Entretiens Société

Les restos du cœur, c’est l’histoire d’un mec…

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C’est l’histoire d’un mec ; un mec pas comme les autres, un humoriste au cœur gros comme ça et qui, il y a maintenant plus de 35 ans, en s’acquittant d’un chèque de 3 millions de francs au FISC s’était simplement fait la réflexion que cette somme destinée à remplir les caisses de l’État suffirait à offrir 200.000 repas aux plus démunis. Partant de ce simple postulat, l’électron libre à la générosité sans limite qu’était Coluche créait les Restos du Cœur. 2 milliards de repas distribués plus tard, ils sont hélas toujours plus nombreux à avoir faim, à avoir froid et l’on peut se demander ce que là-haut, le fondateur des Restos, parti bien trop tôt, pense de cette France des inégalités, une France scindée en deux et où, souvent, le chacun pour soi prévaut sur l’altruisme. Patrice Blanc, président des Restos du Cœur, nous répond.

« Coluche disait : « Quand je me suis présenté à l’élection présidentielle, j’ai fait peur au monde politique. Quand j’ai créé les Restos du Cœur, je leur ai fait honte ! » Cette citation est hélas toujours valable en 2021. »

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Plus de 35 ans après la création des Restos du Cœur, quel serait selon vous le regard de Coluche sur cette société qui est la nôtre en 2021, une société qui semble de plus en plus coupée en deux ?

Je m’interdis de faire parler les morts donc je ne répondrai pas directement en imaginant ce que Coluche aurait pu dire… Par contre Coluche disait : « Quand je me suis présenté à l’élection présidentielle, j’ai fait peur au monde politique. Quand j’ai créé les Restos du Cœur, je leur ai fait honte ! » Cette citation est hélas toujours valable en 2021.

Coluche avait calculé qu’avec l’argent de ses impôts, il pouvait offrir 200.000 repas, de ce constat sont nés les Restos ? Prélever une partie de l’impôt des plus riches pour que les plus pauvres puissent se nourrir, même si cela fait un peu « Robin des bois », cela pourrait être une idée à méditer ?

C’est une réflexion intéressante mais c’est en partie déjà le cas même si cela ne concerne pas spécifiquement les plus riches. Le principe arrêté, et que l’on appelle la loi Coluche justement, offre la possibilité d’une déduction fiscale pour les dons que vous faites, portée l’an dernier à 1000 euros. C’est d’une certaine façon un fléchage vers le don.

Patrice Blanc, président des restos

C’est, comme vous le dites, un fléchage, mais ne peut-on imaginer d’aller plus loin afin que de petites sommes soient prélevées des impôts pour venir en aide aux associations comme la vôtre qui ont fait de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion leur combat ?

C’est une piste possible mais jusqu’à présent, quelle que soit la majorité politique au pouvoir, il n’y a jamais eu de mesures prises ou décidées en ce sens contrairement à ce qui peut se faire en Allemagne par exemple où une partie des impôts sert à financer les églises.

Du discours de Nicolas Sarkozy en 2006 qui promettait en deux ans plus de SDF dans les rues à Emmanuel Macron qui prétend qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi, nos dirigeants gouvernementaux sont-ils à ce point déconnectés de la réalité du terrain ?

C’est un phénomène que je qualifierais de général. Lorsque vous êtes dans une position de pouvoir important, il y a hélas cette coupure que l’on constate effectivement par rapport à ce qu’il se passe sur le terrain. C’est donc le rôle d’associations comme la nôtre de faire un rappel aux gouvernants de ce qu’est la réalité. Il est important de parler sur votre support Agents d’Entretiens ou sur différents médias afin de rappeler que le nombre de personnes qui se retrouvent sans abri ou en situation de grande pauvreté n’a pas diminué depuis la création des Restos du Cœur en 1985, bien au contraire !

Vous évoquiez le décalage entre ce que pensent nos gouvernements successifs et la réalité de la pauvreté en France aujourd’hui. En 1985, lorsque Coluche, véritable électron libre et homme au grand cœur, se dresse contre la pauvreté son initiative fait que 35 ans plus tard, les Restos du Cœur ont distribué plus de 2 milliards de repas. Ne peut-on imaginer un Grenelle de la pauvreté afin qu’associations et gouvernements agissent de concert pour prendre les mesures qui s’imposent pour que la France ne compte plus 300.000 sans abris et 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté ?

Ce Grenelle que vous évoquez a eu lieu en partie il y a trois ans lorsque a été annoncé un plan de lutte contre la grande pauvreté. Ce plan de lutte est parti d’une idée qui était de casser cette transmission intergénérationnelle en prenant par exemple des mesures de soutien auprès de l’enfance. Il y a eu le soutien aux assistances maternelles, le soutien aux petits déjeuners servis dans les cantines scolaires… Hélas, pour ce qui est des résultats, on ne verra que dans 20 à 25 ans si ces mesures se sont avérées efficaces ! D’autres actions avaient été lancées à l’époque comme le service public de l’insertion ou le revenu universel d’activité, mesures dont nous n’avons toujours pas vu la couleur. Cette année, dans le cadre très particulier de cette crise de la Covid-19, des mesures budgétaires exceptionnelles ont été mises en place et, sans résoudre la pauvreté de manière structurelle, elles permettent de soulager en partie la situation dramatique dans laquelle se trouvent les personnes les plus démunies.

Ce sont là des mesures exceptionnelles prises dans l’urgence de cette crise de la Covid mais on est en droit de se dire qu’un Grenelle de la pauvreté au vu de la situation dans notre pays devrait se tenir chaque année ! D’ailleurs, toutes les associations qui combattent la pauvreté et la précarité et dont j’ai pu interviewer des porte-paroles ont toutes en 2020, en raison des deux confinements successifs, constaté une nette augmentation de personnes ayant recours à l’aide alimentaire avec parfois 50% de « nouveaux arrivants ». Est-ce une triste tendance que vous constatez également aux Restos ?

En dehors même de la crise sanitaire et de ses conséquences sociales, nous ne sommes pas loin aux Restos du Cœur de recevoir chaque année une nouvelle personne sur deux, ce qui signifie donc un renouvèlement de 50% des personnes qui ont recours à cette aide que nous proposons. En étant optimiste, on peut se dire que certains de ceux qui avaient besoin des Restos une année ont vu leur situation personnelle s’améliorer. Hélas, cela ne doit concerner qu’un faible pourcentage ! Ce que l’on constate avec ces deux confinements successifs et la crise économique liée à la pandémie, c’est la venue aux Restos de personnes qui n’étaient pas habituées à l’aide alimentaire. On le constate pour certaines catégories de population que l’on ne voyait pas auparavant. Je pense tout particulièrement à la forte augmentation des jeunes de 18/25 ans en situation de grande précarité. On accueille des gens qui, avant la crise de la Covid, était en situation difficile et ont, avec cette pandémie, basculé dans la pauvreté. Ce sont toutes celles et ceux qui, avant la pandémie, parvenaient à s’en sortir grâce à de petits jobs qu’ils ont, de fait, perdus. Il y a aussi des entrepreneurs qui, sans commandes, ne peuvent plus joindre les deux bouts.

Celles et ceux qui venaient aux Restos étaient avant cette crise de la Covid principalement des chômeurs et des personnes n’étant pas éligibles au RSA. On sait qu’il y a une forte corrélation entre inactivité professionnelle et pauvreté. La lutte débute donc par le chômage ?

Je ne dirais pas que la lutte contre la pauvreté débute par une lutte contre le chômage mais elle est effectivement un outil essentiel pour éviter de tomber dans la précarité. Ce serait néanmoins une erreur de tout cibler sur le retour au travail et de ne fixer les aides que sur ce domaine spécifique. Il y a en effet un certain nombre de personnes, et je pense par exemple à celles en situation de handicap, aux personnes âgées ou bien encore à celles en situation administrative non régularisée qui, comme les autres, ont besoin d’une main tendue.

crédit photo : Eric Patin

Souvent pauvreté, précarité et solitude se cumulent. Lutter contre l’isolement des personnes, retisser un lien social, c’est forcément aussi cela les Restos du Cœur. Avec ces deux confinements successifs, avez-vous constaté une plus grande détresse psychologique chez certains alors que d’autres, surtout en milieu rural, sont tout simplement sortis des « radars » de notre société ?!

Cette notion de détresse psychologique, on l’a effectivement constatée avec les retours que nous font les bénévoles. Cette détresse existe d’ailleurs aussi en milieu rural et c’est ce qui nous a poussé dans de plus en plus de départements de France à mettre en place des centres itinérants. Ce sont des camionnettes qui se déplacent dans les villages pour venir en aide aux personnes qui ne peuvent se déplacer et vivent isolées.

Si dans les grandes villes les gens ont plus facilement recours aux associations comme la vôtre car noyés dans un relatif anonymat, il est vrai qu’en milieu rural, certains hésitent à franchir le pas associatif de peur d’être stigmatisés. C’est aussi un phénomène que vous constatez ?

C’est ce que nous constatons en effet et la raison pour laquelle nous tentons au maximum de préserver l’anonymat des personnes qui ont recours à l’aide des Restos en milieu rural où la « honte » d’avoir besoin d’aide se fait plus encore sentir.

crédit photo : Eric Patin

Cette nouvelle campagne doit, je suppose, être plus délicate à mettre en place en raison de l’épidémie de Covid-19 et des gestes barrières à respecter. Comment parvenez-vous à intégrer cette problématique sachant que, de surcroît, parmi vos 70.000 bénévoles vous comptez forcément une majorité de retraités donc de personnes à risque ?!

Cela nous a posé de gros problèmes et nous avons dû faire preuve de réactivité et d’adaptabilité car, comme vous le disiez, 40% de nos bénévoles sont des personnes âgées de plus de 70 ans et donc à risque. Nous avons donc fait passer le message pour ces retraités avec la mise en place de mesures préventives afin d’être le moins possible exposées. On a vivement encouragé ces personnes à opter pour du télé bénévolat afin de maintenir un lien au téléphone avec celles et ceux les plus démunis. Nous avons également fait appel à des jeunes bénévoles qui ont, et il faut le souligner, répondu favorablement et en masse pour venir nous prêter main-forte. Comme nos locaux sont souvent trop petits pour accueillir les personnes tout en respectant les gestes barrières, nous avons dû passer, dans nombre d’endroits, à des « drive » piétons, préparant des paniers repas que les personnes viennent récupérer même si les conditions climatiques hivernales compliquent de fait ce fonctionnement.

crédit photo : Eric Patin

Vous évoquiez les diverses misions des Restos qui ont évolué avec le temps que ce soit l’aide au logement, l’aide alimentaire, l’accès à la santé, l’aide aux SDF… On connaît moins, parmi vos missions, « Les Restos Bébés ». Lutter contre la pauvreté et la précarité, c’est s’y attaquer dès le plus jeune âge afin d’éviter son aspect héréditaire ?

Absolument ! Comme je l’évoquais, notre priorité est de casser cette pauvreté qui s’inscrit dans le temps, de génération en génération. Parmi les personnes que l’on accueille aux Restos, beaucoup sont des familles monoparentales. J’entends par là des femmes seules qui élèvent leurs enfants et ont toutes les peines du monde à s’en sortir. L’année dernière, ce ne sont pas moins de 30.000 bébés que nous avons accueillis. C’est une mission pour laquelle nous avons développé une aide alimentaire spécifique aux enfants en bas âges et la mise à disposition de produits d’hygiène comme des couches qui coutent très cher. Ce sont également des conseils et un appui apportés aux mamans qui sont souvent très isolées. Nous fournissons d’ailleurs des kits bébés pour les futures mères qui doivent prochainement accoucher.

Depuis la loi Garot votée en 2016, les banques alimentaires peuvent enfin récupérer de la nourriture entre autres auprès des supermarchés, denrées alimentaires qui, avant cette loi, étaient tout simplement détruites car arrivées proches de leur date de péremption. Quelles seraient selon vous les mesures d’urgence à prendre pour efficacement venir en aide à celles et ceux qui ont faim et froid ?

Ce que l’on appelle la ramasse, c’est-à-dire la récupération de ces produits qui arrivent bientôt à date de péremption existait avant la loi Garot mais cette loi a effectivement donné un coup de boost à cette activité qui est pour nous essentielle. Pour que le ramassage des denrées puisse se développer dans des conditions correctes, il faut que la chaîne du froid soit scrupuleusement respectée et donc qu’une logistique dont on parle beaucoup aujourd’hui par exemple avec le transport des vaccins soit mise en place. À notre niveau, cette chaîne du froid est essentielle pour la récupération de produits alimentaires frais qui sont d’une importance primordiale pour compléter les repas qui proviennent principalement de produits surgelés ou bien encore de conserves. Cela suppose donc de gros investissements en camions frigorifiques.

Pour beaucoup les Restos du Cœur sont indissociables des « Enfoirés » et de leurs tournées très médiatisées. Quel est précisément le rôle joué par « Les Enfoirés » ?

« Les Enfoirés », c’est une « activité » à part et gérée par une équipe annexe et dont le rôle est double. Un rôle tout d’abord financier avec ce que rapporte la vente des C.D, des DVD, la billetterie des concerts… Ce qui représente chaque année entre 8 à 10% du budget des Restos. Pour cette édition 2021, un concert sera enregistré mais il se déroulera hélas sans public et donc avec une recette bien moindre. L’autre rôle des « Enfoirés » est de perpétuer dans le temps l’image de l’équipe que Coluche avait constituée dès le départ, un rassemblement très familial. Il faut rappeler que tous les artistes qui y participent le font gratuitement. C’est quelque chose unique au monde qui dure depuis plus de trente ans.

Jean-Jacques Goldman s’est retiré des « Enfoirés » dans une passation de pouvoir qui a fait des vagues. Que répondez-vous à cette petite polémique ?

Le départ de Jean-Jacques Goldman nous a ému mais il a beaucoup donné et nous avons donc une grande reconnaissance pour ce qu’il a fait pour les Restos et pour les « Enfoirés » auxquels il continue de jeter un œil depuis Londres où il réside. Ce qui est important dans cette mécanique des « Enfoirés », c’est que chaque année des anciens, devenus des piliers, soient présents tout en accueillant de nouveaux arrivants. C’est de cette réunion que nait la magie des « Enfoirés ».

Comment concrètement aider les Restos du Cœur ?

Il y a deux façons pour aider les Restos du Cœur, soit en effectuant des dons financiers, soit en étant bénévole. Pour cela, il vous suffit de vous rendre sur le site des Restos du Cœur (voir le lien en début d’interview) sur lequel vous retrouvez deux « pastilles » pour faire un don ou pour devenir bénévole. Si vous souhaitez rejoindre les Restos, il vous suffit d’indiquer la ville dans laquelle vous résidez, le temps dont vous disposez… Compte tenu de la multitude des missions menées par les Restos, toutes les bonnes volontés sont utiles. Si l’on s’engage, il faut suivre une courte formation afin d’être psychologiquement paré pour accueillir des personnes qui sont parfois en situation de grande détresse.

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