prendre conscience que nous sommes arrivés au bout de la découverte de l’espace avec les technologies qui sont les nôtres aujourd’hui. La magie de la conquête spatiale est derrière nous, et il faudra un certain temps et de nouvelles découvertes technologiques pour remettre en marche un véritable programme d’avenir.

« Un petit pas pour l’homme, mais un bon de géant pour l’humanité. » Neil Armstrong avait donc vu juste en posant les pieds sur le sol lunaire !

C’est vrai ! Ce petit pas, comme l’invention de la roue en son temps, a été un grand pas pour l’humanité. Si je vous parle aujourd’hui via un réseau téléphonique relayé par satellite, c’est parce que l’on a développé des moyens de communication pour parler dans l’univers. Le bond a été réalisé grâce à la mission Apollo, et il faut maintenant attendre le prochain !

Que pensez-vous du programme de Richard Branson, via sa société Virgin Galactic, qui souhaite proposer dès 2015 un voyage en orbite lunaire dans une capsule biplace pour 150 millions de dollars ?

Je ne crois pas beaucoup à ce genre de programme qui, au final, ne sera destiné qu’à quelques milliardaires en manque de sensations. Le tourisme spatial est très limité car il n’y a rien à regarder. La première étape de ce programme est de faire ni plus ni moins qu’un vol suborbital presque balistique, comme l’avait fait Alan B. Shepard en 1961 pour le premier vol spatial habité américain. La notion d’espace intervient à 110 km de la Terre, où il n’y a plus d’atmosphère ou d’air porteur. C’est bien de savoir le faire et le montrer mais, scientifiquement, cela n’est pas d’un intérêt considérable. Branson souhaite donc proposer une industrialisation de techniques maîtrisées, ni plus ni moins. Cela ne servira en rien de base à la prochaine aventure spatiale. C’est du business pur et dur, et je ne suis pas persuadé que l’investissement de Richard Branson sera un jour remboursé.

Peut-on imaginer dans un avenir à moyen terme une station spatiale en forme de camp de vacances de luxe ?

Peut-être, s’il y a quelqu’un pour le faire et le payer ! Comme un hôtel de glace ou encore un hôtel sous- marin, un camp de vacances dans l’espace ne serait que le produit de techniques que l’on connaît et que l’on maîtrise. Après, tout est une question de prix ! 50 millions pour aller sur la station spatiale internationale, cela fait un peu cher quand même ! Il faut comprendre que la conquête spatiale n’a jamais été rentabilisée et qu’elle a coûté extrêmement cher. Le programme lunaire lui non plus n’a jamais été rentable. Aujourd’hui, seul l’envoi de satellites dans l’espace est une activité qui génère du profit. Ce qui est scientifique ou du registre de la découverte de notre environnement ne l’est pas.

On a assisté, il y a peu, au dernier vol de la navette spatiale américaine. Cela signifie-t-il la fin d’une ère concernant les vols habités ?

Cela marque la fin du grand rêve, du concept : « Je vais dans l’espace et je reviens comme en avion. » La navette américaine est un engin magnifique et très sophistiqué qui a permis, par exemple, d’aller réparer des satellites, de monter des masses pour assembler la station orbitale, d’offrir à l’homme la possibilité de travailler dans l’espace en totale liberté… Cela n’a hélas pas engendré l’avion spatial qui aurait permis d’aller 10 fois par mois dans l’espace, comme on aurait pu le croire lorsque l’idée de navette a germé outre-Atlantique. Les Américains ont exploité ce concept pendant 30 ans avec deux accidents et, aujourd’hui, on doit accepter le fait que le vol habité soit arrivé à ses limites. Nous n’avons pas les moyens technologiques et financiers pour nous éloigner plus loin et surtout plus rapidement de notre système solaire. Comme, de plus, l’opinion publique ne se sent plus très concernée par la conquête de l’espace, les gouvernements ont mis un frein à leurs programmes qui coûtaient extrêmement d’argent. C’est la fin d’une époque !

La Chine et l’Inde semblent être les deux pays les plus actifs dans le registre des vols spatiaux. Pensez-vous que ces deux nations puissent concurrencer les États-Unis dans cette conquête de l’espace ?

Non, je ne le pense pas. Ces deux nations se contentent de reproduire ce que les autres ont déjà fait. Lorsque Kennedy a dit : « On va aller sur la Lune », là il décidait réellement de s’attaquer à un challenge qui, sur le papier, restait du domaine de l’inimaginable. Cela faisait rêver tout le monde ! Aujourd’hui, les Chinois souhaitent simplement montrer au monde qu’ils peuvent détruire des satellites avec une fusée, mais il n’y a là aucune ambition particulière pour la conquête de l’espace. Comme pour Concorde, j’ai peur que la conquête spatiale ne se calme rapidement pour, je l’espère, reprendre d’ici plusieurs années.

Quel est aujourd’hui le rôle des stations spatiales ?

Cela permet d’entretenir la vie dans l’espace, d’augmenter la connaissance sur la capacité de l’homme à y vivre, c’est un merveilleux laboratoire d’observation et un fabuleux moyen d’entretenir la compétence de l’humanité dans sa connaissance de l’espace. Le seul vrai problème aujourd’hui, en matière de conquête spatiale, est qu’il faut inventer une technologie permettant de propulser les engins spatiaux à des vitesses beaucoup plus rapides, afin de s’attaquer à de nouvelles découvertes en adéquation avec la longévité de l’espèce humaine. Il faut se souvenir que l’étoile la plus proche de notre système solaire est à 2000 milliards de kilomètres (Proxima du Centaure), 4,22 années lumières soit 80 000 ans de voyage aux vitesses possibles aujourd’hui. Comment dès lors pouvoir espérer aller l’étudier sans une évolution technologique radicale ? Aujourd’hui, le défi est de trouver un moteur pour aller plus vite car l’être humain a envie d’entreprendre, d’assister au déroulement de sa mission et d’en voir les conclusions. Connaître le résultat dans 10 ou 15 générations ne fait rêver personne !

Avec l’effondrement de l’URSS, le programme de navettes spatiales (Bourane et Buria) a finalement été abandonné après un seul vol. Cette chute de l’empire soviétique a-t-elle marqué un frein dans la course aux étoiles ?

Oui et non. La compétition entre les deux blocs était purement militaire. Avec la détente, cela a disparu et ne sont restées que les techniques pouvant être utilisées à des fins civiles. Globalement, tout a été reconverti dans le civil. Les stations orbitales à but militaire pour les Russes sont devenues des programmes de recherches. Les Russes ont d’abords tenté de copier la navette américaine, mais après un seul vol, ils ont vite compris que ce programme était, comme le disait Gainsbourg sur l’amour physique, sans issue !

En France, le programme Ariane s’est, dès le départ, positionné sur le lancement de satellites. Pourquoi s’être limité à ce simple registre ?

Le programme Ariane s’est tout de suite positionné sur le bon registre, le seul rentable ! Il faut donc le poursuivre, le développer. L’indépendance spatiale est primordiale ! On ne peut être une nation avec un avenir technologique et économique sans capacité spatiale. Le lancement de satellites et de sondes pour la découverte scientifique est également une chose fabuleuse, déterminante pour la plupart des technologies que nous utilisons aujourd’hui dans notre quotidien. Comprendre l’espace, c’est mieux comprendre notre Terre ! Ariane a été conçue, dès le départ, comme un programme industriel, non dans le but d’envoyer des hommes dans l’espace. Quoi qu’il en soit, on ne peut imaginer aujourd’hui envoyer des gens avec un risque, même faible. On est loin de Gagarine qui, lorsqu’il a décollé, n’avait pas une chance sur deux de revenir vivant. Le prix que l’on accorde à la vie est devenu très élevé, bien loin de ce qu’il pesait en URSS dans les années 1960.

Un programme de navette française puis européenne avait été pensé en 1992. Pour quelles raisons ce programme n’a-t-il jamais vu le jour ?

C’était une ineptie totale, une vision d’Énarque ! Beaucoup d’argent a été dépensé pour ce programme, un budget pharaonique pour un résultat ridicule puisque la navette française, puis européenne était, sur le papier, simplement incapable de rivaliser avec la navette américaine qui, elle-même, ne répondait même pas aux attentes de ses concepteurs. Le projet était de lancer cette navette grâce à Ariane. Une idée impossible puisque le taux de réussite d’Ariane depuis sa création n’est que de 95 % : le pourcentage d’un lanceur pour un vol habité devant être au moins de 99% de fiabilité afin d’être validé au niveau de la sécurité. Ce programme a été une lubie 100% franchouillarde qui a conduit à un fiasco financier.


Öpse, graffeur du collectif Le Chat Noir
Yazid Manou, l’expérience Hendrix

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