Politique

Eric Raoult, homme politique

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EntretienMinistre chargé de l’intégration et de la lutte contre l’exclusion sous le gouvernement Villepin, député, maire du Raincy en Seine Saint Denis depuis 1995, Eric Raoult est un homme politique dont le franc-parler légendaire attire souvent les foudres des médias comme celles de ses adversaires. Dernier fait d’arme, la défense du bilan du président tunisien déchu, Ben Ali ! Pourtant, au-delà des mots, Eric Raoult tranche avec le discours lissé auquel nous ont tant habitué les politiques depuis déjà plusieurs années. Nicolas Sarkozy, la crise des banlieues, le voile intégral, le débat décidé par Jean-François Copé sur l’Islam, les présidentielles ou le Front National, Eric Raoult aborde tous les sujets avec des réponses qui, pour une fois dans le milieu politique hexagonal, ont le mérite d’être claires et précises.


« Moubarak et Ben Ali ont plus fait pour la paix au proche orient que beaucoup d’autres leaders »

On donne Nicolas Sarkozy au plus bas dans les sondages, talonné de près par Marine Le Pen. Pensez-vous que l’élection présidentielle de 2012 s’annonce mal pour le chef de l’état ?

C’est un sondage qui oublie que nous allons tout d’abord avoir des élections cantonales ou l’étiquette politique compte mais où l’élu du secteur, notamment en France rurale, compte davantage. Les présidentielles, elles, sont une curieuse alchimie entre une population et un candidat qui va représenter cette population. Les gens se disent donc à un moment : « Est ce qu’il ou est-ce qu’elle pourrait être présidente ? » Que les gens aient, en ce moment, plutôt envie de voter Front National, c’est forgé par l’actualité, par la feuille d’impôt, les hausses de charges… Mais lorsque les présidentielles se rapprochent, les gens se posent alors la question de savoir si cette personne ferait un ou une bonne présidente. La difficulté de Marine Le Pen, c’est qu’elle ne peut pas faire d’alliance. En l’occurrence, je ne pense pas que si elle dépassait Nicolas Sarkozy au premier tour, l’actuel chef de l’état appellerait à voter pour elle au second tour ! Je crois aussi que Marine Le Pen a une capacité de cri, de révolte mais il ne faut pas oublier que les élections présidentielles ne sont pas une prise de température, mais cinq ans à confier les leviers de commande de la nation à une personne. Si vous avez envie d’aller manifester, vous y allez avec Marine Le Pen, mais si vous avez envie de désigner votre commandant de bord avant de partir en vacances en avion, vous ne ferez pas le même choix. Et le président de la république en France est plus un commandant de bord qu’autre chose !

Nous sommes donc selon vous dans un sondage disons contestataire ?

Oui, je le pense. Ce qui veut dire que cela ne jouera peut-être pas énormément pour les présidentielles, mais pour les cantonales oui ! Là, il va y avoir selon moi une forte participation Front National.

En 2007, lors du premier tour de l’élection présidentielle, des instituts de sondages avaient montré que des électeurs du Front National s’étaient reportés sur Nicolas Sarkozy dès le premier tour, évitant en cela un second 2002. Aujourd’hui, ce n’est visiblement plus le cas. La politique sécuritaire prônée par Nicolas Sarkozy en 2007 aurait donc été un échec ?

Il y avait eu en 2007 dans le discours de Nicolas Sarkozy sur l’identité et un certain nombre d’autres sujets, des positions qui avaient conduit certains à faire un vote « utile » dès le premier tour. Car, au final, les électeurs du Front National ne viennent pas d’une autre planète, ce sont aussi vos voisins de palier ! Le dossier de la sécurité est mouvant et n’éclate pas forcément là où on l’attend. On améliore les choses par rapport aux cambriolages, aux attaques à mains armées, au crime organisé, mais on n’est pas à l’abri du fait divers dramatique comme celui qui, en 2009, avait vu un homme tuer par balles quatre personnes de son voisinage dont une femme enceinte de huit mois au Raincy. C’est cela l’insécurité aujourd’hui, quelque chose qui se comporte comme une source. Si on arrive à bloquer un endroit, la pression se fait plus forte à un autre. J’ai créé une mission locale pour l’emploi des jeunes des milieux défavorisés. Lorsque je faisais les permanences, beaucoup de jeunes me disaient : « Dans ton stage, je vais gagner 400 euros alors que je gagne ça en une journée en jouant les guetteurs ! » Ça, c’est une réalité ! Ce que l’on essaye sur le terrain, c’est que les policiers aient des objectifs. Il faut également qu’au niveau de la justice, et on l’a malheureusement vu dans différentes affaires dramatiques qui ont défrayé la chronique, il existe une chaîne pénale entre le policier qui appréhende et le juge qui puni. Hélas, on ne l’a pas toujours !

Que vous inspire le « j’y vais, j’y vais pas » de Dominique Strauss Kahn pour la présidentielle de 2012 et le fait que sa femme, Anne Sinclair, joue aujourd’hui un rôle de « chargée de campagne » quasi officiel ?

Dominique Strauss Kahn possède un statut qui l’oblige à adopter une posture. Le statut est celui de neutralité et d’indépendance. Si demain il disait : « Je suis candidat », cela sous-entendrait qu’il abandonne ses fonctions actuelles et il perdrait en même temps une rémunération assez élevée. Son parti politique va être très présent selon moi pour le pousser à se présenter à la présidentielle de 2012 car tous les maires, conseillers généraux et parlementaires dépendront tous du résultat de l’élection. On a un calendrier électoral qui fait que les députés dépendent du président. Ensuite, au-delà de tout ce jeu politique, j’ai l’intime conviction que Dominique Strauss Kahn va se présenter et qu’il peut attendre le mois de juin. Il bénéficie en effet aujourd’hui dans l’opinion public des atouts dus à sa fonction de président du FMI. Je connais bien Stauss Kahn, il a été mon maître de conférence à Science Po et je peux vous dire que c’est un type de challenge ! Il a été ministre, député, maire, et il lui manque encore un échelon à franchir. Le problème, c’est qu’il ne paraît pas hautain mais lointain alors que Nicolas Sarkozy, lui, apparaît comme trop proche. Il faut donc que Stauss Kahn se Sarkozise et que Nicolas Sarkozy se présidentialise. Par exemple, lorsque le chef de l’état se fait héler par une personne, il ne peut pas répondre : « Casse toi pauvre con ! » tout simplement parce qu’il est président de la république. Stauss Kahn, lui, est un type brillant, intelligent, mais les professeurs qui ont de telles facilités ne sont pas forcément les plus bosseurs. Ce qui m’étonne aujourd’hui, c’est l’animosité des gens vis-à-vis de l’UMP et plus précisément à l’égard du chef de l’état. On a d’ailleurs pu le vérifier pendant la réforme des retraites. Je pense qu’on ne s’est pas rendu compte qu’il y avait, au-delà de l’animosité, une aversion du monde politique.

Mais aujourd’hui, à l’heure où les Français attendent un candidat avec un programme, on leur propose des petites phrases de cours de récréation. Comment s’étonner ensuite que les citoyens ne se reconnaissent plus dans les hommes politiques censés les représenter et qui, à leurs yeux, n’apparaissent que comme des arrivistes ?

Nous sommes dans une période où un candidat ne s’est pas déclaré et la droite veut le tester.

Deux candidats potentiels !

Effectivement, même si pour Nicolas Sarkozy, c’est un secret de polichinelle ! Le jeu de Christian Jacob ou de François Baroin est de dire à Stauss Kahn : « La présidentielle, ce ne sera pas un parcours de santé. Si tu veux y aller, tu as intérêt à faire gaffe de tous côtés ». La campagne présidentielle est un combat long et difficile et Dominique Stauss Kahn risque d’y abîmer son image. Il est étonnant de constater qu’en France, plus un potentiel candidat se fait discret, plus les gens souhaitent voter pour lui. Dès qu’il s’exprime, les sondages s’écroulent inexorablement. Cela prouve que les Français ne croient plus en la politique et en ceux qui la représente ! Les Français ont deux sentiments par rapport aux hommes politiques. Ils veulent tout à la fois qu’ils les fassent rêver et qu’ils puissent régler. La France n’est pas restée royaliste, mais souhaite que ce président ou ce chef de l’état au masculin ou au féminin puisse les représenter. Les citoyens sont exigeants car le président est une personne que l’on veut à la fois au firmament et au règlement. Aujourd’hui, la particularité est que l’on a un président omniprésent, omniscient, omnipuissant. Les Français sont en cela paradoxaux car ils souhaitent un président qui ne soit pas De Gaulle, mais qui ne soit pas non plus le pote de régiment. L’homme politique est attendu comme volontariste car nos concitoyens exigent des résultats à courts termes. Malheureusement, « le tout, tout de suite » n’est pas forcément compatible avec l’action politique !

Vous avez été ministre chargé de l’Intégration et de la lutte contre l’exclusion lorsque Jacques Chirac était président de la république. Un ministère sous Sarkozy ne vous tentait pas ?

Pas mal de copains députés sont venus me voir en me disant : « Tu ne demandes rien ? » Non, tout d’abord parce que le titre de ministre, on le garde toute sa vie et qu’en plus cela ne doit pas être facile d’être ministre aujourd’hui vu le degré d’exigence de Nicolas Sarkozy. Pourtant, je suis plutôt copain avec lui, on a fait notre service militaire ensemble ! Nous étions dans la même chambrée. Le problème avec Sarkozy n’est pas son bilan politique sur l’ensemble de sa présidence, mais sa personnalité qui déplait à bon nombre de personnes. Il ne faudrait pas que l’on entre dans une campagne présidentielle où le maître mot serait : « Tout sauf Sarkozy ! » Il faut savoir que Nicolas Sarkozy reçoit aujourd’hui trois fois plus de courriers et cinq fois plus d’insultes que n’en recevait Jacques Chirac.

Mercredi dernier, Jean-François Copé, le secrétaire général de l’UMP, a annoncé l’ouverture d’un débat en avril sur l’exercice des cultes en France – notamment l’islam – et sa compatibilité avec les lois laïques de la République. Pensez-vous que c’est un débat nécessaire ou juste un pavé dans la mare afin de préparer 2012 ?

On a l’expérience de ce qui a raté ! C’était le débat sur l’identité. Je crois qu’il y a effectivement aujourd’hui un vrai problème de laïcité, d’identité, d’union républicaine. J’ai d’ailleurs fait des travaux pratiques à ce sujet ce matin. J’ai reçu à la mairie le président des musulmans de Montfermeil qui est venu m’expliquer ses difficultés. À Montfermeil, il y a un lieu de culte qui peut contenir de 800 à 1000 personnes et il y a 12.000 musulmans. Donc, tout d’abord, les mosquées doivent pouvoir être modulaire. Deuxièmement, il a insisté sur le fait qu’il fallait lui faire confiance pour diriger la mosquée. Ce qui veut dire que, s’il y a des barbus, on ne leur donne pas la capacité de prêche et l’usage des locaux. Les musulmans n’ont pas de consistoire comme les juifs peuvent l’avoir depuis Napoléon et les familles n’ont souvent pas les possibilités de deniers du culte que peuvent avoir les catholiques. Donc, en résumé, je pense que, de son explication, j’ai mieux compris un certain nombre de choses. Par exemple, les Marocains n’aiment pas les Algériens ! Les Turcs ont une vision tout à fait différente de l’Islam, les Africains aussi ! Ce n’est pas inutile que l’on ait un débat approfondi et que l’on ne soit pas simplement au niveau de l’anathème si les gens ne veulent pas qu’il y ait, comme dans la rue Myrha ou à la Porte d’Aix, de prières publiques. Il faut qu’on se dise : « Ne pourrait-on pas avoir une vision intermédiaire ? » Il y a quelques années, j’avais fait une proposition au Raincy que l’on applique d’ailleurs aujourd’hui. La Synagogue de la ville est trop petite donc, pour Roch Hachana et Yom Kippour, nous mettons à disposition la salle des fêtes. Cela sera ma contribution au débat. Si on ne veut pas financer sur fonds publics, c’est-à-dire sur nos impôts, des lieux de culte musulman et que l’on ne veut pas tolérer que des gens prient dans la rue parce que cela est choquant, il faut peut-être avoir la capacité, nous les maires, de dire : « on vous prête des locaux cinq jours durant l’année pendant vos fêtes religieuses. » Dominique de Villepin avait également proposé que l’on ait une fondation comprenant des particuliers, l’Etat et des pays étrangers qui pourraient aider à financer. Cela tout en filtrant afin que les fonds viennent plus du Maroc et du Qatar que de l’Arabie Saoudite ou de l’Afghanistan. Ce n’est pas idiot que l’on puisse aborder le fond d’un tel sujet car, si on ne le fait pas, les gens qui ont toujours en mémoire, Al Quaeda, le 11 septembre et Ben Laden ainsi qu’une radicalisation de l’Islam continueront à avoir peur.

Le débat est donc nécessaire afin d’éviter d’accroître le communautarisme ?

Effectivement ! Récemment, deux jeunes sont venus me voir pour me poser des questions à ce sujet. Je leur ai dit : « Le communautarisme, ce n’est pas être ensemble, mais se replier sur soi. » À Marseille, ils ont système qui, à mon sens, n’est pas idiot. Si un Juif ou un Musulman se fait tabasser, ils réunissent une structure qui s’appelle Marseille espérance pour que chacun tienne sa communauté. Eviter le communautarisme, c’est également aborder avec diplomatie les sujets épineux et, concernant le débat sur le port du voile intégral, on peut dire que vous avez quand même mis un peu d’huile sur le feu ! Le voile intégral était quelque chose de choquant. On avait l’impression de croiser Belphégor au milieu de centre commercial ! Il y a 6 millions de musulmans et peut-être seulement 600 jeunes filles qui portent ce voile intégral. Comme nous avons travaillé pendant six mois sur la question et froncé les sourcils, on voit qu’il y en a aujourd’hui beaucoup moins. On constate également qu’il y avait un peu de tout sous ces voiles. Celle qui a des boutons, celle qui en a assez de se faire draguer… Il est bien également d’écouter celles qui sont le plus victime de ce communautarisme : Les femmes qu’hélas nous n’avons pas trop entendues sur ce problème ! On est dans une logique où il faut parler de ces problèmes-là, non pour les stigmatiser ou encore les ostraciser mais pour les percer. Il faut que les musulmans s’habituent à une règle de vie. Il y a une phrase de Ben Gourion que j’aime beaucoup dans le judaïsme qui dit : « Juif dans son foyer, citoyen dans sa cité ! » Cela résume ce que je souhaiterais pour les musulmans de ma circonscription. Ils doivent avoir la pratique religieuse qu’ils veulent mais, par contre, cette pratique religieuse ne doit pas entrer dans la sphère publique et être incompatible avec la laïcité. Je pense que la nation doit se mettre à parler franchement et sans excès de ce dossier parce qu’il est celui d’une population qui représente aujourd’hui 10% des citoyens de notre pays et qui, démographiquement, ne va cesser de croître dans les années à venir. Chez cette population, je l’ai vue aujourd’hui avec le président de la communauté musulmane de Montfermeil, les parents ont un fantastique besoin de sécurité. Penser que musulman rime avec terrorisme est une chose stupide, mais il faut que les parents puissent tenir leurs mômes dans le respect des lois de notre pays ! Le problème, c’est que, lorsqu’un élu de droite veut se rendre dans une cité pour dialoguer, pour ces jeunes-là, l’UMP est tout prêt du Front National et cela rend le dialogue impossible. L’important en instaurant un tel débat sur l’Islam, sur la laïcité, c’est d’éviter au mieux de créer des ghettos. Si tu n’as pas eu ton boulot, ce n’est pas parce que tu t’appelles Abdel, c’est parce que tu es arrivé avec une casquette, une capuche sur la tête et que tu t’es pointé avec 1H30 en retard.

Les pays du monde arabe sont aujourd’hui en pleine explosion et, récemment, vous avez défendu le bilan du président Ben Ali. Vous regrettez ces déclarations ?

J’ai dit chez Elkabbach que la Tunisie avait un bilan équilibré. Et c’est vrai ! Il y a 98% d’enfants qui vont à l’école, les femmes ne portent pas le voile, il y a une classe moyenne importante… J’ai l’impression que, dans ce débat sur la Tunisie, dire la vérité, c’est être exécuté. Il y a 300.000 français qui partent en Tunisie chaque année pour les vacances et cela depuis vingt ans ! Sont-ils pour autant des pro Ben Ali ? Il faut sur toute chose avoir les yeux ouverts. Effectivement, on ne voyait pas tout le côté corruption du régime, mais pour le reste ! Le problème, c’est qu’en politique, tout vérité n’est pas bonne à dire. Moi, je n’ai jamais rencontré le président Ben Ali et je ne regrette pas ce que j’ai dit. Je suis passé chez Elkabbach vers 20 heures et, à 22 heures, je recevais un coup de fil de Pierre Besnainou, le patron des juifs tunisiens, qui m’a appelé pour me tirer son chapeau et me dire que j’étais le seul homme politique courageux. Il faut en effet se souvenir que le président Ben Ali était aussi le protecteur des juifs de Tunisie. Ce qui énerve les socialistes, c’est que Ben Ali, au début, était progressiste et faisait partie de l’internationale socialiste. On a oublié également un peu trop facilement que Moubarak et Ben Ali ont plus faits pour la paix au proche orient que beaucoup d’autres leaders.

Il semble que certains aient également oublié l’invitation du dictateur Lybien, Kadhafi, en France ?

Je le dis en toute franchise, ce n’est pas la meilleure des pages du sarkozisme ! On ne s’est pas grandi en recevant ce dictateur malade dans notre pays ! Rama Yade avait d’ailleurs eu beaucoup de courage en prononçant des mots fermes à l’encontre de Kadhafi. On a l’impression, encore une fois, qu’en France, alors que se joue une page cruciale de l’histoire du monde arabe dont on n’imagine pas encore les répercussions culturelles, économiques et politiques, on ne s’intéresse qu’à l’affaire MAM !
(Eric Raoult reçoit un texto sur son portable alors que je lui pose cette question !) Regardez, l’un de vos confrères qui m’écrit en me demandant si on peut se rencontrer pour parler de la diplomatie française et de l’affaire Alliot-Marie ! Je ne comprends pas ! Il y a eu des crimes contre l’humanité en Lybie, on se demande si le Maroc ne va pas également exploser et les médias ne s’intéressent qu’à l’histoire de l’avion de madame la ministre. C’est typiquement français ça ! Il faut dire que, même au niveau international, personne n’avait anticipé cette explosion dans les pays du monde arabe. Tous ont été pris de court, y compris les dirigeants des pays concernés. Aujourd’hui, au lieu d’analyser, de prévoir, d’anticiper, on se concentre sur un voyage !

Vous parliez de communautarisme. Pensez-vous que ces bouleversements dans les pays du monde arabe vont avoir des répercussions dans les banlieues où beaucoup de jeunes originaires de ces pays du Maghreb et qui se sentaient proches de leurs racines sont aujourd’hui quelque peu perdus ?

Je reçois justement en fin de semaine le ministre des Marocains de l’étranger qui souhaite connaître la température ici en France, la façon dont sont perçus ces évènements dans les cités par exemple. Pour le moment, je dois avouer ne pas avoir trop d’échos tant les choses se sont déroulées à une vitesse folle. Mais les gens qui habitent ici ont peur pour leurs proches restés au pays et également pour les biens qu’ils possèdent là-bas où la plupart d’entre eux envoient de l’argent tous les mois. Il ne faut pas oublier que, pour le Maroc par exemple, la force vive ne se situe pas que dans le pays. Ils ont une diaspora très importante.

On se souvient des émeutes de Clichy-sous-bois en 2005 qui avaient montré que les banlieues pouvaient s’embraser à tout moment. Vous aviez été pas mal critiqué pour avoir été le premier à instaurer un couvre-feu au Raincy avant même que le gouvernement ne prenne des mesures. Pensez-vous que de tels évènements puissent se produire à nouveau ?

Je vous rappelle le contexte tout d’abord. Le 4 novembre, la communauté juive du Raincy m’invite à les accompagner au camp de Auschwitz pour une commémoration. J’accepte l’invitation ! On se lève le 5 à quatre heures du matin pour partir et on reçoit un coup de téléphone du maire de Clichy-sous-bois qui devait nous accompagner et qui nous dit : « Désolé, je ne peux pas venir, le gymnase a été incendié cette nuit. » Je pars à Auschwitz et là, je reçois un vrai coup de poing dans le ventre en découvrant ces lieux emplis des horreurs du passé. J’étais mal toute la journée. En rentrant, je me suis dit que si des jeunes mettaient le feu à une école au Raincy, outre la catastrophe, la particularité des écoles de notre ville est que les gardiens vivent au-dessus de l’établissement. Imaginez le drame ! Plus le temps passait, plus je gambergeais. Le lundi matin, j’appelle Villepin et je lui dis qu’un texte de 56 donne le pouvoir de ramener les gamins chez eux le soir. Villepin est contre. Là-dessus, Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, m’appelle pour me dire : « C’est une idée à la con ton truc, on ne pourra pas l’appliquer sur tout le territoire ! » En revenant du déjeuner, coup de fil du président Chirac qui me fait comprendre qu’avec mon idée, soit cela se calme, soit les émeutiers viennent tous dans ma ville pour la mettre à feu et à sang. Et là, je tente le coup en réunissant le conseil municipal ! La presse s’est emparée de cette mesure mais, comme je l’ai précisé, c’était un couvre feu, pas un halte au feu ! Ces émeutes dans les banlieues ont fait prendre conscience aux hommes politiques que tout pouvait basculer rapidement dans les cités et créer une vague de violence quasi incontrôlable ! On s’est aperçu qu’il fallait faire quelque chose. Comme l’a dit Jacques Chirac : « Nous devons écouter les fils et les filles de la république ! » En fait, ces jeunes foutaient le feu simplement pour attirer le regard. En brûlant un gymnase, un centre de loisir, ils ont brûlés des infrastructures qui étaient construites pour eux. Nous devons par contre prendre conscience du fait que cela peut se reproduire à tout moment. Le scénario, on le connaît. Deux jeunes sur un scooter qui viennent de voler quelque chose. Ils ne portent pas de casque et sont pris en chasse par un véhicule des forces de l’ordre. Là, ils ont un accident et l’un ou les deux se tuent. Ce sont ces drames qui sont à chaque fois à l’origine de l’embrasement. Il ne faut pas oublier que la révolution dans le monde arabe est due à une policière municipale qui a pris l’étal d’un vendeur de tomates qui, plus fragile qu’un autre ou ayant atteint son point de rupture, s’est couvert d’essence et s’est immolé. Regardez aujourd’hui où nous en sommes !


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