Entretiens Religion

Père Antoine Guggenheim, la crise de foi !

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En France, et plus largement en Europe, le déclin du christianisme semble un fait entendu. Vocations de plus en plus rares pour entrer dans les ordres, baisse de la fréquentation à une messe dominicale autrefois passage béni et qui ne s’inscrit plus dans l’agenda hebdomadaire de nos concitoyens, le continent qui abrite la maison du Saint-Père ne fait visiblement plus recette, tournant peu à peu le dos, particulièrement en hexagone, à ses racines historiquement chrétiennes. Alors que la religion dans son ensemble censée prôner l’amour du prochain et la tolérance est à nouveau source de conflits, que les « affaires » en tous genres viennent éclabousser l’immaculée blancheur de la soutane papale, les chrétiens vivent une longue et douloureuse crise de foi. Le père Antoine Guggenheim de la paroisse Notre Dame d’Espérance, à Paris, nous explique s’il est possible de sortir de ce chemin de croix !


« Il faut que toutes les religions comprennent que la laïcité est la garantie de leur coexistence. »

Cliquez sur l’image pour retrouver le site de de la paroisse Notre Dame d’Espérance

Odon Vallet que j’ai récemment interviewé disait : « Que l’avenir nous mène à une guerre de religion je ne sais pas, mais vers une guerre ayant une dimension religieuse, pourquoi pas ! » Pensez-vous que l’on puisse craindre cela ?

Je crois que cela fait partie des possibles et qu’en un sens le terrain est déjà préparé depuis que les grandes idéologies pacifistes ou généreuses du XX e siècle ont conduit à des drames ou ont tout simplement échoué. Un certain nombre de personnes qui vivent la misère, connaissent des fragilités ou sont animées de rancunes historiques, choisissent la religion comme lieu d’identité. La religion est un très mauvais lieu identitaire car c’est un lieu qui sépare des autres. La religion est faite pour la relation, c’est là son sens premier mais si l’on en fait un principe d’identité, comme elle n’est pas rationnelle, on y oppose alors les communautés les unes aux autres de manière très forte. Il y a effectivement des prolégomènes d’une guerre à dimension religieuse qui existent puisque la religion est au cœur des cultures, des cultures qui sont très mélangées dans un pays comme le nôtre par exemple où les populations venues de différentes zones géographiques habitent ensemble sans hélas convivre et je ne parle pas là simplement des « gaulois » et des autres mais entre toutes les communautés. La religion vient alors présenter toutes les meilleures raisons du monde pour s’opposer à autrui en prétextant : « il blasphème car il ne croit pas comme moi ! Je vais le convertir… » La religion manie de la foi, supposée mettre en lien avec du plus grand que soi. Pourtant, si l’on en fait une identité, elle vous enferme en vous-même et vous sépare des autres.

Depuis le premier confinement, les fidèles ont du mal à se réunir en nombre dans les églises pour cause de pandémie et ont d’ailleurs manifesté, lors du second confinement, pour faire entendre leur voix et leur désaccord face à cette « interdiction » de pouvoir assister aux offices. Cette relative privation de liberté entraînée par ces confinements a plongé beaucoup de personnes dans un doute existentiel, une recherche du sens de la vie. Est-ce également ce que vous avez ressenti auprès de vos fidèles ?

Dans votre question il y a deux choses différentes que je vais tenter de distinguer. La première, c’est que des fidèles chrétiens mais surtout musulmans et juifs pour lesquels l’office n’est centré que sur une seule soirée, le vendredi, ont été privés de culte. C’est d’abord une douleur sociale car se retrouver, créer du lien, se rencontrer est l’un des besoins humains les plus fondamentaux, les plus essentiels pour reprendre le terme bien mal utilisé par la haute-administration pour désigner la nourriture et la consommation. Maslow avait créé une pyramide censée expliquer les besoins humains avec en bas, comme des fondations, les besoins matériels et au sommet, si l’on avait réussi tout le reste, les besoins humains et spirituels. Cette pyramide est complétement fausse mais elle guide malheureusement ceux en charge de la gestion comptable de notre crise. Il faut comprendre que les besoins spirituels sont la base. Une personne vivant dans la rue est bien sûr en manque de nourriture mais surtout en manque de relation, de lien social, du fait de pouvoir être reconnue dans sa dignité égale. L’absence de communautés se rassemblant a donc lourdement pesé mais, en même temps, elle a permis une autonomisation du rassemblement. Beaucoup de familles sont donc devenues de fait de petites églises, de petites mosquées ou synagogues. Certains, dans la religion chrétienne, en ont donc profité pour nouer des liens plus autonomes par rapport aux prêtres et à tout ce que la liturgie catholique a d’officiel, de pyramidal et de hiérarchique. Ceux qui ont parié sur la capacité des croyants à s’autonomiser tout en désirant se retrouver tous ensemble ont gagné en profondeur de la foi. L’autre dimension, c’est cette crise inattendue et le fait que personne n’était préparé donc ne savait gérer cette pandémie et nos services, très chers, n’étaient tout simplement pas adaptés à accueillir des foules. Nous étions donc, surtout dans les pays riches, pris à contre-pied face à une situation unique qui a généré un besoin de sens. Les religions ont une place modeste et modérée dans notre société occidentale mais il y a une profonde quête de sens, de spiritualité, ce lien qui habite et permet de trouver un sens à sa vie, de se décentrer, de travailler pour plus grand que soi. Cette crise, qui n’est pas finie et nous oblige en raison de gestes barrières à une distanciation sociale, a commencé à mettre à jour chez les uns et les autres effectivement la recherche d’un sens de la vie qui passe par la rencontre et par l’autre et les religions sont normalement en quête de cela. C’est la raison pour laquelle lorsqu’une religion devient identitaire, elle se trahit radicalement.

Comment expliquer que la religion chrétienne soit en pleine expansion dans le monde et dans un tel déclin en Europe car, même si ce fait peut en partie s’expliquer par un écart démographique, il semble que l’Europe vive une vraie crise de foi ?!

Le christianisme est de plus en plus présent dans le monde, mais vous avez raison il décroît en Europe tout comme aux Etats-Unis. Je pense que la raison s’analyse historiquement. Premièrement le développement de la démocratie qui s’opère davantage dans ces pays-là décrédibilise l’autorité verticale. Or le religieux c’est se confier à une autorité verticale. Chez les juifs, les chrétiens et les musulmans, ce sont des personnes pleines de pouvoirs censées représenter le Dieu créateur. La manière dont les religions se représentent dans ces pays peut et doit changer. Pour ce qui est du christianisme en Europe, son génie a été de se réinventer au gré des cultures dans lesquelles il est présent. Les cultures européennes n’ont en effet pas cessé de changer ; Entre l’empire romain païen et celui de Constantin, entre Constantin et la vie après les grandes invasions barbares, la vie sous la féodalité, celle sous la réforme protestante, à l’époque de la révolution française… Si le christianisme cesse de se réinventer et s’éloigne de la société en se disant : « La société ne veut plus de nous et l’on va donc se construire en société parallèle » alors il décline ! Et je pense que l’une des raisons du déclin, c’est le défi que pose pour les religions la démocratie dans tout ce qu’elle a d’extraordinaire et de compliquée. Les églises chrétiennes doivent incarner leur message dans la culture du temps et non pas dire : « On garde l’organisation telle qu’elle était pendant la période féodale ou au XVIe siècle pour bâtir l’église. »  

Dans les petits villages l’église est géographiquement le point central, une église qui, jusqu’au milieu du XXe siècle, s’érigeait comme le lieu où presque tous les habitants se retrouvaient pour l’office dominical. On constate aujourd’hui que les messes se limitent à une par mois au mieux en raison du manque de prêtres. Notre pays semble irrémédiablement s’éloigner de ses racines chrétiennes auxquelles il était lié de par sa construction historique depuis le baptême de Clovis en 496. Les français ont-ils à ce point oublié ces origines chrétiennes pourtant inhérentes à notre pays ?

Votre belle question a plusieurs niveaux de réponses. Je pense qu’au niveau de la connaissance culturelle, il y a une ignorance abyssale que, par exemple, les spécialistes de l’art constatent très bien. Lorsque vous faites visiter un musée à des jeunes, vous notez hélas un niveau d’ignorance phénoménal. Il y a un réel problème de transmission de la culture qui conduit à cette absence de savoir aujourd’hui sur des questions pourtant simples qui ont attrait, par exemple, aux religions. L’état a tenté de remédier à cela mais en raison de la complexité de l’école et de la laïcité, il n’y est pas parvenu. Ensuite, pour ce qui est du plan religieux et spirituel, il se peut que l’inadaptation des structures ecclésiales au changement de la population fasse que là où l’on aurait pu maintenir une présence, par exemple en gardant les églises ouvertes et en les confiant à quelques habitants du village pour ainsi le dimanche se retrouver pour prier, lire la bible, chanter, prendre des nouvelles des uns des autres et pourquoi pas déjeuner ensemble n’a hélas pas été encouragé tout simplement parce que l’on souhaitait maintenir le prêtre au milieu du village. Il est sûr que certains peuvent avoir peur de cette évolution mais si l’on se laisse guider par la peur, on ne peut être innovant au niveau des pratiques et donc, faire avancer les choses dans le bon sens. On a donc laissé mourir involontairement dans les villages la foi simple que l’on aurait pu sans nul doute entretenir. Ce que paradoxalement on n’a pas laissé mourir, parce qu’il y a toujours la demande, c’est la célébration des obsèques. Si vous allez dans la France des villages, les obsèques sont organisées par des laïcs qui s’investissent dans cette mission. Il y aurait eu une possibilité de maintenir une présence les dimanches de cette manière-là et cela me désole car, dans les villages, les gens sont en demande de cette église ouverte là où, dans la course folle des villes, la population est bien souvent tournée vers autre chose. La messe était et est un moyen de « cultiver » l’humanité sans équivalent car, comme vous le disiez, l’église était au milieu du village.

Les églises des villages… Celle d’Allemant en Champagne

Par certains aspects, les vérités de la foi ne sont-elles pas inadaptées au monde tel qu’il est aujourd’hui, je pense là à l’avortement par exemple que le pape François compare à un assassinat, droit à l’avortement qui vient d’ailleurs d’être adopté dans son pays d’origine, l’Argentine ?!

Vous parlez des vérités de la foi. Cela ne concerne pas l’avortement qui est une règle morale depuis l’origine. L’avortement a toujours été reconnu comme un drame et cela dans toutes les civilisations. C’est un déchirement qui se termine par le fait qu’un enfant ne naisse pas. La manière dont en parle l’église catholique est souvent inappropriée et maladroite étant donné qu’elle a une figure cléricale et masculine et qu’il y a dans la société actuelle une certaine décrédilisation de ce type de paroles. Quand une femme avorte, c’est souvent parce que l’homme ne veut pas du bébé. Elle est donc partagée tout autant que déchirée dans ce choix. La question de l’avortement ne peut donc pas être traitée de l’extérieur au nom de normes si l’on veut témoigner de l’évangile. On peut dire que c’est dans la tradition chrétienne de dire que l’avortement pose question. C’est un acte légal dans des conditions très précises en France et la loi Veil dit que : La vie est sacrée mais qu’il y a des exceptions nécessaires afin de ne pas mettre des femmes face à des pratiques médicales honteuses et dangereuses pour elles. L’église parle au nom de l’enfant fragile mais elle doit également parler au nom de la femme qui veut se sentir, même si le mot est fort, libérée de cet enfant. La question est de savoir comment l’on accompagne les deux !   

On a par contre constaté que le pape François prenait position en faveur de l’union civile pour les couples homosexuels. Une position qui reste néanmoins très clivante au sein de l’Église catholique conservatrice et un sujet sur lequel le pape se démarque clairement de ses prédécesseurs. Quel est votre point de vue sur cette question ?

La première constatation, c’est qu’en trente ans, la société a radicalement changé de point de vue sur la question de l’homosexualité. Notre époque a cela de très beau qu’elle détecte tous les actes qui mettent au banc des personnes en raison d’une partie de ce qu’elles sont. Ce principe de justice a peut-être un lien avec ce que l’éducation des religions a apporté à la conscience. En même temps, il est vrai que les religions monothéistes sont souvent très sévères sur la question des actes homosexuels. Mais il ne faut pas oublier qu’au XIXe siècle, c’est la médecine qui qualifiait les homosexuels de pervers alors que la justice les mettait en prison, pas les religions qui les qualifiaient de pécheurs. L’union civile entre homosexuels est souhaitable car elle permet à des personnes d’avoir des droits dans leurs situations de vie. Beaucoup d’évêques ont d’ailleurs auprès d’eux dans leurs diocèses un prêtre ou un laïc responsable d’une pastorale d’accompagnement des personnes homosexuelles mariées civilement. Cette affaire de « la manif pour tous » a finalement été quelque chose de bien malheureux.

Même s’il a été finalement innocenté, le procès du cardinal Barbarin pour non-dénonciation d’abus sexuels sur mineurs qui, en première instance, lui avait valu six mois de prison avec sursis et entraîné sa démission, a fait grand bruit. Même si les papes Benoît XVI et François se sont clairement exprimés en présentant leurs excuses pour les « dommages causés à des enfants », ces révélations qui se multiplient provoquent une crise de confiance à l’intérieur de l’Église Catholique. Comment lutter efficacement contre ces dramatiques abus qui ont détruit la vie de nombreux enfants à travers le monde ?

Les abus sexuels sur mineurs et enfants mais également les abus d’autorité ou de conscience sont horribles. Lutter contre cette abomination que ce soit dans l’église, les familles, le milieu sportif ou ailleurs, c’est malheureusement se dire que l’on ne l’éliminera jamais entièrement et qu’il y aura toujours des personnes, victimes souvent elles-aussi de sévices lorsqu’elles étaient enfant, qui portent cette maladie en elles. Il faut, lorsque cela arrive, que ces personnes soient reconnues inaptes à un certain nombre de fonctions. Inaptes au professorat, au sacerdoce, à toute mission éducative… Le grand scandale qui s’est produit dans l’église par inconscience et peut-être par désir de faire régner le silence pour protéger l’institution a été de déplacer ces gens et ainsi les protéger de manière tout à fait perverse. Quand ces affaires sont sorties, certains responsables de l’église ont même expliqué qu’ils ne savaient pas que c’était si grave ! Autrefois ces blessures incommensurables étaient cachées au sein de familles et heureusement, une lumière aujourd’hui s’est faite. Les théologiens, les clercs qui prétendent être des « experts » de l’humanité, n’ont pas vu venir les choses et quelques fois les ont cachées. Donc oui, l’église est mise en pénitence par Dieu, par le pape et je vous invite à ce sujet à lire les paroles de fermeté et de dégoût de Benoit XVI aux évêques d’Irlande ! Le cardinal Barbarin est lui arrivé en fin de peloton à une époque où il n’y avait pas de personnes à cacher ou à déplacer mais où il existait un prêtre qui est actuellement jugé et qui est dépeint dans le film « Gloire à Dieu ». Ce qui est reproché au cardinal Barbadin ne se situe pas au plan juridique mais au plan humain, une insensibilité sur laquelle je ne me prononcerai pas. Les associations d’adultes abusés lorsqu’ils étaient enfants ont jugé que sa réponse et le processus qu’il avait mis en route n’étaient pas sains.  

Dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 il est écrit que “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.” À l’heure où la France a connu l’assassinat du père Jacques Hamel en 2016 dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray et alors que, plus récemment, trois personnes ont été tuées dans la basilique Notre-Dame de Nice dans une attaque au couteau que faudrait-il pour apaiser les tensions extrêmes et ces actes de barbarie qui existent aujourd’hui ?

Il faut que toutes les religions comprennent que la laïcité est la garantie de leur coexistence. Les responsables religieux qui l’ont bien intégré jusque dans les années 2000 du côté des catholiques, avec la reconnaissance de cette loi de 1905 ainsi que les décrets et les lois complémentaires des années 1920, avaient permis au catholicisme d’être libéré du fardeau d’être la religion d’état. Aujourd’hui, il n’y a hélas plus de consensus sur ce que veut dire la laïcité et nous sommes donc sur un terrain glissant. Mais remettons cela sur le plan des mots que vous avez employés. Nous parlons du fait de ne pas être inquiété, de la liberté de culte… Et c’est cela que la République doit garantir. Hélas, la violence inter religieuse est radicalement opposée à cela. Il faut donc aller plus loin que de simplement bannir la violence puisque les religions sont faites pour s’accueillir les unes les autres dans une hospitalité spirituelle qui est leur valeur la plus profonde à toutes. Elles sont également faites pour mieux se connaître elles-mêmes dans la rencontre de l’autre différent, ce qui demande qu’elles renoncent toutes au prosélytisme dans la bouche de leurs plus hauts responsables. À ce titre, le pape vient de dire que le prosélytisme était une pompeuse absurdité. Le prosélytisme, c’est dire : « Je veux que tu deviennes comme moi ! » alors que l’attitude vraie est de témoigner de ce que je suis vis-à-vis de toi et de te connaître comme tu te connais toi-même afin de m’enrichir de cela. Je me connais mieux grâce à tes différences car Dieu est dans ce qui rassemble tout autant que les hommes sont dans ce qui les séparent. C’est cette quête inassouvie qui ne peut porter ultimement qu’un mot : « Les religions ne peuvent vivre ensemble au-delà du régime juridique de la laïcité, que s’il y a de l’amitié, du respect et même, de l’amour les uns pour les autres. »

Mouvements sociaux de plus en plus violents, terrorisme islamiste, crise pandémique qui a causé près de 2 millions de victimes à travers le monde, communautarisme qui s’accroit au fil des ans dans notre société, réchauffement climatique qui met en péril notre terre ; Il a fallu sept jours à Dieu pour créer la Terre. Combien de temps faudra-t-il à l’homme pour la détruire ?

Ce que vous dites est inquiétant mais c’est hélas assez réaliste. La vraie question est de savoir combien de temps il nous faudra pour reconstruire notre Terre. Le grand siècle des destructions, c’est le XXe siècle, le siècle où ce que l’on avait de meilleur s’est retourné contre nous. La science avec la bombe atomique, la démocratie avec le marxisme soviétique et le nazisme, le gaspillage des ressources au lieu des progrès industriels… On est déjà en train de reconstruire peu à peu avec une idée écologique qui fait son chemin. Cette idée peut être l’un des lieux d’un nouveau lien interhumain à dimension universelle. Il y a une éthique à tirer de l’écologie que l’on partage ou non l’idéologie écologique. À ce sujet, le philosophe Michel Serres disait que l’écologie était la fin de la guerre mondiale au sens de la guerre que nous faisons au monde. Prenez la comparaison d’un bateau où l’un des marins, dans son coin, fait un trou dans la coque et bien malheureusement, c’est tout l’équipage qui coule. Nous avons une responsabilité collective les uns vis-à-vis des autres. On ne peut pas se dire que l’on gaspille de son côté, que l’on détruit l’avenir sans en subir les conséquences car, justement, il y en a un autre vis-à-vis duquel je suis responsable et qui va subir mes actes. Nos retraitements de déchets qui partent en Inde ou en Chine, c’est tout simplement incroyable. Pourquoi nos usines qui fabriquent nos médicaments sont-elles situées en Chine. Parce que la main d’œuvre est moins chère mais également pour ne pas polluer notre pays. C’est un égoïsme institutionnalisé dont on est tous complices. Je pense que le XXIe siècle est une ère de renaissance avec un petit ou un grand R à dimension internationale. Il va y avoir un besoin d’une combinaison des talents et donc de se resituer différemment dans le monde. Pour les religions et le monde catholique, c’est un vrai défi. Soit elles concourent à trouver les solution et elles auront leur place, soit elles s’enferment et ratent cette étape là et cela sera encore pire que l’étape de l’instauration des régimes laïcs, démocratiques et séculiers.

On oppose souvent science et religion pourtant, Albert Einstein disait : « La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. » Pensez-vous que la science garde une partie obscure, inexplicable à laquelle seule la religion peut apporter des réponses ?

Je pense que parmi les grandes réalisations de l’humanité, les religions, la science et les arts sont essentiels. On est là devant de très grandes réalisations qui mettent du lien. La science est une chose extraordinaire inventée petit à petit. Dans la science, il y a un désintéressement qui est engagé dans l’expérience pour aller au-delà des apparences et des évidences, ce qui ressemble énormément à la religion. C’est vraiment le propre humain qui se révèle là-dedans. On est là devant des réalisations humaines qui sont des sommets de ce que notre espèce animale a pu faire. Science et religion n’ont rien de concurrent dans leur mouvement de fond et peuvent arriver dans leurs conclusions à des affirmations différentes. C’est alors à nous, humains, de trancher. Si un scientifique ne s’ouvre ni à la religion ni à l’art, on a alors les problèmes que l’on constate avec notre comité scientifique qui aujourd’hui énonce une parole purement rationnelle. On ne fait pas de la politique avec ça ! Où sont les associations de malades, les médecins de quartiers, les infirmières et aide soignants dans ce comité scientifique ? D’autres paroles doivent pouvoir s’y exprimer.

Avez-vous parfois, vous aussi, homme d’église, connu le doute vis-à-vis de votre foi ?

Nous sommes dans une époque hyper moralisante où l’on cherche simplement à dire ce qui est bien et ce qui est mal. Les questions spirituelles n’arrivent hélas pas au langage et au cœur de ces questions spirituelles. La foi est un investissement de soi-même auprès d’une valeur ou d’un être dont on pense qu’il va faire du bien à son être et à sa vie. La foi comme telle est confiance et certitude. Par contre, je suis dans le doute pas forcément mental mais dans le sens où, parfois, j’agis comme si je n’avais pas confiance en cette personne. Les péchés en sont là un exemple criant. C’est donc en pratique que vit le doute. Croire et douter sont d’ailleurs un peu la même chose car nous ne sommes pas là dans le savoir. Je sais par exemple que 2 + 2 font 4. Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais savoir si mes parents m’aimaient ou pire encore m’aimaient plus que ma petite sœur, croire en cela ou en douter, c’est la même chose et heureusement. La foi est donc ce type de connaissance qui s’appuie sur plus grand que moi et donc de fait quelque chose je ne pourrai jamais prouver. La vie après la mort, je peux par exemple en douter car je ne peux la voir. Croire ne veut pas dire que l’on suppose que ce que l’on me dit est vrai ou que c’est mon opinion, mais que je m’appuie sur cela pour vivre. Cela fait partie des repères de ma vie.

Roger Muraro, maître et disciple…
Soen, la marche impériale

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  1. ce que je viens de lire est magnifique, c’est un programme de vie que tout le lonnde devrait pouvoir liire.
    alors je remercie Antoine , et ce que je viens de dire ne l’étonnera pas ….!
    Béatrice Compain-Gouhier

  2. Bonjour
    passionnant merci beaucoup
    j’ai une question ? mais vous n’êtes pas obligé de répondre 😉 j’étais élève au Lycée Henri IV à Paris en classe préparatoire HEC en 1974-1975 et sur la photo de classes il y avait un élève Guggenheim particulièrement sympa ? je ne me souviens pas de son prénom
    Emmanuel Pujol 64 ans