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Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue

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Le grand livre des volcans du monde, séismes et tsunamis, éditions Orphie


EntretienÉminent volcanologue, professeur agrégé, docteur d’État en volcanologie et auteur de plus de 300 publications, Jacques-Marie Bardintzeff couvre les cinq continents de notre globe terrestre afin de percer le mystère de ces monstres d’énergie et de beauté que sont les volcans. Magiques, énigmatiques, majestueux, aucun adjectif ne semble assez fort pour décrire ces géants nés en même temps que notre Terre et qui ont certainement participé à l’éclosion des formes actuelles de vie terrestre. De l’Auvergne à l’Islande, des Philippines à la planète Mars, Jacques-Marie Bardintzeff nous éclaire sur ce monde souterrain qui a suscité tant de croyances et de craintes depuis la nuit des temps.


« Les décharges ainsi que les éclairs liés aux éruptions volcaniques ont pu transformer une molécule inorganique en molécule organique, donc créer la vie. »

Pouvez-vous nous rappeler comment se forme un volcan ?

Le volcanisme résulte de la fusion de la roche en profondeur (le manteau terrestre), qui produit un liquide appelé magma. Ce phénomène se produit à des endroits bien précis car ailleurs la roche reste solide (sous Paris par exemple). Cette roche fondue (le magma liquide) monte à travers les fissures de l’écorce terrestre et sort : c’est le volcanisme. Le magma, en s’échappant, forme un relief qui, petit à petit, s’édifie et constitue le volcan. Ce dernier est alimenté par-dessous de façon épisodique. Il faut savoir qu’un volcan a le même cycle qu’un être vivant. Il naît, vit et meurt. La seule différence, c’est que 100 ans pour un humain équivalent à peu près à 100 000 ans pour un volcan !

On distingue les volcans rouges et les volcans gris. Pouvez-vous nous expliquer ce qui les différencie ?

Les volcans sont complexes et variés, un peu comme les êtres humains (nous sommes à la fois tous pareils et tous différents). Nous pouvons regrouper les humains par caractère (les joyeux, les timides…). Eh bien, c’est la même chose pour les volcans, avec des groupes principaux : les rouges et les gris. Les rouges rejettent surtout des coulées de lave alors que les volcans gris projettent de la cendre. Les volcans rouges sont effusifs alors que les gris, eux, sont explosifs. Mais, comme un être peureux peut devenir courageux en certaines circonstances, un volcan peut également changer de caractère au cours de sa vie ou au cours d’une éruption. Le Vésuve et l’Etna, par exemple, alternent les éruptions rouges et grises. On classe également les volcans par types d’éruptions. On dira qu’une éruption lavique est de type hawaïen alors que les éruptions explosives sont de type strombolien, vulcanien, surtseyen, plinien ou péléen. L’année dernière (2010), en Islande, lors de l’éruption du volcan Eyjafjöll, nous avons assisté pendant trois semaines à une éruption de type rouge (sortie de lave associée à des projections), puis le magma a migré et n’est plus sorti latéralement mais sous le volcan, recouvert par un glacier. Le magma additionné à la vapeur d’eau issue de la fonte du glacier a entraîné ces explosions massives qui ont fait passer le volcan de rouge à gris au niveau de la classification.

Justement, l’éruption de ce volcan islandais a paralysé pendant plusieurs jours l’espace aérien. Il semble qu’à cette occasion, l’être humain se soit enfin rendu compte de l’activité volcanique et de ses conséquences potentielles !

Il y a tellement de choses qui se passent que les gens prennent conscience d’un événement et l’oublient vite. Le séisme en Haïti a fait oublier celui de Chine. Le tsunami au Japon a fait oublier celui d’Indonésie, et ainsi de suite. L’éruption en Islande est un cas de figure particulier puisqu’il n’y a eu ni mort, ni blessé. Les dégâts n’ont en effet été que matériels, financiers et psychologiques pour ceux qui se sont retrouvés piégés à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux. Les médias se sont rués sur l’événement car le nuage de cendres a énormément perturbé le trafic aérien dans les aéroports européens. Malheureusement, s’il y a un séisme avec 75 000 morts au Pakistan, on en parle peu car les journalistes ont du mal à se rendre sur place, même si les conséquences se révèlent beaucoup plus désastreuses pour les populations, hélas. La Terre fait parler d’elle avec des laps de temps assez longs, dix ans pour les grands séismes. Nous avons l’impression que la Terre est en colère alors qu’il y a une grande stabilité de ce genre d’événements depuis deux millions d’années, depuis l’apparition de l’être humain sur Terre en fait. Ce qui a foncièrement changé au fil du temps, c’est que la Terre est plus habitée avec davantage de mégapoles à forte concentration d’habitants. Les conséquences d’un séisme ou d’une éruption volcanique ont donc plus de risques d’engendrer des pertes en vies humaines. Un paysan dans son champ, perdu au milieu de nulle part, ne risquera rien, même face au plus grand séisme. C’est l’environnement dans lequel est placé l’être humain qui va causer sa perte lors d’un séisme (destruction d’immeubles), et c’est l’activité humaine qui augmente les conséquences des catastrophes (le stockage de produits inflammables, les barrages, les routes qui fragilisent les pentes). Les gens se rendent compte que l’on est à la fois technologiquement dans une formidable avancée mais, paradoxalement, fragiles en raison de cette technologie qui, en cas de phénomènes naturels, peut causer notre mort. Aujourd’hui, par le biais des moyens de communication, nous notons également que ces phénomènes sont plus médiatisés avec des images qui arrivent presque en direct, ce qui donne à ces événements une répercussion mondiale qu’ils n’avaient pas auparavant.

Comment expliquer que le nuage provoqué par ce volcan puisse s’élever à plusieurs kilomètres d’altitude ?

L’éruption islandaise était tout à fait moyenne au niveau de l’intensité. Le nuage est monté à 6 – 10 kilomètres de hauteur. Pour une éruption très importante, le nuage peut atteindre des altitudes de 40 à 50 kilomètres de hauteur. Pour l’éruption de l’année dernière en Islande, il y a eu une conjonction entre éruption et météorologie avec des vents qui ont entraîné les nuages cendreux vers le sud-est et donc, vers l’Europe. Il faut comprendre que l’énergie lors d’une grosse éruption volcanique équivaut à un million de fois une bombe atomique. C’est donc une énergie colossale stockée en profondeur qui s’accumule, avant de se libérer lorsque la pression devient trop importante. Lors de cette phase d’éjection, les particules sont projetées par la pression. Le nuage de cendres, chaud et plus léger que l’air ambiant, monte ensuite comme une montgolfière, puis s’étale en champignon. Le nuage est alors pris en charge et guidé par les jet streams (courants de la haute atmosphère).

Quel phénomène explique qu’un volcan entre soudainement en activité ?

Il y a un continuum de formation d’énergie qui va être stockée jusqu’à éruption. La cause de l’éruption peut venir du fait du rapprochement ou de l’éloignement des plaques, de failles qui peuvent s’ouvrir ou se fermer, d’une modification de pression ou de la température, de la teneur en gaz dissous… Lorsque l’on passe un seuil critique (trop de fluide dans un magma), cela crée des bulles qui se mettent à pétiller comme du champagne. Il y a donc plusieurs facteurs qui influent sur l’éruption et qui interfèrent entre eux. La précision pour prédire une éruption volcanique n’est donc pas si simple : il est impossible de savoir un an à l’avance si un volcan va entrer en éruption. On ne peut que suivre à l’échelle de quelques jours le magma qui se met à monter. Les éruptions peuvent donc êtres prévues entre 24 à 72 heures à l’avance. Les séismes, eux, sont très difficiles à prévoir car on ne connaît pas la limite de fracture de la croûte terrestre hétérogène sur des longueurs de plusieurs centaines de kilomètres. Le volcan est un liquide qui monte alors que le séisme, c’est un solide qui casse. Le challenge est donc aujourd’hui pour les sismologues de parvenir à prédire un séisme. Certains montrent qu’il y a des courants électriques ou des libérations d’ions, mais tout ceci n’est pas encore assez précis pour pouvoir être pris en compte. Il faut savoir qu’il y a sur notre planète plusieurs milliers de séismes par jour, mais qu’il est presque impossible de prévoir leur magnitude.

Sur les quelques 1500 volcans terrestres actifs, combien sont susceptibles d’entrer en éruption ?

Ils le sont tous ! Nous avons recensé 1550 volcans, actifs au cours de ces 10 000 dernières années, qui sont donc susceptibles de l’être à nouveau. Certains volcans n’étaient pas répertoriés et se sont ajoutés à cette liste, comme le Pinatubo aux Philippines en 1991. Nous comptons aujourd’hui une centaine de volcans classifiés très dangereux sur les 1550. Ceux-là sont très surveillés et équipés d’un observatoire où des spécialistes se relaient 24 h/24 afin d’anticiper une catastrophe.

Concernant nos volcans d’Auvergne, resteront-ils à jamais inactifs ?

Les volcans d’Auvergne sont très populaires et bien connus des Français. Il faut savoir qu’il existe 17 provinces volcaniques en Auvergne, classées par leur lieu et l’âge de l’éruption. On ne compte que deux provinces qui ont connu une activité assez récente, Le Vivarais en Ardèche (30 000 ans pour la dernière activité) et la chaîne des Puys près de Clermont-Ferrand (10 000, 8 000 et même 6 000 ans pour les dernières éruptions). Ce sont, d’un point de vue volcanologique, des éruptions assez récentes et susceptibles de se produire à nouveau. La chaîne des Puys peut donc se réveiller (même si ce n’est pas pour demain) et est donc surveillée.

Tout le monde a appris en cours d’histoire la destruction de Pompéi par le Vésuve en 79 après Jésus-Christ. Un tel drame peut-il se produire à nouveau ?

Ce qui a eu lieu à Pompéi pourrait se reproduire, effectivement ! Mes collègues italiens surveillent d’ailleurs le Vésuve très sérieusement. En 1944, le Vésuve est à nouveau entré en éruption, mais de façon modeste. Si demain il se remettait à bouger, serait-ce une éruption majeure, mineure ou intermédiaire ? Difficile de le dire ! Lors de l’éruption de 79 après Jésus-Christ, on pense qu’il y a eu 2 500 victimes à Pompéi. Beaucoup de personnes étaient parties, mais la ville a été recouverte. Mes collègues italiens ont tracé une zone à risque dans laquelle il y aurait aujourd’hui 700 000 personnes concernées par une évacuation si le Vésuve devait à nouveau bouger. Il faut quand même savoir qu’aujourd’hui, 500 millions de personnes dans le monde sont concernées par les volcans en cas d’éruption.

De tout temps, il y a eu nombre de croyances et de mythes liés aux volcans. Comment expliquer que l’activité volcanique provoque une telle fascination chez l’être humain ?

On comprend très bien qu’autrefois, il y ait eu des croyances énormes concernant les volcans. Une éruption est quelque chose de très impressionnant avec souvent, en plus de la lave et de la cendre, des éclairs, du bruit, de la poussière et cette couleur rouge feu. L’être humain est avant tout un Terrien, et la Terre est à la fois une valeur-refuge (placement) et une notion de stabilité. La Terre a l’image de la planète nourricière et, lorsque le sol se met à vibrer, à bouger, on peut comprendre que cela soit traumatisant. La chose que l’on pensait sûre ne l’est plus, et ce sont alors toutes les croyances qui s’en trouvent bouleversées.

On dit que la formation des premières molécules organiques et l’apparition de la vie sur Terre peuvent-être dues aux volcans. Vous pouvez nous expliquer ce phénomène ?

C’est aller un peu vite en besogne mais, effectivement, le volcanisme fait partie de l’écosystème et a certainement joué un rôle dans l’apparition de la vie sur Terre. Les gaz générés par les volcans ont participé à la formation de l’atmosphère, et la vapeur d’eau, en se condensant, à celle de l’hydrosphère. Les volcans ont donc été importants pour la vie aquatique et aérienne. Les décharges ainsi que les éclairs liés aux éruptions volcaniques ont pu transformer une molécule inorganique en molécule organique, donc créer la vie. Ce qui est certain, c’est que si les volcans avaient été si néfastes, il n’y aurait pas eu de vie sur Terre.

Peut-il y avoir un rapport entre éruption volcanique et tremblement de terre ?

La cause est commune : l’activité de la Terre qui libère de l’énergie. Mais cela ne se produit pas aux mêmes endroits et aux mêmes moments. Il n’y a pas, dans les dernières années dans l’histoire des séismes et de l’éruption volcanique, un rapport direct de cause à effet. Des régions entières sont sismiques mais non-volcaniques, en Himalaya par exemple. D’autres sont des zones volcaniques actives comme l’île de La Réunion, mais les séismes y restent modérés.

En quoi une activité volcanique peut-elle entraîner un tsunami comme celui du Krakatoa en 1883 ?

Dès qu’il y a une instabilité en bord de mer (une éruption volcanique, un séisme ou encore un glissement de terrain majeur), la surface de l’eau est mise en mouvement. Il se crée alors un phénomène de vagues qui vont en augmentant selon la profondeur du choc, son intensité et l’épaisseur d’eau. Dans le doute, en cas d’éruption ou de séisme en bord de mer, on déclare un risque de tsunami. Les vagues du tsunami ne sont pas très hautes, mais se déplacent très rapidement et prennent de la hauteur en s’approchant des côtes. Au départ, elles font plusieurs kilomètres de long et un ou deux mètres de haut au large, ce qui fait qu’un bateau peut passer au milieu d’un tsunami sans s’en rendre compte. Au large, une vague de tsunami a une vitesse de 700 kilomètres/heure puis freine à 100 kilomètres/heure en se rapprochant des côtes. La vitesse est divisée par 10 et la hauteur peut être multipliée par 10 lorsqu’elle atteint les plages.

Les autres planètes du système solaire sont-elles également en proie à une activité volcanique ?

Oui, cela fait d’ailleurs partie des nouveaux enjeux de la recherche. À l’université où j’exerce, nous collaborons entre volcanologues, planétologues et astrophysiciens sur les volcans martiens afin de les étudier et ainsi, mieux comprendre l’activité volcanique terrestre. Sur Mars, nous avons pu recenser de gros volcans, mais probablement tous éteints. Sur Vénus, il y a certainement eu une activité volcanique, mais cette planète étant voilée par du gaz carbonique, on ne peut hélas pas savoir s’ils sont encore en activité. En ce qui concerne Io, satellite de Jupiter, des volcans géants et actifs ont été photographiés. Nous avons pu y constater des coulées de lave de 1 000 km de long et des volcans dix fois plus puissants que ceux de notre Terre.


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