Musique

Bill Evans, The Man with the Sax

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Bill Evans

Bill Evans suit les pas de son illustre homonyme et pianiste du légendaire Album « Kind Of Blue » lorsqu’il rejoint à vingt et un ans seulement Miles Davis au milieu des années 80. Sa mission et pas des moindres : relancer la carrière du trompettiste dont, officiellement pour raisons de santé, pas une note n’est sortie de son instrument depuis cinq ans. En compagnie du bassiste Marcus Miller et du guitariste Mike Stern, Bill Evans va, en quatre albums, de « The Man with the Horn » à « Decoy » réussir à faire à nouveau briller le nom de Miles Davis au firmament de la scène jazz. De Miles au Mahavishnu en passant par ses projets pour le moins hétéroclites, Bill Evans nous fait partager sa vision d’un jazz sans frontières !

« À vingt ans, rejoindre Miles Davis m’a paru comme une suite disons logique des choses. » 

Votre approche toute particulière du saxophone est-elle liée au fait qu’enfant vous avez débuté la musique par le piano ?

J’ai eu énormément de chance de débuter par le piano qui m’a permis d’avoir une parfaite vision des notes et une approche en effet particulière de l’harmonie. À l’âge de six ans, on peut dire que j’avais déjà une oreille très aguerrie. J’ai voulu commencer le saxophone en fait un peu par hasard en écoutant vers dix ans un saxophoniste alto à l’école. Là, je me suis dit : « Cet instrument est vraiment trop cool, il faut que je m’y mette ! »

J’ai d’ailleurs lu que chaque soir Miles Davis aimait vous mettre derrière un Fender Rhodes pour vous écouter jouer ?!

J’avais l’habitude de jouer chez Miles sur son piano, le même étonnement sur lequel s’était retrouvé Bill Evans des années plus tôt ! (Bill Evans, son homonyme, est un célèbre pianiste de jazz qui a, entre autres, participé à l’enregistrement du mythique album « Kind Of Blue » en compagnie de Miles Davis). Miles aimait bien m’écouter tout en se relaxant et, parfois, on trouvait comme cela des mélodies que l’on travaillait ensuite. Sur scène, il lui arrivait également de me demander de me mettre au piano car j’avais, comme vous le disiez précédemment, en tant que saxophoniste, une manière toute particulière de jouer. Pour tout musicien, je crois que savoir jouer du piano est essentiel. Cela vous permet d’écrire de la musique, de couvrir toute une palette sonore que seul cet instrument offre.

Vous aviez à peine plus de vingt ans lorsque vous avez rejoint Miles Davis. Plus que son saxophoniste, vous lui avez permis de fonder un nouveau groupe et de se relancer musicalement. Avec le recul, que gardez-vous de ce moment très particulier de votre vie de musicien ?

Je n’en avais pas vraiment conscience à l’époque car, lorsque vous êtes plongé dans la musique depuis votre plus jeune âge, cela devient très naturel, un prolongement de vous-même. À vingt ans, rejoindre Miles Davis m’a paru comme une suite disons logique des choses. Il y a aussi bien évidemment l’insouciance de la jeunesse qui fait qu’on ne se dit pas « Mon Dieu, je vais faire partie du groupe de la légende du jazz ! » Être musicien, c’était ma vie ! Un peu comme partir à la nage bien décidé à rejoindre l’autre rive sans possibilité de retour. Je n’avais pas de ticket pour revenir sur la berge d’où j’étais parti, il fallait donc que je réussisse dans ce monde du jazz coûte que coûte.

Suivre votre instinct et continuer sans concession dans la direction que vous vous êtes fixée est un précepte de vie que Miles vous avait donné et que vous semblez avoir suivi tout au long de votre carrière !

Il faut effectivement avoir confiance en ce qui vous inspire et ne pas dévier du cap fixé. C’est certainement la raison pour laquelle je me suis essayé à tant de genres musicaux différents. Lorsque j’ai choisi de mélanger le hip-hop à ma propre vision du jazz au début des années 90, peu de musiciens avaient jusqu’alors fait le pont entre ces deux univers. Pendant douze ans, j’ai également eu mon projet Soulgrass, mêlant le bluegrass et la soul… Miles m’a toujours dit de croire en la musique que je composais, que je jouais car si l’on ne croît pas à ce que l’on fait, comment voulez-vous que les autres musiciens ou le public vous suivent ? Il faut, en musique, être fidèle à ce que l’on croît, ce que l’on est et ne pas céder à l’appel des modes ou du music business. J’ai reçu nombre de propositions financièrement très intéressantes pour participer à tel ou tel projet. Je n’ai jamais cédé à l’appât du gain car cela aurait été trahir le musicien que j’ai toujours souhaité être ! Les maisons de disques ont parfois voulu me modeler à leur image et ça, je n’ai jamais pu m’y résoudre ; j’ai donc décliné l’offre.

bill evans

Vous évoquiez votre projet Soulgrass qui est un mélange musical tout à fait original. Comment a germé l’idée de mixer le jazz, le funk et des instruments américains typiques tel que le banjo ou même le dobro ?

Dans ce projet, lorsque je me suis mis à composer, le choix des instruments est vite apparu comme une évidence avant même que je ne pense à un quelconque style musical ou à mélanger plusieurs univers. Je ne me suis pas réveillé en me disant : « Tiens, essayons de prendre des influences soul, jazz et typiquement américaines et voyons ce que cela va donner ! » En composant, l’aspect percussif du banjo m’a semblé nécessaire, tout comme le souhait d’y intégrer un violon afin harmoniquement d’apporter quelque chose de différent et unique. Les mélodies que j’écrivais revêtaient un aspect très folk et, peu à peu, en y intégrant les instruments, les choses se sont imbriquées les unes dans les autres pour donner naissance à ce mélange des genres. Quand j’ai fait écouter les morceaux, on m’a dit « Tiens, tu fais un mix de bluegrass et d’Americana ! » J’ai répondu « Ah bon ?! » Alors, le nom Soulgrass est né.

Le fait de ne jamais choisir le même univers musical, est-ce un moyen, en tant que musicien, d’éviter la routine afin d’être perpétuellement créatif ?

Je ne louvoie pas entre les univers musicaux pour des raisons disons commerciales mais effectivement afin de garder une fraîcheur nécessaire qui évite l’ennui. L’ennui, c’est la damnation pour un musicien. Après des décennies passées à écrire, se produire sur scène, il faut en permanence tenter de se renouveler, avancer pour ne pas régresser. J’ai besoin de projets nouveaux, de collaborations nouvelles… C’est tout cela qui me nourrit et qui fait qu’aujourd’hui encore, je prends mon saxophone avec la même passion que je le faisais lorsque j’avais vingt ans.

On retrouve également dans vos collaborations de nombreux genres musicaux des Allman Brothers à Willie Nelson. Je suppose que, selon le genre musical, votre façon d’improviser ne sera pas la même ?!

Quel que soit le style musical, j’ai tendance à dire que c’est toujours le même saxophone, la même manière d’aborder la musique, bref le même Moi. Ensuite, effectivement, la manière d’appréhender l’improvisation va quelque peu varier en fonction de l’univers musical dans lequel j’exprime ma créativité. Quand je jouais avec les Allman Brothers, ils me laissaient de longues plages pour improviser en live car ils aimaient justement voir où j’allais emmener leur musique. Après, que ce soit dans le rock, la country ou le blues, les structures harmoniques sont bien moins complexes que dans le jazz. Improviser ne s’apprend pas du jour au lendemain et il faut un travail sans relâche pour être capable de pouvoir prendre son instrument et se laisser guider par l’inspiration quelle que soit la grille d’accords sur laquelle on est supposé s’exprimer ; Les musiciens de jazz sont un peu vus comme « les professeurs » dans ce domaine très particulier qu’est l’improvisation.

Et votre inspiration lorsque vous improvisez peut-elle provenir d’une ligne vocale ou même d’une rythmique plus que le simple fait de suivre une grille harmonique ?

Ce qui est bien avec la musique et peut-être encore plus le jazz, c’est que l’on est perpétuellement un élève, continuant chaque jour à apprendre des choses nouvelles. Au départ, il est vrai que j’écoutais beaucoup de solos de saxophonistes célèbres afin de m’en inspirer, de comprendre comment ils harmonisaient leurs improvisations, quels pouvaient en être les sources d’inspiration, l’émotion, le feeling… Aujourd’hui, je peux effectivement écouter une ligne vocale de Sting et m’en inspirer. La voix offre des modulations tout à fait particulières et très inspirantes. J’aime également écouter de la musique classique et m’imprégner du piano qui va me permettre de trouver une couleur, une palette harmonique différente qui sera l’occasion d’étendre un peu plus mon propre champ d’improvisation. Ce qui est drôle, c’est que ce qui généralement m’inspire est en définitive assez éloigné de mon propre univers musical.

Peut-on dire que le jazz est un langage dont l’improvisation est le vocabulaire ?

Dans le processus d’apprentissage, le cerveau enregistre les éléments de l’improvisation au même titre qu’il enregistre une langue étrangère. C’est un peu comme si vous parliez français et que vous deviez apprendre l’italien ! Le cerveau doit s’adapter à de nouvelles structures, de nouveaux codes, un nouveau vocabulaire. Plus vous entendrez cette langue et plus vous allez, petit à petit, l’assimiler, afin qu’elle devienne au fil des années votre seconde langue maternelle. L’improvisation est un langage très complexe qu’il faut en permanence travailler afin de pouvoir s’exprimer librement sans contrainte, sans chercher ses mots, acquérir une totale liberté d’expression.

En 1984, vous rejoignez John McLaughlin pour la seconde version du Mahavishnu Orchestra. Que gardez-vous de ces trois années passées aux côtés de ce guitariste et musicien de légende ?

Je sortais d’une collaboration avec Miles Davis et j’étais un peu inquiet à l’idée de partir dans une nouvelle aventure musicale. Je n’aurais pas pu mieux tomber que de jouer avec John qui, au-delà d’être un musicien fabuleux, est une vraie belle personne. Je me souviens de John qui jouait à la vitesse de la lumière des solos de guitare d’une complexité et d’une beauté incroyables et qui, après avoir fini me disait : « Ok, à toi maintenant ! » C’était vraiment plonger dans le grand bain et il fallait toujours être le plus inspiré possible pour être en phase avec lui. Je me souviens d’un concert où John était très satisfait de notre prestation scénique. J’avais, pour ma part, eu l’impression ce soir-là de lutter avec mon saxo alors que lui était d’une fluidité, d’une virtuosité incroyable. Je lui ai expliqué que je ne m’étais vraiment pas senti à l’aise. John m’a regardé et m’a juste dit : « Mec, c’est ça la beauté du truc, se battre pour tenter de donner le meilleur de toi-même. C’est cette bataille qui te fait grandir ! » Et effectivement, au contact de John McLaughlin, j’ai énormément grandi musicalement parlant. Nous sommes restés très proches après l’expérience du Mahavishnu Orchestra et je lui rends visite une fois par an à Monaco où il réside.

Et il vous arrive encore de « jammer » ensemble !

En fait oui ! Il y a quelques années, on s’était retrouvés dans un club, La Note Bleue, à Monaco, en compagnie de Mike Stern pour une série de concerts. Parfois, John se pointait et il sortait sa guitare pour nous accompagner. Même si aujourd’hui la situation est très compliquée car je ne sais pas quand les gens pourront se retrouver les uns aux côtés des autres sans avoir peur, j’ai foi en l’avenir. Je vois la musique comme l’espoir de beaucoup de gens tout autant que quelque chose qui les lie. Je suis donc persuadé que même s’il va falloir du temps, les concerts ne disparaîtront jamais.

Est-ce que le fait de vivre sur la crête de la vague (titre d’un album de Bill Evans) a toujours été votre philosophie de vie ?

Je le crois sincèrement. J’avais vingt et un ans lorsque j’ai été plongé dans le grand bain en compagnie de Miles Davis. C’était la plus belle rampe de lancement. J’ai donc conscience de la chance que j’ai eu tout au long de ma carrière de rencontrer des génies comme Miles ou John McLaughlin et de vivre de ma passion.

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