Entretiens Musique

Alexandre Tharaud, les trente glorieuses !

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Difficile de résumer un quart de siècle de musique en un seul et même triptyque. C’est pourtant la prouesse dont peut s’enorgueillir le triple album, « Le poète du piano », sorti dernièrement et qui, tel un autoportrait musical, s’inscrit comme un parfait condensé de la bio (diversité !) du pianiste Alexandre Tharaud passé, en 25 albums, maître dans l’art du contre-pied. De Schubert à Barbara, de Rameau à Thierry Pécou, concertiste ou chambriste, qu’il s’essaye au cinéma sous la direction de Haneke ou nous fasse découvrir Satie en compagnie de son complice comédien François Morel, Alexandre Tharaud redistribue les cartes en permanence faisant « chanter » son piano bien au-delà des dogmes établis. Montrez-nous vos mains Alexandre !

« Mon piano m’aidait à me sentir important quand au fond de moi je ne me sentais pas grand-chose. »

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Chez Erato est paru un triple album « Le poète du piano » témoignage de vos trente ans de carrière. Comment êtes-vous parvenu à opérer un choix dans ces plus de 25 albums qui jalonnent votre parcours discographique ?

C’était une expérience assez nouvelle car je n’écoute pas mes disques. Je scrute énormément l’enregistrement avant la sortie de l’album, pendant toute cette période de « montage » qui peut durer jusqu’à six mois. Là, je suis très attentif, méticuleux pour chaque note, totalement absorbé. Par contre, une fois que le disque est sorti, il ne m’intéresse plus. Pour ce triple album, j’ai proposé à Erato, de moi-même choisir les extraits de mes anciens disques. Je m’y suis attelé pendant le premier confinement, période idéale à un retour en arrière sur des albums que, pour la première fois, je ne regardais plus avec mépris comme par le passé mais que j’écoutais de bon cœur, faisant fi de ce qui n’allait pas à l’époque ou des montages que je n’aimais pas. J’avais pour une fois assez de distance et le recul nécessaire pour écouter ces albums comme si un grand-frère écoutait son petit-frère, avec bienveillance. Le choix des morceaux s’est donc opéré assez naturellement.

Peut-on dire que cet album est une sorte d’autoportrait ?

Tous les disques sont à mon sens des autoportraits. Celui-ci certainement un peu plus que les autres puisqu’il réunit près de trente ans d’enregistrements, que j’y ai opéré des choix précis, qu’il rassemble différents styles de musique et ce sur trois siècles. Après, en effet, comme vous le dites, un « best of » est davantage encore une sorte d’autoportrait qui s’inscrit dans le temps.

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Le piano est-il, au-delà de l’instrument, un partenaire, un confident, un ami et un miroir de vous-même ?

Il a été tout cela à la fois ! Enfant, lorsque j’ai abordé le piano, il était cette espèce de gros monstre dont jouait ma grande sœur et sur lequel je devais, j’imagine, poser mes mains en faisant n’importe quoi dessus. Dès le départ, il y avait cette envie d’aller vers lui, toujours. Ensuite, j’ai véritablement commencé le piano en éprouvant un plaisir fou. Il est alors devenu un camarade de jeu. Puis, à l’adolescence, période pendant laquelle on ne parvient pas à extérioriser les choses ayant attrait à l’intime, le piano devient un véritable confident, un ami auquel on se confie. L’instrument aide énormément face à notre incapacité à exprimer notre colère, notre tristesse. Puis, tel Alexandre Le Grand, il est devenu mon cheval de bataille, mon compagnon de concours, de guerre même. Les concours sont des guerres, période qui n’est pas la meilleure de ma vie. Je devais y montrer ma virtuosité. Il y avait par contre quelque chose de grisant à découvrir ce « pouvoir » que me conférait le piano vis-à-vis du public venu me voir lors de mes premiers concerts. J’essayais de montrer que j’étais meilleur que les autres, alors qu’en mon for intérieur j’étais persuadé du contraire. Mon piano m’aidait à me sentir important quand au fond de moi je ne me sentais pas grand-chose. Au fil du temps, il est devenu un ami peut-être plus doux, plus stable également. Je me suis en effet rendu compte que si les amis allaient et venaient, le piano lui, est là tout au long du chemin. Nous formons, au fil des ans, une sorte de vieux couple qui s’est beaucoup engueulé, écouté… On a ce besoin d’être assez loin l’un de l’autre mais sans jamais cesser de penser à l’autre. Cette relation est pour moi le symbole du couple réussi où le fait de se sentir bien seul ne rend les retrouvailles que plus belles. L’autre n’a pas besoin d’être là physiquement, il est ancré en vous, il est votre base profonde tout en gardant ce sentiment de liberté. Voilà ce qu’est devenu le piano pour moi aujourd’hui.

Vous dites : « Ce qui m’intéresse, c’est ce que je ne connais pas de moi et qui peut surgir à l’improviste. » Après trente ans de carrière, continuez-vous au fil des enregistrements, des rencontres musicales, des collaborations ou des concerts à vous découvrir ?

Quand on enregistre, on est vraiment là dans un face à face avec soi-même, enfermé loin du monde. Il y a des moments où l’on ne sait plus jouer, où l’on est totalement découragé puis, deux heures plus tard, on éclate de rire… C’est vraiment les montagnes russes émotionnelles ! Dans ces moments de doute, tout à coup, il sort des choses de nous-même qui se rapprochent un peu de l’écriture automatique. Tel l’écrivain qui va attendre une nuit entière un stylo à la main que les choses se mettent à bouger avant que, tout à coup, un élément sorti du plus profond de son être ne s’exprime de manière spontanée. Je pense que nous, musiciens, sommes des mediums. Pendant ces moments de grande fragilité lors d’un enregistrement, il arrive que quelque chose sorte de nous. Cette chose ne nous effraie pas mais on a bien conscience qu’elle vient de très loin, comme si ce que l’on avait au plus profond de nous surgissait en un instant. On sait bien que ce qui est en nous n’est pas né qu’à notre naissance. Certains paramètres sont des transmissions qui se font de génération en génération. C’est tout cela qui me passionne car, grâce à mon métier, des éléments ancrés en moi et qui ne sont pas des traits de ma personnalité peuvent surgir. C’est un phénomène assez incompréhensible, impalpable, qui est à la fois moi sans l’être. Parfois, ces moments uniques ne durent que quelques secondes mais ils font partie d’une magie qui constitue parmi les plus belles expériences d’une vie.

Photo : Jean-Baptiste Millot

Le disque, contrairement au concert, plaisir intense et éphémère, est une interprétation figée dans le temps. N’y a-t-il pas là une sorte de frustration post enregistrement à refermer un livre dont, peut-être, on aimerait réécrire quelques pages en utilisant d’autres mots, d’autres nuances, d’autres couleurs ? 

C’est exactement ce à quoi je pensais lorsque je vous disais que je n’aimais pas réécouter mes disques. Dès que l’on sort du studio, on a déjà cette envie de passer à l’étape suivante, d’aller, fort de cet enregistrement, vers des choses nouvelles. Les enregistrements apportent certes une grande frustration mais ils font partie des étapes d’une vie. J’ai enregistré beaucoup de disques et chacun d’eux m’est apparu comme une marche supplémentaire d’un escalier qui va je ne sais où. Que le disque soit réussi ou complètement raté, petit à petit, on avance. Chaque album est le résultat du précédent tout en permettant au suivant d’exister.

Contrairement à la scène où l’on ne doit pas se laisser submerger par l’émotion au risque de perdre le fil, lorsque l’on enregistre, faut-il justement s’émouvoir pour parvenir à la prise « magique », comme au cinéma ?

La prise magique se produit quand on lâche prise ! C’est un exercice très difficile car, lorsque l’on enregistre, il faut faire attention au moindre détail puisque le micro, lui, ne rate rien. Vous devez être très attentif à tout. Première prise, c’est bien mais plein de choses ne vous plaisent pas. Deuxième, troisième, quatrième… Vous pouvez faire quarante prises, mais alors que vous souhaitez toujours faire mieux, au bout d’un moment, forcément, vous perdez l’inspiration. Plus vous enregistrez de prises et moins il y a de spontanéité et de naturel dans votre jeu alors que, justement, c’est l’exact opposé que vous recherchez. Ce qui peut aider, c’est s’arrêter, reprendre, pratiquer la méditation. Il m’arrive par exemple de faire des pauses d’une heure lors d’un enregistrement pour pratiquer le yoga ou écouter un disque ne serait-ce que quelques secondes. Pas forcément une interprétation de la pièce que j’enregistre, mais une œuvre dont le champ pianistique me guide dans la direction à prendre. Je vais écouter quelques secondes d’un disque de Marcelle Meyer par exemple ou de Rudolf Serkin qui était un pianiste d’une grande simplicité où la phrase se déploie tout naturellement. Écouter un court moment leurs jeux respectifs me permet parfois de comprendre ce qu’il manque à mon interprétation. L’enregistrement d’un disque, c’est une recherche de justesse. De la note juste, du geste juste, où l’on se situe dans ce monde, où l’on se place par rapport à une œuvre comme par rapport à soi-même ou à l’auditeur. C’est avant tout une histoire d’équilibre.

Photo : Jean-Baptiste Millot

Samson François disait à ce sujet qu’il faut laisser aller ses mains lourdes sur le piano. C’est donc ce lâcher prise qui permet d’aller chercher en vous celui que vous ne connaissez pas encore ?

Samson François est l’un de ceux qui a le mieux parlé du lâcher prise au piano. Ce qu’il recherchait, c’était que le corps parle ! Comme jeu spontané, il n’y a pas mieux que Samson François. Il lâche tout sur ses enregistrements quitte à laisser des fausses notes, des notes qui manquent, des accents qu’il ne voulait pas intégrer… Ses enregistrements sont extrêmement humains parce qu’ils ont des failles. Lorsqu’il évoque nos « mains lourdes », il parle de nos bras, tout le poids de notre corps que l’on pose sur le clavier. Pour Samson François, il ne fallait pas chercher. Quand on commence à enregistrer un disque en studio, c’est un peu cette sensation qu’il nous faut trouver d’ailleurs. On a beaucoup travaillé l’œuvre, parfois pendant des décennies, on l’a beaucoup scrutée, on l’a interrogée, on s’est interrogé soi-même, on a cherché les nuances, empruntant des chemins très différents, bref on connait l’œuvre de A à Z et là, justement, il faut tout oublier. Tout à coup, on se retrouve devant les micros et on laisse les choses sortir naturellement. On peut alors changer les nuances, se bousculer un peu pour retrouver un jeu qui soit le plus naturel possible. C’est ce vers quoi Samson François tendait et il en ressort un jeu qui n’est pas intellectuel.

Faut-il être dans un état d’esprit différent en fonction du compositeur que l’on enregistre. Entre Chopin où il faut se projeter et Satie où là, on est presque dans le registre de la méditation ?!

Il s’agit là effectivement de deux compositeurs presque opposés et donc que l’on aborde différemment devant les micros. Satie est très facile à jouer techniquement et un enfant de cinq ans peut y parvenir. Il ne souffre donc d’aucune interprétation. Il ne faut pas chercher à montrer quelque chose en jouant Satie, sinon il se dérobe. Trop de pianistes le joue par exemple avec un excès de rubato parce qu’ils trouvent que ses œuvres manquent de notes. Non, Satie est le plus beau et il dit tout quand on le joue le plus « bêtement » possible. Vous posez les mains sur le clavier et vous le jouez dans un quasi-état de méditation où rien ne vous gêne, vous n’avez besoin d’aucune réflexion. Chopin, ce n’est pas tout le contraire mais presque. Il est très difficile à jouer techniquement mais également dans son interprétation parce qu’avec Chopin, c’est toujours ou trop ou pas assez ; Que ce soit dans le choix du tempo, de la texture sonore qui sera trop intense ou trop fade. Même chose pour le phrasé où là, pour le coup, il y a énormément de rubato et de ritenuto. Et ce trop ou pas assez, vous ne le percevez pas lorsque vous jouez Chopin. Il vous faut réécouter la bande dans la cabine ou chez vous après avoir fait toutes ces prises. Quoiqu’il en soit, vous n’êtes jamais content de vous et Chopin est à ce titre le compositeur le plus compliqué à enregistrer.

N’y a-t-il pas là un sentiment de frustration dans cette permanente insatisfaction d’un enregistrement de Chopin ?

Si, bien sûr. Mais Chopin est un improvisateur au départ. George Sand en a d’ailleurs beaucoup parlé et l’on sait qu’à Nohant, Chopin passait des journées entières à improviser au piano. L’écrivaine nous fait d’ailleurs part de tous ces chefs d’œuvre qui naissent sous les doigts du compositeur et qui jamais ne seront édités. Chopin jouait en concert, j’imagine, tel l’improvisateur qu’il était, c’est-à-dire avec beaucoup de naturel. Il n’interprétait pas ses œuvres telles qu’elles étaient éditées mais ajoutait parfois dix minutes de musique. Chopin prenait des chemins différents pour toujours retomber sur ses pieds et sans jamais jouer à la lettre ses partitions.

Photo : Jean-Baptiste Millot

Vous avez publié un livre « Montrez-moi vos mains » sur le rapport à la scène, au public. Vous considérez-vous comme un passeur d’émotions entre un compositeur du passé, une œuvre qui s’inscrit dans le présent et le public venu vous écouter quasi religieusement ?

Oui, c’est cela. Le concert est une expérience tout à fait différente de l’enregistrement car c’est éphémère, ça ne reste pas sauf lorsqu’il y a des micros, chose que je n’aime pas. On sort quelque chose de notre piano pour une ou deux heures puis après, c’est terminé. Il ne reste pas de traces et c’est ce qui me plait.

Et pendant ce temps éphémère qu’est le concert, le rapport entre le concertiste et le public est-il de l’ordre du rapport quasi amoureux ?

Oui, d’abord parce qu’il s’agit d’un rendez-vous. Lorsque l’on a vingt ans, c’est un premier rendez-vous. Plus tard, à mon âge, c’est une rencontre avec des gens qui nous connaissent et que l’on connaît. Quand on retrouve comme cela l’être aimé, on se pomponne, on se prépare, on a le cœur qui bat, on est extrêmement attiré par ce moment qui approche… C’est tout cela un concert ! Barbara parlait de ce monstre à mille bras qu’est le public. J’aime cette image car, effectivement, le public vous ouvre les bras, il vous enveloppe. Le public vous tend la main et vous devez lui tendre les vôtres par le biais des pièces que vous interprétez. Vous vous retrouvez alors sur un terrain commun alors qu’au départ, vous n’êtes pas forcément sur la même longueur d’ondes. Imaginiez que j’arrive pour jouer à Tokyo ! Les japonais n’auront pas la même manière de vivre ou de recevoir la musique que moi. Même chose à Paris du reste où je suis dans ma loge à me préparer depuis plusieurs heures alors que le public venu m’écouter sort à peine du métro après une journée de travail. Nous ne sommes donc pas, au départ, en phase. La connexion ne s’opère pas de manière instantanée. Puis, le concert débute et commence alors un long voyage commun.

Et êtes-vous poreux du public, ressentant pendant le concert les émotions qui émanent de la salle ?

Là, ça dépend vraiment des artistes. Un grand pianiste Russe m’avait dit, et j’en doutais d’ailleurs, que quel que soit le public devant lequel il jouait, cela ne changeait rien. Moi, c’est tout à fait le contraire. Un public me fait mieux ou moins bien jouer. Il suffit que je sache qu’une personne présente dans la salle ne m’aime pas et cela peut impacter négativement mon jeu. À contrario, savoir qu’une personne à qui j’ai offert un billet et est heureuse de venir m’écouter est présente et je sais d’avance que le concert va bien se passer. Cela se joue à très peu de choses. Après, au-delà du public, des éléments comme l’acoustique, le piano, l’horaire, ce qui transpire des murs de la salle, le fait d’être en plein air… Beaucoup de choses sont susceptibles de perturber.

Vous évoquiez dans ce rapport au public les mots de Barbara. On sait que vous vouez un véritable amour à cette grande artiste. En quoi Barbara a-t-elle changé votre vie ?

D’abord par son œuvre, lorsque j’étais adolescent. Ensuite par sa présence scénique. Quand je l’ai découverte au théâtre du Chatelet, cela a été pour moi un choc presque effroyable tant cela était beau et presque trop énorme pour moi. Elle a changé ma vie par la femme qu’elle était et qu’elle est toujours à mes yeux car là, au moment où je vous parle, j’ai son portrait qui me regarde sur le mur de mon appartement. Barbara est une artiste qui donnait tout sur scène et, lorsque vous la découvrez et que vous-même vous avez ce souhait de vous engager sur cette voie là, vous comprenez jusqu’où on peut aller pour son public. Vous comprenez qu’un concert est bien plus beau lorsque l’on donne tout. Mais pour Barbara, cela ne s’est pas fait sans sacrifices. Sa vie privée était très dure, d’une extrême solitude, la fatigue des tournées où, après avoir ainsi tout donné, vous êtes vidé ; C’est tout cela Barbara ! Elle vivait recluse dans sa maison de Précy-sur-Marne avant de, tout à coup, se jeter dans cette immense arène d’un théâtre. Sur scène, Barbara montrait tout d’elle, elle gueulait tout, elle vomissait tout. C’était d’une impudeur extrême. Lorsque je l’ai vue en concert, c’est ce vers quoi j’ai tendu. Être nu sur scène, ne rien cacher !

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Quand vous regardez dans le rétroviseur, entre soliste, chambriste, cinéma pour « Amour » de Michael Haneke, spectacle avec François Morel consacré à Erik Satie ou avec Bartabas, vous vous dites que la route a été belle ?

Non ! La route a été plutôt cabossée de toutes parts avec des expériences très dures. D’abord une route qui a été embrumée car j’avais très peu de concerts au départ. Je jouais dans des petits lieux et cela me suffisait car mon seul désir, c’était d’être sur scène. Je ne ressentais pas ce besoin de faire une grande carrière. Ensuite, la route s’est ouverte et j’ai suivi le chemin que je souhaitais, seulement guidé par mon propre désir qui n’était pas forcément celui des agents, des organisateurs, ni même du public. Je me suis orienté vers des voies différentes, des répertoires différents également. Personnellement, j’ai l’impression d’être dans une extrême cohérence avec un répertoire très construit, avec du sens. J’ai pourtant parfois rencontré des personnes hermétiques, qui ne me comprenaient pas. Par exemple, lorsque j’ai publié mon album « Le Bœuf sur le Toit », cela échappait à beaucoup que je puisse jouer Schubert ou Beethoven alors que je jouais un foxtrot, oubliant que presque tous les compositeurs de musique classique s’étaient inspirés de la musique populaire de leur temps. J’ai donc été souvent contraint dans mes choix, essayant de passer en force, ce qui ne fonctionnait pas toujours.

Vous avez eu cette impression d’être incompris à un moment ?

Ça, à la rigueur, je m’en fichais ! Je voulais faire ce que j’avais envie. Mais il se trouve que je fais un métier qui est partagé par des millions de personnes à travers le monde. Donc, si vous êtes un peu singulier et que, comme moi, il vous arrive de refuser un concert parce que vous voulez imposer vos choix, on demande à un autre pianiste de vous remplacer. Je pense que j’étais considéré comme caractériel et cela m’a joué des tours. Ensuite, je dois dire que le métier de pianiste est éprouvant tout autant mentalement que physiquement. Allez jouer une fois devant deux mille personnes, c’est compliqué, mais y retourner tout le temps… Vous avez parfois envie de vous cacher ! Vous n’avez pas toujours le désir absolu d’être en pleine lumière. Concertiste, c’est un rythme de vie particulier. À certains moments j’adore, à d’autres je n’en peux plus. Ça dépend des jours. Ces confinements successifs et cette crise terrible due à la Covid-19 a, d’une certaine manière, fait respirer beaucoup de musiciens solistes.

Photo : Jean-Baptiste Millot

Vous en avez donc vous aussi profité pour souffler ?!

Au départ oui. C’était une période rêvée depuis vingt-cinq ans. Maintenant, il est vrai que l’on en peut plus. Un musicien a ce besoin d’être confronté en concert à son public.

Si vous deviez inviter un néophyte à découvrir le piano dans la musique classique, vers quelles œuvres le dirigeriez-vous ? 

J’ai commencé ce triple album « Le Poète du Piano » par le premier prélude de Bach et je me suis posé exactement cette question. Je me suis dit qu’un « Best Of », c’était ce que l’on achetait lorsque l’on était un peu néophyte justement et que l’on ne connaissait pas trop un musicien ou une musique. Je pense donc qu’un « Best Of » ou une playlist que l’on trouvera en ligne peuvent être de bonnes approches. Ces plateformes font peur aux musiciens mais elles permettent également d’ouvrir la musique au plus grand nombre. Allez écouter une compilation avec plein de compositeurs différents et zappez ! Passez de l’un à l’autre ! C’est comme ça que l’on accède à l’art aujourd’hui. L’important, c’est de chercher, d’être curieux et de découvrir.

Gilles Apap, Nomade’s land
Alain Altinoglu, à la baguette !

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