Musique

Michel Piquemal, chef d’orchestre

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EntretienBaryton de renom, figure emblématique de l’art vocal français, directeur de plusieurs chœurs régionaux de référence et créateur de l’ensemble vocal éponyme, Michel Piquemal est, comme il aime à se définir lui-même, une allumette que l’on aurait mise dans le ruisseau de la musique classique. Tombé à l’eau dès son plus jeune âge, l’homme s’est laissé porter par un courant favorable qui l’a conduit de rencontres en émotions auditives à devenir une référence de la musique sacrée pour chœurs et orchestre. Préférant de loin le torrent risqué au fleuve placide, Michel Piquemal œuvre hors des sentiers battus pour faire découvrir à l’auditeur, au gré de ses enregistrements, des trésors méconnus de notre patrimoine musical hexagonal. De Francis Poulenc à Henri Tomasi ou Guy Ropartz, le maestro dépoussière des œuvres que le temps avait fini par ranger dans les tiroirs de l’oubli.


« En subissant la musique dans les supermarchés, à la radio, la télé, on devient spectateur et non plus acteur de son propre goût. »

Vous avez étudié au Mozarteum de Salzbourg pour l’interprétation du Lied. Que gardez-vous de cette période passée dans cette ville si empreinte de musique et qui porte le sceau de Mozart ?

Salzbourg est une ville magique, dédiée entièrement à la musique et où de nombreux étudiants de toutes nationalités viennent y parfaire leur enseignement. Je m’y suis rendu afin d’étudier le Lied. Au-delà du domaine purement musical, on peut dire que Mozart fait vivre Salzbourg tant son nom est devenu, au fil des années, une attraction commerciale pour bon nombre de visiteurs. Personnellement, en tant qu’étudiant, j’y ai ressenti une très forte stimulation car, en ce lieu, votre entourage comme votre environnement sont dédiés à la musique et vous permettent de vous focaliser sur ce seul objectif. Ensuite, j’ai eu la chance de rencontrer Pierre Bernac à Paris pour les dix ans de la mort de Poulenc où j’étais invité à chanter. Ses conseils m’ont fortement aidé pour la suite de ma carrière.

En 1987, vous vous voyez confier la direction du Chœur Régional Vittoria d’Île de France et du Chœur Régional Provence Alpes Côte d’Azur. Diriger, c’est ce à quoi vous aspiriez vraiment ?

C’était l’époque merveilleuse où l’on développait des orchestres dans toutes les régions de France. Pour l’Oratorio, on a vite compris qu’il fallait des chœurs de bonne qualité, mais qu’on ne pouvait pas payer puisque seul le chœur de Radio France est professionnel pour ce type d’oeuvre. En parallèle des orchestres régionaux, il y a donc eu la création de chœurs de régions. J’ai personnellement créé le chœur régional d’Île-de-France et le chœur de la région PACA. Je m’occupe également du chœur de l’abbaye des dames à Saintes. La direction orchestrale est un domaine qui me comble par son sens du partage. Il y a encore dix ans, j’étais partagé entre le chant soliste et la direction, mais j’avoue, qu’aujourd’hui, l’idée de donner vie à une œuvre, la mener de la partition à la représentation en compagnie d’un orchestre dont je me sens proche est un plaisir rare. Une œuvre, aussi belle soit elle, ne vit que par les musiciens qui la perpétuent. Nous sommes en cela des docteurs miracles ! Ce qui, sur un papier, n’est qu’un enchaînement de notes reprend vie comme par magie grâce à des chanteurs, des musiciens et un chef d’orchestre. Il faut garder à l’esprit que tous ces compositeurs, de Bach à Ravel, ont offert le meilleur d’eux-mêmes pour donner naissance à ces chefs-d’œuvre dont nous ne sommes que les serviteurs avec, certes, notre cœur, notre tête et une sensibilité qui nous est propre. Un chef d’orchestre est un peu comme le metteur en scène d’une pièce de théâtre. Il doit être fidèle à l’œuvre tout en y incorporant ses propres sensations. Prenons par exemple le Requiem de Fauré que j’ai interprété à plusieurs reprises. Je trouve personnellement dans cette œuvre une certaine violence que d’autres ne voient pas forcément. Dans l’interprétation, j’essaye donc de mettre un certain accent sur ces doutes, cette révolte que je perçois chez Fauré ce qui, en cela, diffère de la vision de l’œuvre que pourra avoir un autre chef.

Requiem de Fauré, de Verdi, Messe solennelle de Rossini, avec les chœurs de régions que vous dirigez, vous semblez tourné vers les œuvres sacrées. Est-ce par goût personnel ou parce que le chœur s’y prête merveilleusement ?

Lorsque l’on joue avec un chœur, la majeure partie du répertoire tourne toujours autour des messes, des Stabat Mater, des Oratorios… Tous les compositeurs ont écrit pour Dieu, pour la foi, pour l’église. Bach écrivait par conviction et Mozart pour gagner sa vie, mais tous ont une partie de leurs compositions dédiée au sacré. Il faut savoir qu’à l’époque de leurs compositions, ces œuvres étaient destinées à l’office et non aux concerts. Harmoniquement, rythmiquement, que l’on croît ou pas, la foi est perceptible dans ces œuvres d’une profondeur inouïe. Personnellement, même si ma croyance reste limitée, pouvoir interpréter de tels chefs-d’œuvre de la musique sacrée me touche très profondément.

Aborde t-on une œuvre sacrée différemment d’une œuvre profane ?

Je dirai que la différence dans l’approche est un peu celle qui existe entre une pièce comique et une tragédie. Le premier guide reste immuablement la partition. Tout d’abord, je découvre l’œuvre, je m’en imprègne. En tant que chef, il faut savoir que lorsque je dirige une œuvre et que je l’accompagne de la lecture de la partition à la représentation scénique, c’est un peu comme si je l’avais écrite moi-même. Lorsque je suis en concert avec l’orchestre, le chœur, je m’accapare l’œuvre. C’est un sentiment très étrange ! En cela, je n’ai jamais eu, comme d’autres chefs d’orchestres ou d’interprètes, besoin de passer à la composition pour combler un quelconque manque. Je ne ressens aucune frustration artistique en jouant les œuvres des autres. J’y trouve une réelle plénitude et je ne souffre aucunement de ne pas en être le créateur.

Fauré, Duruflé, Poulenc, Henri Tomasi ou Guy Ropartz que peu connaissent, il semble que vous vouiez une véritable admiration aux compositeurs français du XIXe à la fin du XXe siècle !

Je trouve dommage que, dans notre pays, on ne fasse pas assez attention à notre patrimoine qui est pourtant magnifique. À Salzbourg, vous jouez de la musique Allemande ou Autrichienne. Les gens sont fiers de leur patrimoine À l’opposé, en hexagone, on chante tout sauf de la musique française. Comment en effet expliquer qu’à part Ravel et Debussy, nos grands chefs ne s’intéressent pour ainsi dire pas au répertoire admirable et conséquent laissé par des compositeurs français qui, eux aussi, ont marqué de leur empreinte l’histoire de la musique ? J’avoue que c’est une attitude que j’ai du mal à comprendre ! Quel serait mon intérêt d’enregistrer une énième version du requiem de Mozart ou de la cinquième de Beethoven alors que les plus grands chefs les ont déjà gravés sur disques à de nombreuses reprises ? C’est aussi de notre devoir de ressortir des tiroirs des œuvres oubliées pour leur redonner vie.

Vous avez d’ailleurs enregistré l’intégral de Guy Ropartz. Un choix quelque peu hors des sentiers battus !

Seul Michel Plasson à Toulouse a développé le répertoire Français ! Personnellement, j’aime fouiller chez les marchands de musique ou dans les bibliothèques pour découvrir des œuvres ou encore les faire renaître. C’est comme cela qu’un jour, en fouillant, je suis tombé sur le requiem de Guy Ropartz. En rentrant chez moi, je me suis précipité sur le piano et j’ai été frappé par la beauté de cette œuvre, sa grande force émotionnelle. Je me suis donc penché sur l’œuvre complète de ce compositeur oublié et j’ai réussi à persuader une maison de disques d’enregistrer l’intégral de Ropartz. J’aimerais tant que le chœur de radio France ouvre son répertoire à ces compositeurs qui méritent autant que Fauré d’être reconnu par le grand public.

Comme le disait Olivier Bellamy (journaliste de Radio Classique), les Français ont tendance à dénigrer les compositeurs hexagonaux. C’est une tradition hélas typiquement de chez nous non !

Et bien moi, je reproche à Radio Classique de ne pas assez faire entendre de compositeurs français et de musiciens français sur leur onde. Croyez bien que je le déplore ! Et c’est la même chose à France musique. Pour vous donner une idée de l’absurdité de la chose concernant l’ignorance de la France pour ses compositeurs, sachez que Pierre Bernac a écrit un livre merveilleux et qui fait figure de référence en la matière. Ce livre répertorie toutes les œuvres chantées des mélodies françaises. Et bien, Pierre Bernac a été obligé de rédiger son ouvrage en anglais car il n’a pas trouvé d’éditeur en France. Ce livre est devenu incontournable outre-manche et, lorsque je fais des masters classes, tous les élèves Anglais viennent avec. Par contre, en hexagone, il reste introuvable ! Les Coréens, les Japonais adorent la musique française alors que, chez nous, on laisse à l’abandon tout ce répertoire. Lorsque l’on constate que la majorité des œuvres de Berlioz ont été enregistrées par le chef anglais Sir Colin Davis, ça laisse songeur ! Il serait d’ailleurs intéressant de répertorier le minutage consacré aux artistes français sur nos radios dédiées à la musique classique ! Je serai fort étonné qu’il y ait 20 % de musique française sur radio classique par exemple ! En ne faisant pas découvrir de nouvelles œuvres, on tue la curiosité du public. Je n’ai rien contre Mahler et Brahms, mais il n’y a pas que ça !

La musique classique et le chant sont de merveilleuses portes ouvertes sur le monde. Pensez-vous que leurs rôles pédagogiques devraient être beaucoup plus mis en avant dans le système scolaire actuel ?

Il faut faire écouter de la musique car l’auditeur baigne dans une telle soupe que ses oreilles sont détournées de ces œuvres dites savantes. Toute cette musique formatée que l’on vous fait écouter de force dans les supermarchés tue également le goût de l’effort en ne proposant que du ludique, du facile. La musique classique demande de la concentration, de l’approfondissement. Dans les écoles, on laisse également à mon sens un peu trop faire. La musique, le dessin, il convient de développer ces formes d’art pour les enfants. L’oreille, comme un muscle, demande une initiation et il faut inciter les enfants dès leur plus jeune âge à écouter de la belle musique afin de les initier et ne pas les laisser happer par ce qui s’impose à eux automatiquement et souvent, à leur insu. Regardez à la télévision par exemple, y voyez- vous un seul concert de musique classique, un orchestre ? La culture devrait être proposée à tous afin d’avoir le choix. En subissant la musique dans les supermarchés, à la radio, la télé, on devient spectateur et non plus acteur de son propre goût. On doit donner la chance à un enfant de défricher des terrains inconnus et ce sont les parents ou encore le système éducatif qui doivent aider la jeune classe à connaître ce formidable patrimoine qui est le nôtre.


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