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Armelle Lavolé, pneumo-oncologue à l’hôpital Tenon

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EntretienPraticien hospitalier dans l’unité fonctionnelle d’oncologie thoracique à l’hôpital Tenon dans le XXe arrondissement de Paris, le docteur Armelle Lavolé diagnostique et traite depuis dix ans des patients atteints d’un cancer du poumon. La cigarette demeure indubitablement le premier facteur déclencheur de ce cancer dont le taux de rémission reste l’un des plus faibles. À l’heure où la première bouffée de tabac s’inhale dès l’âge de treize ans, le cancer du poumon touche une population de plus en plus jeune où les femmes, jusqu’ici plutôt épargnées, sont désormais légions. Fervent défenseur de l’hôpital public, le docteur Lavolé se bat chaque jour pour faire reculer la maladie grâce à des traitements « à la carte » qui laissent augurer une lueur d’espoir chez tous les malades.


« Le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint en France. Il le sera en 2020 ! »

Le cancer du poumon est la cause de 1,3 million de décès par an dans le monde. Quels sont les principaux symptômes de la maladie ?

Une toux traînante ou inhabituelle, une hémoptysie (crachat de sang), une bronchite rebelle à différents antibiotiques, une douleur thoracique, un essoufflement, mais cela peut également être découvert fortuitement sur une radiographie thoracique. Une des difficultés du cancer du poumon est qu’il est difficile de le diagnostiquer à un stade précoce. Une radiographie thoracique va soupçonner le diagnostic, le scanner va affiner les choses, mais le diagnostic définitif se fait par un prélèvement de l’anomalie, soit au cours d’une fibroscopie bronchique soit par ponction réalisée au cours d’un scanner.

Peux-tu nous parler des deux types de cancer du poumon, à petites cellules et non à petites cellules ?

85% des cancers du poumon sont représentés par des cancers non à petites cellules tandis que 15% sont représentés par les cancers à petites cellules. Les traitements sont différents. Le traitement des cancers à petites cellules repose sur la chimiothérapie (perfusion de médicaments) et parfois la radiothérapie (rayons) et de façon très anecdotique sur la chirurgie. Concernant les cancers non à petites cellules, les traitements dépendent du stade de la maladie. Dans les stades localisés, c’est chirurgie et chimiothérapie. Dans les stades plus localement avancés, c’est chimiothérapie et radiothérapie. Dans les stades métastatiques (généralement cerveau, os, foie…), Le traitement repose sur la chimiothérapie et, plus récemment, également sur des thérapeutiques ciblées.

85% des cancers des poumons sont dus à la cigarette et pourtant le nombre de fumeur ne diminue pas. C’est un peu suicidaire non ?

Beaucoup de patients arrêtent de fumer au moment du diagnostic du cancer. Il n’est jamais trop tard car des traitements sur des thérapeutiques ciblées fonctionnent mieux sur des gens qui ont arrêté de fumer. En effet, plus on arrête jeune et plus le risque de cancer diminue. La plupart des patients se sentent invulnérables en imaginant que le cancer ne les touchera pas et, de l’autre côté, il y a ceux qui savent que cela est dangereux mais qui continuent à fumer car c’est une vraie drogue !

La loi Evin qui marquait une première avancée dans la lutte antitabac en interdisant de fumer dans les lieux à usage collectif ne paraît pas avoir porté ses fruits !

Je ne suis pas d’accord ! Cette loi a permis une prise de conscience de la nocivité du tabac, une réduction du nombre de fumeurs et surtout la fin d’un tabagisme passif responsable d’un cancer sur deux du poumon chez les non-fumeurs contrairement à ce que certains ont déclaré récemment.

Le cancer des poumons a été multiplié par quatre en quinze ans chez les femmes de 40 ans. Est-ce simplement parce qu’elles ont commencé à fumer plus tard que les hommes ?

Oui, en effet, les femmes françaises ont commencé à fumer dans les années 60. Il faut environ 30 ans pour développer un cancer des poumons. Le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint en France. Il le sera en 2020 alors qu’il l’est déjà aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, la mortalité par cancer du poumon a dépassé la mortalité du cancer du sein et c’est ce qui se produira à terme en France.

À risque égal, les femmes sont plus fragiles que les hommes puisque chez les hommes, sur 100 cancers du poumon, 10 à 15 surviennent chez des non-fumeurs contre environ une trentaine chez les femmes. Comment l’expliquer ?

Pour un tabagisme égal, il existe peut-être une plus grande susceptibilité de développer un cancer des poumons chez les femmes. Il existe aussi probablement des facteurs génétiques et hormonaux.

Quelles ont été les principales avancées en matière de traitement du cancer des poumons ces dernières années ?

Les principales avancées concernent les stratégies par exemple ce que l’on appelle la maintenance qui consiste à délivrer une chimiothérapie peu toxique le plus longtemps possible et surtout les thérapeutiques ciblées comme par exemple des médicaments antiangiogéniques (médicaments qui agissent sur le trop de vascularisation qui se fabrique autour de la tumeur) ou des médicaments qui ciblent un récepteur sur une cellule cancéreuse.

Dans les stades avancés, contrairement à d’autres cancers, les chances de rémission sont très faibles 17% chez les femmes et 14% chez les hommes, pourquoi ?

En effet, c’est le cancer dont le pronostic est le plus mauvais et les causes ne sont toujours pas élucidées. Cependant, les nouveaux traitements permettent d’augmenter la survie. Alors qu’il y a cinq ans, un patient avec des métastases vivait rarement plus de six ou huit mois, aujourd’hui on suit des patients qui sont à plus de deux ans du diagnostic. Ces chiffres sont déjà en train de s’améliorer grâce à la connaissance de la biologie qui va permettre de trouver des traitements « à la carte ».

Entre fumer un paquet de cigarettes par jour et deux pétards le soir, qui, statistiquement, a le plus de risques d’être atteint par un cancer des poumons ?

Celui qui fume un paquet de cigarettes par jour prend plus de risques que celui qui fume deux pétards même si cela n’est pas anodin !

Annoncer à un patient qu’il est atteint d’un cancer du poumon doit être une épreuve psychologiquement éprouvante pour tout médecin ?

Une annonce est toujours un moment difficile pour le médecin parce qu’il sait qu’il va bouleverser la vie de quelqu’un. J’essaye de dire les choses progressivement. J’emploie le terme tumeur, puis cancer. Les gens s’en doutent lorsqu’ils ont une tache sur une radio car on parle beaucoup du cancer du poumon dans les médias. Le moment où cela devient une réalité reste un bouleversement. Certains veulent tout savoir d’emblée et je conseille aux gens de ne pas trop aller sur Internet car les chiffres sur les taux de mortalité restent des moyennes qui ne correspondent pas forcément à eux en tant que patients. Souvent, à l’annonce du cancer, les gens sont tétanisés et les questions viennent plus tard. Je les interroge sur ce qu’ils ressentent ou sur ce qu’ils ont compris. Certains restent silencieux à l’annonce du diagnostic mais la relation qui s’installe petit à petit lors du traitement facilitera le dialogue. Parfois, des situations peuvent être difficiles. Par exemple, lorsque l’annonce est faite au couple, le patient est souvent sidéré alors que le conjoint, anxieux, pose des questions très directes dont le malade ne souhaite pas entendre les réponses.

Côtoyer la mort quotidiennement fait-il d’autant plus apprécier la vie ?

Probablement ! On a la perception que tout est fragile, que tout peut basculer et que le quotidien en bonne santé est très précieux. Cela permet également de dédramatiser certains petits incidents de la vie.

Tu as choisi de mettre tes compétences au service de l’hôpital public plutôt que du privé. Pourquoi ce choix ?

Pour moi, l’accès à la santé est un droit pour tous, quelle que soit l’origine sociale, ethnique… J’ai envie de soigner de la même manière le sans papier qui vit en foyer que le cadre supérieur qui réside à Neuilly. Il y a pourtant un manque de moyens, de secrétaire, d’infirmière… Nos politiques sont tellement désireux de réduire les dépenses qu’exercer son métier correctement à l’hôpital public devient de plus en plus difficile. On prend en charge des patients très lourds, avec des maladies graves dont les structures privées ne veulent ou ne peuvent s’occuper. Le gouvernement semble vouloir créer une médecine à deux vitesses qui ne correspond pas du tout à ma vision de la santé.


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

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