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Jérémy Augier, psychologue : les conséquences traumatiques du confinement

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Aide pour la population française en détresse psychologique pendant l’épidémie et le confinement
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De leur côté, des psychologues et psychiatres ont pris l’initiative de proposer leurs services gratuitement aux soignants pendant la crise sanitaire. Ils sont réunis sur les plateformes Psychologues solidaires ou Psyformed.com.


Augmentation des violences faites aux femmes, hausse de la consommation d’alcool, troubles de l’humeur et même syndromes de stress post-traumatiques, le confinement et sa relative privation de liberté ont des impacts psychologiques indéniables sur la population. Fort d’une expérience en milieu carcéral, Jérémy Augier, psychologue clinicien, psychothérapeute et criminologue, nous éclaire quant aux répercussions sur la santé mentale inhérentes à cette situation exceptionnelle que nous connaissons et nous aiguille sur les méthodes à adopter pour que confinement ne rime pas avec prison !


« La peur engendrée par l’épidémie risque de perdurer après le 11 mai et certaines personnes décideront peut-être de rester cloîtrées malgré le déconfinement. »

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La situation de confinement est, de fait exceptionnelle et totalement inédite. Que peut provoquer psychologiquement chez l’être humain cette partielle privation de liberté ?

Cela peut générer différentes émotions ou ressentis. Le confinement induit pour certains une contrainte, une loi que l’on doit respecter sans avoir d’ailleurs eu le temps nécessaire pour s’y préparer. Du coup, cela peut provoquer un sentiment d’impuissance. Oté de notre pouvoir de décision, on se retrouve alors enfermé. Une peur est susceptible de s’installer, peur de tomber malade ou de contaminer un proche. La crainte du manque peut également se créer. De nombreuses personnes se sont à ce titre ruées dans les supermarchés dans un réflexe de survie. Le confinement crée de l’incertitude et de l’anxiété. De même, un sentiment de solitude et d’isolement peut se faire sentir, notamment chez les personnes seules et âgées. Naissent chez eux des peurs, celles d’être oubliées, malades et même de mourir seules. Les émotions négatives, notamment la peur et l’anxiété, vécues de manière intense, créent un état de stress aigu. Cela peut entraîner un syndrome de stress post-traumatique si le confinement se prolonge. Pour d’autres, par contre, cette privation de liberté est perçue de manière positive, l’occasion d’un retour sur soi, un moment où on a le temps de vivre avec nos proches, de s’adonner à toutes sortes d’activités, profitant de l’instant présent.

Vous avez travaillé en milieu carcéral. Les troubles psychologiques que l’on constate aujourd’hui au sein de la population sont-ils relativement similaires de ceux que peuvent connaître les détenus ?

L’environnement carcéral est différent de celui de la personne confinée (même pour celles et ceux qui vivent dans de petits appartements). En prison, l’individu est enfermé avec des inconnus. Dans la plupart des cellules, il y a également une privation de l’intimité. Les toilettes, dans la cellule, sont aux yeux de tous. Le prisonnier est défini par un numéro d’écrou, ce qui contribue à le déshumaniser. Cette perte d’identité est propre au milieu carcéral. La différence notable, c’est également que le détenu a commis un acte répréhensible par la loi qui l’a conduit à son incarcération. Cela diffère du sentiment d’injustice qui peut être vécu par le confiné qui, lui, est isolé pour une raison qui ne lui incombe pas. Néanmoins, en prison comme confiné, on peut faire face à une désocialisation avec le monde extérieur. Pour l’éviter, le confiné doit maintenir des liens avec son environnement professionnel, amical et familial. Le milieu carcéral baigne dans un climat hostile qui peut favoriser la paranoïa. Pour certaines personnes confinées, une paranoïa « légitime » peut également naître : l’« Autre » peut être néfaste pour moi, me transmettant un mal invisible (le Covid), y compris par les êtres les plus innocents, les enfants. Le milieu carcéral est aujourd’hui un lieu menaçant en raison de la promiscuité entre les détenus ce qui augmente le risque de contagion. La maison, au contraire, est un lieu de prophylaxie censé nous protéger de la contamination.

On constate que les français ne respectent pas forcément le confinement et profitent du soleil pour se découvrir une passion subite pour le jogging ou une envie de sortir leur chien le plus souvent possible ! Priver l’humain de sa liberté, même relative, c’est le priver d’une partie de lui-même ?

Je ne sais pas si certains se trouvent une passion pour ces activités ou bien s’ils n’ont pas pu s’y adonner par manque de temps auparavant. Ce confinement n’a pas été choisi, mais décidé par une autorité extérieure afin d’éviter la propagation rapide du virus. Certains peuvent le vivre comme une contrainte, une entrave à leur liberté individuelle. Cette poussée de l’humain à sortir va générer un sentiment de liberté. C’est un moment de dégagement de tension et d’agressivité pendant lequel on se réapproprie le plaisir. Cela permet également de récupérer de la puissance sur les lois, sortir pouvant faire figure de résistance contre ces interdits. Pour certains, cette liberté de sortir c’est aussi une manière de prendre de la distance avec la dynamique psychoaffective qui peut se jouer au sein du domicile. Si la vraie liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, il semblerait que laisser cet espace de liberté au confiné dans le respect de la réglementation soit un espace souhaitable pour le bien de la communauté.

Entretien

Pour les personnes vivant seules, les risques de troubles psychologiques sont décuplés je suppose ?

C’est possible, surtout si elles ne maintiennent pas de liens sociaux avec le monde extérieur. L’humain est un être social par nature et ce sentiment de solitude, même s’il peut être bien supporté pour certains, peut également être vécu de manière très douloureuse pour d’autres. De nos jours, il existe de nombreux moyens permettant aux personnes isolées de continuer à communiquer avec leurs proches, via les réseaux sociaux par exemple. Des communautés se mettent en place, créent des groupes de sport sur Internet avec des horaires fixes pour se retrouver tous ensemble. Ces initiatives augmentent le sentiment d’appartenance et préviennent contre le risque d’isolement. Cependant, certaines personnes âgées par exemple ne sont pas familières avec les réseaux sociaux et peuvent se sentir oubliées de leur famille. L’impossibilité de communiquer de façon spontanée, l’éloignement des gens qu’on aime et la peur de la maladie comme de la mort accroissent effectivement le risque de dépression.

On constate également que ce confinement provoque pour certains une appétence accrue pour l’alcool. L’humain cherche des exutoires à la solitude ?!

L’isolement peut en effet renforcer ou même stimuler le désir de boire. Cet état transitoire d’euphorie provoqué par l’alcool apporte un sentiment de plaisir et amène à nier momentanément son anxiété. Ce moment de confinement est un temps de retour à soi-même, à son histoire de vie. Des problématiques enfouies peuvent donc se réveiller pendant cette période. Ce face à soi, imposé de manière brutale et pour une longue durée, peut ainsi créer une détresse chez certains et une augmentation de la souffrance. Devant ces émotions pas toujours identifiables, certains vont trouver en l’alcool ou même la drogue un exutoire. Le défi serait peut-être de mobiliser ses propres ressources pour apprendre à gérer cette détresse. Encore une fois, l’entourage proche peut être un facteur stimulant pour soutenir et accompagner les personnes les plus fragiles.

Entretien

Chômage, problèmes financiers, ce confinement est hélas propice aux idées noires qui tournent en boucle dans l’esprit… Tout cela peut, dans les cas extrêmes, conduire au suicide. Que faut-il faire si le mal devient trop grand ?

En effet, face aux nombreuses difficultés que la personne rencontre de manière soudaine et inattendue, elle peut sombrer dans des idées noires qui sont une expression de la souffrance. Il peut donc y avoir un risque de passage à l’acte. Le confinement aggrave la situation de personnes déjà fragiles psychologiquement. Il n’y a plus d’activités extérieures ni de liens sociaux : Ce qui permettait de tenir le coup auparavant, n’est plus possible ! Si le mal devient trop grand, les personnes ne doivent pas hésiter à demander de l’aide. Avec d’autres psychologues et psychothérapeutes, nous avons mis en place une cellule téléphonique, la CEPA (Centre d’écoute psychologique d’Aix-en-Provence). D’autres cellules d’écoute existent en France et nous avons pu constater qu’un grand élan de solidarité s’est manifesté pour aider les plus démunis et les plus souffrants. Cependant, il n’est jamais aisé de demander de l’aide et de reconnaître sa propre souffrance. Nous tous, au cours de notre vie, avons demandé de l’aide. C’est pour cela que j’invite les personnes qui en ressentent le besoin à franchir le pas. La famille et les amis peuvent exprimer eux aussi leur inquiétude concernant un proche (un conjoint, une mère pour son enfant, un camarade de classe…). Ce qui me paraît le plus important, plus que des mots, c’est d’offrir une présence, une attention, une écoute, qui sont souvent la clé pour venir en aide.

Moins dramatique, mais sur un autre registre, on a noté en Chine, et il en sera probablement de même en Europe, une hausse très nette des divorces. Le couple ne résiste donc pas au « vivre ensemble » ?

En effet, j’ai pu noter cette problématique au niveau de mes patients. Ils connaissent des problèmes de couple liés, en partie, au confinement. Être cloîtré avec sa famille, parfois dans de petits espaces, peut générer des tensions, des irritations et accentuer des problèmes latents au sein du couple. Avant, le temps était partagé entre le travail, les amis et la vie de couple. C’est maintenant une cohabitation 24 h/24. Les parents doivent aider les enfants à faire leurs devoirs ce qui amène une certaine désespérance parfois. Certains parents doivent également faire du télétravail dans cet environnement restreint. Cette période peut mettre en exergue la fragilité du couple. Si l’on est traversé par des émotions négatives envers l’autre, il ne faut pas hésiter à s’isoler, souffler un peu afin de reprendre, par la suite, la communication. Je pense qu’il est nécessaire pour le couple, en plus d’avoir des moments ensemble (le nous), d’avoir également des moments à soi (le je). Toutefois, on peut également regarder les choses sous un angle positif. Cette épreuve peut solidifier les liens. Il me paraît important de recréer un autre cadre : On doit penser une autre manière de fonctionner avec le confinement. Il me semble nécéssaire de se projeter dans l’avenir, penser le vivre ensemble au-delà du confinement.

Violences faites aux femmes, aux enfants au sein du foyer familial. Pour celles et ceux qui vivent dans un espace réduit, les tensions générées par le fait de la proximité 24h/24 peut conduire à une résurgence de la violence ?!

Il y a un risque accru de violence conjugale comme envers les enfants. Certaines femmes vivaient déjà en couple avec une personne violente. Ce confinement avec leur bourreau aura pour conséquences d’augmenter ces épisodes de violence et de traumatisme. Pour certains couples, où cet état n’existait pas avant le confinement, il y a aussi un risque de violence qui peut accroître. Certaines personnes, psychologiquement fragiles, ne supportant pas la frustration engendrée par cette vie en vase clos. La cohabitation obligatoire et la restriction de sortie va augmenter cet état de frustration. Cette situation de confinement peut exacerber toutes les émotions chez les protagonistes et conduire à des conflits, voire effectivement à de la violence. Il est nécessaire que la victime se rapproche soit de sa famille, mais elle peut également signaler les faits dans les pharmacies ou téléphoner aux urgences, au 115. Pour les enfants battus, il y a « Allo enfance en danger » : 119.

Entretien

Les soignants dont on parle énormément sont en première ligne de cette épidémie. Quelles peuvent être pour eux les conséquences psychologiques créées par cette situation ?

Ils risquent d’avoir de nombreuses conséquences psychologiques. En effet les soignants sont soumis à une grosse charge de travail, entraînant une fatigue importante. Certains pourront même se sentir débordés. De plus, la plupart ne travaillent pas forcément dans de bonnes conditions. Ils doivent faire face à un manque de matériel par exemple. Ils sont également en première ligne avec un risque accru de contracter le virus, donc de le transmettre à un proche. Face à cette peur, la personne peut vivre un état de stress aigu susceptible de déboucher sur un syndrome post-traumatique. Ces soignants doivent, malgré les émotions ressenties, continuer à travailler. Certaines personnes, face à ce trop-plein d’émotion, risquent de déclencher inconsciemment un mécanisme de défense induisant une dépersonnalisation. C’est comme si l’on devenait un robot qui, mécaniquement, doit exécuter toutes sortes de tâches, plus vraiment connecté à nos émotions. Cela fait naître l’impression que notre corps ne nous appartient plus. C’est un sentiment qui peut être vécu de manière anxiogène avec des conséquences sur la personne comme sur ses proches. Au final, c’est souvent après-coup que ces personnes ressentiront les symptômes liés à ces traumatismes. C’est donc, entre-autre, aux psychologues d’intervenir précocement pour prévenir cet état de syndrome post-traumatique. Pour ceux qui présenteront des symptômes de dépersonnalisation, il faudra intervenir aussi de manière précoce afin que ce sentiment ne devienne pas permanent.

Quels conseils donneriez-vous pour mieux vivre le confinement ?

Je pense que la clé est le mouvement. Déjà, le mouvement à travers son corps qui évacue le stress. Il est important de rester en action en respectant les consignes : Se promener, se dépenser. Marcher à l’extérieur, poser un regard sur notre environnement, cela permet de nous rassurer vis-à-vis de notre appartenance au monde. Cela permettra de réaliser que, même si un virus invisible rôde, le milieu extérieur n’est pas uniquement anxiogène. Ensuite, il y a le mouvement que je qualifierai « d’intérieur ». Maintenant que je suis face à moi-même avec cette inactivité apparente et ces peurs, je peux me poser la question : « Que puis-je mettre en place ? » Cette période peut être un défi pour chacun. Certains, face à leurs émotions négatives, consommeront des stupéfiants, d’autres choisiront de manière plus constructive de mobiliser des ressources internes. Par exemple, utiliser des techniques de gestion du stress ou développer sa créativité : Lecture, musique, sport… Cela pourra être bénéfique quand la vie « normale » reprendra son cours. Enfin, il est possible d’amorcer un mouvement spirituel, une réflexion. « Quel sens dois-je donner à la période actuelle ? Quelle place ai-je envie d’occuper ? » Chaque personne devra donner sa propre signification, sa vision des choses selon son ressenti qui pourra être le moteur d’une évolution personnelle. Pour les conseils pratiques, il est important de rester en contact avec ses proches, notamment par le biais du téléphone et des réseaux sociaux. Je conseille également de ne pas regarder les informations en boucle. Cela est source d’angoisse, notamment pour les enfants. Faites des jeux en famille, soyez imaginatifs ! Structurez votre temps, créez-vous une sorte de routine afin d’avoir de nouveaux repères temporels. Pour les plus favorisés, vous pouvez essayer d’aider les plus démunis, cela crée un sentiment d’utilité et de valorisation qui permet de prendre conscience de notre interdépendance.

Continuez-vous à consulter par téléphone et entretenir un suivi de vos patients en cette période ?

Mes patients, en cette période, sont de plus en plus nombreux. C’est assez surprenant d’ailleurs. Je constate que la demande de mes patients n’est pas nécessairement liée au confinement, mais que ce dernier a été le facteur déclencheur d’une problématique enfouie. Ces personnes souhaitent parler de cette résurgence d’émotions non identifiées afin de débuter une psychothérapie et amorcer un processus d’évolution. Toutefois, je pense que les personnes qui souffrent le plus du confinement et du coronavirus (la maladie en elle-même) sont dans l’incapacité de demander de l’aide, car, dans un état de sidération, elles ont du mal à parler de leurs difficultés. Les conséquences psychologiques sur elles seront alors visibles après le confinement et pourraient être très problématiques. Cela sera à nous, soignants, d’intervenir et les soutenir du mieux possible.

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Pensez-vous que, comme il a fallu s’habituer à cette nouvelle vie de confinement, il va nous falloir une petite période d’adaptation au déconfinement ?

Oui et je pense que ce temps d’adaptation sera variable selon les personnes. Pour celles immobilisées par cette sidération durant le confinement, ne pouvant gérer la peur et l’anxiété, le déconfinement risque d’être compliqué. Il se peut que certaines personnes souffrent de désorientations spatio-temporelles. Il ne sera, dès lors, pas aisé de quitter un lieu où l’on se sent en sécurité pour se retrouver dans un environnement plus vaste générateur de peur. Il faut également se poser la question : « Le coronavirus aura-t-il disparu après le 11 mai ? » Selon les médecins et d’autres scientifiques, probablement pas ! La peur engendrée par l’épidémie risque de perdurer après le 11 mai et certaines personnes décideront peut-être de rester cloîtrées malgré le déconfinement. Si la personne est restée en mouvement, a gardé des liens sociaux, a pris le temps de la réflexion et ne s’est pas laissé envahir par le climat anxiogène, le déconfinement sera plus simple à gérer.


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