Entretiens Gastronomie

Claire Vallée, mise au vert

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L’année 2020 ayant été considérée, à juste titre, comme blanche par nombre de restaurateurs, le Guide Michelin a réservé bien peu de surprises, confirmant uniquement l’entrée méritée au panthéon de la gastronomie du chef marseillais Alexandre Mazzia qui s’invite dans le cercle très fermé des trois étoiles. Outre ce mistral nouveau venu du Sud, il est à marquer d’une fleur verte l’attribution de la première étoile décernée au restaurant végan de la cheffe Claire Vallée, une première dans l’histoire du Michelin ! Avec ONA, acronyme de « Origine Non Animale », l’archéologue de formation a bouleversé les codes et remué ciel et terre avec un projet culinaire et idéologique, né d’un merveilleux élan solidaire, à l’allure de conte de fée. C’est à Arès, sur le bassin d’Arcachon, plus connu pour ces mollusques marins que pour sa végétation, que la révolution culinaire a donc eu lieu. Quand le petit livre rouge se met au vert !

« On sent aujourd’hui de la part du Guide Michelin cette volonté de placer le cuisinier en acteur de son temps, un cuisinier responsable de ce qu’il fait »

Cliquez sur l’image pour découvrir le site du restaurant ONA de la cheffe Claire Vallée

Alain Passard avait prouvé que l’on pouvait devenir un chef triplement étoilé en centrant sa cuisine sur les légumes, avec ONA, acronyme de « Origine Non Animale », vous démontrez que l’on peut proscrire toute substance animale de l’assiette et entrer dans le cercle fermé des étoilés Michelin. Un accomplissement personnel et un merveilleux pied de nez, je suppose, aux banques qui n’ont pas voulu vous suivre dans ce projet novateur ?!

On a été très émus par cette distinction. Grâce à cette cuisine, on montre que l’on peut se nourrir différemment et prendre du plaisir dans une approche culinaire qui se veut végétale, gourmande et qui permet de découvrir des saveurs inédites. Concernant les banques, il faut se mettre à leur place ! À l’époque, j’étais une jeune cheffe autodidacte, arrivant d’un pays étranger. Je m’implantais dans une petite ville, Arès, située sur le Bassin D’Arcachon avec une culture de l’huître, de la chasse, du foie gras… Il n’était donc pas évident de se projeter sur mon concept de restaurant, unique dans la région. Bien difficile de savoir si le projet serait viable ou pas ! Sans l’appui des banques, nous sommes donc passés par d’autres systèmes pour enfin parvenir à concrétiser ce rêve.

Votre étoile récemment décernée à sans conteste été celle qui a le plus fait parler et ce à travers le monde. Comment avez-vous vécu ce tourbillon médiatique ?

Ce n’est pas évident. Je suis tous les jours en interview du matin au soir mais je ne vais pas bouder ma joie de cette belle mise en lumière du végétal que l’on essaye de porter au mieux en répondant à tout le monde avec nos petits moyens.

Crédit Photo : Maxime Gautier

Alors que vous parvenez grâce à une plateforme de financement participatif à recueillir 10.000 euros, un merveilleux élan de solidarité se met en place pour vous aider dans les travaux de votre restaurant. ONA, c’est avant tout une belle aventure humaine et, depuis le départ, un sens du partage ?!

ONA est un grand acte solidaire et ce de la part de toutes les personnes qui sont venues réaliser les travaux pour permettre au restaurant d’ouvrir ses portes. On les a d’ailleurs affectueusement appelés les petites fourmis pour avoir ainsi, chaque jour, de leurs petites mains, fourni une aide si précieuse. Des ouvriers issus de nombreux corps de métier nous ont prêtés main-forte, d’autres restaurants sont venus également nous apporter des paniers repas pendant les travaux. C’est donc une vraie chaîne de solidarité qui s’est mise en place avec cette volonté, ensemble, de créer quelque chose.

Après avoir passé huit ans dans un restaurant à Crans-Montana, en Suisse, c’est lors d’un voyage en Thaïlande que vous devenez végane. À votre retour, il devient forcément compliqué de travailler poisson ou viande. À aucun moment vous n’avez pensé vous réorienter vers votre formation universitaire première, celle d’archéologue ?

Non ! En Suisse j’avais vraiment pris goût à la cuisine. Au départ, je faisais des petits jobs en France pour financer mes études et c’est effectivement lorsque je suis arrivée à Crans-Montana que j’ai tourné le dos à l’archéologie pour me focaliser sur la cuisine. Je suis devenue cheffe assez rapidement. Vous savez, en cuisine comme en archéologie, il y a cette volonté de fouiner, de s’immerger dans les choses pour en découvrir d’autres et l’on peut donc trouver un pont entre ces deux domaines. Ce désir ancré en moi de fouiller, je pense être parvenue à le retranscrire dans mes plats. Lorsque je suis revenue de mon séjour en Thaïlande, je n’étais pas connue et je me voyais donc mal me lancer tout de suite dans le végétal. Je suis donc passée par un restaurant traditionnel et, au bout de deux ans, je me suis rendu compte que je n’avais plus du tout envie de travailler la viande ou le poisson. Je souhaitais créer un nouvel univers culinaire par le biais du végétal et c’est ainsi que ONA est né.

Composition autour de la courgette et du concombre, condiment petits pois et oeillet passion, fève et cerise fraîche.
Crédit photo : Cécile Labonne

Cette formation d’archéologue que vous évoquiez a donc généré chez vous un goût des recherches que vous avez su adapter à la gastronomie pour vous construire une bibliothèque de saveurs !

Oui, ce sont les mots justes. À travers mes voyages ou par le biais de ce que les producteurs peuvent me proposer, je me suis créé une véritable bibliothèque de saveurs. J’associe dans ma tête les éléments gustatifs pour les retranscrire ensuite en bouche. J’ai une perpétuelle réflexion par rapport à cette bibliothèque de saveurs. Le monde du végétal est infini. Entre toutes les variétés de graines, de plantes, d’épices, de fruits ou de légumes, vous avez là un terrain de chasse immense et passionnant.

Pas de produit animal dans l’assiette, ni dans le mobilier, des épluchures et de l’eau réutilisées, un herbier, une électricité verte… Au-delà du restaurant végan, ONA se veut avant tout un projet cohérent dans son ensemble ?!

Oui, je l’ai voulu et réfléchi ce projet dans sa globalité dès le départ. Je ne me suis pas adaptée à une demande. Le projet dans son ensemble devait être en parfaite adéquation avec mes valeurs, avec cette « idée » que prône le restaurant de défendre au mieux le végétal.

Dans le véganisme, il y a un message qui va au-delà de la gastronomie, un mode de vie engagé qui s’inscrit dans une démarche écoresponsable de préservation de notre environnement. L’étoile Michelin, cela va donc plus loin que la récompense de l’assiette ?!

Nous avons reçu l’étoile rouge mais également l’étoile verte qui défend ces valeurs d’écologie, de circuits courts, qui met en lumière des petits producteurs qui pratiquent une agriculture raisonnée, bio, d’écoresponsabilité… Nous sommes donc doublement étoilés. L’étoile verte est apparue en 2019 avec le chef Christopher Coutanceau et l’on sent aujourd’hui de la part du Guide Michelin cette volonté de placer le cuisinier en acteur de son temps, un cuisinier responsable de ce qu’il fait. En promouvant ces étoiles vertes, le Michelin prouve son souhait de s’inscrire dans le moment, valorisant ces chefs qui, par leur cuisine, participent à un monde meilleur.

Taboulé floral chou-fleur et melon.
Crédit Photo : Cécile Labonne

Être cette année doublement récompensée alors que le restaurant est actuellement fermé, n’est-pas trop frustrant ?

Forcément, c’est frustrant mais on ne peut rien faire d’autre que de composer avec cette situation. Nous avions mis en place un système de vente à emporter pendant le premier confinement. Lors du second, je me suis concentrée sur un livre de cuisine qui est actuellement en cours et sur lequel j’avais pris du retard. Nous avons également gardé l’activité d’épicerie fine pendant les fêtes afin de pouvoir maintenir au mieux un contact avec les clients. Nous sommes de toute façon pieds et mains liés en ce moment et nous devons donc prendre notre mal en patience.

Contrairement aux idées reçues, vous dites que 95% de celles et ceux qui viennent prendre place dans votre restaurant ne sont pas végans. Les personnes arrivent-elles avec des aprioris ou sont-elles, dès le départ, avides de découvertes ?

Même si cela peut paraître étrange, c’est exact, 95 % de notre clientèle n’est pas végane. Cela s’explique en partie par le fait que nous sommes dans une ville relativement petite, située sur le Bassin d’Arcachon. La plupart de celles et ceux qui poussent la porte du restaurant arrivent sans aucune idée préconçue et les rares qui en ont viennent nous féliciter à la fin du repas et, même s’ils sont chasseurs ou bouchers, ils nous avouent avoir ressenti beaucoup d’émotion en dégustant nos plats. Il y a une poésie dans l’assiette qui fait oublier le produit animal. C’est d’ailleurs le but de ma cuisine, être capable d’émouvoir tout le monde avec uniquement du végétal.

Un repas sans viande, on peut facilement se l’imaginer, mais sans œufs, sans lait, sans beurre, sans crème, c’est pour un non végan un peu plus compliqué à envisager. Pouvez-vous nous expliquer comment l’on parvient à se passer de ces éléments qui, pour beaucoup, sont au centre de toute recette ?

Cela se réapprend. Il faut donc repartir de zéro. Bien sûr, comme je suis cheffe, c’est plus facile pour moi de revisiter les plats en végétal car j’ai les bases. Après, il faut savoir que l’on peut remplacer les œufs par plein de choses et donc adapter ses propres recettes. D’abord, on essaye, on tâtonne avec ses équipes ou même seule à la maison. Avec la pratique, cela devient instinctif et pour tout vous avouer, je serais aujourd’hui incapable de vous faire une quiche avec des œufs, de la crème et du lait car je n’ai plus aucune notion des proportions. Je suis passée à autre chose. Il faut comprendre qu’il s’agit là d’une simple réinterprétation. Vous reprenez des bases, centrées sur la cuisine végétale et vous développez cela. Il n’y a donc rien d’impossible bien au contraire !

Déclinaison autour de la rhubarbe et de la rose (en moelleux, chips acidulée, condiment, fruit confit)
Crédit Photo : Cécile Labonne

Dans l’imaginaire collectif, un repas végan c’est surtout faire attention à sa ligne et à sa santé. Comment parvient-on à conjuguer véganisme et gourmandise ?

À travers les saveurs déjà. J’ai une cuisine qui est très herbacée. On utilise plus de 140 variétés d’herbes, ce qui amène des saveurs nouvelles dans l’assiette. On retrouve également cette gourmandise à travers les épices ou les huiles, le lait de coco, les légumes, les fruits dont l’onctuosité et la texture varient en fonction de la cuisson. La gourmandise s’invite à tout un tas de niveaux.

La cuisine, ce sont souvent des souvenirs d’enfance. Sont-ce ces souvenirs qui vous guident lorsque vous pensez une nouvelle recette, afin d’y retrouver une saveur, une texture, une couleur ?

Complètement et j’ai d’ailleurs réalisé cet été un menu intitulé « les Vergers d’Eyguebelle, souvenirs de la Drôme Provençale » où j’ai vécu. C’était donc là une ode à cette région avec les légumes, les fruits, toutes ces merveilleuses saveurs d’enfance que l’on peut y trouver. Les voyages également sont une merveilleuse source d’inspiration que ce soit en techniques de cuissons comme en nouvelles saveurs, en nouveaux produits. Tout est sujet à une réflexion permanente.

Nous évoquions l’enfance. Vous avez ainsi des plats qui résonnent un peu comme des madeleines de Proust ?

Vous me prenez un peu au dépourvu mais je peux facilement imaginer quelque chose fait avec de la fleur d’oranger que l’on utilise pour réaliser les biscuits craquants aux amandes et à l’huile d’olive que l’on trouve en Drôme Provençale et que j’adore. C’est d’ailleurs quelque chose que je propose également au restaurant où je fais sécher des poudres de légumes et de fruits avec beaucoup d’acidifiant à l’intérieur. Lorsque vous plongez le doigt dedans, cela vous fait penser aux « soucoupes » que l’on mangeait lorsqu’on était enfant. J’aime bien les gestes régressifs comme le fait par exemple de lécher une cuillère.

Crédit Photo : Maxime Gautier 

J’ai même vu que vous aviez élaboré un repas à l’envers où l’on débutait le repas par le café !

C’est un repas inversé que l’on a déjà proposé deux fois. On commence effectivement par un café mais qui est salé pour aller jusqu’à l’amuse-bouche sucré qui joue donc le rôle d’apéro. Ce menu a remporté un franc succès par son côté ludique et drôle.

Dulse, citronnelle, Galanga. Chouchen de fleur, Kinaki, Yuzu… Comment germent dans votre esprit ces assemblages, ces dressages d’assiettes aussi qui marient le beau et le bon ?

C’est souvent le fruit d’un souvenir ou de la volonté de travailler sur un nouveau produit de saison. Concernant le plat que vous évoquez, Chouchen de fleur, Kinaki, Yuzu, il est né après un retour de voyage de Bretagne. Je souhaitais donc mêler dans l’assiette une saveur bretonne en la mariant avec mes inspirations asiatiques. J’aime la cuisine fusion et je me plais dans mes recettes à souvent faire des clins d’œil à l’Asie ou encore à l’Inde. Je débute toujours avec dans la tête une association d’idées qu’ensuite je dessine sur une feuille pour que la recette prenne forme visuellement. Par rapport aux croquis qui sont affichés en cuisine, je vais me rendre compte s’il manque quelque chose pour obtenir un équilibre visuel.

On dit que les voyages forment la jeunesse. Ils forment donc aussi le cuisinier ?!

Les voyages effectivement m’ont permis d’acquérir toute cette bibliothèque de saveurs que nous évoquions et me m’offrent la possibilité de créer une palette inépuisable de combinaisons. Plus je voyage et plus je découvre de choses passionnantes. J’ai également une grande interaction avec des producteurs locaux passionnés avec qui je travaille pour trouver justement de nouvelles combinaisons de goûts.

Assortiment de fromages végétaux et confiture butternut/ abricot sec
Crédit Photo : Cécile Labonne

Seul point positif de ce confinement, il a réorienté certains consommateurs vers les circuits courts, privilégiant des producteurs locaux, des produits de saison et une agriculture raisonnée. Je suppose que dans cette noirceur qu’est la fermeture des restaurants décidée par le gouvernement, c’est là un rayon de soleil qui vous touche particulièrement ?

C’est effectivement à souligner et à Arès où j’habite je le constate auprès de mes fournisseurs qui me disent que les gens font de plus en plus appel à eux, privilégiant le circuit court dans l’optique de manger des produit sains et issus, comme vous le mentionniez, d’une agriculture raisonnée. Le confinement a permis à beaucoup de personnes de retrouver le goût de faire la cuisine en se tournant vers des produits bio. Le respect de la nature et du petit producteur est aujourd’hui devenu un élément essentiel de la cuisine pour beaucoup de monde et l’on ne peut que s’en féliciter.

Le rapport entre le ou la cheffe et les producteurs est primordial avec un lien de confiance qui se noue. Comment choisissez-vous justement celles et ceux avec qui vous travaillez ?

Cela a été mis en place dès le départ même si certains se sont greffés au fil de l’aventure ONA. Une page leur est d’ailleurs consacrée sur le site du restaurant car on travaille réellement main dans la main dans une relation d’amitié qui nous permet d’avoir une confiance aveugle et de toujours s’aider même en cas de coups durs. Ils font partie de l’aventure et sont essentiels puisque ce sont leurs produits que l’on met en valeur dans les assiettes. Je ne peux pas travailler sans eux.

Si je vous invite à dîner, je vous prépare quoi pour vous faire plaisir ?

Préparez-moi un Curry Thaï aux légumes. Je serai super contente car c’est mon plat préféré en ce moment.

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