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Michel Vuillet : face au Covid, les médecins sortent de leur retraite

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Tout une carrière passée dans les salles d’opération d’une clinique toulonnaise à exercer sa profession d’anesthésiste et, à peine en retraite, le médecin, Michel Vuillet, se retrouve à prêter main-forte à ses collègues de la région parisienne débordés par les patients Covid qui affluent. Après des années passées à sauver des vies dans l’ombre, le voilà sous les feux des projecteurs. À peine le pied posé sur le tarmac après un vol Marseille/Paris en avion militaire affrété pour l’occasion que, déjà, les chaînes d’infos, en quête d’images et de « bons sentiments », affluent pour l’accueillir lui et ses collègues ; un peu comme si la population tout autant que les médias prenaient enfin conscience de l’importance vitale du personnel de santé ! Mais pourquoi aller chercher des médecins en retraite alors que certains personnels du privé sont au chômage technique ? Quelle est la réelle situation au sein des services de réanimation ? Le gouvernement tirera-t-il les leçons de cette crise pour repenser le service hospitalier et, enfin, considérer un peu plus celles et ceux qui y dévouent leur vie ? Le docteur Vuillet apporte ses réponses !


« Il faut organiser la santé comme on organise l’armée ! »

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Vous êtes jeune retraité après une carrière comme médecin anesthésiste dans une clinique à Toulon. Comment vous êtes-vous retrouvé dans un service de réanimation en région parisienne en pleine crise de Covid-19 ?

Le passage à la retraite a quand même développé un certain sentiment d’inutilité. Après un engagement professionnel important, le contact des patients me manquait. Lorsque cette maladie du Covid s’est profilée, l’évidence de participer pour aider s’est tout naturellement imposée. Je me suis inscrit sur la réserve civile et, malgré des doutes quant à savoir si j’allais encore être performant, la crainte d’abandonner mes proches, les inquiéter, risquer de les contaminer, un certain sens du devoir a été plus fort que tout. Et puis, un jour, j’ai reçu à 15 heures un appel de l’agence régionale sanitaire qui m’annonçait que je devais partir le soir même. Là forcément, une énorme montée d’adrénaline se fait sentir, on dit au revoir aux siens, un vol Marseille/Paris dans un avion affrété par l’armée et une sensation de partir en mission. Le lendemain on se réveille dans un hôtel de banlieue parisienne et là, ce qui n’était que médiatique, peu concret finalement, devient réel. La réanimation, les patients ventilés, en décubitus ventral, les explications des confrères, le stress devant l’aggravation de l’état de santé de certains patients, la maladie qui ne cesse de progresser et dont on sait si peu… Voilà comment je suis, du jour au lendemain, sorti de ma toute récente retraite.

Passer d’anesthésiste au bloc opératoire à un service de réanimation, n’est-ce pas là un certain saut dans l’inconnu, preuve que notre système hospitalier manque autant de personnel que de moyens ?

Il y a effectivement un décalage, particulièrement accru dans les situations d’urgence, entre l’administration qui ne connaît pas toujours nos spécificités en tant que médecins et le terrain. Il y a, d’un côté, des diplômes en anesthésie et réanimation et, de l’autre, des besoins. Il a fallu instaurer le dialogue avec l’administration et adapter nos compétences. On a été très bien accueillis par une équipe performante à l’hôpital de Longjumeau où j’ai tout d’abord été parachuté. Le personnel était déjà en nombre même s’il enchainait les gardes. On a eu le temps nécessaire pour tenter de comprendre ce que l’on savait à ce stade de la maladie, s’adapter aussi à leur mode de fonctionnement… La marche est haute car la réanimation, c’était un peu pour moi comme changer de registre. J’ai fait ma carrière comme anesthésiste et là je me voyais confier un poste de réanimateur. Ce sont deux spécificités bien distinctes. J’ai tenté de m’intégrer au mieux pour aider ce service de réanimation, mais il est vrai que je ne m’y sentais pas vraiment à l’aise et d’une grande utilité. J’ai donc expliqué cela à l’agence régionale sanitaire en leur spécifiant qu’il serait certainement préférable de me trouver un poste où je serais plus compétent, plus performant aussi. On m’a alors affecté à l’hôpital d’Estampes où ils cherchaient un médecin pour assurer des gardes en anesthésie au bloc et à la maternité, ce qui me correspondait bien plus.

Vous êtes arrivé de Marseille par avion militaire avec, à peine sur le tarmac, les caméras des chaînes de télévision qui vous attendaient. Vous n’avez pas l’impression que, dans la gestion de cette crise du Covid, à l’image de ce qu’est notre société actuelle, on est plus sur le registre de la communication qu’autre chose ?!

Il y a bien sûr eu beaucoup de com’ autour de ça. C’était vraiment : « Les soldats montent au front ! » D’autres professionnels ont également fait beaucoup d’efforts en logistique, distribution, sécurité … Le gouvernement avait besoin de rassurer et de montrer qu’il réagissait. Depuis la pandémie de 2009, l’OMS a organisé un plan d’alerte et de comportement. Malheureusement cette initiative a rapidement été endiguée, la leçon n’ayant pas été retenue. L’absence de réserve de masques alors que l’épidémie avait touché l’unique lieu de production, la Chine, et que la demande risquait d’être mondiale aurait dû être anticipée. On a tenté de faire passer le message comme quoi le port de masque n’était pas nécessaire, c’était simplement pour pallier le manque évident de stocks et, à mon sens, un discours vraiment lamentable. Il faut quand même savoir qu’une grande partie des masques et du gel hydroalcoolique a été volée dans les hôpitaux !

Entretien

Réseaux sociaux où tout le monde s’autoproclame épidémiologiste, surabondance de fake news, chaînes d’information qui traitent 24h/24 du Covid. L’overdose d’infos n’a-t-elle pas participé grandement à la pagaille ambiante ?

Que les réseaux sociaux s’enflamment, c’est à l’image de notre société actuelle dans laquelle tout le monde dit tout et n’importe quoi. On surfe sur ce qui monopolise l’attention du public, aujourd’hui le Covid. Les chaîne d’infos, en surchargeant la population d’informations parfois contradictoires, ont contribué à générer une pagaille aujourd’hui ambiante. La peur de l’inconnu a fait par exemple que tous les gens se sont rués dans les supermarchés pour dévaliser les rayons comme en temps de guerre. Dès que le message est passé concernant l’importance du masque comme barrière face à la propagation du virus, tout le monde, là encore, a voulu s’en procurer. Le problème c’est que puisque rien n’avait été anticipé en amont, même nous, personnel soignant avons dû faire face à cette pénurie dramatique.

Vous avez passé toute votre carrière dans l’univers hospitalier. Depuis plus d’un an maintenant, la gronde se fait entendre au sein du personnel soignant. Vous avez pu constater cette dégradation progressive des conditions de travail ?

J’ai pu observer plusieurs phénomènes. Depuis les années 90, la médecine est devenue une médecine comptable. Cela a été le prétexte de la prise de pouvoir du système de santé par une administration sans aucune analyse de retour. Des charges très chronophages nous éloignent des patients, des moyens orientés sur certaines pathologies… On fait face à une diminution de la prévention et on regarde la médecine scolaire qui se meurt. Il y a quelques mois, souvenons-nous qu’un grand nombre de chefs des services hospitaliers, en désaccord avec le système de santé, ont démissionné de leurs postes administratifs. Ils ont écrit au gouvernement pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail, de la manière dont était aujourd’hui géré le service hospitalier et, vous savez quoi, ils n’ont même pas reçu un courrier de réponse ! C’est dire comme le gouvernement se préoccupe de ce qui se passe dans les hôpitaux et les conditions dans lesquelles travaille le personnel soignant ! Au niveau paramédical, la sacro-sainte traçabilité, qualité, se fait souvent au détriment du temps passé aux côtés des patients à qui l’on tourne le dos. Du point de vue économique, la reconnaissance des professions paramédicales n’autorise plus ceux qui soignent à vivre normalement, à avoir un « chez eux » décent, des loisirs. Cela change forcément leur plan de carrière et ils seront plus volontiers tentés de se tourner vers le libéral. On doit faire face à un turn-over des équipes ce qui fait qu’il y a moins d’unités dans tous les services. Tout cela a changé au fil des années, de ma carrière et je ne peux que le déplorer.

On remarque aujourd’hui que de nombreuses cliniques privées sont fermées ou mises en sommeil, que les actes chirurgicaux non « indispensables » sont repoussés et que les gens consultent de moins en moins leurs médecins. Que l’on s’attaque au Covid oui, mais au détriment des autres pathologies, vous trouvez cela normal ?

On prend malheureusement un retard sur tout le reste des soins. Le Covid a pris le pas sur toutes les autres maladies, c’est évident. Certes, il y a, par cette pandémie, un risque vital, mais la médecine doit continuer. Il est important que les autres pathologies ne soient pas mises de côté car, là où je travaille actuellement, je constate chaque jour les problèmes que le Covid induit. Les gens qui auparavant venaient pour une appendicite arrivent aujourd’hui avec une péritonite car, malheureusement, ils ont trop attendus avant de se rendre à l’hôpital. Hier, une dame est arrivée avec une hernie étranglée. Normalement, on traite la hernie en la réduisant mais là c’était perforé, fistulisé… Ce sont des choses que l’on ne voyait plus. C’est pour cela qu’il est primordial d’inviter la population à continuer à se rendre chez son médecin traitant.

Malheureusement, aujourd’hui beaucoup de cabinets médicaux sont fermés et on a l’impression que, même pour les urgences, les hôpitaux ne se polarisent QUE sur le Covid !

Tout passe là par la médecine de ville et il ne faut pas hésiter à faire appel à SOS médecin si jamais cela s’avère nécessaire. La médecine tourne et il ne faut surtout pas penser que l’épidémie de Covid doit être un frein au fait de vous faire soigner pour d’autres pathologies tout aussi graves. N’attendez-pas le 11 mai pour prendre rendez-vous !

On l’évoquait, manque de masques, premier tour des élections municipales maintenu, débat sur l’utilisation de la Chloroquine… On a l’impression que, dans cette gestion de crise, tout est de l’ordre de l’à-peu-près sans aucune anticipation. C’est aussi votre sentiment ?

En 2009, face à la crise de la grippe H1N1 et tout ce qui avait été prévu en amont, on s’est un peu gaussé en disant que les choses avaient été exagérées et que commander autant de masques de la part de Roselyne Bachelot avait été une erreur. Aujourd’hui, on constate juste ce que le manque d’anticipation a entrainé comme situations dramatiques. Les stocks de masques étaient là depuis 2009, ils n’ont simplement pas été maintenus comme cela aurait dû être le cas. On savait, dès le départ, que puisque les lieux de production se trouvaient en Chine, premier pays touché et ayant opté pour le confinement, si l’épidémie se mondialisait, il y aurait alors une pénurie notoire. C’est hélas exactement ce qu’il s’est produit. Si la politique, c’est de prévoir, là on constate hélas que l’on n’a pas prévu grand-chose !

Entre hôpitaux publics et cliniques privées, le fossé ne cesse de d’agrandir. Se dirige-t-on de plus en plus comme aux Etats-Unis vers un système de santé à deux vitesses où, une fois encore, l’argent sera le nerf de la guerre ?

Il ne faut pas opposer les hôpitaux publics et les cliniques privées. Chacun a sa place sur l’échiquier de la santé en France. Le premier problème, c’est le manque d’organisation entre les deux. On le voit bien dans la gestion de cette crise où un nombre important de cliniques privées a été arrêté ou mis en sommeil. Ces cliniques se sont préparées au mieux en mettant de côté du matériel, des effectifs pour aider dans la lutte contre l’épidémie de Covid et, finalement, elles n’ont été que très peu sollicitées. Il y a des compétences partout et il serait plus utile de les utiliser à bon escient plutôt que mettre sans cesse dos à dos public et privé. Ce qui est une certitude, c’est qu’il a de vrais problèmes partout. Les hôpitaux publics sont pauvres et les cliniques privées ne sont, elles, pas plus riches malgré les idées reçues. Le personnel est sans cesse en flux tendu et rarement récompensé malgré son engagement.

Entretien

Ne pensez-vous pas que ces cliniques privées actuellement à l’arrêt ou bien encore en sommeil ne vont pas pâtir de cette cessation même passagère de l’activité ?

Les cliniques privées sont effectivement beaucoup plus dépendantes économiquement et sont, il faut bien le dire, gérées comme n’importe quelle autre entreprise. Sans activité, le manque à gagner va être énorme et je vois aujourd’hui certains de mes confrères qui se retrouvent hélas désœuvrés et au chômage, ce qui peut paraître aberrant. Toutes les cliniques privées se relèveront-elles, rien n’est moins sûr !

Quel enseignement doit tirer le gouvernement de cette crise du Covid ?

Beaucoup de choses étaient mal préparées… En 2015, Bill Gates avait donné une conférence sur les risques futurs susceptibles de toucher notre monde. Pour lui, le risque le plus important n’était pas celui d’une guerre nucléaire mais d’une épidémie virale. Selon Bill Gates, il était essentiel d’organiser l’OMS tel qu’on l’avait fait pour l’OTAN. Il faut organiser la santé comme on organise l’armée ! On se rend compte que la mondialisation n’a pas été la meilleure des choses. On a perdu toute notre réserve de production. Nous, médecins, constatons avec amertume une pénurie de médicaments permanente. Les laboratoires, les marchés sont volatiles et tout est basé sur les économies d’échelle et les profits, ce qui fait qu’aujourd’hui, on préfère acheter à l’étranger plutôt que produire en France, ce qui nous permettrait pourtant de garder une indépendance. Aujourd’hui, concrètement, les médecins sont dépendants, dans leurs prescriptions, des marchés internationaux. La France est le troisième producteur d’armes dans le monde… Mais la guerre aujourd’hui, elle est surtout virale ! Si l’on mettait un peu moins d’argent dans les armes et un peu plus dans la recherche et la santé, les choses s’amélioreraient sans aucun doute. Et si on arrêtait cette mondialisation de l’économie pour retrouver un peu d’autonomie. Et si on surveillait un peu plus notre planète nourricière car des études californiennes ont établi le lien entre réduction de la variété des espèces animales et augmentation des zoonoses… Puisse cette pandémie élever notre vision d’un monde moins individualiste !


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