Entretiens Medical

Aurélie, l’hôpital en réanimation !

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En écoutant les paroles d’Aurélie, qui a troqué le service de réanimation dans lequel elle officiait pour reprendre des études d’infirmière anesthésiste, on se dit que, clairement, le fossé qui chaque jour se creuse un peu plus entre le discours bien-pensant et rassurant de nos gouvernants et ce que vit le personnel soignant au sein du service hospitalier à tout de l’obstacle infranchissable, de la dichotomie absolue. Pas assez de personnels, des salaires aux allures de pourboire, un manque total de reconnaissance, des burn-out aux démissions, l’hôpital où chaque acte est chronométré et le patient un numéro montre une politique de santé qui, depuis si longtemps déjà, paraît à l’abandon. Attention, urgence absolue !   

« On se demande vraiment si les politiques connaissent notre travail, les problématiques auxquelles nous faisons face ! »

Il y a deux ans vous avez choisi de quitter le service de réanimation dans lequel vous travailliez pour devenir infirmière anesthésiste, pourquoi ce choix ?

Plusieurs raisons m’ont poussée à quitter la réanimation, la première étant que je commençais à m’ennuyer quelque peu dans ce service dont j’avais fait le tour. Je fatiguais également dans cette unité où l’on travaille aussi bien le jour que la nuit, les week-ends… Avec le manque de reconnaissance ressenti, le manque de personnel qui nous oblige à travailler en permanence en flux tendu, tout cela m’a décidée à replonger dans les études pour devenir infirmière anesthésiste.

Au-delà du manque de reconnaissance salariale, c’est donc également d’un manque de reconnaissance humaine à votre égard dont vous souffriez ?

C’est une problématique qu’en tant qu’infirmière on ressent de manière quotidienne. Cela commence, comme vous l’évoquiez, par un manque de reconnaissance salariale puisque lorsque vous débutez comme infirmière, c’est 1450 euros en fin de mois ! Après, il y a clairement un manque de reconnaissance à notre égard de la part de l’hôpital et, malheureusement, parfois des patients. Tous ces facteurs font que, rapidement, vous vous sentez usée. Voilà pourquoi de plus en plus de personnels soignants décident de partir.

La réanimation, c’est un service très particulier puisqu’on y reçoit des cas graves avec, parfois, malheureusement la mort au bout. Comment vit-on ainsi confrontée quotidiennement à la détresse, la mort ?

Ça dépend vraiment des jours. Parfois on parvient à laisser tous nos problèmes dans notre vestiaire et d’autres où, selon les cas, les pathologies, l’environnement, le moment, on ramène nos problèmes à la maison. Cela devient alors vite très lourd. On ne peut pas toujours se bâtir un mur de protection car, parfois ce mur lâche et ce n’est alors pas facile à gérer.

Psychologiquement, tout cela doit laisser des traces ?

C’est évident. Il faut également savoir que le personnel de santé est très souvent confronté à la problématique du burn-out. Personnellement, ça a été mon cas du fait de cette charge psychologique lourde à gérer, cumulée à ce manque flagrant de reconnaissance. Il y a aujourd’hui une vraie fuite de personnel dans les hôpitaux qui ne fait que s’ajouter à la problématique inhérente d’un cruel manque de personnes qui se destinent aujourd’hui à cette profession.

La lassitude, la fatigue, l’envie de changer de carrière, vous le ressentez chez certains de vos collègues ?

Clairement. C’est une problématique qu’il serait temps de prendre en considération. Avant même la première crise de la Covid, nombre de mes collègues avaient déjà décidé de quitter le milieu hospitalier. Ces deux vagues successives n’ont hélas fait qu’amplifier ce phénomène. Là, on ne parle pas de personnes qui souhaitent changer de service ou opter pour le libéral mais de gens avec une réelle volonté de se tourner vers un autre métier. Je me suis moi-même posée la question quant à savoir si je devais reprendre mes études pour devenir infirmière anesthésiste ou si je ne devais pas plutôt simplement quitter ce métier. Ce sont des réflexions profondes que de plus en plus de mes collègues ont !

On a clairement l’impression que cette crise de la Covid n’a fait que mettre un peu plus en lumière le manque cruel de personnel au sein des hôpitaux qui, déjà, travaillaient en flux tendu ?!

Avant même la crise, on sentait ce manque de personnel dont seul le service de réanimation était quelque peu préservé puisque normé avec deux infirmiers pour cinq patients. Après, lorsque vous voyez que vos collègues enceintes ne sont jamais remplacées pendant leurs congés maternité, ça ne fait bien évidemment que renforcer cette situation de flux tendu permanent dû au manque de personnel.

Quelles seraient selon vous les mesures essentielles à prendre pour améliorer notre système de santé ?

Il faudrait d’abord mieux former le personnel, augmenter les salaires afin de fidéliser celles et ceux en poste tout autant que pour attirer de nouveaux étudiants vers ce métier. Une meilleure gestion du personnel me semble également fondamentale car on sait très bien que malheureusement ce sont des bureaucrates qui prennent des décisions pour des personnes de l’hôpital, des bureaucrates qui n’ont pas le nez dans les problèmes que nous rencontrons au quotidien. Il serait important de mieux gérer la prise en charge des patients afin, par exemple, de développer l’hospitalisation à domicile qui permettrait de désengorger les hôpitaux.

Vous évoquez ces décisions bureaucratiques prises par des personnes qui, finalement, ne connaissent pas le réel mode de fonctionnement d’un hôpital. Pensez-vous que les politiques sont, dans le domaine de la santé comme dans hélas bien d’autres, en décalage total avec la réalité, avec ce qui concrètement se passe dans les hôpitaux tout autant que les besoins qui sont les vôtres ?

On se souvient il y a quelques années lorsqu’un journaliste avait demandé à Jean-François Copé combien coûtait un pain au chocolat et que ce dernier avait répondu 10 centimes ! On voit bien que les gouvernants sont bien trop éloignés de la réalité et ça dans tous les domaines comme vous le disiez. On se demande vraiment si les politiques connaissent notre travail, les problématiques auxquelles nous faisons face ! Et pourtant, ce sont eux qui prennent les décisions. Actuellement, on se pose la question quant à savoir où est la part de l’humain dans notre travail. Si je dois par exemple prodiguer un soin qui a été côté à cinq minutes comme poser une perfusion, il se peut que sur une patiente âgée, cet acte me prenne effectivement les cinq minutes prévues mais peut-être aussi qu’il m’en faudra quinze car cette dame aura besoin d’un verre d’eau où que je l’aide pour aller aux toilettes. Ce n’est pas avec un chronomètre à la main que l’on peut réaliser de bons soins.

On a effectivement l’impression que le patient est devenu un numéro sur un tableau et que l’on a perdu cette fibre humaine essentielle dans le lien entre patients et personnels soignants ?!

Il faudrait nous donner les moyens de mieux exercer nos métiers et ne pas oublier que les patients, ça peut être nos parents, nos enfants, nos amis… Et pas uniquement un numéro ou une pathologie comme on a trop tendance à nous le faire comprendre.

Votre spécialisation pour devenir infirmière anesthésiste a été prise en charge par l’hôpital dans lequel vous exercez et, en contrepartie, vous leur « devez » cinq années une fois diplômée. C’est un moyen pour l’hôpital de s’assurer un personnel dont il manque aujourd’hui cruellement ?

Clairement, je n’aurais pas pu m’autofinancer puisque c’est une école qui coûte dans les 50.000 euros pour deux ans de formation. Après oui, concrètement, cette formation est payée par l’hôpital à qui je vais devoir ensuite des années. Pour la prise de poste, on ne m’a proposé que des postes pas attirants pour les personnes venant de l’extérieur afin d’être sûr de remplir le quota de professionnels de santé. Je me retrouve donc dans un service que certes j’aurais peut-être choisi, mais pas forcément dans les conditions qui me sont aujourd’hui imposées. C’est la manière qu’a trouvé l’hôpital pour retenir du personnel dont il manque.

Pendant la première vague de Covid-19, beaucoup d’étudiants comme vous se sont portés volontaires pour prêter mains fortes aux équipes en place. Pourtant, la plupart n’ont pas perçu la prime Covid et ont dû batailler pour recouvrer leurs droits étudiants. Cela explique mieux pourquoi, lors de cette deuxième vague, les étudiants, échaudés par cette première expérience totalement injuste, ont dû être réquisitionnés d’office car peu désireux d’être à nouveau les dindons de la farce ?!

Il était pour nous essentiel de venir prêter mains fortes aux équipes en place lors de la première vague de la Covid. Par contre, même nous, étudiants, infirmiers anesthésistes, avons été renvoyés dans des services de réanimation sans y être préparés, sans le temps nécessaire pour reprendre nos repères. On s’est vite rendu compte que l’on palliait là le manque de personnel qui était déjà un phénomène constant avant la crise. Pour ma part, j’ai rencontré des élèves infirmiers qui ont été réquisitionnés pour être aide-soignants ou d’autres envoyés pour remplir la tâche d’agents de services hospitaliers, c’est-à-dire concrètement : faire le ménage ! On avait expliqué au départ à ces étudiants qu’ils seraient payés, ce qui n’a pas du tout été le cas. Tout cela a été considéré comme des heures de stage avec, pour certains, juste une indemnité de 200 euros pour dix semaines. Les étudiants se voyaient attribués des responsabilités mais pas le salaire et encore moins la prime qui avait été promise par l’Etat. Je comprends donc que lors de la deuxième vague, les étudiants n’ont pas souhaité être envoyés dans les services pour pallier le manque de personnel.

On se dit qu’à ce rythme-là, d’ici quelques années, plus personne ne voudra devenir infirmière, aide-soignante…. On peut légitimement se demander ce que sera l’hôpital dans cinq ans ?!

Cette crise n’a fait que mettre en lumière les problèmes qui étaient déjà existants et je crains que tous ces étudiants réquisitionnés d’office pour la deuxième vague Covid ne veuillent plus se retrouver dans l’hôpital public. Ils vont sans aucun doute réfléchir à deux fois avant leur prise de poste. Déjà que l’on manque de personnel, cela ne va forcément pas arranger les choses.

On a l’impression qu’il n’y a qu’au pied du mur, face à cette situation de la Covid, que le gouvernement a réagi comme si cela allait rattraper les dix ou quinze années de problèmes qui s’amoncèlent sur le fonctionnement des hôpitaux ?!

Pendant des années, l’hôpital n’a fait que fermer des lits, ne pas remplacer du personnel qui partait… La crise Covid a montré que nous étions arrivés au bout d’un système. C’est la raison pour laquelle on a embauché à tours de bras des personnes qui n’étaient pas formées.

Cette deuxième vague pandémique, pensez-vous qu’on l’a mal anticipée ?

On a certainement déconfiné trop vite, désireux de relancer l’économie du pays. Au final, le gouvernement a été obligé d’opter pour un deuxième confinement qu’il souhaitait pourtant éviter à tout prix. Fallait-il privilégier l’économie ou les personnes ? Y aura-t-il une troisième vague avant l’arrivée du vaccin ? On ne sait pas !

Justement, allez-vous vous faire vacciner ?

Me faire vacciner dans les premières je ne sais pas, mais je pense que l’hôpital va nous l’imposer.

Jean Renaud, tous marteaux des Vikings !
Tiptoque, chefs à domicile !

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