École de commerce, première expérience professionnelle, la vie d’Antoine Dutauziet semblait toute tracée sur les rails bien huilés de notre société occidentale. Mais puisque la vie est un voyage et non une destination, Antoine a troqué le costume pour le short et les cours du CAC40 pour la quête spirituelle. C’est en Asie qu’il a posé son baluchon pendant un an pour que corps et esprit ne forment plus qu’un. Voyage, lecture, méditation… Antoine a plongé aux racines du Moi, profitant de l’instant et découvrant au fil des rencontres et des expériences qui il est vraiment. De retour en hexagone, il nous ouvre son carnet de voyage.
« Ce travail de fond m’a permis d’être plus en contact avec moi-même et avec la réalité. Aujourd’hui tout est différent, les couleurs, les saveurs, les sons… Tout est plus délicieux ! »
La vie est un voyage, pas une destination. Cela t’inspire quoi ?
J’aime beaucoup ce regard sur la vie. Notre esprit occidental est très axé sur les buts à atteindre dans le futur, mais on oublie souvent de prendre le temps de profiter de la chevauchée. Parler de voyage c’est parler de l’instant, du temps et de l’espace présents. On entre alors dans une vision plus orientale de la vie. C’est bien lorsque l’on peut faire la fusion des deux héritages !
Après cinq années passées dans une école de commerce puis trois de vie professionnelle, quels ont été les éléments qui t’ont poussé à partir ?
Comme pas mal de monde en sortant d’une école de commerce, j’étais parti sur la route de la carrière et de la réussite professionnelle. Un TGV qui file sur les rails à toute allure… J’avais déjà essayé la méditation bouddhiste et également lu quelques ouvrages dans le domaine comme ceux du penseur indien Krishnamurti par exemple ou encore le best-seller international « Power of Now » d’Eckhart Tolle. Ce qui a accéléré mon envie de partir vers de nouveaux horizons est la pratique du yoga deux fois par semaine à Paris. Cela m’a donné un équilibre au niveau physique et mental que je n’avais jamais connu auparavant. Je me suis peu à peu senti comme un extraterrestre par rapport à mes collègues du e-business vissés sur leurs fauteuils et cela m’a conforté dans mon choix de partir voir autre chose ! Je me suis en quelque sorte projeté dans l’avenir et j’ai vu ce que je ne souhaitais pas devenir.
Pourquoi avoir choisi l’Asie, plus que l’Afrique ou l’Inde par exemple ?
Ma sœur venait de quitter les Philippines pour s’installer à Bali. Elle a aussi eu une importance dans ma décision puisqu’elle pratiquait déjà le yoga et m’a incité à m’y mettre. Je souhaitais commencer mon voyage à ses côtés pour m’imprégner de son « énergie » en quelque sorte. L’Asie est un continent très riche dans le domaine de la spiritualité et du bien-être. J’avais par ailleurs déjà fait un voyage en Inde, six ans plus tôt comme touriste et j’avais été très malade à cause de la nourriture, donc je ne souhaitais pas commencer un voyage de plusieurs mois là-bas, peut-être plutôt y finir ma quête… Finalement, les circonstances en ont décidé autrement et je suis resté quatre mois sur la même plage en Thaïlande !
Comment as-tu préparé ton voyage, entre la décision et le départ ?
J’ai décidé de partir un an pour vraiment couper avec mon quotidien et prendre le temps du voyage. J’ai acheté un Lonely Planet sur l’Indonésie et fait quelques recherches sur Internet. Je souhaitais prévoir mon périple dans les grandes lignes, avoir une idée des régions à voir tout en gardant une part d’improvisation sur place concernant les transports et les logements. Lorsqu’on a le temps, c’est sympa de pouvoir adapter son itinéraire aux gens qu’on rencontre, donc j’ai cherché cet équilibre entre préparation et spontanéité. L’Asie est aussi un continent où la notion du temps est très différente de la nôtre : un très bon entraînement pour la patience !
Avais-tu préparé un itinéraire précis ou te laissais-tu guider par tes envies au jour le jour ?
Je me suis plutôt laissé guider par mes envies au jour le jour. J’avais par exemple choisi de passer au départ un mois en Indonésie, puis un mois en Thaïlande. Au final, j’ai tellement aimé Bali qu’au bout d’une semaine, j’ai décidé de rester deux mois en Indonésie pour avoir le temps d’explorer Java et de faire une retraite spirituelle.
Avais-tu une appréhension en partant ou la joie primait-elle sur tes craintes éventuelles ?
Ça fait bizarre quand on annonce à sa famille et à ses amis qu’on part… Un an. Ça leur semble une éternité ! Moi j’avais du mal à réaliser. Je m’étais déjà éloigné de ma famille, mais jamais plus que les quatre mois de mon échange universitaire. Certains collègues trouvent ça super, d’autres sont un peu jaloux évidemment. Je suis parti le 8 août. J’avais choisi la date symboliquement, le 8 à l’horizontale étant le symbole de l’infini, de l’inconnu. Et je me préparais sans vraiment le savoir à un grand saut dans l’inconnu ! Donc à Roissy au moment d’embarquer dans l’avion, la gorge était un peu nouée. Mais dès mon arrivée à Bali, ma curiosité et mon sentiment de liberté ont pris le dessus.
La solitude, l’éloignement ont-ils été délicats à gérer au début de ton périple ?
J’ai eu la chance d’être un peu « cocooné » par ma sœur à mon arrivée à Ubud à Bali pendant 15 jours. Puis j’ai pris mon envol. J’ai rencontré pas mal de voyageurs en couple ou en groupe qui m’ont demandé si ce n’était pas trop dur de voyager seul. La réalité est qu’en fait je n’ai eu que très peu de temps seul. Dans les auberges de jeunesse, il y a beaucoup de routards qui voyagent seuls et sont ouverts aux rencontres. L’avantage de voyager indépendamment est qu’on est entièrement flexible et qu’on peut décider si l’on souhaite partager son temps avec quelqu’un pour aller dîner ou visiter un site archéologique ou au contraire rester ce jour-là de son côté et lire un bon bouquin : on n’a pas d’obligation de politesse à remplir ! Dans l’optique de mon voyage et de ma quête, j’avais besoin de cette indépendance. Concernant l’éloignement, j’avais décidé de créer un blog pour partager mes récits de voyages et mes photos. Je l’ai alimenté environ une fois par semaine pendant un an. Paradoxalement, en étant à l’autre bout de la planète, j’ai l’impression que ma mère a ainsi eu plus de nouvelles de moi que lorsque je travaillais à Paris ! Ce blog a été l’outil parfait pour partager ma transformation intérieure lorsque le voyage a pris cette tournure.
Comment en es-tu venu à faire une retraite silencieuse de 10 jours en Indonésie ?
J’ai donc fait une « Vipassana », une retraite silencieuse de dix jours. Mon frère et ma sœur en avaient déjà fait une, donc c’était en quelque sorte la porte d’entrée dans ma quête spirituelle. Cette technique de méditation est celle découverte par Buddha lui- même il y a 2 500 ans : autant dire qu’elle a fait ses preuves ! Le principe est de créer un isolement pour forcer la personne à s’immerger dans son corps et son esprit. On est donc entièrement coupé du monde extérieur et des autres participants verbalement et physiquement pendant dix jours. On se rend vite compte que notre esprit est comme une bête sauvage indomptable qui ne cesse de se projeter dans le passé ou l’avenir, mais qui n’arrive pas à rester dans l’instant. Or selon Buddha, et tous les grands mystiques, l’instant est la porte d’entrée au « nirvana », « paradis » ou « paix intérieure ». Ces mots sont distincts mais ils désignent en réalité un même état de conscience. Il s’agit donc principalement de porter son attention sur la respiration puis peu à peu d’étendre la technique.
Peux-tu nous parler de cette expérience de « No-mind » que tu as vécue ?
On médite plusieurs heures par jour, parfois jusqu’à 10 heures. Au début c’est dur, on a mal partout, puis on prend le pli. Au 6e jour en prenant mon repas, j’ai eu un moment que je pourrais qualifier de conscience claire, de grande transparence. C’est très étonnant la première fois et on risque de ne pas le reconnaître pour ce qu’il est. Pour la première fois l’esprit est parfaitement calme, sans aucune pensée parasite, comme un mur blanc sans tableau. Le moment où l’esprit est enfin dompté est un moment inoubliable et très fort. Pour la première fois j’ai pu clairement me dés-identifier du fil de mes pensées et me rendre compte que je n’étais pas les pensées dans ma tête, mais qu’il y avait quelque chose de plus profond, une conscience humaine universelle qui ne m’appartenait pas et qui est la même pour nous tous. C’est un moment qui bouleverse votre vie, qui a été vécue par des milliers de gens à travers les époques et décrit de milliers de façons différentes. En fait chacun y goûte sans savoir ce que c’est au moment d’un orgasme par exemple. L’esprit s’arrête alors quelques instants : c’est cette expérience que les gens recherchent sans en être pleinement conscients. Mais aucun mot ne peut l’expliquer puisque chaque mot est réducteur, chaque mot cherche à réduire une expérience et à la faire rentrer dans la « boîte » de l’esprit. J’ai ressenti ce moment 30 secondes, peut-être une minute. Et puis mes pensées se sont remises en marche, le cheval cabré de mon esprit m’a envoyé valser dans les fourrés ! Mais j’avais goûté à la vérité de manière consciente dans mon esprit et mon corps et je savais que j’étais sur la voie de ma propre exploration.
Peux-tu nous parler du programme de conscience que tu as suivi ensuite en Thaïlande pendant quatre mois ?
En arrivant en Thaïlande, j’ai fait différentes rencontres. Mais une m’a marqué particulièrement. Sur l’île de Koh Phangan, à deux plages de la très touristique Full Moon Party se trouve une plage beaucoup plus bohème axée sur le yoga, le bien-être et la nourriture bio et raw food. Au bout d’une semaine j’y ai rencontré Rafael un américano- péruvien de 47 ans qui y vit avec sa femme thaïlandaise, Jantra. Ils tiennent la « School of Mystery ». Rafael a été chercheur en biologie moléculaire, hypnothérapeute, et enseignant à des adolescents dans un quartier de Harlem pendant dix ans. Il se définit lui- même comme un explorateur de l’inconscient. Cette énigmatique école du mystère a retenu mon attention et j’y suis finalement resté quatre mois ! Le début du programme est axé sur l’équilibre du corps. Par des techniques de respiration, une alimentation et une hydratation saines et beaucoup d’expression corporelle par la danse j’ai pu entrer progressivement plus en contact avec mon corps, plus à l’écoute. J’ai peu à peu développé mon propre programme de yoga. J’ai également lu de nombreux ouvrages de l’auteur indien Osho. C’est un homme, aujourd’hui disparu, qui était spirituellement pleinement éveillé comme Buddha a pu l’être et ses enseignements me sont encore aujourd’hui très utiles dans ma vie quotidienne ! Au bout de trois semaines, après ce bloc commun d’équilibrage du corps, nous sommes partis avec Rafael à l’exploration de mon esprit et de sa partie inconsciente. Oui il s’agit vraiment d’une exploration, l’esprit humain est très complexe et chacun a beaucoup de choses à accepter sur lui-même pour pouvoir aller de l’avant dans la vie. Tout le travail consiste ici aussi à calmer l’esprit pour être plus équilibré dans l’instant présent. J’ai dû aller au plus profond de moi-même, c’est un vrai challenge, mais je n’ai aucun superpouvoir et tout le monde peut le faire à condition de s’investir à fond. Le bonheur est votre droit de naissance : à vous de le réclamer !
En quoi ces expériences qui semblent à des années-lumière de notre monde occidental t’ont-elles permis de grandir, d’évoluer en tant qu’homme ?
Ce travail de fond m’a permis d’être plus en contact avec moi-même et avec la réalité. Aujourd’hui tout est différent, les couleurs, les saveurs, les sons… Tout est plus délicieux ! Je me connais davantage, je m’accepte davantage et donc je m’aime davantage. Contrairement à une idée reçue, il faut d’abord s’aimer soi-même pour pouvoir aimer autrui. Comme l’explique Osho, il ne faut pas confondre égoïsme et amour de soi. L’égoïsme cherche à affirmer une illusion de supériorité mais l’amour de soi est la clé vers l’amour pour autrui. Donc je dirais que je me sens plus serein vis-à-vis de moi-même et que je ressens naturellement plus de compassion pour les personnes qui n’ont pas eu la chance et le courage de vivre les mêmes expériences que moi. J’ai plus d’énergie disponible pour autrui car je suis moins parasité par les conflits intérieurs liés à mon ego.
Si tu devais en quelques mots décrire le Antoine d’avant ce voyage ?
J’étais assez stressé. Je pensais beaucoup à l’avenir, à la carrière, j’avais pas mal de questions qui virevoltaient dans ma tête. Sentimentalement, j’étais à la fois moins en contact avec mes émotions et plus fragile.
Et celui que tu es désormais ?
Aujourd’hui je me sens bien dans mon corps et dans ma tête. Je suis beaucoup plus serein, plus équilibré. Je suis plus à l’écoute de moi-même et des autres, plus sensible. L’avenir est beaucoup plus flou et ça ne me pose plus du tout les mêmes problèmes, ça ne cause pas le même stress. J’ai déraciné pas mal de mes conditionnements familiaux et sociétaux et je suis un homme beaucoup plus libre aujourd’hui.
Si tu ne devais garder qu’un seul souvenir de ce périple, lequel serait-il ?
Quand j’ai franchi la barrière de l’esprit, quand j’ai découvert l’intelligence de mon cœur.
Quelle rencontre t’a le plus marqué ?
Sans aucun doute mes quatre mois passés avec Rafael et sa femme. Je leur dois tellement. Ma vie a complètement changé… En mieux !
Penses-tu que ce type de périple peut venir en aide à des jeunes qui sont un peu perdus ou en manque de repères au sein de notre société ?
Absolument. En fait au risque de paraître polémique, tout le monde est en manque de repères. Les conflits externes de l’humanité sont la somme des conflits internes de chaque personne : il y a eu 5000 guerres au cours des 3000 dernières années ! Les repères qui nous ont été donnés ne nous rendent pas nécessairement plus libres et plus heureux, ils ont été gravés dans notre inconscient lorsque nous étions enfants et incapables d’avoir notre propre expérience de la vérité. La quête de soi est une quête personnelle, individuelle. Elle va à l’encontre des systèmes établis, parce que chaque système est par définition un groupe préoccupé par le pouvoir et donc le contrôle des individus. Donc oui ce type de périple peut permettre à ces jeunes de se rendre compte que s’ils sont en manque de repères c’est parce qu’ils sont sans doute plus sensibles que la moyenne et qu’ils ne rentrent pas dans les cases du système en place. Cela peut leur donner confiance en eux et les aider à grandir pour peu à peu changer la société de l’intérieur en rendant ses individus plus libres, plus équilibrés, plus sereins !