Société

Marie, elle se bat pour son fils presque aveugle !

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Marie et sa famille ont créé un mail pour communiquer avec les parents d’enfants en situation de handicap.

N’hésitez-pas à leur écrire : handicap.process(at)gmail.com


Lorsque le handicap frappe un enfant, c’est au pluriel qu’il se conjugue au sein de la cellule familiale avec, parfois, de lourds dommages collatéraux. Pour Hugo, c’est à trois mois que ses parents ont appris de manière pour le moins brutale que leur fils était atteint du syndrome « morning glory », qui, fait rarissime, touche ses deux yeux. Aujourd’hui, âgé de treize ans, Hugo est presque aveugle. En cette période toute particulière de confinement, l’adolescent se retrouve, de fait, hors du cadre scolaire comme des repères auxquels il est habitué. Au-delà de cette situation exceptionnelle inhérente à l’épidémie que nous connaissons, les questions concernant la gestion du handicap au sein de notre pays se bousculent. Les aides gouvernementales pour soutenir les familles tout autant financièrement que psychologiquement sont-elles suffisantes ? Le système éducatif qui est le nôtre est-il adapté aux enfants en situation de handicap ? Marie, la maman d’Hugo, nous livre, avec le cœur, son point de vue sur ces questions… Et bien plus encore !


« Quand on vous explique pour vous annoncer que votre enfant va perdre la vue : « Madame, vous aviez un jeu de 54 cartes et vous avez tiré la mauvaise. » La peine est double ! »

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Votre enfant perd progressivement la vue. Comment gère-t-on le handicap au sein de la famille ?

Aujourd’hui, on le gère plutôt bien car Hugo grandit. Cela a été bien évidemment très difficile au début lorsque l’on a appris la maladie. On se retrouve confrontée aux hôpitaux avec des médecins spécialisés que l’on pense dotés d’un cœur. Mais quand on vous explique pour vous annoncer que votre enfant va perdre la vue : « Madame, vous aviez un jeu de 54 cartes et vous avez tiré la mauvaise. » La peine est double !

Ce sont des propos d’une violence inouïe de la part d’un médecin !

Je me suis totalement effondrée. Hugo n’avait que trois mois et j’espérais, face à la maladie, un peu de psychologie de la part du corps médical. On m’a dit que je devais garder pour moi mes émotions et que j’allais devoir gérer désormais cette vie avec un enfant en situation de handicap. Après, effectivement, en tant que parents, on doit avancer et apprendre à gérer ce quotidien d’un enfant qui perd la vue. Le plus dur, c’est qu’au départ Hugo avait un déni de la maladie.

En maternelle Hugo était scolarisé dans le système disons « classique », comme tous les enfants de son âge ?

Oui. Je dois saluer ses instituteurs très volontaires qui, au-delà de leur rôle inhérent d’enseignants, se sont investis sur le plan humain pour aider Hugo à progresser. Il a eu la chance de se retrouver dans une maternelle de quartier avec peu d’enfants et des maîtresses qui, on peut le dire, se sont occupées de lui telles des mamans. En primaire, cela a également été le cas et on mesure aujourd’hui cette chance qui a été la nôtre d’avoir affaire à des personnes d’une profonde humanité. Le collège a été par contre une étape beaucoup plus difficile…

Justement, le système scolaire de notre pays est-il, selon vous, adapté au handicap ?

Pas du tout ! Le système scolaire est adapté à une « norme », même s’il semble difficile de dire qu’il y a une « norme » dans le handicap ! Nos institutions sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ont promulgué une loi en février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi est formidable dans les écrits mais, dans la réalité, c’est un total paradoxe. On constate clairement que le système scolaire n’est en rien adapté au handicap. Hugo était scolarisé dans un collège ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire) qui sont normalement des structures prévues et destinées aux enfants en situation de handicap. Là, on a accepté sa malvoyance mais dès qu’elle est devenue trop importante car dégénérative donc progressive, cela est devenu trop compliqué à gérer pour l’établissement. Donc, handicapé oui, mais pas trop ! Cette loi de 2005 promulguée ne prend pas en considération les différents niveaux de handicap, qu’ils soient grands ou petits.

Entretien

L’intégration d’Hugo auprès de ses « camarades » de classe a donc été compliquée ?

Les collèges qui sont ULIS TFC (Trouble de la Fonction Visuelle) ne mentionnent pas cette spécificité et nous, parents d’enfants handicapés, avons la désagréable impression qu’il faut cacher ces classes. Il est pourtant primordial que les enfants du collège sachent que d’autres élèves, qui font partie de leur établissement et se retrouvent avec eux dans la cour, peuvent être « différents ». Hugo est un adolescent très extraverti malgré la maladie ce qui est une force pour lui, mais il a dû se battre au sens propre comme figuré face aux mots blessants qu’il a pu entendre à son encontre. Connaître le handicap, en parler, le comprendre serait à mon sens utile pour que les choses se passent mieux au sein de ces structures scolaires dédiées.

Face au peu d’aides et aux structures souvent inadaptées, est-il facile de toujours garder la tête hors de l’eau, ne pas sombrer dans la dépression ?

On est obligé de se maintenir la tête hors de l’eau, car si on écoutait toutes les institutions on se noierait immédiatement. Dans notre cas, ce qui est difficile, c’est que les banques comme l’administration nous ont vite fait comprendre que je ne pouvais pas être gérante d’une toute petite structure et maman d’un enfant handicapé. Comme si les deux choses étaient antinomiques ! Les banques et beaucoup d’autres organismes m’ont fermé leurs portes car ils me ramenaient sans cesse au fait que j’étais la mère d’un enfant en situation de handicap donc, à risques ! On ne se sent vraiment pas soutenue.

Il est très compliqué de conjuguer votre activité professionnelle et le fait de vous occuper de votre fils !

On ne conjugue pas, on jongle. Et on ne jongle pas avec trois quilles mais avec trois cents. Il faut donc être dans un cirque pour le moins performant pour s’en sortir car tout est au millimètre. Avant Hugo, je n’avais pas appris à jongler et il a donc fallu que je me forme sur le tas. Être parent ce n’est pas forcément simple, mais être parent d’un enfant en situation de handicap c’est forcément une charge supplémentaire sur les épaules. Je tiens néanmoins à rester positive et dire que ce handicap justement peut être une force car il ouvre d’autres horizons, une relation parents/enfant forcément particulière et d’une richesse émotionnelle infinie. On est donc partagé entre un certain mal-être et une envie de sortir le corps en situation de handicap de l’eau pour l’aider à avancer. La famille se bat donc au quotidien avec un minimum d’aide.

Existe-t-il une cellule d’aide psychologique ou au moins des associations au sein desquelles vous pouvez partager vos peines, vos doutes, les difficultés rencontrées au quotidien ?

Des associations, ils en existent effectivement beaucoup sur Paris, mais quand on vit en banlieue, faire des kilomètres pour aller pleurer sur son sort, je ne trouve pas cela personnellement très constructif. Je préfère l’écoute et la main tendue de mes amis proches qui, eux, savent réellement de quoi je parle. Nous avons eu la chance de recevoir beaucoup d’aide de la part du centre Simone Delthil à Saint-Denis, un centre destiné aux malvoyants comme aux sourds et malentendants et dont je salue le travail admirable.

Entretien

Vous aviez l’idée de porter plainte contre l’état. En quoi nos institutions sont-elles inefficaces pour aider les parents d’enfants handicapés ?

Le plus gros problème, c’est l’argent ! On est obligé d’ouvrir des portes à coups de pied. Parents d’un enfant en situation de handicap, on est en permanence à devoir gueuler. Quand je dis gueuler, ce n’est pas dans le registre vulgaire du terme mais dans le sens où il faut aboyer en permanence pour se faire entendre. Au bout d’un moment, à force de vous entendre hurler, on débloque un peu d’argent pour aider votre enfant. Après, les moyens financiers sont une chose mais si vous n’y mettez pas du personnel adapté, motivé et avec des compétences, c’est finalement mettre la main à la poche pour de bien piètres résultats. Le personnel inadapté et non formé peut parfois engendrer une détresse morale pour l’enfant. Quand on va au collège et que l’on passe son temps à hurler pour se faire entendre, faire respecter les droits de son gamin, malheureusement, parfois, ce dernier trinque car l’attitude des parents est mal interprétée. Mais encore une fois je vous le dis, face au handicap, si l’on n’aboie pas comme un chien enragé, rien ne viendra à vous !

Si vous deviez passer un message au président Macron quel serait-il ?

Je lui dirai une chose, c’est d’appliquer à la lettre cette loi de février 2005. Des actes plutôt que des écrits ! Donner les mêmes chances à tous de réussir dans le domaine scolaire serait à mon sens la base. Quand l’état prend des AESH (Accompagnant d’Elève en Situation de Handicap) qui n’ont aucune formation et, parfois même, savent à peine parler ou écrire le français, comment voulez-vous que l’enfant puisse évoluer ?! Former un personnel adapté au handicap ne pourra que favoriser l’inclusion de l’enfant dans une structure. Je remercie toutes celles et ceux qui font cela avec passion car, quand on vous donne un salaire de misère et qu’on vous demande un travail qui requiert un total investissement, il faut vraiment n’être animé que par l’envie. Est-ce que vous avez vu un seul membre du gouvernement en situation de handicap, en fauteuil roulant ? On est en 2020 et il serait peut-être temps que les choses changent un peu ! C’est sur tous ces problèmes que j’inviterais le président Macron à se pencher.

L’argent est encore une fois le nerf de la guerre !

L’état n’a pas compris le principal sujet qui serait de mettre de l’argent sur la table et des structures adaptées dès le plus jeune âge pour faire en sorte que ces enfants puissent s’élever socialement, avoir un métier. Si l’on mettait des moyens financiers dans le handicap dès l’enfance, on aurait certainement moins d’adultes avec des allocations d’adulte handicapé (AAH) !

Entretien

Forcément, votre fils grandissant, vous devez vous projeter dans l’avenir justement, son avenir. N’est-ce pas quelque peu anxiogène ?

Nous avons la chance qu’Hugo, au-delà de ses capacités mentales très élevées, soit un garçon extraverti et qui en veut. Il se bat pour avancer et s’est mis en tête que le handicap ne serait jamais un frein dans sa vie. Maintenant, est-ce qu’on lui ouvrira des portes, ça malheureusement je n’en sais rien. Tant que je serai là, je l’aiderai à défoncer autant de portes que possible, après… L’important est de lui donner toutes les armes pour, justement affronter au mieux cet avenir. Nous sommes une famille unie et nous mettons tout en œuvre pour aider Hugo. Mais quand on pense aux parents démunis qui, parfois ne parlent pas français couramment, on se demande forcément comme eux peuvent s’en sortir pour gérer le handicap au quotidien et quel sera alors l’avenir de leur enfant ?

Aujourd’hui, nous sommes en plein confinement avec des enfants qui doivent poursuivre leur scolarité à la maison. Comment cela se passe-t-il pour Hugo qui se retrouve hors de sa structure scolaire ?

La chance que nous avons, c’est qu’Hugo ait pu intégrer l’INJA (Institut National des Jeunes Aveugles) en internat à Paris. Dès la rentrée, il a pu bénéficier de tous les moyens informatiques nécessaires pour poursuivre son programme scolaire. Par contre, pour tous les enfants en ULIS, ce confinement doit être une situation véritablement catastrophique car, là encore, les enfants n’ont pas forcément chez eux le matériel adéquat à leur handicap pour pouvoir poursuivre normalement leur scolarité. Comment un enfant malvoyant va-t-il pouvoir prendre connaissance des cours, des devoirs qu’il aura à faire ? Les enfants risquent donc là de se retrouver en échec scolaire. Face à cette crise du Covid-19, l’état a débloqué des fonds colossaux pour gérer une situation de crise inédite. Pourquoi ne peut-on penser à débloquer un peu d’argent pour celles et ceux en situation de handicap ? Si demain, deux tiers de la population était handicapés, parviendrait-on à trouver les fonds nécessaires ? Aujourd’hui, malheureusement, le gouvernement considère encore le handicap comme une priorité mineure.


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