Entretiens Musique

Lise Berthaud, Alto : feu !

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C’est en pleine répétition matinale de la célèbre Symphonie concertante de Mozart, œuvre passée au panthéon du répertoire de tout altiste, que Lise Berthaud s’est accordé une pause, nous invitant dans son monde, celui d’un instrument aux sonorités chaudes qui tient une place à part dans la famille des cordes. Cette répétition, prémices d’un concert avec ses élèves de la haute école de musique de Genève-Neuchâtel, fait du bien, comme l’avoue volontiers la musicienne, en ces temps où les concerts se résument à du streaming et les œuvres symphoniques se sont muées en utopie au sein d’un monde dans lequel, depuis un an, les paradigmes ont hélas changé du tout au tout. En attendant des jours meilleurs où la soliste et chambriste pourra à nouveau goûter aux joies de communier avec son public, Lise Berthaud revient sur une carrière sans fausse note.

« Pendant le premier confinement, j’avoue ne pas avoir touché mon alto pendant un mois. Je me disais : « À quoi bon ?! » »

Votre ami, le violoniste Pierre Fouchenneret, me disait que « ce qui est génial avec le quatuor à cordes, c’est que son exigence ne pardonne pas l’à peu près. » Le quatuor est-ce avant tout un répertoire qui regorge d’œuvres parmi les plus belles du répertoire classique ?

La richesse du répertoire des quatuors à cordes en fait un eldorado pour chaque altiste. Les violonistes peuvent se délecter des sonates de Beethoven où d’autres « monuments » du classique, mais pour nous il est vrai que les plus belles œuvres se situent indéniablement dans les quatuors à cordes.

Le quatuor, c’est tendre vers un son en totale osmose, une harmonie où quatre musiciens ne forment plus qu’une seule et même voix. Cela vous oblige-t-il à modifier en conséquence le son que vous vous êtes façonnés individuellement ?

Un quatuor avec piano est beaucoup plus simple et moins exigeant qu’un quatuor à cordes où l’on se retrouve là face à une difficulté d’intonation. Il nous faut y mélanger les sons, les vitesses d’archets, les vibratos pour, comme vous le disiez, tendre vers un son en parfaite osmose. Dans cette forme de quatuor, tout est calibré et il reste finalement peu de place à l’improvisation. Au-delà du fait qu’il est bien entendu impératif de connaître par cœur sa partition si l’on souhaite se mêler aux autres, le quatuor à cordes demande une incroyable rigueur. Rien n’est laissé au hasard et tout doit être défini à l’avance afin de justement se sentir libre, ce qui est un peu paradoxal.

Comment parvient-on justement à moduler le son de l’alto afin qu’il s’adapte en fonction du compositeur qu’il s’agisse de Mozart, Bach ou Fauré ?

L’écriture du texte fait que l’on n’a pas envie d’interpréter de la même manière Mozart, Bach ou Fauré. La ponctuation diffère, ce qui explique qu’un point chez Mozart ne sera pas du tout abordé de la même manière qu’un point chez Fauré. Après, c’est également lié au phrasé, au vibrato, à l’articulation de la phrase musicale, bref c’est un peu tout ce que l’on apprend depuis nos premiers pas avec l’instrument.

Photo : Neda Navaee

Même si le texte est très précis et empli d’indications, certains compositeurs prennent quand même plus de libertés d’interprétation que d’autres ?!

On est là sur une crête très tenue et je sais que mes camarades du quatuor Strada comme moi-même sommes avant tout très soucieux du respect du texte. D’autant plus que nous disposons désormais de sources très fiables, ce qui n’était pas le cas il y a cinquante ans. Il s’agit du Urtext qui reprend le manuscrit original tel qu’il a été en premier lieu édité par le compositeur. Notre rôle de musicien est d’abord de servir au mieux ce texte. Après, nous possédons heureusement quelques souplesses dans les transitions de timing car sinon tout le monde jouerait de la même manière. Il est également possible de se créer un espace dans le son et à l’intérieur du quatuor. C’est en fait quelque chose d’assez délicat à résumer par des mots et bien plus évidemment à expliquer auditivement, en jouant.

Cette passion commune de Beethoven, est-ce ce qui, au départ, a réuni les quatre amis qui composent le quatuor Strada et ce dès vos années de conservatoire ?

Pierre Fouchenneret a été mon premier partenaire en Musique de Chambre au Conservatoire de Paris et ce dès la première année. Je devais avoir 17 ans et lui 14. Cela fait donc désormais plus de vingt ans que l’on joue ensemble et à peu près autant avec Sarah (Nemtanu) et François (Salque) qui composent le quatuor Strada. Au-delà du fait que nous étions amis, il y avait une comptabilité musicale et artistique évidente entre nous. Nous avions également, comme vous le disiez, une passion commune pour ces merveilleux quatuors de Beethoven.

Pensez-vous d’ailleurs qu’au-delà des liens musicaux, l’amitié est un élément primordial qui contribue à l’osmose au sein du quatuor ?

Nous sommes un quatuor quelque peu à part puisque nous ne fonctionnons pas comme les quatuors Ebène ou Modigliani qui eux, pour le coup, sont vraiment « mariés » à quatre. Avec le quatuor Strada, ayant individuellement des projets parallèles, nous fonctionnons donc par sessions. C’est une approche tout à fait différente. Certains quatuors réalisent toutes les étapes ensemble depuis le fait de déchiffrer la partition. Dans notre cas, sachant pertinemment que nous disposerons de moins de répétitions, nous sommes donc obligés d’arriver prêts individuellement avant de nous mettre à travailler ensemble.

Le quatuor, c’est être confronté à l’avis des autres qui, en tant qu’amis au sein de quatuor Strada, ne se privent forcément pas de vous faire des remarques sur votre jeu. Le quatuor est-il à ce titre ce qui, musicalement, vous fait le plus progresser ?

Ah oui, clairement ! Nous avons tous dans notre jeu nos petites manies que les autres viennent heureusement nous rappeler. Parfois, il m’arrive d’être susceptible et de ne pas accepter la remarque qui m’est faite, mais dès que je prends un peu de recul je me dis « merci pour cette franchise ! ». Heureusement que nous n’avons pas de filtre. Nous ne prenons plus de cours et nos partenaires du quatuor qui nous connaissent si bien sont donc un merveilleux miroir, un miroir qui nous met face à nos propres défauts que l’on peut donc corriger. Je me souviens qu’au début de l’aventure du quatuor Strada, François Salque ne m’a jamais lâchée sur mon legato. Et il avait raison, j’avais un legato pourri ! Aujourd’hui encore, dès que j’oublie d’être vigilante, il me fait un rappel à l’ordre. C’est important d’avoir comme cela des personnes qui puissent, sans prendre de gants vous, faire des remarques constructives.

Photo : Neda Navaee

Comment définiriez-vous cette relation forcément particulière que vous entretenez avec votre instrument ?

Je ne sacralise pas l’instrument qui, pour moi, est avant tout un moyen de faire de la musique. J’ai la chance, en ce moment, de jouer sur un magnifique instrument du XVII e siècle prêté par Monsieur Bernard Magrez. J’avais auparavant un alto moderne que j’aimais également beaucoup. L’alto sert la musique et je n’ai donc pas un rapport fusionnel comme peuvent l’avoir certains avec leur instrument.

Jouer sur un instrument de plus de trois siècles est-il une source d’inspiration supplémentaire pour vous plonger dans des œuvres du passé, intégrant presque une dimension historique à ce rapport à l’alto ?

Oui forcément mais surtout en raison du fait que cet instrument possède une voix qui lui est propre et que je n’avais jamais ressentie sur un instrument moderne. Après, la merveilleuse altiste qu’est Tabea Zimmermann joue elle sur un instrument moderne et n’est empêchée de rien en termes d’expression. Il y a donc le résultat mais également le confort de jeu qui comptent.

Vous avez commencé par le violon à l’âge de cinq ans. Est-ce le fait qu’il manquait des altistes dans l’orchestre qui vous a fait vous tourner vers l’alto à l’adolescence ?

C’est tout à fait ça ! J’étudiais à l’époque au Conservatoire de Lyon qui proposait un double cursus violon et alto afin de remplir l’orchestre et le département consacré à la Musique de Chambre. Je me suis dit « pourquoi pas tenter l’expérience ?! » J’ai eu la chance que ma professeure d’alto de l’époque me prête un instrument magnifique. J’ai tout de suite ressenti une attirance toute particulière pour l’alto et, même si j’ai continué pendant une année le double cursus, mon cœur a rapidement penché pour cet instrument.

Vous avez, je crois, découvert la musique classique avec le Requiem de Mozart que tous les dimanches votre maman écoutait très fort dans le salon. Cette œuvre revêt-elle aujourd’hui encore une dimension particulière aux allures de Madeleine de Proust ?

Oui, forcément. Je pense d’ailleurs que le Requiem de Mozart est une œuvre particulière pour beaucoup de gens. Je défie quiconque d’être insensible à la beauté, à la poésie, à la force de ce Requiem.

Photo : Neda Navaee

Vous avez d’ailleurs interprété ce Requiem de Mozart sous la baguette du regretté Maestro Claudio Abbado. Que gardez-vous de ce moment qui devait avoir une résonance toute particulière ?

C’est là sans conteste l’un de mes meilleurs souvenirs musicaux. Claudio Abbado avait un magnétisme, un charisme tout à fait incroyable. L’œuvre était accompagnée par le Chœur de la radio suédoise, considéré comme l’un des meilleurs chœurs au monde. La poésie d’Abbado dans ses interprétations reste vraiment quelque chose de gravé en moi à tout jamais.

Vous parlez de magnétisme pour Abbado. Certains ont du mal à vraiment appréhender le rôle du chef d’orchestre. Quel est ce rapport étroit qu’il entretien avec les musiciens ?

Le premier rôle du chef d’orchestre, et on a trop tendance à l’oublier, est de faire travailler l’orchestre avant le concert. Pour juger d’un chef, il faut donc savoir d’où est parti l’orchestre et jusqu’où, mené à la baguette, il est parvenu à arriver. Un Valery Gergiev ou le regretté Claudio Abbado sont des chefs qui parviennent à véritablement se transcender sur scène. Abbado n’aimait pas du tout répéter par exemple. On bloquait trois jours et, en fin de compte, il ne venait que pendant trois heures. Mais comme tous les musiciens étaient très préparés et sur le fil, cela fonctionnait. Rares sont les chefs qui couvrent le répertoire classique du baroque à la musique contemporaine.

Vous avez participé à l’enregistrement de l’intégrale de la musique de chambre de Brahms. Il y a chez Brahms un lyrisme et cette faculté à faire briller le musicien. Est-ce ce qui attire tout musicien vers ce compositeur et ses œuvres ?

Je ne sais pas si j’utiliserais le terme « briller » mais il est sûr qu’avec Brahms, on se sent en tant que musicien comme dans un cocon. Ce n’est pas forcément la musique la plus facile d’accès mais elle est extrêmement plaisante à jouer physiquement. Il existe en effet des musiques sublimes mais avec lesquelles nous ne sommes pas forcément à l’aise sur l’instrument. Brahms est un compositeur qui rassemble et qui, en Musique de Chambre, fait la part belle à tous les instruments avec des œuvres d’une puissance poétique incroyable.

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Cela fait maintenant un an que notre pays connaît une situation inédite avec des salles fermées, des concerts en streaming et sans public, un monde de la culture en berne… Comment vivez-vous ces temps sans cette communion à laquelle vous êtes habituée avec le public et des projets, au mieux décalés voire tout bonnement annulés ?

Même si je ne suis jamais restée longtemps sans aucun projet, il y a eu des moments très difficiles. Dans une telle situation, même une seule répétition d’un quintet de Fauré se transforme en un véritable évènement. Le moindre projet prend une dimension énorme alors que nous ne sommes qu’à à peine 10% de notre rythme habituel de travail. D’ailleurs, le jour où les choses vont reprendre comme avant, j’ai peur d’être quelque peu paniquée à l’idée de replonger dans le grand bain. Pour vous donner un exemple, je n’ai pas pris l’avion depuis le mois de mars alors qu’auparavant, c’était quatre aller-retours par semaine.

Le fait de ne pas savoir quand les concerts vont pouvoir reprendre « normalement » doit forcément ajouter au poids de la situation actuelle ?!

J’ai heureusement l’impression que l’on commence à voir le bout du tunnel. Pendant le premier confinement, j’avoue ne pas avoir touché à mon alto pendant un mois. Je me disais : « À quoi bon ?! » Difficile de rester positive quand on ne sait pas si l’on jouera son prochain concert dans deux mois, six mois ou même un an ! Je me suis ensuite reprise en main mais le premier confinement a été pour moi un grand moment de déprime. En plus, l’alto est tant un instrument de chambriste que me motiver seule était très compliqué. J’aurais aimé, pendant cette période, être pianiste pour pouvoir me dire « Allez, je vais me faire toutes les sonates de Beethoven ! » J’ai quand même travaillé les suites pour violoncelle de Bach, ce qui m’a nourri musicalement.

Si vous deviez inviter un néophyte à découvrir l’alto dans le répertoire classique, vers quelles œuvres le dirigeriez-vous ?

Je crois que je le dirigerais vers la Symphonie concertante de Mozart pour qu’il perçoive la différence des timbres ou bien encore Harold en Italie de Berlioz afin de découvrir la puissance d’un orchestre symphonique à très gros effectif, c’est toujours une sensation très impressionnante.

D’autant plus aujourd’hui où cela semble du domaine de l’utopie ?!

Effectivement. Croisons les doigts et espérons que cet été tout sera rentré dans l’ordre !

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