Musique

Jim Hall, icône jazz

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EntretienMalgré une lourde opération il y a deux ans qui l’a tenu éloigné de la scène mondiale, du haut de ses 80 ans fêtés le 4 décembre dernier, Jim Hall reste sans conteste une référence de la guitare jazz. En duo avec Bill Evans ou Ron Carter comme aux côtés d’Ella Fitzgerald, le maestro a su imposer un style unique empli d’émotion et d’influences classiques. En attendant un retour espéré dans notre capitale, le pape de la note bleue nous livre ses impressions éclairées sur 50 années de jazz. This is the Hall of fame !


« Si l’on réfléchit bien, un album de Coltrane n’est pas très éloigné d’un tableau de Dali ! »

Votre style « Less is more » a influencé beaucoup de guitaristes. Vous pensez que quelques notes placées à bon escient sont plus percutantes qu’une avalanche de technique ?

Tout dépend de la manière dont vous abordez la musique. Ce n’est pas un style que j’ai inventé ou encore créé consciemment, c’est simplement ma manière de percevoir l’instrument ! Trop de notes tuent la note mais, encore une fois, je pense que tout est en rapport avec l’émotion que vous souhaitez transmettre. Parfois, une ligne mélodique simple est extrêmement plus puissante qu’une démonstration de vos capacités techniques. L’oreille humaine n’est pas forcément faite pour enregistrer un trop grand nombre d’informations alors la simplicité en musique comme dans d’autres domaines me semble souvent le meilleur moyen afin de faire passer un message.

C’est un peu le défaut de la génération qui sort du conservatoire et tente de s’imposer par ses prouesses techniques ?

Il faut que jeunesse se passe… Personnellement, mon cerveau est trop lent pour jouer vite, enfin je pense ! Ensuite, chacun doit se forger son propre style en jazz comme ailleurs et tenter de prendre le chemin le plus court afin d’exprimer un sentiment et se faire comprendre par l’auditeur. Que cela soit en utilisant peu ou beaucoup de notes, c’est secondaire ! L’important est de toujours évoluer et se remettre en question. Regardez Coltrane, la musique de ses débuts ne ressemble en aucune manière aux territoires musicaux qu’il a pu défricher à la fin de sa vie. C’est un peu comme un peintre qui, au fil de ses toiles, cherche à repousser sans cesse ce qu’il connaît pour évoluer en même temps que son œuvre. Les musiciens doivent également suivre ce chemin car, si l’on réfléchit bien, un album de Coltrane n’est pas très éloigné d’un tableau de Dali !

Vous avez récemment célébré sur scène les 80 ans de Sonny Rollins. Comment avez-vous vécu cette rencontre musicale près de 50 ans après votre première rencontre ?

C’était magique ! Il y avait Ornette Coleman, Roy Haynes et plein d’autres. Cela faisait un peu rencontre du troisième âge, mais je dois dire que Sonny me bluffe à chaque fois que je joue avec lui. On a l’impression qu’il a toujours vingt ans tant l’énergie qu’il dégage est énorme. C’était un rendez-vous où les musiciens ont pris au moins autant de plaisir que les spectateurs.

Justement, après 50 ans de carrière, quel est votre regard sur le monde du jazz actuel ?

Je dois dire que je suis extrêmement confiant concernant l’avenir de cette musique. Il y a pas mal de jeunes guitaristes, même si tout le monde est jeune pas rapport à moi (rires), qui ont une véritable personnalité dans leur approche de l’instrument. J’aime particulièrement le jeu de Julian Lage (prodige de 23 ans qui a débuté sur scène à l’âge de 6 ans). C’est très plaisant pour moi de voir ce souffle nouveau sur le jazz avec des jeunes gens qui ne copient pas leurs aînés mais vont de l’avant. Sinon, je reste un très grand fan de Bill Frisell qui reste selon moi l’un des guitaristes les plus créatif de sa génération.

Il y a une vidéo de vous en compagnie de Bill Frisell interprétant le morceau « Big Blues ». Pensez- vous comme George Duke que le jazz s’éloigne un peu trop de ses racines blues ?

En fait, c’est une question que je ne me suis jamais posée. Pour moi, le blues est tellement à la naissance du jazz que ces deux styles sont intimement liés à tout jamais. S’éloigner de ses racines, c’est oublier ses vraies valeurs ce qui n’est jamais bon !

Le Blues est une musique que vous écoutez chez vous ?

En fait, chez moi, je n’écoute que du classique. Je suis un inconditionnel de Bartok, mon compositeur préféré. Certainement les restes de mon enseignement musical ! Je dois avouer que j’essaye de ne pas trop m’imprégner de musique afin de ne pas me sentir influencé lorsque je compose. La lecture où la peinture sont par contre très présentes dans mon quotidien.

Pouvez-vous nous parler de vos débuts aux côtés d’Ella Fitzgerald ?

Ella était une femme incroyable avec un charisme énorme. Sa voix emportait tout sur son passage et jouer avec elle était une expérience forcément magnifique. Ella était managée par Norman Granz qui s’occupait aussi de Jimmy Giuffre avec qui je jouais en trio. Ella cherchait un guitariste et, par l’intermédiaire de Norman, je me suis retrouvé sur la tournée de la diva en Amérique du Sud. Norman m’a ouvert beaucoup de portes car c’est lui qui a organisé la venue d’Yves Montand aux Etats-Unis avec qui j’ai collaboré.

Lors de cette tournée avec Ella Fitzgerald en Amérique du Sud, vous découvrez la musique latine…

C’est exact ! Pour moi, le Brésil n’était qu’une vaste jungle que j’avais vue dans les livres. J’ai été frappé par le fait que, dans ce pays, tout le monde joue de la guitare. La musique flottait dans l’air à chaque coin de rue, c’était merveilleux ! Puis, lorsque nous sommes partis en Argentine, j’ai découvert Astor Piazzolla et le tango. Cette tournée m’a permis de m’ouvrir à de nouveaux styles qui, inconsciemment, ont dû m’influencer pour la suite de ma carrière.

Ce passage en Amérique du Sud est-il la genèse de l’album « What’s New » enregistré avec Sonny Rollins ?

Je pense que oui ! Sonny est comme moi très ouvert aux autres cultures, aux autres styles musicaux. Lorsque je suis rentré de cette tournée, j’ai dû tellement le tanner avec ce que j’avais vu et entendu que cet album très marqué par la bossa nova est né. Je pense qu’en fait le jazz comme la musique latine puise ses origines dans le même berceau de l’humanité.

Dans votre carrière, les duos ont tenu une place très importante. Pouvez-vous nous parler de la rencontre avec Bill Evans et de ces deux albums cultes que sont « Undercurrent » et « Intermodulation » ?

Je connaissais Bill depuis plusieurs années. On s’était croisé alors qu’il jouait avec Miles Davis. Quelque chose a tout de suite fonctionné entre nous et c’est tout naturellement que l’idée d’un album a germé. Bill aimait que je joue surtout de la rythmique et, dès que je le faisais, il arrêtait de se servir de sa main gauche sur le piano ce qui donnait quelque chose de très épuré, très aérien dans sa conception. Les instruments remplaçaient les mots et étaient devenus nos principaux modes de communication. Je crois que c’est cet échange qui touche les gens en écoutant ces albums. Je me souviens que je suis allé lui rendre visite dans son appartement et qu’après avoir à peine répété, nous avons enregistré tout l’album en deux jours !

L’approche était-elle différente dans votre duo avec Ron Carter ?

Non, c’était assez similaire. Ron est également une personne que je respecte énormément et avec qui l’échange se fait naturellement. J’écoute sa ligne de basse et je vois très rapidement où il veut en venir. Ma guitare n’a plus qu’à le suivre. Avec Ron comme avec Bill, c’est vraiment une conversation musicale qui se créait. Nul besoin d’anticiper, de calculer, tout est très naturel, très lié.


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

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