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Edouard Brasey, auteur féerique

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Fées, anges, philtres d’amour, démons, elfes, épées de légende, lutins, sirènes, chaudrons de sorcière, trolls, cyclopes, baguettes magiques, géants, orques, titans… Autant d’éléments qui façonnent un monde de croyance invisible source d’inspiration inépuisable pour les romanciers, illustrateurs et autres scénaristes. Ce monde du merveilleux est celui qu’a choisi Edouard Brasey, devenu au fil des années, LE spécialiste hexagonal d’un univers qui cultive l’imaginaire des petits comme des grands. Pour Agents d’entretiens, l’écrivain nous offre une immersion dans ce monde démon et merveilles.


Par quel biais avez-vous été happé par l’univers féerique ?

Cela s’est fait un peu par hasard, voici plus de quinze ans. J’avais proposé à un éditeur (Éditions Filipacchi) d’écrire un ouvrage intitulé Enquête sur l’existence des fées et des esprits de la nature. Le sujet éveillait ma curiosité, mais j’avoue qu’en dehors des contes de fées, je n’y connaissais pas grand-chose. Je me suis donc mis à passer des journées sous la coupole de la Bibliothèque nationale (l’ancienne, rue de Richelieu) et à commander des ouvrages en anglais, notamment ceux de la folkloriste Katharine Briggs. J’ai alors découvert un univers riche et attachant, plein d’humour et de poésie, très « anglo-saxon », bien loin de nos « fées à la mode » françaises. À l’époque, personne en France ne s’intéressait à l’univers féerique, à part mon vieux complice Pierre Dubois. Nos deux livres sur les fées sont sortis en même temps, en 1996. Cela a marqué le début de l’engouement pour la Féerie en France, ou en tout cas un retour à cet engouement. Depuis, j’ai publié une cinquantaine de livres sur le sujet… Parfois, j’ai le sentiment que les fées m’ont choisi comme ambassadeur de leurs fabuleux royaumes…

« Les contes ne sont pas faits pour endormir les enfants, mais pour éveiller l’homme. »

Fées, vampires, anges, loups-garous… Autant de thématiques que vous avez traitées et qui, actuellement, captivent le public par le biais de films. Comment expliquez-vous cette attirance pour l’univers du fantastique ?

Je poserai d’emblée une différence entre « merveilleux » et « fantastique ». Dans le merveilleux, les fées existent, et c’est normal. Il s’agit de la mentalité type du Moyen Âge, par exemple. Dans le fantastique, les vampires existent, mais ce n’est pas normal ! Il s’agit d’une intrusion de l’irrationnel dans ce que nous nommons « réalité ». C’est une mentalité que nous avons héritée de la fin du XIXe siècle. Dans les deux cas, il s’agit d’une attirance naturelle et très humaine pour l’invisible, ce qui se cache derrière le voile du réel. C’est le principe du : « Et si ? » Et si l’on avait le pouvoir de réaliser tous ses vœux, comme les fées ! Et si l’on pouvait échapper à la mort, comme les vampires ! Et si l’on pouvait se transformer en animal et en avoir les pouvoirs, comme les loups-garous ! En réalité, tous les grands thèmes du fantastique et du merveilleux sont des réponses – en apparence irrationnelles, mais très construites sur le plan symbolique – à nos grands questionnements philosophiques et existentiels.

Vous avez déclaré être persuadé que les anges existaient. Comment en être si sûr ?

Parce que j’ai rencontré le mien, mon épouse ! En fait, les anges, tout comme les démons familiers, sont attestés depuis toujours dans les religions, mais aussi dans l’ésotérisme. D’où nous viennent ces intuitions subites, qui nous guident dans les choix de notre vie ? Où les artistes puisent-ils leur inspiration ? L’étymologie de « ange » (en grec angelos) est « messager ». Ils sont des intermédiaires entre notre plan humain et un plan plus élevé. Pour moi, leur existence coule de source. Mais chacun est libre d’y croire ou pas…

Vous avez publié un traité de vampirologie et un traité des anges. Le bien est-il inéluctablement lié au mal ?

J’ai publié également un « traité de démonologie », et nous préparons avec Stéphanie un « traité de sorcellerie » à paraître en octobre… Le bien et le mal ont effectivement partie liée, comme le jour et la nuit, l’ombre et la lumière. On ne pourrait pas vivre sans soleil, mais un soleil permanent nous brûlerait. L’ombre permet de souligner la lumière, de lui donner du relief. S’intéresser aux anges sans faire un détour du côté des démons revient à prôner une sorte d’angélisme béat. Comme disait Pascal, « qui fait l’ange fait la bête ». J’aime bien les contrastes.

Le monde merveilleux que vous décrivez est-il un moyen de côtoyer l’au-delà ?

Pourquoi pas ? Pour les anciens Celtes, les morts étaient emportés dans un paradis situé non pas au Ciel mais dans une île merveilleuse : l’île d’Avalon, où vivaient les fées. Les Walkyries emmenaient les guerriers morts au combat au paradis du Walhalla, où les accueillait le dieu Odin et où ils pouvaient continuer à se battre, tout en buvant de la bière. Chaque mythologie a sa propre description de l’au-delà, paradis ou enfer. Les mythes, les légendes, les contes sont des moyens d’apprivoiser notre peur de la mort, et surtout de ce qu’il y a après…

Quelles sont vos principales sources de documentation lorsque vous écrivez un ouvrage ?

Des livres, des livres et encore des livres ! Essentiellement des ouvrages anciens ou anglo-saxons. C’est là que je puise le meilleur terreau pour nourrir mes livres.

Histoire, légendes, mythologies, influences celtiques, gréco-romaines, germaniques ou nordiques… Vous êtes en quelque sorte un historien du fantastique !

Historien est un bien grand mot, d’ailleurs, je n’en ai pas la formation. Disons plutôt « anthologiste du merveilleux », « passeur de légendes »… Même si le magazine Historia a fait appel à moi pour son dernier numéro hors série consacré au « Moyen Âge enchanteur », les autres auteurs sont tous des historiens. Mais je ne me contente pas uniquement de ce rôle. D’ailleurs, je suis en train de revenir à la fiction, puisque j’ai deux romans en cours d’écriture. Un thriller ésotérique et un roman noir dont l’action se déroule en Bretagne, voici un demi-siècle. Mais j’avoue que mes recherches historiques et folkloriques m’aident beaucoup pour la documentation destinée à alimenter mes intrigues…

Cette plongée au cœur des mythes de cultures variées a-t-elle été pour vous une source de savoir inépuisable ?

L’intérêt des mythes, et cela est vrai aussi pour les contes et les légendes, c’est qu’ils font appel à une dimension symbolique. C’est pour cela que les histoires qu’ils racontent séduisent aussi bien les adultes que les enfants. Ils parlent à notre inconscient, plus qu’à notre conscient. Les mythes adoptent le même langage que les rêves et, tout comme eux, ils se prêtent à des interprétations passionnantes, y compris psychanalytiques. On peut se contenter de lire ou d’écouter un conte, mais on peut aussi essayer de deviner le message secret qui se trouve derrière…

La partie visuelle est très importante dans vos ouvrages. Comment se déroule cette phase d’illustration en compagnie de Sandrine Gestin et Didier Graffet, véritable prolongement de vos écrits ?

Nous n’intervenons pas au même stade de réalisation des livres illustrés dont vous parlez. J’écris les textes, et eux viennent ensuite les illustrer, avec leur talent et leur personnalité propres. Il faut également signaler l’importance de la mise en page par l’éditeur, le choix des couvertures, du papier parcheminé, etc. C’est un tout. Dans le dernier ouvrage illustré en date, La Grande Bible des fées, pour laquelle mon épouse Stéphanie Brasey a rédigé de larges parties, l’éditeur a fait appel à quatre illustrateurs différents : Sandrine Gestin, Amandine Labarre, David Thierrée et Marc-Alain Friez. Ajoutez à cela un travail très soigneux de mise en page et une superbe couverture en métal doré, vous obtenez en effet un très beau livre. Une sorte de Bible Gutenberg des fées…

Épées de légende, philtres d’amour, amulettes, baguettes magiques, tapis volants, chaudrons de sorcière… Certains objets inanimés ont donc, comme l’affirmait Alphonse de Lamartine, une âme ?

C’est ce que croyaient en tout cas les chevaliers du Moyen Âge, qui donnaient un nom à leurs épées, ou bien les sorcières, qui jetaient des sorts en prononçant des incantations.

Croyez-vous à ce monde merveilleux que nos sens ne nous permettraient pas de capter ?

Et pourquoi pas ? Ce qui est invisible peut exister. Avant l’invention de la radio et de la télévision, on ne savait pas que les ondes existaient, parce qu’on ne les voyait pas. Peut-être qu’un jour, on inventera une caméra capable de filmer l’invisible. On verra alors les fées, les anges et les démons, et on croira à leur existence !

H.P Lovecraft, Isaac Asimov, Philip K. Dick, Bram Stocker, Tolkien… Si la science-fiction connaît quelques noms de référence, elle a toujours été quelque peu sous-estimée par le monde littéraire. Comment expliquer un tel dédain ?

Elle est considérée comme une littérature de genre, donc mineure. Surtout en France, où la « Fantasy » et le fantastique ne provoquent pas le même engouement que dans les pays anglo-saxons. Il s’agit, je pense, d’un effet pervers du « cartésianisme » français, qui dédaigne ce qui échappe à la pure raison… Pourtant, il faut rappeler que Descartes a eu la révélation de sa vocation à la suite de trois rêves où un ange lui est apparu ! Il n’y a pas moins cartésien que Descartes lui-même !

L’Anneau du Nibelung a inspiré Wagner comme J.R.R. Tolkien. Comment vous êtes-vous lancé dans votre trilogie : La malédiction de l’anneau ?

Tout jeune, j’ai été séduit par la légende germanique des Nibelungen, que j’ai connue par les opéras de Wagner, que j’ai eu la chance de voir à Bayreuth, et par la lecture du Seigneur des Anneaux de Tolkien. Beaucoup plus tard, j’ai eu l’occasion de me pencher sur les textes originaux de cette légende et je me suis dit : « Cela ferait un superbe roman de fantasy ! » Comme j’ai constaté qu’aucun auteur ne l’avait réalisé, j’ai relevé le défi. Cela a donné une trilogie romanesque publiée chez Belfond, La Malédiction de l’anneau. À présent, j’attends qu’un producteur ou un réalisateur soient tentés par une adaptation au cinéma…

Harry Potter, le Seigneur des anneaux… Le fantastique est-il un moyen d’échapper à la, parfois, dure réalité du quotidien ?

Oui et non. Le merveilleux et le fantastique peuvent en effet jouer le rôle de divertissement, de dérivatif, d’échappatoire. Mais la réalité imaginaire qu’ils décrivent est à mes yeux aussi « réelle » que celle, très dure et prosaïque en effet, de notre quotidien. Tolkien expliquait à ce sujet, dans son essai sur la « Faërie », qu’il ne fallait pas confondre « l’évasion du prisonnier et la fuite du déserteur ». Je trouve cette remarque très juste, et j’y souscris entièrement.

C’est aussi valable pour vous ?

Je ne suis pas un déserteur. Je ne fuis pas la réalité, j’essaye – dans la mesure de mes humbles moyens – d’en élargir les frontières.

Afrique du Nord, pays nordiques… Quelles sont les régions les plus riches en matière de tradition du merveilleux ?

Toutes les régions du globe ont leur propre univers imaginaire. Les plus riches sont sans doute les pays celtes, suivis des pays nordiques et germaniques. Mais les pays d’Orient, d’Afrique du Nord ou d’autres contrées sont également largement pourvus en légendes, même si elles sont moins connues chez nous. Les « djinns » et les « efrits » d’Afrique du Nord sont l’équivalent de nos anges et nos démons, ou des elfes blancs et elfes noirs germaniques…

En France, le Moyen Âge est-il une source inépuisable de contes et autres mythes ?

Oui, certainement. Grâce à l’extraordinaire littérature qui s’est développée durant cette période, notamment tout ce qui a trait à l’univers arthurien, la Matière de Bretagne, la légende du Graal et celle des chevaliers de la Table Ronde.

Vous êtes conteur et écrivez des encyclopédies du merveilleux. Comment allie-t-on ces deux registres assez éloignés ?

Pour moi, ces deux registres sont complémentaires. En fait, j’ai commencé à écrire des livres sur le monde merveilleux, puis j’en suis arrivé, par le plus grand des hasards encore une fois, à les faire vivre sur scène. J’ai découvert alors l’art du conte que j’ignorais totalement. En parallèle, j’ai écrit mes encyclopédies du merveilleux. Il s’agit de deux moyens parmi bien d’autres de donner vie à cet univers fabuleux, par l’écrit et par l’oral. Plus récemment, Stéphanie, qui est elle-même auteure et comédienne, m’a rejoint sur scène pour apporter aux spectacles de contes une dimension décalée, « déjantée », qui dépoussière et rajeunit le genre.

« La vie est un conte de fée qui perd ses pouvoirs magiques lorsque nous grandissons. » Partagez-vous ce point de vue de Robert Lalonde ?

Oui pour la première partie de la phrase, non pour la seconde. Je crois en effet que la vie offre toutes les opportunités, bonnes ou mauvaises, que recèlent les contes merveilleux. Les enfants y croient naturellement. Lorsque nous « grandissons » et devenons adultes, notre regard change, et nous ne percevons plus la magie de la vie. Cela ne veut pas dire que cette magie n’existe pas ! À ce point de vue de Robert Lalonde, j’en opposerai deux autres. Le premier consiste à vouloir « réenchanter le monde », selon une formule adoptée notamment par Michel Maffesoli. Le second est une devise que j’essaye de mettre en pratique depuis des années : « Les contes ne sont pas faits pour endormir les enfants, mais pour éveiller l’homme. »


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