Musique

Julie Sévilla Fraysse, sur la corde sensible

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Que ses coups d’archet et sa grâce naturelle lorsqu’elle enlace son instrument accompagnent l’Orchestre de l’Opéra de Paris, un trio de musique de chambre ou les mouvements du corps d’un danseur venu de la scène hip-hop, la voix du violoncelle de Julie Sévilla Fraysse promène ses notes sur toutes les rives, les genres, les époques, multipliant les formes pour sublimer le fond. C’est dans une église près du Sacré-Cœur que nous avions pris rendez-vous pour une interview/reportage dans le sillage des célébrissimes Suites de Bach que la jeune virtuose devait prochainement interpréter dans l’intimité d’un cadre sacré. Pour cause de confinement obligatoire, et aux grands maux les grands remèdes, c’est donc par téléphone que nous avons réalisé cette interview avant que des jours meilleurs ne nous permettent enfin de recouvrer une vie « normale » devenue hélas utopique et que le violoncelle de Julie Sévilla Fraysse puisse enfin étayer ses propos.

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« À trop tirer vers la perfection, on en vient à perdre le sens au profit de la forme. »

 

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Monaco, Paris, New-York, vous avez largement voyagé lors de vos études musicales. Le proverbe veut que les voyages forment la jeunesse, forment-ils aussi le musicien qui a besoin de s’enrichir d’autres cultures, d’autres formes de pédagogie pour évoluer dans son parcours initiatique ?

Les voyages sont essentiels afin de découvrir d’autres méthodes pédagogiques, un autre savoir. Il faut comprendre que les études au conservatoire de Paris durent cinq ans et qu’avant cela on commence généralement son parcours par une école de musique ou encore un conservatoire régional. Pendant toute cette période du conservatoire, on a en principe un seul professeur qui devient donc notre référent, celui qui, en quelque sorte, nous apprend à façonner notre jeu. Je me souviens que lorsque j’ai débarqué de Nice d’où je suis originaire pour rejoindre Paris, je suis arrivée au conservatoire et ma première pensée a été : « waouh, il y a donc autant d’élèves qui, comme moi, jouent du violoncelle ?! » En France, il faut reconnaître que le niveau est assez homogène, élevé, mais peut-être quelque peu au détriment de la personnalité intrinsèque du musicien qui doit apprendre à se développer, à s’affirmer, à s’octroyer sa propre couleur musicale. Aux Etats-Unis, où j’ai eu la chance de passer un semestre dans le cadre d’un échange, on sort du moule, de notre espace de confort et on constate que, là-bas, l’humain est au cœur du système éducatif. Il y a des gens qui dénotent par leur extravagance et, en musique comme dans toute forme d’art, il est important tout autant que formateur d’aller voir ce qui se fait ailleurs, hors de nos frontières. Cela nous permet de grandir, de nous construire. Les voyages forment, c’est une évidence. Mais ils forment tout autant le musicien que l’humain que nous sommes.

Lorsque l’on évoque le violoncelle, on pense inéluctablement à Rostropovitch. Est-ce plus un compositeur, un interprète ou une œuvre précise qui vous a guidé vers cet instrument ?

Je dirais que c’est avant tout la chance d’avoir croisé, dès le départ de mon apprentissage, la route d’un professeur passionné qui, au-delà du travail et des partitions, m’a beaucoup appris de la musique classique. Mes parents n’étaient pas forcément mélomanes et ne jouaient pas d’instrument. C’est ce professeur qui m’a donné l’envie d’aller voir des concerts, de comprendre ce que pouvait véhiculer comme émotion le fait d’être confrontée physiquement à cette musique, dite savante, jouée sur scène. Adolescente, pendant mes études, j’écoutais beaucoup de musique comme le concerto de Dvorak par Rostropovitch ou encore celui de Saint-Saëns par Anne Gastinel. On s’enrichit peu à peu de tout un répertoire avec, forcément, des œuvres qui vous touchent plus que d’autres, qui vous prennent aux tripes. C’est une formation continue….

Et les concerts, ce contact avec le public, vous y avez également pris goût très tôt ?

On commence rapidement, dès l’école de musique, à se produire devant un public, ses parents, ses amis, ses professeurs… Et j’ai tout de suite pris un grand plaisir de la sensation que cela me procurait. Enfant, on ne connaît pas le trac. Il y a une forme d’insouciance, mais j’ai été conquise par ce rapport qui s’instaurait avec le public, par cette relation qui s’établissait, le fait de transmettre des émotions par le biais de la musique qui jaillissait de l’archet. C’est quelque chose de tout à fait particulier qui est de l’ordre de l’intime et, en même temps, un intime que l’on partage avec celles et ceux qui viennent vous écouter. C’est une sensation que je trouve très grisante.

Entretien

Dvorak, Saint-Saëns, Tchaïkovski ou Bach comment parvient-on à se fondre dans les œuvres de compositeurs aux styles si diverses, suivant la partition tout en y apportant sa propre sensibilité musicale ?

C’est un voyage dans l’histoire que l’on s’accorde par le biais de la musique. Quelque chose d’un peu magique ! Les compositeurs couvrant plusieurs siècles, on change à chaque fois d’univers, de contexte historique, culturel. Personnellement, je pense qu’il faut, dans un premier temps, être très respectueux du texte, c’est-à-dire de la partition que l’on a sous les yeux et qui est le relais entre le compositeur et le musicien que nous sommes, le transmetteur. Etudier l’œuvre dans sa globalité, comprendre le message que le compositeur a souhaité nous passer est primordial. Ensuite, comme le dit littéralement la signification du terme, nous sommes des interprètes ce qui induit que, dans cette partition transmise, il convient d’y apporter notre ressenti, notre propre sensibilité, ce qui fait la personne que nous sommes avec tout son panel émotionnel. On ne peut pas s’aliéner en se limitant, tel un robot, à ne retranscrire que ce qui est noté sur la partition sinon il y aurait une uniformité allant à l’encontre de l’esprit artistique. Toute la difficulté est de parvenir à s’approprier l’œuvre sans trahir le compositeur. La partie proprement dite du tempo par exemple laisse quand même pas mal de libertés. Je pars du principe que l’on joue comme on est et qu’il suffit d’écouter un musicien pour savoir s’il est sensible, timide, exubérant… C’est forcément notre Moi qui se dévoile dans notre jeu. Interpréter l’œuvre d’un autre tout en y intégrant ce que nous sommes, nos particularités, nos émotions, nos expériences, nos moments de vie… C’est là toute la magie de la musique classique où, même si l’œuvre a été gravée sur une partition avec plus ou moins d’indications spécifiques, elle n’en demeure pas pour autant figée.

Au-delà de la partition proprement dite, il faut donc connaître disons l’univers historique et émotionnel dans lequel le compositeur a écrit son œuvre afin d’être la plus juste dans son interprétation ?

Je crois effectivement que c’est là la base pour tenter au mieux d’entrer dans l’œuvre. Si une pièce a été créée parce que le compositeur a connu un drame personnel, la perte d’un être cher, ou que son œuvre a été composée dans une période historique bien précise, chaotique, comprendre la genèse de la musique, ce contexte, ces premières pierres à l’édifice avant qu’il ne couche les notes sur sa partition sont des éléments essentiels. Il est indispensable de s’en nourrir pour respecter le compositeur.

Pouvez-vous nous parler de votre projet Moov’Cello, ce pont entre la musique et le corps ?

Mélanger les différentes formes artistiques est quelque chose qui me tient à cœur. Avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, je suis habituée à accompagner des ballets et j’aime cette fusion entre les corps et la musique. Yann Antonio est un jeune danseur issu de la scène hip-hop et il est venu me voir avec cette idée de danser sur les notes de mon violoncelle. Avec ce projet, nous nous sommes produits dans des hôpitaux auprès de jeunes malades et on a pu constater que les gens étaient très réceptifs. Même si les jeunes sont pour la plupart plus proches de la culture hip-hop que de la musique classique, ce tableau vivant que nous proposons est une sorte de parenthèse, une bulle d’oxygène pendant laquelle il n’y a pas d’un côté des malades et de l’autre des artistes mais une vraie communion, un moment de vie. Que ce soit dans ce projet, en solo ou en trio dans le cadre de la musique de chambre, je trouve ce rapport avec l’auditeur magique. Mon moment préféré, presque hors du temps et qui me comble plus que tout, c’est cet instant de silence entre la fin du morceau et les applaudissements. C’est vraiment une sorte d’état de grâce très particulier impossible à exprimer avec des mots mais qui procure une telle plénitude.

Lorsque vous jouez, le violoncelle devient-il une sorte de prolongement de votre corps, une relation quasi fusionnelle ?

De par sa forme, sa taille, le violoncelle est un instrument vraiment à part. Sur scène il est un peu comme un rempart derrière lequel on est en partie caché, une sorte de protection. En même temps c’est un instrument qu’on enlace comme un corps donc, forcément, il y a là quelque chose de totalement fusionnel. Je pense qu’on ne retrouve cette relation physique tout à fait particulière avec aucun autre instrument.

Entretien

Vous deviez, avant ce confinement obligatoire, être en concert pour interpréter les Suites pour violoncelle de Bach, une référence maintes et maintes fois couchée sur disques par des monstres sacrés tel que Rostropovitch ou Pablo Casals. N’est-ce pas un lourd poids sur les épaules de s’aventurer là où de tels maîtres ont posé des interprétations de référence ?

Il y a encore quelques années, je ne me sentais effectivement peut-être pas encore tout à fait légitime pour interpréter une telle œuvre, entrée au panthéon de la musique classique. En même temps, il faut savoir que, dès nos premières années d’études au conservatoire, les Suites de Bach font partie des œuvres que l’on travaille énormément. Bien sûr, passer après des monstres sacrés tels que Rostropovitch ou Pablo Casals peut paraître très risqué et c’est sans doute la raison pour laquelle il me faudra, je pense, encore pas mal de temps avant d’oser m’y attaquer sur un album. Un concert, c’est autre chose, c’est mouvant, évolutif et chaque soir l’interprétation sera différente tout simplement parce que moi, je ne serai jamais dans le même état d’esprit.

Pour votre premier album « Folklore », vous vous êtes attaquée au répertoire d’Europe centrale. Était-ce une volonté de rendre hommage à des œuvres qui ont assez tôt influencé votre jeu ?

Tout est parti d’une sonate pour violoncelle du compositeur hongrois Zoltaàn Kodàly que j’avais eu l’occasion d’entendre à la fin de mes études au conservatoire de Paris. C’est une pièce d’une trentaine de minutes environ et qui m’avait saisie par sa beauté et sa complexité. Il y a tant de notes que, parfois, on a l’impression que plusieurs violoncelles jouent en même temps. C’est tout à fait déroutant. Lorsque j’ai eu l’idée de graver un premier album, cette œuvre est donc apparue comme une évidence. J’ai ajouté à cette pièce deux autres compositions issues de la même région géographique d’Europe de l’Est afin de garder une certaine cohérence à l’ensemble. Commercialement parlant, j’en conviens, ce n’était pas forcément l’option la plus payante dans tous les sens du terme. Je déplore d’ailleurs qu’aujourd’hui, même dans la musique classique, les choses soient de plus en plus lisses, sans aspérités, ni prise de risques. Notre société se veut une société du paraître, un peu trop au détriment de la profondeur et on le constate également avec les programmateurs de concert qui, eux aussi, prennent de moins en moins de risques. Aujourd’hui, à l’heure de la musique assistée par ordinateur, il faut que tout soit parfait. Mais la musique, c’est l’humain et l’humain n’est pas parfait donc uniformiser les choses pour qu’elles tendent ainsi vers le zéro défaut fait perdre à bien des égards l’essence même de la dimension humaine de la musique. Si vous écoutez des enregistrements de l’époque de Pablo Casals qui est considéré à juste titre comme l’un des grands maîtres du violoncelle, vous l’entendez parfois grogner pendant les enregistrements, c’est ce qui rend ses albums si uniques, si beaux, si humains. À trop tirer vers la perfection, on en vient à perdre le sens au profit de la forme.

Vous êtes passionnée par la musique de chambre. Cette passion a-t-elle grandi avec la pratique du violoncelle ou est-ce une forme qui, dès le départ, vous a attirée ?

La musique de chambre que j’ai découverte au conservatoire de Nice est une forme qui me convient à merveille. En tant que musicienne, j’y trouve un épanouissement total. Entourée d’un piano et d’un violon, on s’écoute mutuellement, on se complète, chacun allant dans le même sens où trois partitions distinctes ne font plus qu’une, celle de l’œuvre dans son ensemble. On se regarde, on s’écoute, on se guide… En orchestre, on n’est qu’un violoncelle parmi des dizaines d’autres, suivant les indications du chef d’orchestre avec une marge de liberté somme toute limitée puisque l’on doit se fondre dans un groupe. La musique de chambre, c’est tout le contraire, c’est la liberté au sein d’un trio où trois voix sonnent à l’unisson.

Le violoncelle est un instrument très polyvalent. Une incursion vers d’autres genres musicaux vous tenterait-elle ?

Le pire serait pour moi de m’enfermer dans une case ! Je joue en solo, dans un orchestre, avec un trio de musique de chambre, c’est tout cela qui me nourrit et me donne sans cesse cette envie d’avancer, de me renouveler. Je ne suis pas enfermée dans un seul genre avec des œillères qui m’interdiraient d’aller voir ce qui se passe en dehors de la musique classique. Je suis par exemple une inconditionnelle de Jacques Brel et j’ai eu la chance de participer au projet « Dire Brel » en compagnie du pianiste François Bettencourt et du comédien Olivier Lacut. Ce dernier récite des textes de Brel, des passages de chansons, d’interviews et nous l’accompagnons en musique. Si le projet m’intéresse, peu importe le genre musical, je ne fermerai jamais les portes.

Entretien

Si vous deviez tenter de convertir un néophyte au violoncelle dans la musique classique, quelles seraient les trois œuvres que vous lui conseilleriez ?

« Le mouvement lent de la sonate pour violoncelle de Rachmaninov » est certainement l’une des plus belles choses qui soit et qui ne peut que vous transporter que vous soyez ou non féru de musique classique. « La 6e Suite de Bach » qui est la plus lumineuse, la plus heureuse. « La Sonate en mi mineur Opus 38 de Brahms. » Et j’ajouterais « les variations sur un thème rococo de Tchaïkovski », d’une pureté incroyable.

Quelles sont les compositions pour violoncelle qui selon-vous devraient entrer au patrimoine mondial de la musique classique ?

« Le concerto pour violoncelle de Dvorak », un chef d’œuvre absolu. « Le trio pour piano et cordes N°2 de Schubert ».


Loic Mouranchon, manipulateur radio à Marseille
Julie, membre du SAMU en région PACA

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