Gastronomie

Franck Putelat, de la terre à la mer

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Franck Putelat

Après, en 2011, un échec au concours de MOF qui a laissé des traces, l’éloignant des cusines pendant trois mois, Franck Putelat a retenté l’aventure pour, finalement, en 2018, obtenir la tant espérée colerette tricolore synonyme d’appartenance au cercle fermé de Meilleur Ouvrier de France. Le chef, orginaire d’un petit village du Jura, s’est installé après un passage chez Le Taillevent et Georges Blanc sur les remparts de Carcassonne, fervent défenseur d’une cuisine entre tradition et créativité qu’il qualifie lui-même de « classique-fiction », laissant la part belle aux alliances terre/mer. S’il faudra laisser du temps au temps pour panser les plaies financières de cette fermeture forcée des restaurants, Franck Putelat souhaite au plus vite tourner la page blanche de ces derniers mois pour en écrire de nouvelles pleines de saveurs, de partage, de passion… À son image !

« Je suis sûr que certains grands cuisiniers ne veulent pas aller à Top Chef car ils voient des choses aberrantes et le gaspillage en fait partie! » 



Devenir chef, c’était un rêve d’enfance ?

Pas vraiment, je suis venu à la cuisine par copinage en fait. Je sors d’un petit village de cinq cents habitants au fin fond du Jura. J’ai passé mon enfance avec mon meilleur ami Sylvain et on n’avait pour projet de racheter le café du village pour en faire un lieu de rencontre pour tous les jeunes du canton. On s’est toujours dit que l’un des deux devait être cuisinier et l’autre serveur. Sylvain avait un an de plus que moi. Il est donc parti en seconde à l’école hôtelière de Poligny. Je comptais le rejoindre l’année suivant, mais hélas je n’ai pas été pris. Il est vrai qu’à cette époque je pensais plus au ski de fond et au football qu’aux études! Je suis donc parti en apprentissage. Au départ, ça ne me plaisait pas trop en raison de la rigueur, mais comme j’avais signé pour deux ans, mon père m’a dit : « Tu fais tes deux ans et on verra à la fin ! » Au fil du temps, je me suis pris au jeu… Sylvain que je revois au moins une fois par mois n’est par contre lui plus du tout dans le métier.

Vous êtes originaire comme vous le disiez d’un petit village du Jura et avez fait une partie de vos classes chez Le Taillevent ou Georges Blanc. Qu’est-ce qui vous a fait poser vos ustensiles de cuisine à Carcassonne?

C’est vraiment le fruit du hasard. Pour tout vous dire, il y a vingt-trois ans, je ne savais même pas où se situait Carcassonne ! J’ai été chef pendant cinq ans chez Georges Blanc. C’est une très belle maison dans laquelle je me sentais bien considéré, reconnu mais j’ai voulu à un moment voir autre chose. Georges Blanc possédait une maison à Saint-Tropez et connaissait un restaurant, la Bastide de Saint-Tropez, qui avait déjà une étoile Michelin et qui cherchait un chef pour, potentiellement, aller en chercher une deuxième. Saint-Tropez, venant de mon Jura, c’était un peu le grand écart, pas vraiment mon milieu. J’ai quand même pris le poste mais, au bout de six mois, j’ai souhaité partir. Mauvaise entente avec le propriétaire, les mecs qui ne venaient pas bosser sans prévenir… C’était un peu l’enfer ! Mais comme je n’ai pas trouvé de place ailleurs car on était en période creuse, j’ai décidé de rempiler pour un an en espérant que les choses s’arrangeraient. Un soir, le directeur général de l’hôtel de la cité à Carcassonne qui devait ouvrir trois mois plus tard est venu dîner pour une réunion de travail avec le directeur de l’Orient Express. À la fin du repas, ils ont demandé au maître d’hôtel mon numéro de téléphone. Le lendemain matin, ils m’appelaient pour me proposer un entretien à Carcassonne. J’y étais à 10 heures le lundi matin et, à 18 heures, je signais mon contrat. J’ai passé une dizaine d’années à l’hôtel de la cité avant de décider de m’installer à mon compte.

On sort à peine d’une période compliquée pour tous les restaurateurs. Comment se passe la réouverture de votre établissement et comment conjugue-t-on restaurant doublement étoilé et distanciation, gestes barrières… ?

Les traces de cette période sont terribles dans tous les sens du terme. Nous sommes au mois de juin et, malgré la réouverture, on fait 50% de chiffres de moins que l’année dernière. Après, concernant la fermeture, si elle a été décidée par le gouvernement, c’est qu’elle devait être nécessaire. On a mis une économie mondiale pas à terre, mais à genoux ! La gastronomie va changer. Beaucoup de restaurants étoilés se sont mis à faire des plats à emporter, de la livraison et je pense que cela va continuer. J’espère que dans six mois, nous verrons un peu le bout du tunnel mais des licenciements et des fermetures, malheureusement, il y en aura. Par contre, comme je vous le disais, les choses bougent et il faut donc s’adapter, être à l’affût et ne pas avoir peur de changer son fusil d’épaule. Aujourd’hui, nous avons un menu au déjeuner et au dîner car nous ne sommes plus qu’un par poste. Un mec au passe, un à la viande, un au poisson, un aux garnitures, un au garde-manger et un en pâtisserie. J’ai dû me résoudre à maintenir du personnel au chômage partiel. Après, je ne vais pas vous mentir, ce n’est pas forcément très plaisant d’arriver dans un deux étoiles avec votre épouse pour y passer un moment unique et que l’on vous demande de porter un masque, de vous laver les mains régulièrement… La convivialité et le partage manquent énormément. Le pire, c’est quand même à la brasserie où l’on est passé de 350 couverts par jour l’année dernière à 120 ou 130 aujourd’hui. Il manque vraiment l’échange, ce que la gastronomie doit nous apporter. On ne peut pas serrer la main des clients. S’ils vous demandent une photo en leur compagnie, il faut veiller à ne pas trop se rapprocher d’eux. Bref, c’est compliqué ! Mais bon, je suis le premier à mettre le masque, à faire la guerre à mes équipes car sinon le virus va revenir et on ne peut pas se permettre de revivre la même situation dans trois mois. Aujourd’hui, je constate que les gens ont peur. Quand ils réservent par exemple, ils nous demandent s’il y a beaucoup de monde ! Hier, j’ai reçu un groupe de treize personnes et j’ai dû, pour respecter les règles, les installer sur deux tables séparées, ce qu’ils ne souhaitaient pas bien évidemment. Mais, on n’a pas le choix et il faut en permanence se justifier auprès des clients. C’est un vrai casse-tête ! Ma réflexion personnelle, fruit de pas mal de nuits blanches pendant cette crise de la Covid, c’est que l’on peut tout perdre en trois mois et se retrouver à terre. Rien n’est acquis, jamais !

La cuisine, est-ce un savant mélange entre technique et équilibre ?

Chaque chef est technicien mais moi, ce qui m’intéresse, c’est l’identité de sa cuisine. On peut faire ses classes dans une maison classique, contemporaine, nucléaire… Vous n’allez forcément pas cuisiner de la même manière si vous avez fait votre apprentissage à El Bulli (du chef Ferran Adrià qui utilise la gastronomie moléculaire) ou chez Paul Bocuse ! Vous allez donc acquérir un savoir propre à ces maisons même si, ensuite, vos racines reviennent au galop. L’important, même si l’on n’est pas le même chef à 30 qu’à 50 ans, c’est de réaliser une cuisine qui nous ressemble, qui soit en accord avec ce que l’on est. Si j’ai voulu m’installer à mon compte, c’est justement dans un désir de liberté. Moi, mon mélange est simple, c’est une association terre/mer. Je suis un homme de la montagne qui a travaillé au bord de la Méditerranée. Ma cuisine peut être une racine avec une noisette de mer, un foie gras avec un jus de crabe vert, une huître avec du filet de bœuf… Aujourd’hui, je ne me pose plus de questions, ça vient naturellement. Hier, par exemple, on a fait des essais avec du Haddock et un œuf de caille car on a trouvé un producteur qui nous en fournis d’une qualité exceptionnelle.

C’est la base de votre cuisine que vous appelez « classique-fiction » ?!

Je prends en effet des classiques de la gastronomie française que j’ai pu apprendre chez Le Taillevent ou Georges Blanc que je modernise en y apportant ce côté marin.

Votre bouillabaisse au foie gras est un classique de votre carte et un bon exemple de cette alliance terre-mer dont vous parlez. Comment est née cette recette ?

Lors d’un repas à la maison, on recevait des amis d’un petit club de moto dont je fais partie. Nous avons préparé une bouillabaisse avec ma femme et un lobe de foie gras à tartiner à l’apéritif. Le soir, il ne restait que le bouillon de la bouillabaisse, trois croutons et, en mélangeant le toast de foie gras avec la bouillabaisse, j’ai eu un flash. Au départ, pour le restaurant, on préparait une vraie bouillabaisse avec le poisson et, au fil des évolutions, ça a fini avec un consommé de crabes verts de Méditerranée car les gens trouvaient cela très bon mais un peu lourd avec le poisson. On a donc revu la recette et c’est pour cela que maintenant on indique : « bouillabaisse légère ». C’est aujourd’hui un plat emblématique de la maison.

Un plat, ça peut donc être quelque chose de très impulsif !

Cela peut partir de quelque chose effectivement d’impulsif mais qui va évoluer et c’est cette évolution que je trouve passionnante car, en fait, rien n’est figé, abouti totalement. J’ai un tartare-frites à l’huître que me réclament tous les habitués du restaurant et qui est né également de manière très impulsive. Il y a onze ans, je dégustais des huîtres pour en sélectionner. J’étais avec mon second et, à 19 heures, parce que notre palais était arrivé à saturation, on a décidé de manger avec le personnel un tartare de bœuf. Là, mon second me dit : « Chef, vous ne trouvez pas que cela se marie très bien l’huître et le bœuf ? » Et hop, c’était parti! Au départ, on s’est un peu compliqué les choses avec des lanières de bœuf cuites qui entouraient une huître et, aujourd’hui, on est sur du filet de bœuf charolais ou de la Gascogne coupé au couteau au dernier moment, très peu de condiments, juste un jus de bœuf monté avec un peu d’huile d’olive et salé. Pour obtenir un choc thermique à l’huître, on la plonge dans une solution à 1° comme si elle était pochée. Pour finir, on ajoute une pomme de terre soufflée pour remplacer la frite, une petite pointe d’échalottes et hop, le plat est prêt à être déguster !

Nous avons un point commun, nous n’aimons pas le fromage. N’est-ce pas handicapant lorsque l’on est chef, français et étoilé ?

Je n’aime pas vraiment le fromage, mais j’en mange. Je suis fils de fromager et mes frères et sœurs, eux, n’en mangent vraiment pas. Le conté, la mozza, les produits laitiers ne me gênent pas. Ce que je n’aime pas c’est la mâche d’un morceau de bleu par exemple. Après, cuisiner un fromage ne me dérange pas du tout. Je n’apprécie ni le concombre, ni les poivrons, mais j’adore les abats. On a tous des goûts différents et je ne pense pas que cela soit un handicap de ne pas tout aimer pour un chef, même étoilé. Ma prof de gestion me disait toujours : « Tu ne seras jamais un grand cuisinier car tu ne manges pas de fromage ! » Il semblerait que cela n’ait pourtant pas été un frein !

En 2011, vous échouez en finale de Meilleur Ouvrier de France, un échec dont vous avez eu du mal à vous relever. En 2018, vous obtenez finalement le graal. Que symbolise cette récompense pour vous ?

L’inscription au MOF vient de se terminer et j’ai reçu de nombreux coups de téléphone, de mails de personnes qui me demandaient des conseils. Ce que je veux enlever de la tête, c’est que la question n’est pas de savoir ce qu’il faut faire pour être MOF mais si vous avez envie de vous donner les moyens d’y arriver. En 2011, avec la journée de prestation que je réalise, je ne peux tout simplement pas être MOF. Bien sûr, après il faut du recul pour digérer car, personnellement, j’en ai voulu à la terre entière et il m’a fallu trois mois pour entrer à nouveau dans ma cuisine. En fait j’étais humilié d’avoir si mal travaillé ce jour-là. Rien n’allait ! J’étais tellement bien préparé, une finale à portée de mains, favori, une télévision qui me suivait de A à Z. Mais j’étais dans un tel état de panique que, lorsque je suis entré dans le garde-manger pour choisir mes produits, j’en suis ressorti au bout de quinze minutes avec seulement trois ingrédients sur mon charriot. J’étais perdu dès l’entrée du concours. Après, je me coupe, la plonge se déverse dans mon frigo qui a 20 cm d’eau et disjoncte. C’était catastrophe sur catastrophe. J’ai vécu cinq heures trente d’enfer. Je ne souhaite même pas à mon pire ennemi de vivre ce qu’a été cette journée, avec le regard de tous les cuisiniers braqué sur vous. Je m’étais installé à mon compte, j’avais obtenu deux étoiles, bref tout le monde m’attendait au tournant. C’était comme si le monde s’écroulait. J’étais à fond de cale, usé. Cela m’a permis de beaucoup apprendre pour revenir plus fort en 2018, ayant eu le temps de digérer cette grosse désillusion. Quand je sors de cette finale au Touquet en 2018, au-delà du résultat, je me suis fait plaisir là où, à Marseille, ça avait été l’horreur. J’étais sûr d’avoir donné le maximum de moi-même. Quand Jacques Maximim me serre dans ses bras et me dit : « Je ne sais pas si ça gagnera, mais ce que tu as envoyé c’était beau ! » Forcément, ça fait plaisir.

Un MOF, Philippe Etchebest, est depuis plusieurs années membre de l’émission Top Chef. On vous a d’ailleurs vu dans cette édition 2020 pour une épreuve au Casino de Paris remportée par Adrien Cachot. Ces jeunes talents découverts par le biais du petit écran, cela vous inspire quoi ?

Je regarde Top Chef. Philippe Etchebest et Michel Sarran sont des copains, ce qui ne gâche rien. Philippe Etchebest, c’était cousu de fil blanc qu’il soit au casting de cette émission, c’est un concept qui lui colle à la peau. Il est vraiment l’homme de la situation. Top Chef est un tremplin exceptionnel mais ce sont de jeunes candidats, parfois de très jeunes comme Mallory Gabsi qui n’a que 22 ans et ce n’est pas toujours facile de se retrouver comme ça, du jour au lendemain, à passer de l’ombre à la lumière. C’est un peu comme lorsqu’enfin on est sacré MOF, c’est là que l’aventure commence ! Le col bleu/blanc/rouge vous oblige à l’excellence, à une exigence de tous les instants. Mallory a surement beaucoup de talent, mais il va falloir bien l’accompagner afin d’éviter qu’il n’explose. Il ne faut pas oublier que pas mal de candidats qui sont pourtant allés en quart de finale ont ensuite disparu des radars. J’avais emmené à Top Chef, Vincent Gomis de Carcassonne et franchement, même si aujourd’hui il bosse à Saint-Barth, passer à la télé l’a détruit. La notoriété, tout le monde n’a pas les épaules assez larges pour la supporter. Comme vous le disiez, j’ai passé une journée avec les candidats cette année pour superviser une épreuve et franchement, c’est dur. Après, j’avoue qu’Adrien Cachot m’a bluffé avec son Flambadou. Mélanger du foie gras et de l’huître, le gras brûlant, l’épine de sapin… C’était vraiment une idée géniale.

Mais un plateau télé, ce n’est pas une cuisine. On a toujours l’image du chef en cuisine un peu dur, plus version Philippe Etchebest que Hélène Darroze !

Hélène Darroze entretient avec son poulain, David, une relation qui est plus de l’ordre du copinage, loin de ce qu’il se passe effectivement en cuisine. Aujourd’hui, les chefs vont à Top Chef parce qu’ils savent que c’est une superbe vitrine, une visibilité. Même Eric Frechon, qui ne cautionnait pas forcément l’émission, est venu cette année. Le seul truc qui me gêne dans Top Chef, c’est le gaspillage. La semaine dernière, les candidats encore en lice devaient cuisiner un turbot en vessie. Quand on sait qu’un si beau turbo, c’est 40 euros le kilo et que chaque candidat en a un de 8 à 10 kg, pour en utiliser à peine 1 kg, ça fait mal au cœur. Ce gaspillage, il faudrait éviter de le montrer ou alors expliquer ce que la production des 8 kg de turbot qu’il reste ! Ça m’étonnerait que des mecs comme Etchebest ou Sarran, connaissant leur rigueur, laissent gâcher de telles pièces ! Je suis sûr que certains grands cuisiniers ne veulent pas aller à Top Chef car ils voient des choses aberrantes et le gaspillage en fait partie !

Effectivement, à l’heure où beaucoup de chefs prônent le zéro déchet, on en est un peu loin !

Personne ne le dit mais tout le monde le voit. Après, c’est pour moi le seul bémol car, pour le reste, ça vous donne une médiatisation incroyable. Pas un jour ne se passe pour Gilles Goujon, pourtant triplement étoilé et qui a dû passer deux fois dans l’émission, sans qu’un de ses clients ne lui dise qu’il l’a vu à Top Chef !

Vous avez, je crois, opté pour un potager, attenant au restaurant pour avoir une partie de vos légumes issus de votre production ?!

Oui, il y a même des tables dans le potager où des clients adorent venir manger. J’ai mon poulailler à côté qui est bien utile car les poules mangent de tout sauf de la viande. Même le poisson, on leur fait cuire et elles adorent ça ! Je possède un hectare de terrain également un peu plus haut avec un jardinier à l’année. On fabrique donc notre compost.

Si je vous invite à dîner, que dois-je vous préparer pour vous faire plaisir ?

Ce que vous voulez tant que ça vient du cœur ! Faites simple. Je n’aime pas quand on essaye de m’en mettre plein la vue. La semaine dernière, j’ai été invité chez une dame qui m’avait préparé des tomates farcies avec du riz et j’avais l’impression d’être revenu chez ma grand-mère. Je me suis tellement régalé que, dans la semaine, on en a proposées au restaurant. L’important, que l’on soit étoilé ou non, c’est de faire plaisir à celui que l’on reçoit et à qui l’on prépare à manger.

Jean-Luc Tartarin, Un Havre de paix jusque dans l’assiette !
Serge Teyssot-Gay, l’Interzone post Noir Désir

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  1. tres bon reportage sur ce cuisinier je regarde toujours top chef et je n’ai jamais pensé au gaspillage bravo a ce cuisinier qui malgré ses étoiles reste tres modeste