Science

Jean Audouze, astrophysicien

0
Please log in or register to do it.

Jean Audouze a publié trois livres en 2010 :
– Le ciel à découvert (sous la direction de J.A.) – CNRS Editions, 2010
– L’Univers a-t-il un sens ? J.A. et Thierry Magnin – Editions Salvator, 2010
– Merveilleux Cosmos, J.A. avec Jean – Claude Carrière et Erik Orsenna – CNRS Editions, 2010


EntretienAstrophysicien, conseiller technique du président Mitterrand entre 1989 et 1993, directeur de l’institut d’astrophysique de Paris, professeur d’astrophysique à l’école Polytechnique ou encore directeur du Palais de la Découverte, Jean Adouze est un scientifique au sens large du terme. À 70 ans, ce « cerveau » hexagonal, ancien élève d’Hubert Reeves, a connu la recherche, la politique, l’enseignement comme la direction de musée et continue, aujourd’hui encore, à se passionner pour un univers qui est loin d’avoir livré tous ses secrets. En pleine écriture d’un nouvel ouvrage de « vulgarisation » des galaxies, destiné aux adolescents, Jean Audouze nous a accordé un entretien qui, espérons-le, vous plongera la tête dans les étoiles !


« Il y a entre 100 et 1000 milliards d’étoiles dans une galaxie et plusieurs milliards de galaxies dans l’Univers observable. Que nous soyons « seuls » paraît donc peu probable ! »

On parle de science au sens large du terme. Mais n’est-ce pas un domaine profondément lié à la culture, l’art, la philosophie et surtout, de nos jours, à l’économie ?

La science est en effet un domaine qui englobe de nombreux secteurs. Bien difficile, par exemple, d’être vraiment cultivé sans s’intéresser ne serait-ce qu’un peu à la science ! Tenter d’expliquer la nature, les hommes et leurs sociétés, en appliquant des méthodes objectives comme cherchent à le faire les scientifiques, c’est aussi faire progresser la culture. En ce qui me concerne, décrire le ciel, c’est également essayer d’apporter des informations sur l’histoire de l’Univers, l’origine de notre système solaire et par conséquent de la Terre et donc développer la connaissance dans ce domaine. Par ailleurs, la science ne sert pas uniquement à compléter le récit de l’historien, elle joue un rôle important dans l’économie des pays. Prenons les découvertes du laser et de l’informatique qui représentent l’une et l’autre des avancées prodigieuses qui ont totalement bouleversé la donne économique.

On oppose souvent la pensée religieuse et la pensée scientifique. La science annihile-t-elle toute existence divine ?

Non, la théologie et la science sont deux discours parallèles ! Dans le passé jusqu’au 17ème siècle, ces deux discours étaient mélangés. Depuis Galilée, le scientifique s’applique à faire en sorte que la science ne dise rien sur Dieu et la religion. De mon point de vue, contrairement à l’adage « un peu de science éloigne de Dieu et beaucoup en rapproche », un peu ou beaucoup de science ne rapproche ni n’éloigne de Dieu. Il faut comprendre que la religion cherche à rendre compte du pourquoi, alors que la science est concernée par le comment. On peut donc être à la fois scientifique et croyant. À titre personnel, je n’ai pas de réponse très claire vis-à-vis de la religion. Mais là, c’est l’homme qui hésite, pas le scientifique. La foi est personnelle alors que la science, elle, doit produire des énoncés qui doivent être partagés par tous.

Pour le scientifique que vous êtes, l’Ancien Testament n’est donc qu’une allégorie de la création du monde, ce qui n’empêche pas de croire au divin !

L’immense erreur du créationnisme (Le créationnisme est une doctrine fondée sur la croyance que la vie, la Terre, et par extension l’Univers, ont été créés par Dieu, selon des modalités conformes à une lecture littérale de la Bible) est de faire croire que la Bible a une base scientifique. Pour moi, l’Ancien Testament est une allégorie. Le récit de la Genèse ne cause pour moi ni adhésion ni répulsion. C’est une symbolique de la création du monde et il n’y donc pas plus lieu d’opposer la Bible et la science que de chercher à les rapprocher. On peut lire la Bible à différents niveaux : à chacun de bien choisir le sien !

Vous avez connu la science sous quatre aspects distincts : la recherche, l’enseignement, la politique et la direction de musées. Quel est le domaine qui vous a donné le plus de satisfaction ?

Sans conteste la recherche ! C’est une satisfaction d’ordre ludique que l’on a plus de mal à trouver dans les trois autres domaines. C’est un plaisir indéfinissable. La recherche, c’est aussi les rencontres, les échanges pour partager ses découvertes éventuelles… J’ai abordé cette activité comme quelque chose d’amusant, un peu comme si je prenais un mécano et que je jouais avec. La recherche est une expérience unique. Il faut faire travailler son imagination, aller explorer des territoires plus ou moins bien connus. C’est plus le questionnement, que les réponses qu’on peut lui apporter, qui, selon moi, font le bon chercheur. Pour répondre, il faut déjà se poser les bonnes questions, un peu comme en philosophie. Dans l’enseignement, on apprend des choses à autrui qui sont établies alors que, dans la recherche, il y a cette sensation de défricher un terrain encore méconnu qui procure énormément de satisfaction.

Vous avez enseigné dans la plus prestigieuse des écoles françaises, à savoir l’école Polytechnique. Quel est votre sentiment sur l’écart qui ne cesse de se creuser au cœur du système d’éducation entre les grandes écoles et les ZEP (Zone d’éducation prioritaire)

Cela m’afflige ! Certes, tout le monde ne naît pas avec les mêmes goûts et les mêmes capacités intellectuelles et il n’y a pas un Einstein qui sommeille en tout homme mais, ce qui me désole, c’est de constater que des jeunes qui peuvent avoir des capacités énormes, parce qu’ils vont se trouver au mauvais endroit ou dans un environnement peu propice à leur émancipation intellectuelle, ils n’auront pas la possibilité de faire la carrière à laquelle ils pourraient prétendre. L’école de la république ne fonctionne plus comme avant. On dit que l’éducation est gratuite, mais la gratuité profite aux classes riches et non aux jeunes qui viennent des milieux défavorisés. Alors que l’éducation devrait être la première priorité de l’Etat qui garantirait un enseignement équitable, on constate que trop peu est fait dans ce domaine pourtant essentiel. Ce n’est pas en supprimant des emplois de professeurs dans l’enseignement public que les choses vont avancer dans le bon sens. Parfois, j’interviens dans des classes de différents milieux et l’on voit, chez les enfants, une formidable capacité à apprendre, à être à l’écoute. Malheureusement, il semblerait que le système ne fait rien pour maintenir ou développer cette aptitude à apprendre. Pour que la France avance, cela passe tout d’abord par l’éducation même si je conçois que, sur ce sujet comme sur tous les autres, le gouvernement n’a pas trop de marges de manœuvre.

Vous avez été conseiller technique de François Mitterrand entre 1989 et 1993. Le président Mitterrand était, on le sait, un homme de lettres et de culture. Quel était son regard sur la science ?

Il s’y intéressait car c’était un homme qui aimait la nature et les questions d’environnement le préoccupaient. En ce qui concerne la science, il sentait bien qu’elle est une richesse pour le pays, un peu comme le général De Gaulle. En quatre ans, j’ai pu faire pas mal de visites en sa compagnie: il lui importait que les chercheurs aient les moyens de travailler même si étant de culture littéraire, il n’en comprenait pas toujours tous les enjeux. Lorsque je lui faisais des suggestions, il les discutait moins que celles qui provenaient de ses conseillers culturels car, contrairement à d’autres secteurs, la science n’était pas son domaine de prédilection. Il était content d’échanger avec moi sur les sujets liés à l’environnement, mais on ne peut pas dire que le président Mitterrand avait une vraie soif de science.

Vous êtes représentant de la France au conseil du Comité de la Recherche Spatiale (COSPAR). Comment peut-on imaginer l’évolution de la conquête spatiale dans les années, voire les décennies, à venir ?

Un homme va certainement retourner sur la Lune. Si ce n’est pas un Américain, ce sera un Chinois ou un Indien. De grandes missions automatiques pour aller récupérer des échantillons martiens sont également prévues. On va bientôt remplacer le télescope spatial Hubble par un autre encore plus performant du nom de James Webb. Une mission dite Beppo – Colombo ira observer la planète Mercure un peu avant l’année 2020. Bref, la conquête de l’espace n’est pas prête de s’arrêter ! Tout cela est, bien entendu, nécessaire afin de mieux connaître notre univers. La conquête de l’espace se divise en deux domaines bien distincts. : 1) la recherche pure et dure qui vise à nous aider à répondre à des questions fondamentales sur la naissance de notre univers, la connaissance des autres planètes… et 2) un domaine aux retombées économiques importantes avec, par exemple, les lancements de moyens de télécommunications ultra- performants. Que la France soit aujourd’hui la troisième puissance spatiale est donc une donnée importante, même si nous allons, dans les années à venir, être dépassés par la Chine et l’Inde.

Pensez-vous devant l’immensité des galaxies que les conditions puissent être réunies quelque part dans l’univers pour que la vie y existe ?

Tout dépend de ce qu’on appelle la vie ! Je pense que la vie à l’état élémentaire existe pratiquement partout. Sur une planète comme la Terre, toutes les conditions ont été réunies pour qu’elle puisse se complexifier, mais il a fallu attendre trois milliards d’années pour que des êtres un peu plus compliqués que les bactéries viennent à apparaître. Si on trouve sur Mars ou des satellites de Jupiter des bactéries, je ne serai pas étonné ! Ensuite, concernant une forme de vie intelligente, il faut savoir qu’il y a entre 100 et 1000 milliards d’étoiles dans une galaxie et plusieurs milliards de galaxies dans l’Univers observable. Que nous soyons « seuls » paraît donc peu probable ! Cependant, les distances qui nous séparent d’un plus proche « voisin » éventuel sont si énormes que la probabilité de communiquer avec lui est quasi nulle. Je parle ici d’êtres vraisemblablement différents de notre enveloppe charnelle mais qui, comme nous, sont faits de carbone, d’azote, d’oxygène, de phosphore…

Comment expliquer que toutes les conditions aient été réunies sur Terre pour que la vie humaine ait pu s’y développer ?

Notre existence n’est faite que d’événements qui ont une très faible probabilité de se produire. La Terre a bénéficié de toutes ces conditions à la fois. Une planète grosse comme Mars a percuté la Terre au début de son histoire et a fait que la Lune a pu se séparer et devenir ainsi un excellent stabilisateur de la Terre sur son orbite située à la bonne distance pour lui donner les températures propres à l’explosion vitale. La Terre a également beaucoup d’eau… Autant d’éléments qui ont permis à la vie de se développer sur notre planète et d’évoluer dans le temps pour aboutir à ce que nous sommes aujourd’hui. Cela peut effectivement sembler de l’ordre du miracle mais regardez, vous, ou moi, quelle était la chance pour que ce soit un spermatozoïde précis qui ait frappé l’ovule pour faire ce que vous êtes, ce que je suis, aujourd’hui ? Chaque étape de nos vies est faite de chemins que l’on décide de prendre ou de ne pas prendre. Quels sont les chemins pris par vous et moi qui ont fait que nous parlons ensemble à cet instant précis ? Ils sont innombrables et pourtant ! Alors disons que pour la Terre, c’est un peu la même chose.

On parle beaucoup de fin du monde selon les dires de Nostradamus et de plusieurs oracles. Que pensez-vous de ces théories dont celle du 21 décembre 2012 ?

C’est de la foutaise ! Il y a des gens qui font fait semblant de croire que Betelgeuse va exploser d’un moment à l’autre (Bételgeuse est une étoile variable semi-régulière, une supergéante rouge de la constellation d’Orion, située entre 430 et 640 années-lumière. C’est la 9e plus brillante étoile du ciel. Bien qu’ayant la désignation de “alpha” dans la Désignation de Bayer, elle n’est que la deuxième de la constellation d’Orion, derrière Rigel. Elle forme l’un des angles du triangle d’hiver). C’est un événement qui peut se produire entre maintenant et un million d’années. Au cours de ce million d’années, quand Betelgeuse explosera nous aurons deux soleils dans le ciel pendant huit jours, rien de plus ! La seule certitude, c’est qu’on ne pourra plus vivre sur la Terre dans cinq milliards d’années car, au lieu de faire entre -20 et 40 degrés sur Terre, il fera plus de 1000 °C en raison de la dilatation du Soleil qui sera devenue géante rouge. Les étoiles comme le Soleil vivent une dizaine de milliards d’années sans changer d’aspect. Puis leur cœur se contracte, alors que leur enveloppe grossit si bien que la Terre sera alors engloutie dans sa chaleur et que toute vie y deviendra impossible !


Öpse, graffeur du collectif Le Chat Noir
Yazid Manou, l’expérience Hendrix

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *