Entretiens Société

Secours Populaire, sur tous les fronts !

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C’est au sortir de la seconde guerre mondiale que nait le Secours Populaire, fruit d’une union entre le Secours Populaire de France et l’association nationale des victimes du nazisme. D’abord très marquée politiquement, soutenant les opprimés du franquisme ou de la dictature des colonels en Grèce, l’association s’engage au fil des années sur le front de l’action sociale, s’imposant comme l’un des étendards de la lutte contre la précarité et l’exclusion. Aujourd’hui, ce sont plus de 3 millions de personnes que, chaque année, le Secours Populaire aide, accompagne grâce à ses 80.000 bénévoles. Au sortir de ce deuxième confinement qui aura laissé des traces indélébiles, Marie-Françoise Thull, porte-parole de l’association, nous dresse un état des lieux d’une France au bord de l’asphyxie.

« On nous dit que la pauvreté est un problème, au Secours Populaire on répond que ce n’est pas un problème mais un scandale. »

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Le Secours Populaire nait officiellement le 15 novembre 1945, fruit de l’union entre le Secours Populaire de France et l’association nationale des victimes du nazisme. Pouvez-vous nous éclairer sur la naissance de cette association à but non lucratif ?

C’est une longue histoire puisque le Secours Populaire a maintenant 75 ans, une vie ! C’est à la base une association qui a été créée par Julien Lauprêtre à la demande du parti communiste. Julien était un résistant de 17 ans et il raconte que sa première source de motivation est née dans une prison où il avait été enfermé par l’occupant allemand, prison dans laquelle il s’est retrouvé avec Missak Manouchian qui figurait sur l’affiche rouge (L’Affiche rouge est une affiche de propagande allemande placardée massivement en France sous l’occupation, dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des résistants  de la région parisienne, suivie de leur exécution, le 21 février 1944). Manoukian a dit à ce gamin de 17 ans : « Moi je vais mourir mais toi tu vas vivre alors fais quelque chose pour les autres. » Cette phrase, Julien Lauprêtre l’a toujours gardée en tête. Même si le Secours Populaire existait en tant qu’association affiliée au parti communiste, son évolution revient entièrement à Julien qui a permis cette union en 1945 entre le Secours Populaire de France et l’association nationale des victimes du nazisme. Une petite dizaine d’années plus tard, il a opéré une scission avec le parti communiste pour ne plus œuvrer que pour la justice grâce à cette association indépendante de toute influence politique, religieuse ou philosophique.

Marie-Françoise Thull, porte-parole du Secours Populaire

Comment s’est peu à peu opéré le virage entre une association très ancrée dans la lutte et qui, par exemple, s’engage aux côtés des victimes du franquisme en Espagne ou la dictature des colonels en Grèce vers une lutte disons plus sociale contre la précarité et soucieuse de se battre contre la pauvreté ?

J’ai toujours considéré Julien que j’admirais énormément et avec lequel j’ai pu longuement m’entretenir comme un géant, un homme d’une profonde réflexion. Sa deuxième rencontre d’une importance capitale après Missak Manouchian a été celle avec l’abbé Pierre durant l’hiver 1954 lors de ce que l’on a appelé l’insurrection de la bonté. Julien a été tellement impresionné par cette figure iconique qu’était l’abbé Pierre qu’il s’est dit : « C’est ça que je veux faire, ce combat que je désire mener ! ». Il ne souhaitait plus se tourner vers une lutte politique mais sur un combat humain et a donc transformé le Secours Populaire Français en une association au service de l’homme, contre la détresse, contre la pauvreté. Notre vraie mission, c’est cette lutte que Julien Lauprêtre a initiée et que nous menons jour après jour.

Comment fonctionne aujourd’hui structurellement le Secours Populaire, fort de ses 80.000 bénévoles et de ses 98 fédérations départementales ?

Le Secours Populaire est une association très décentralisée qui fonctionne avec des fédérations qui sont liées entre elles par les valeurs qui sont les nôtres. Au niveau national, nous travaillons avec un bureau pour construire les actions du Secours Populaire et réfléchir aux orientations à prendre. Figure également un comité national qui réunit tous les différents comités fédéraux et départementaux afin de tracer la voie. Tous les deux ans, nous nous réunissions en congrès pour proposer et voter les directions qui ont été préalablement émises. C’est donc un mode de fonctionnement très démocratique qui laisse une grande part de liberté à celles et ceux qui interviennent.  

Comme vous l’évoquiez, le Secours Populaire lutte contre la précarité, la pauvreté, l’exclusion… Quelles sont aujourd’hui les principales actions que vous menez au quotidien ?

Il y a des actions sur le terrain auprès de personnes aidées mais également auprès des pouvoirs publics et des institutions. Notre rôle est à la fois, comme le disait fort justement Julien Lauprêtre, d’être l’avocat des pauvres en leur tendant la main tout en aiguillant les pouvoirs publics concernant les mesures à prendre pour lutter contre cette précarité qui sévit au sein de notre société. Le Secours Populaire représente une force avec ses 80 à 100.000 personnes qui œuvrent au quotidien, une force et une expertise sur le désastre que la pauvreté cause chaque jour dans notre pays. Nous sommes là pour aider, accompagner celles et ceux en difficultés mais aussi alerter les pouvoirs publics en leur expliquant qu’il est de leur rôle et de leur responsabilité de mettre les moyens pour lutter contre cette pauvreté. On nous dit que la pauvreté est un problème, au Secours Populaire on répond que ce n’est pas un problème mais un scandale.

Chaque année ce sont plus de 3 millions de personnes que le Secours Populaire aide, accompagne. Notez-vous au fil du temps une scission plus marquée que jamais entre une France de plus en plus riche et les autres, tous les autres qui ont du mal à ne pas rester sur le bord de la route ?

Oui, il est clair que notre société est totalement divisée entre celles et ceux qui vivent « normalement » dans un pays de liberté et de bien-être et les autres qui survivent. La pauvreté qu’est-ce que c’est finalement ? C’est des manques ! Les gens en situation de pauvreté manquent donc de tout. Ils n’arrivent pas à se loger, à se nourrir, à se soigner… Ils sont perdus et ont l’impression de vivre aux côtés de personnes qui ne les voient pas. Ce sont des invisibles. Il y a aujourd’hui clairement une scission entre ceux qui s’en sortent et les autres. Lorsque je dis ceux qui s’en sortent, il ne s’agit pas forcément des riches mais des personnes qui, même petitement, parviennent à joindre les deux bouts, à nourrir leurs familles et puis il y a les autres, ceux qui ont baissé les bras et dont nous nous occupons en priorité afin de les remettre autant que faire se peut à flot.

La crise de la Covid a un peu plus renforcé ce fossé qui se creuse au sein de notre société. Même si nous ne pouvons encore avoir avec exactitude les chiffres que cette pandémie crise va engendrer, plongeant de plus en plus de personnes dans la précarité, quels retours avez-vous de la part de vos fédérations et peut-on s’attendre à un drame social ?

Malheureusement oui. Mais vous savez, c’est hélas un phénomène que l’on a tout de suite constaté, nous retrouvant débordés dès le premier confinement. Le nombre de personnes aidées a considérablement augmenté avec, dans certaines fédérations, 50% de demandeurs supplémentaires. Pour répondre à cette vague et vraiment prendre ces personnes en considération, nous avons tout d’abord agi au sein des fédérations, aménageant nos locaux pour la distribution alimentaire puisque nous ne pouvions plus, crise sanitaire oblige, faire entrer les personnes. Notre mission a été également de rassurer des gens que nous sentions plongés soit dans la peur, soit dans la désespérance. Nous sommes une main tendue qui jamais ne les lâchera. Petit à petit, nous avons vu arriver une population qui n’avait pas l’habitude de venir au Secours Populaire et qui, du jour au lendemain, se retrouvait sans travail. Des jeunes sans petits boulots par exemple et donc, sans ressources. On nous a également signalé beaucoup de personnes seules, isolées et nous sommes donc partis sur les routes dans un milieu rural où nous avions moins l’habitude de nous rendre. Les maires des petites communes nous appelaient pour qu’on leur vienne en aide afin de soutenir des personnes qui ne s’en sortaient plus. Le Secours Populaire s’est donc retrouvé effectivement confronté de par ce confinement à un public plus nombreux et en proie à une vraie peur face à cette grande précarité que beaucoup découvraient hélas pour la première fois. Je m’aperçois d’ailleurs que, dans notre vocabulaire, on emploie de moins en moins le terme de précarité car c’est aujourd’hui de pauvreté et même parfois de très grande pauvreté dont il s’agit. 

Baisse des revenus, hausse du chômage, manque de places dans les hébergements d’urgence… On estime désormais à 300.000 le nombre de personnes vivant dans la rue. Comment un pays dont les valeurs républicaines sont « liberté, égalité, fraternité » peut-il accepter une telle précarité ou pauvreté comme vous le disiez dans ses rues en fermant les yeux ?

C’est extrêmement choquant. Il ne faut pas pour autant être totalement négatif puisque cette crise économique et sociale liée à la pandémie a montré également des élans de solidarité extraordinaires. Les gens ont pris conscience que, parfois, celles et ceux qui peuvent être leurs voisins de quartier vivaient dans un état d’extrême pauvreté. On a donc vu nombre d’initiatives individuelles de personnes qui venaient nous apporter des marchandises, de la nourriture… D’autres qui nous demandaient de quelle manière ils pouvaient nous aider. Parmi ces nouveaux bénévoles, on a pu noter un grand nombre de jeunes, révoltés par cette situation qu’ils trouvent inacceptable. Nous ne sommes hélas pas au bout de cette crise et il va falloir trouver un moyen de traiter au mieux ces problèmes qui ne cessent de s’amonceler. Chaque année, le Secours Populaire réalise un baromètre avec la société IPSOS sur le ressenti des personnes vis-à-vis de la pauvreté. Quand on demande en dessous de quel revenu est-on pauvre, les gens répondent aujourd’hui que c’est lorsque l’on gagne moins de 1200 euros par mois ! Hélas, tous les minima sociaux sont en dessous de ce montant. C’est la première fois que cela se produit ! Ce constat est la preuve que les minima sociaux ne sont pas adaptés à la situation de la pauvreté dans notre pays. Si l’on veut éradiquer la pauvreté, ce sont sur ces leviers que l’on doit agir principalement sinon jamais nous ne nous en sortirons.

Ne pensez-vous pas justement que les gouvernants devraient penser aux moyens de lutter contre la précarité, contre la pauvreté plutôt que de pointer du doigt celles et ceux qui reçoivent des aides ? Quand on entend le président Macron qui explique qu’il suffirait de traverser la rue pour trouver un travail, on se dit qu’entre technocratie et réalité du terrain le fossé est énorme !

Cette réflexion à laquelle vous faites référence, même si le président de la République a dû la regretter, montre néanmoins combien le monde politique est loin de la réalité, de cette vie à laquelle de nombreuses personnes sont confrontées. Nous sommes encore dans cette idée que si une personne est pauvre, c’est de sa faute. Comprenez bien que l’on n’est pas pauvre par plaisir ! Nous voyons des gens qui, chaque jour, se battent pour tenter de remonter la pente, nourrir leurs enfants et se retrouvent dans une situation de grande désespérance, sans issue. Ils ne travaillent pas, ne parviennent pas à payer leur loyer bref, comme ils nous le disent, ils n’y arrivent plus !

Quelles seraient selon-vous les mesures d’urgence que devrait prendre le gouvernement pour lutter au mieux contre la pauvreté ? Le Secours Catholique préconise par exemple l’instauration d’un revenu minimum obligatoire…

Pourquoi pas ce revenu minimum ?! Ce qui est sûr, comme je le disais tout à l’heure, c’est que les minima sociaux ne sont pas assez élevés pour sortir les gens de la pauvreté. Les gouvernants devraient déjà se pencher sur cette problématique. Il y a effectivement sur le fronton de nos mairie les mots « liberté, égalité, fraternité » mais l’égalité a hélas complétement disparu et il serait de bon ton de l’intégrer à nouveau y compris dans la redistribution des richesses. Il est vraiment choquant que des personnes ne puissent pas nourrir convenablement leurs enfants et, plus grave encore, qu’elles n’aient pas le moindre espoir à leur offrir. Ces personnes ne peuvent pas dire : « Nous on se bat, on rame, mais toi tu feras des études, tu vas t’en sortir ! »  Ils savent que c’est impossible car il faut hélas plusieurs générations pour sortir de la pauvreté. La priorité absolue, ce sont les enfants ! Faire en sorte que chacun d’entre eux puisse prétendre à un bel avenir. Malheureusement, ce n’est pas le cas ! Vous avez aujourd’hui des enfants de sept ans qui vivent comme des adultes et doivent se débrouiller pour manger car leurs parents ne sont plus en état de subvenir à leurs besoins élémentaires. Ce sont des enfants qui, lorsqu’ils ne sont pas maltraités, doivent eux-mêmes prendre la famille en charge. Dans un pays comme la France, ce n’est tout simplement pas tolérable. J’espère que cette crise de la Covid va au moins servir d’électrochoc et ouvrir un nouveau chemin de vie à tous les enfants que l’on se doit d’aider dans leur scolarité mais également dans la création d’un tissu social, leur permettant de s’inscrire dans une structure sportive, culturelle ou encore musicale qui les sortira du réseau de la petite délinquance des quartiers. On ne doit pas saccager l’enfance !

Au-delà des conséquences économiques, les confinements successifs ont un peu plus mis à mal les liens sociaux. Voyez-vous un mal-être qui peut aller jusqu’à la dépression chez celles et ceux qui vous demandent de l’aide ?

On vit un drame social. Nous allons nous retrouver dans une situation d’urgence avec des personnes qui ont lâché prise, sont éteintes et prises dans une tristesse incroyable. Au Secours Populaire, on tente de privilégier le dialogue pour pallier ce manque de lien social engendré par le confinement.

Même si les fêtes de Noël ont été fortement bouleversées cette année pour répondre au respect des règles sanitaires, cette fête symbolise la famille, le partage, l’unité. Beaucoup de personnes ont pourtant dû passer ces fêtes, sans lien social avec l’extérieur. Quelles sont justement les actions menées par le Secours Populaire pour éviter que trop d’oubliés ne se retrouvent seuls ?

Cette période de Noël est très importante et, chaque année, nous organisons ce que nous appelons les pères Noël verts, une invention de notre regretté président qui voulait, avec ce vert couleur de l’espoir, montrer au père Noël qu’il ne devait oublier aucun enfant en cette période de fête. Le Secours Populaire veut montrer aux gens qu’on ne les oublie pas, rassemblant de petites choses qui peuvent leur faire plaisir. On offre ainsi des paniers festifs avec des produits d’exception, de fête. On se focalise également sur les enfants en offrant des jouets par le biais des fédérations. Ce sont principalement des jouets neufs, expliquant aux donateurs l’importance que revêt ce jouet que l’on donne aux parents qui peuvent ainsi l’offrir à leurs enfants. Il faut noter une belle initiative en Moselle où des étudiants que l’on aide donnent de petites sommes qui, mises bout à bout, permettent d’acheter des cadeaux de Noël aux enfants. C’est une forme de chaîne solidaire.

Comment peut-on concrètement aider le Secours Populaire au-delà du don ?

Les dons sont fondamentaux puisque nous ne sommes pas subventionnés. Pendant cette crise de la Covid, nous avons été pas mal aidés par les services de l’état, les départements, les régions et il s’agit donc là de dons institutionnels. La grande partie de nos dons provient néanmoins de particuliers avec certaines personnes qui font par exemple un legs. Récemment, en Moselle, une dame a décidé de léguer pour des enfants en situation de handicap son assurance vie. On a donc ciblé des jeunes malvoyants à qui, grâce à cet argent, nous avons pu offrir des machines braille. C’est là le cycle de la solidarité. On peut aussi nous aider en étant bénévole. Nous cherchons d’ailleurs actuellement dans le domaine de la santé, de l’informatique, de la comptabilité … Nous invitons donc toutes les personnes souhaitant s’engager, même ponctuellement, dans cette formidable action qui est la nôtre, à nous rejoindre.  

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