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Eyehategod, l’oeil était dans la tombe…

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Être fan de Eyehategod, c’est d’abord faire montre d’une patience à toute épreuve tant les albums du combo de Louisiane se font rares. Ne boudons donc pas notre plaisir à l’aune de “A History of Nomadic Behavior”, nouvel opus des pionniers du sludge metal, même si le quintet préfère s’abroger de cette étiquette trop réductrice à leurs yeux. Parfait trait d’union entre Black Sabbath et Black Flag, c’est tout de noir vêtu que se parent les textes de EHG où les thèmes d’addiction aux drogues, de dépression et de haine sont au cœur des débats. N’est pas rock qui veut ! Gary Mader, bassiste des hommes de la Nouvelle-Orléans, revient sur cette dernière naissance aux forceps. Ouvrez l’œil !

« À bien des égards, je me sens plus proche des membres du groupe que de ma propre famille. »

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Il a fallu pas moins de quinze ans entre vos deux précédents albums et encore six années entre votre album éponyme et ce nouveau-né, “A History of Nomadic Behavior”, sur lequel vous avez commencé à travailler en 2018. Il semble que chaque nouvel opus de EHG soit un long processus de création. Est-ce un moyen de maturer au mieux le projet pour tendre vers une quête de perfection ?

Cela fait partie de notre conception des choses. On souhaite sortir un album dont on est le plus fiers possible et souvent, effectivement, le processus créatif de maturation peut être plus ou moins long. L’autre explication à ce long délai entre les albums est qu’avant cette crise de la Covid, on a passé ces trois dernières années sur la route sans faire de pause. Tant que l’on est en tournée, il est compliqué pour nous d’entrer dans une phase d’écriture. La Covid nous a obligés de fait à mettre entre parenthèses les concerts et donc à nous concentrer sur l’écriture d’un nouvel album. Sans cela, je pense que l’on serait encore sur les routes ! Avant la pandémie, à chaque fois que l’on se disait : « Bon, on se pose pour enfin terminer cet album ! ». De nouvelles dates de concerts tombaient et on ne savait jamais dire non. En écoutant ce nouvel album, je me dis qu’il y a quand même une forte inspiration de Black Flag.

Justement, vous évoquez Black Flag. Peut-on dire que EYG est une sorte de trait d’union entre Black Sabbath et Black Flag ?

C’est un honneur d’être considérés comme une sorte de pont entre ces deux groupes de légende. Mais je crois qu’effectivement prendre les éléments musicaux distincts de ces deux groupes pour les regrouper est toujours ce qui nous a motivés.  

Votre groupe a enduré pas mal de déboires entre 2000 et 2014 avec la tempête Katarina qui a ravagé votre ville de la Nouvelle-Orléans, le séjour en prison de Mike et sa transplantation du foie, la mort subite de votre batteur Joey LaCaze… Vous considérez-vous comme des survivants ?

Sans aucun doute. Je pense que toutes les galères que l’on a vécues auraient eu raison de n’importe quel groupe. Il y a chez nous une forme de résilience qui est unique. On ne veut pas s’arrêter et hormis la mort qui possède les cartes en mains, je crois que rien ne peut nous faire plier. Là où certains évènements très durs de la vie par lesquels nous sommes passés auraient par principe dû nous mettre un genou à terre, je crois justement que ces éléments n’ont fait que renforcer ces liens uniques et si forts qui nous unissent. Nous sommes plus que jamais une famille. Tous ces coups du sort ne font que t’ouvrir les yeux sur cette chance que tu as d’être au sein d’un groupe dans lequel, quoiqu’il se passe, tu sais que les autres seront toujours là pour te soutenir. C’est dans la difficulté que tu comprends mieux quel est le but de ta vie et pourquoi l’existence de EHG est si précieuse. Donc, finalement, peu importe les coups durs, les galères, on sera toujours debout tant qu’il y aura de la vie en nous.

Vous avez autofinancé votre précédent album afin d’avoir un contrôle total sur le processus de création. En a-t-il été de même pour ce nouvel opus ?

Pour notre précédent album, comme nous n’avions rien sorti depuis presque quinze ans, nous n’avions plus de maison de disques. Mais il est vrai que ce système d’autofinancement nous a permis d’être totalement libres dans notre écriture, chose que nous avons grandement apprécié car les concessions, ce n’est pas trop notre truc. Aujourd’hui, avec “A History of Nomadic Behavior”, on a souhaité garder cette liberté qui va des textes à la musique en passant par la pochette de l’album. C’est un schéma auquel on tient énormément, désireux d’être fidèles en tous points à ce que nous sommes. Nous voulons garder une autonomie totale et cela implique forcément que nous soyons les seuls à intervenir dans le processus de création sans que personne ne vienne s’immiscer pour nous donner son point de vue.  

Mike IX Williams, votre chanteur, disait dans une interview : « Nous sommes comme une bactérie. Nous ne cessons de grandir et ne partirons jamais. » Vous êtes un peu des Covid musicaux ?!

EHG, c’est toute ma vie ! Faire de la musique avec mes amis les plus proches a des vertus thérapeutiques certaines et fait que tout devient possible. C’est génial de pouvoir vivre de sa passion comme cela dans un monde où tant de choses vont de travers. Ce groupe, c’est pour nous quatre la seule vraie constante de nos vies et ce qui chaque matin nous donne envie de nous lever et d’avancer. Je porte donc mes trois partenaires au plus près de mon cœur. Plus qu’un groupe, nous sommes une vraie famille et c’est certainement ce qui explique notre si grande longévité. Peu importent les tempêtes que nous traversons, nous restons debout et devons remercier le ciel pour ça. À bien des égards, je me sens plus proche des membres du groupe que de ma propre famille.

Vous sortez un nouvel album alors qu’il est quand même assez compliqué de savoir quand les tournées pourront reprendre. N’est-ce pas là un sentiment trop frustrant ?

C’est une situation très compliquée que nous vivons car comme je te le disais, nous sommes habitués à toujours être sur la route et là, on se trouve enfermés chez nous comme des lions en cage. On ressent là une véritable frustration. Au lieu de se torturer l’esprit en nous posant sans cesse la question de savoir quand nous pourrons à nouveau partir sur les routes, on tente d’apporter un peu de positif. C’est la raison pour laquelle on a décidé de fonder notre propre maison de disques. Mike et moi nous sommes vraiment attelés à cela, nous focalisant également sur les moindres détails de l’album, choses auxquelles on ne consacrait pas assez de temps auparavant. Nous tentons vraiment de profiter de ce temps libre pour nous occuper le plus possible et éviter d’être là à nous plaindre de cette pandémie face à laquelle nous sommes de toute façon impuissants. Quand les choses vont mal, il vaut mieux tenter de réagir plutôt que d’être passif. Nous, on se bouge les fesses et on espère que de cette dynamique naisse un élan positif.

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Les textes de vos morceaux sont très noirs avec des thèmes qui tournent autour de la dépression, de l’addiction aux drogues, de la haine… Est-ce que le fait d’écrire sur vos problèmes personnels est beaucoup plus inspirant que des thématiques comme l’amour ou la joie… Bref, le côté obscur est-il plus attirant ?

Les deux côtés sont attirants. Il faut à mon sens mettre les deux dans une certaine perspective pour faire plus encore ressortir les différences qui les opposent. C’est un peu comme lorsque tu joues avec les tempos d’un morceau. Si tu gardes toujours le même rythme, alors tu seras vite dans un cadre unidimensionnel, sans réelle consistance. Si tu n’exposes qu’un seul aspect des choses, alors tu n’as aucun point de comparaison et forcément, le truc sonne creux. Dans le rythme, l’agressivité, il est nécessaire d’être perpétuellement sur des phases, une sorte de yin et yang qui te permet de donner à ton morceau un aspect pluridimensionnel. Pour apprécier l’impact du négatif, il te faut y intégrer une perspective positive en face pour mieux encore le faire ressortir. Les choses finalement ne sont que dualité. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’agressivité de nos morceaux comme de nos textes peuvent générer chez l’auditeur comme sur nous-mêmes un état de bien-être. Le positif et le négatif sont ni plus ni moins que les deux faces d’une même pièce.

Les gens aiment mettre des noms sur les genres musicaux afin de les cataloguer. Je sais que vous souhaitez prendre une certaine distance avec cette étiquette de Sludge metal que l’on vous colle. Pensez-vous que les termes hardcore blues ou encore punk southern rock soient, pour celles et ceux qui ne savent pas ce qu’est EHG, une définition assez juste de votre musique ?

Pour faire simple, pour nous EHG c’est juste du rock and roll ! (rires)

Comme le disait si justement Lemmy (Kilmister, regretté leader du groupe Motörhead), tout n’est que du rock and roll en fin de compte ?!

C’est tout à fait exact. Bien sûr, aujourd’hui, on décortique tous les genres et sous genres musicaux pour les mettre dans des cases comme si cela allait rassurer les gens de faire partie de tel ou tel mouvement musical. Nous, on ne souhaite pas réduire notre groupe à une étiquette. Nous sommes fans de musique et peu importe qu’il s’agisse de rock garage, de jazz ou de rythmes africains du moment que cela nous plait. C’est ce que l’on a essayé de faire avec EHG, incorporer des genres musicaux divers qui représentent nos diverses influences mises en commun dans un seul et même projet. Nous ne sommes donc pas trop fans d’être simplement réduits au Sludge metal car on pense sincèrement que notre univers musical dépasse largement ce simple cadre dans lequel on a voulu nous intégrer. Je crois qu’au fil des années, EHG est devenu un genre à part entière reconnaissable aux premières mesures d’un morceau sans avoir besoin de nous cataloguer.

Phil Anselmo a partagé la scène à vos côtés et a même payé la caution de Mike afin de le faire sortir de prison. Comment qualifieriez-vous la relation qui lie Phil à EHG ?

Phil a une relation très étroite avec EHG et cela avant même que je n’intègre le groupe. Mike et Phil sont extrêmement proches et liés puisque leur amitié remonte au lycée où, déjà, ils trainaient ensemble. C’est donc une relation qui dépasse largement le simple domaine musical, même si Phil a déjà partagé la scène avec nous en remplacement de Mike justement. Avant même de fonder des groupes, tous ces mecs de la Nouvelle-Orléans étaient très proches. Il y avait une scène émergente dans la région et forcément, comme les gars avaient tous à peu près le même âge, tout le monde se connaissait plus ou moins. Après, encore une fois, l’amitié entre Phil et Mike est vraiment à part ce qui explique qu’ils soient si proches et toujours là l’un pour l’autre en cas de coup dur.

Cette relation étroite entre EHG et Phil Anselmo explique certainement le fait que Jimmy (Bower, guitariste) ait rejoint l’aventure « Down » aux côtés de Phil ?!

Oui. Les ponts entre les deux groupes sont indéniables et franchement, nous répétions tous dans le même local. Il nous arrivait donc souvent de jammer tous ensemble, juste pour passer un bon moment. Quand Phil a monté Down, il a donc proposé à Jimmy de le rejoindre dans l’aventure. Avoir un projet parallèle avec un pote n’avait rien de problématique car c’était vraiment dans l’idée de se faire plaisir, de jouer ensemble et pas pour des raisons mercantiles ou dans le but de faire de l’ombre à qui que ce soit.

En 2008, Mike déclarait dans une interview : « C’est toute la structure gouvernementale américaine qui est à détruire et à reconstruire. » Quelle est votre vision de États-Unis aujourd’hui dans un pays si divisé entre démocrates et républicains comme on a pu le noter lors de la toute récente élection présidentielle ?

En vivant ici, tu ne sais vraiment pas quoi penser. Comme le disait si justement Mike, nous faisons face à un système politique inapproprié qui aurait besoin d’être repensé, reconstruit. Aujourd’hui, tu as aux États-Unis ces deux partis que sont les démocrates et les républicains qui ne font qu’accroître une sorte de lutte des classes qui s’est installée au sein même du pays et dont la politique est devenue l’exemple le plus criant. Notre société est coupée en deux de manière très clivante. Que l’on parle de démocrates ou de républicains, les politiques n’ont aucune notion de ce que c’est qu’être un américain de la classe moyenne dans ce pays. Les politiques ont une vision biaisée des choses, pas du tout en phase avec la réalité, avec ce que leurs concitoyens vivent au quotidien et au fait des problèmes auxquels ils sont confrontés. Je pense que nous sommes arrivés à un point tel que seul un changement radical est aujourd’hui nécessaire et inévitable. Le truc positif, c’est que l’on est désormais débarrassé de Trump ! Il va maintenant être intéressant de voir quelles vont être les mesures prises par Biden qui, je l’espère, modifiera l’image que le monde entier à aujourd’hui de notre pays. Je souhaite qu’il prenne des mesures avec son cœur et non dans une perspective purement politique qui ne réponde pas aux aspirations de la population. Il est temps de penser différemment ! Au moins on peut dire que c’est un début avec l’espoir que ce changement à la tête du pouvoir puisse un peu faire bouger les choses. Je me souviens il y a dix ans, il y avait une telle apathie dans le pays que cela en était vraiment flippant.

Les temps changent comme le chantait Dylan ?!

On le dirait effectivement. Les temps changent ici aux États-Unis mais aussi de manière globale au sein du monde il me semble. Pas mal de choses bien pourries se sont produites ces dernières années et ma philosophie est que dans toute mauvaise comme dans toute bonne chose d’ailleurs, on est dans un système cyclique qui fait qu’à un moment, les choses évoluent d’elles-mêmes. Je crois que nous sommes arrivés là à ce stade crucial où quelque chose va se passer. Et c’est à chacun d’entre nous, en tant qu’individu, de participer à ce changement afin qu’il s’opère le plus rapidement possible.

Trio Karénine, la nuit leur appartient !
Camille et Julie Berthollet accordent leurs violons !

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