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Edgar, chef de bloc s’interroge sur la gestion de crise du Covid

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La clinique dans laquelle il travaillait ayant, pendant cette épidémie du Covid, été mise en sommeil, Edgar a été transféré dans un autre établissement pour y exercer son métier de chef de bloc opératoire. Aujourd’hui, il se demande pourtant si les prises de décisions dans la gestion de cette crise sanitaire inédite qui nous touche ne relèvent pas de l’à-peu-près. Pourquoi ne se focaliser QUE sur le Covid au détriment d’autres pathologies parfois plus graves et qui, inévitablement pâtissent de cette situation ? Comment justifier de mettre « au repos forcé » une partie du personnel soignant des cliniques privées alors que les hôpitaux publics réclament à cor et à cris plus d’effectifs comme de moyens ? Quelles seront les leçons à tirer de cette crise tout autant sanitaire qu’économique sans précédent ? Autant de questions auxquelles Edgar apporte ses réponses !


« Le personnel soignant, c’est un peu les poilus de 1914 ! On fonde en eux un espoir fabuleux. »

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On a l’impression que la population et les médias découvrent un personnel hospitalier dont ils n’avaient que faire lorsque ces derniers défilaient dans la rue ou travaillaient avec un brassard « en grève » depuis un an, réclamant plus de moyens, de personnels. Ce passage de l’ombre à la lumière, ça vous inspire quoi ?

Si on attire tout à coup la lumière, autant de respect, c’est parce que la situation inédite que nous connaissons génère une vraie peur au sein de la population. Comme le gouvernement nous a placés en première ligne, tout le monde se cache derrière cette première ligne en espérant qu’elle tienne. Le personnel soignant, c’est un peu les poilus de 1914 ! On fonde en eux un espoir fabuleux. D’où ce discours sur l’héroïsme des soignants.

On a effectivement l’impression que l’on cherche des héros pour minimiser les vrais problèmes latents !

Le personnel de santé pâtit d’un manque d’évolution salariale et, plus largement, de respect depuis une vingtaine d’années. Quand on pense à un chirurgien, on s’imagine plus généralement la personne qui gagne bien sa vie et profite de sa situation qu’à celui qui sauve des vies au quotidien. Au-delà de l’image, on note que l’on n’obtient, dans nos revendications, aucune réponse concrète de la part du gouvernement que ce soit au niveau de l’écoute du personnel soignant ou une quelconque recherche d’amélioration de nos conditions de travail. On espère que la sortie de crise va déboucher sur une reconnaissance des personnels, une meilleure gestion au niveau des hôpitaux…

Entretien

Le président Macron expliquait dans un discours qu’enfin des moyens allaient être mis en place dans le domaine de la santé. On a l’impression qu’il faut être dos au mur pour que les choses bougent !

Il faut être sévèrement dos au mur, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour parler des urgences, cela fait plus de dix ans que l’on tire la sonnette d’alarme. Les gens qui y arrivent attendent de plus en plus longtemps, des drames s’y déroulent tous les jours… Depuis des années on cherche à faire des économies sur la santé. La sécurité sociale doit impérativement ne plus être déficitaire, c’est le mot d’ordre. On a l’impression finalement que tout cela est géré comme une entreprise privée, qu’il convient de faire du profit alors que l’on parle de l’humain. On voit les efforts qui sont demandés dans le secteur public comme privé pour économiser les ressources tant humaines que matérielles. Dans le privé, où je travaille, tout est compté. Chaque année la sécurité sociale donne les grandes lignes et la caisse primaire d’assurance maladie distribue les tarifs. Par exemple, pour une opération de hanche, la sécu va nous allouer un remboursement plafond. Un remboursement qui baisse tous les ans de 2 ou 3% car, dans l’esprit des dirigeants, il faut absolument réduire les dépenses. Résultat, on doit aborder chaque nouvelle année avec un recul de nos ressources tarifaires.

On gère l’humain comme la marchandise ?!

Effectivement, tout doit être géré au plus près. Le personnel coûte de l’argent donc il nous est demandé de le réduire à portion congrue. Dans le même temps, on a des obligations de formations, de maintien des compétences… On entre, au fil des années, dans une équation de plus en plus impossible à résoudre. On nous impose un personnel de plus en plus qualifié, formé à des technologies qui évoluent en permanence, une implication de plus en plus importante avec, au bout, aucune bonification. On est dans l’incapacité de conserver son personnel car obligés de le payer au plus juste. Il faut donc penser recrutement avec des équipes de plus en plus restreintes et, dans le même temps, des tâches qui ne cessent d’augmenter. On peut juste espérer qu’en sortie de crise le gouvernement aura une vision différente du système de santé.

Entretien

Pensez-vous que cette situation extrême que nous connaissons servira justement de leçon à nos dirigeants pour, dans l’avenir, mieux anticiper une grave crise sanitaire ?

Cette grave crise sanitaire était quand même pressentie depuis des années avec des alertes telles que le virus Ebola ou la grippe H1N1. On s’approchait donc d’une grave crise pandémique, crise dans laquelle on se trouve plongé actuellement. Ce que je constate c’est, par exemple, le travail qui a été réalisé suite aux attentats. Face à la menace terroriste et aux plus de 300 morts, on a une société qui a changé en profondeur avec une sécurité accrue dans tous les domaines, des fouilles quasi permanentes dans les lieux publics. J’espère que, face au Covid, on va assister à une sortie de crise un peu dans le même esprit avec de vrais moyens qui doivent être mis en place.

Dans notre société du profit, on a délocalisé énormément ; Les masques comme les médicaments en étant de parfaits exemples. Délocaliser pour soulager le portefeuille, c’est être dépendant lorsque les frontières ferment ?!

C’est une problématique énorme. Les produits à usage unique deviennent, car rationnés, à usages multiples. C’est une vraie base de réflexion car on a bien vu ce que le confinement en Chine et l’arrêt de la production avait comme conséquence en Europe avec le problème du manque de masques. Cette crise a soulevé de nombreux problèmes et l’on se retrouve aujourd’hui dans une situation où le manque de produits nécessaires au bon fonctionnement d’un bloc opératoire par exemple se fait sentir. Il convient d’avoir une réflexion sur les approvisionnements. On possède en France une industrie de l’armement performante et compétitive, car autonome. Il serait intéressant de se caler sur ce processus pour la santé également. On doit avoir un regard sur ce que l’on fabrique ce qui permettra de prévoir les besoins futurs. Reprenons la main sur notre technologie ! À force de vouloir faire des économies sur les médicaments, le matériel de santé, on en arrive à une situation où l’on n’est plus acteur mais simple spectateur, donc dépendant. Les laboratoires français en prothèses de hanches ou de genoux qui étaient de grande qualité sont peu à peu rachetés par des multinationales américaines. Nous sommes dans une logique de mondialisation sans comprendre que l’on perd des compétences qui sont, on le voit aujourd’hui, essentielles au bon fonctionnement de notre société.

Entretien

Votre clinique a dû fermer pendant cette crise du Covid car elle n’avait pas assez d’activité. On peut s’étonner que certains établissements ferment quand des hôpitaux sont obligés de transférer leurs malades vers d’autres départements via des trains ou des avions médicalisés ?!

On est parti d’une logique qui n’était pas mauvaise. On a vu poindre une crise grave donc on a décidé de préserver les ressources nécessaires afin d’affronter au mieux l’épidémie. La clinique a suspendu toute activité sur la demande de l’agence régionale de santé le 16 mars. Nous nous sommes donc préparés, nous avons stocké, avons fait le point sur le personnel disponible et puis, on a attendu. Il a été décidé de mettre en sommeil l’établissement pour tout regrouper ailleurs. Alors oui, on a vu partir certains infirmiers ou médecins en région parisienne ou dans le grand Est sur demande de l’ARS mais, pour le reste, ça demeure le flou absolu. On se retrouve aujourd’hui avec tout un personnel de santé qui ne travaille pas, ce qui peut effectivement paraître étrange. En arrêtant l’activité, le but était de libérer du potentiel humain… Le résultat est qu’aujourd’hui on attend ; mais quoi, on n’en sait rien !

On ne parle en ce moment effectivement que des patients atteints du Covid, semblant oublier toutes les autres pathologies ? Ne pensez-vous pas que tout polariser sur le Covid, c’est prendre le risque que le taux de mortalité en France n’augmente sensiblement ?

La médiatisation à outrance du Covid, le fait que l’on nous rabâche un décompte journalier du nombre de morts, de personnes en réanimation… On ne se focalise QUE sur le Covid au détriment de toutes ces pathologies qui continuent elles aussi à avancer. Aujourd’hui, concrètement, une personne qui connaît un problème de santé va avoir tendance à attendre car elle ne sait pas vers où se diriger. Certains médecins traitants ont fermé leur cabinet pour se protéger car il y a très peu de ressources pour protéger les soignants, les masques continuant à manquer. Après un mois de confinement et d’arrêt d’activité de blocs opératoires, le curseur de l’urgence Covid doit absolument baisser et il devient vital que l’on s’intéresse à nouveaux aux autres pathologies. On va immanquablement se retrouver dans trois mois dans une logique de surmortalité due à des patients qui n’auront pas été pris en charge à temps et auront pâti de cette période du Covid.

Entretien

Y’a-t-il actuellement selon vous une volonté déguisée de « tuer » peu à peu la médecine privée ?

Je n’espère pas, mais on peut se demander pourquoi, dans la gestion dans cette crise, on n’a pas fait appel plus tôt au privé. On est très dépendant des agences régionales de santé et c’est à elles que revient la charge d’assurer le lien entre privé et public. Pourquoi des hôpitaux publics qui traitent des patients Covid et sont surchargés continuent-ils à avoir une activité en traumatologie par exemple alors que cela pourrait être pris en charge par le privé afin de délester un peu le personnel soignant très fatigué ? Si un point avait été effectué sur le secteur privé, les hôpitaux publics ne se seraient certainement pas retrouvés à court de scopes, de blouses ou de produits anesthésiants par exemple.

Certains de vos collègues, surtout des infirmières, me disaient souhaiter après cette crise se tourner vers une autre carrière. Ce ras le bol, vous le sentez aussi au sein de vos équipes ?

Il y a un gros questionnement. On est présentés comme des supers héros, on découvre des hôpitaux qui reçoivent des repas de la part de chefs étoilés, des fleurs, des spots télévisés pour dire combien on est merveilleux, combien on nous aime… Quand on à cette image de soi véhiculée par les médias et, qu’en même temps, on se retrouve en chômage partiel car votre clinique n’a plus d’activité, il y a un décrochage qui, mentalement, n’est pas simple à gérer. Tous les infirmiers se sont inscrits pour proposer leur aide dans les départements les plus touchés par le Covid et, finalement, il y a eu peu d’élus. L’avenir de la profession va dépendre de ce que sera la situation post Covid. Après tout ce qui a été dit, montré aussi bien dans le discours du gouvernement que chez la population qui n’a cessé de glorifier le personnel soignant, ces derniers vont forcément attendre un respect, une reconnaissance… Si on est trop vite oubliés après la sortie de crise et que des mesures concrètes ne sont pas au rendez-vous alors oui, il risque d’y avoir une partie du personnel soignant qui se tournera vers une tout autre carrière, c’est évident !


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