Entretiens

Armée du Salut, en guerre contre la pauvreté !

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Le fondateur de l’Armée du Salut, le pasteur méthodiste William Booth, avait fait de la lutte contre la pauvreté son combat. Depuis 1865, la bataille perdure et le moins que l’on puisse dire c’est que la guerre est loin d’être gagnée. Alors que la pandémie de Covid-19 a un peu plus plongé le monde dans les limbes de la précarité, mettant au banc de la société une frange de la population jusqu’alors préservée du recours à l’aide associative, le signal d’alarme est tiré. La dichotomie sociale de plus en plus prononcée risque de laisser des plaies profondes qu’il sera bien difficile de panser. Samuel Coppens, porte-parole de cette armée au grand cœur, nous dresse un bien triste constat de la situation. À l’attaque !

« Cette crise sanitaire a révélé une crise humanitaire. »

« Je me battrai », tel était le message du fondateur de l’armée du Salut, William Booth, pasteur méthodiste. Ce combat, mené depuis 1865, n’a malheureusement pas changé dans une société où le fossé entre les plus riches et celles et ceux qui, chaque jour, se battent pour survivre ne cesse de se creuser. Comment expliquer qu’en plus de 150 ans, la problématique liée à la pauvreté reste la même ?

Si la pauvreté est hélas toujours présente, les facteurs et les causes qui conduisent à cette pauvreté ont par contre, eux, changés. Sans reprendre les termes de Serge Paugam sur la pauvreté intégrée, marginale et disqualifiante, je pense qu’il y a plusieurs éléments autour des questions économiques qui, dans une société, changent et bouleversent terriblement la capacité de l’employabilité par exemple. Notons également les questions familiales où, aujourd’hui, de plus en plus de personnes en situation monoparentale, obligées d’élever seules leurs enfants, se retrouvent en grande précarité. Nous constatons également des souffrances psychiques de plus en plus fortes, liées à une forme de déclassification individuelle où la personne ne se sent jamais à la bonne place, ni dans la bonne case, ce qui l’inscrit en rupture avec la société qui l’entoure. La question climatique, très marquée aujourd’hui, met également en lumière la question des exilés qui arrivent massivement en France et font face à de grandes difficultés. Des difficultés auxquelles les politiques n’ont pas toujours la volonté ou la possibilité de répondre. Dernier élément, je pense que pendant des années les modes d’intégration n’ont pas véritablement fonctionné. On en voit les conséquences dans des quartiers ghettoïsés de notre pays, phénomène qui entraine une massification inévitable de la pauvreté.

Les bénévoles de l’Armée du Salut préparent les colis alimentaires épaulés par l’agent de sécurité et le logisiticien.

L’Armée du Salut, comme son nom l’indique, fonctionne avec une structure très militaire entre général, colonel, capitaine, soldat… Pouvez-vous nous nous clarifier ce mode de fonctionnement très particulier ?

Le fondateur de l’Armée du Salut, William Booth, qui était, en Angleterre, pasteur d’une église classique a souhaité être très offensif dans sa lutte contre la misère qu’il considérait à juste titre comme fléau majeur. Pour ce faire, il a pris pour modèle celui de la Reine Victoria qui était parvenue à conquérir le monde entier. Le mode de fonctionnement d’une armée semblait efficace à William Booth car quand un ordre est donné, tout le monde le respecte et va dans la même direction. Si la question des grades n’a pas véritablement de valeur, avouons qu’une armée sans grades ne fait pas tout à fait sens ! Il y a donc une terminologie autour de cette Armée du Salut mais avec pour seul objectif la paix et la lutte contre la misère.

Le message de l’Armée du Salut se fonde sur la Bible. Quelle est aujourd’hui encore l’importance du message des évangiles dans la mission que vous menez, de propager la foi et de lutter contre la pauvreté ?

Effectivement, l’Armée du Salut revendique haut et fort son inspiration chrétienne. Il se trouve qu’en France, pays laïc, nous respectons une séparation très claire, nette et tout à fait légale. Nous avons d’un côté une congrégation religieuse dont la mission est l’annonce de l’évangile, une annonce ayant pour volonté de soulager les détresses humaines. Puis, de l’autre côté, se trouve une fondation, très reconnue en France, et dans laquelle l’action sociale et médico-sociale prime. Les questions spirituelles sont là renvoyées à l’individu, dans sa situation d’homme ou de femme. Si toutefois ce dernier montre un intérêt particulier pour le spirituel quelle que soit sa religion, nous faisons en sorte de lui faire rencontrer des personnes capables de répondre aux questions existentielles qu’il se pose. Oui, nous avons un enracinement autour des questions bibliques et évangéliques de l’amour du prochain, du service à l’autre… qui d’ailleurs se retrouve dans les valeurs humanistes que défendent nombre d’associations aujourd’hui.

Les bénévoles de l’Armée du Salut distribuent des colis alimentaires.

L’Armée du Salut est née sur fond de révolution industrielle au cœur de Londres. Aujourd’hui, notre monde paraît en plein bouleversement entre crise sanitaire, tensions sociales, repli sur soi… Constatez-vous avec ces confinements successifs de plus en plus de personnes en situation de grande précarité et pour qui le besoin élémentaire de se nourrir est devenu un challenge permanent ?

Incontestablement ! Cette crise sanitaire a révélé une crise humanitaire. Nous en avons vu les effets puisque, dans les différents sondages que nous avons réalisés auprès des milliers de personnes que l’Armée du Salut accueille et accompagne au quotidien, une personne sur deux ne fréquentait pas nos distributions alimentaires avant cette crise de la Covid. Sur ce front, nous pouvons faire face mais ce qui nous inquiète, c’est cette montée certaine du chômage de masse dans les mois à venir et les conséquences psychiques que cela entraine sur celles et ceux aujourd’hui dans le besoin. Nous sommes face à un nouveau défi qui s’érige devant nous et auquel l’on se doit de répondre pour venir en aide à toutes ces personnes en perdition financière et psychologique.

L’Armée du Salut, ce sont 1,7 millions de personnes mobilisées dans 130 pays pour lutter contre l’exclusion. Quelles sont les principales actions que vous menez en ce sens ?

Nous avons des actions de premières urgences et l’Armée du Salut s’adapte en fonction du pays dans lequel elle se trouve. En Inde ou en Afrique par exemple, elle sera très présente sur les questions de l’éducation et de la santé. En Europe, nous allons surtout nous concentrer sur les problèmes rencontrés par des personnes sans hébergement, des personnes fragilisées et vulnérables dans le monde du handicap par exemple, ou bien encore les enfants placés à l’aide sociale à l’enfance… Partout où il y a des fragilités et où les pouvoirs publics ont besoin de partenaires, nous sommes présents. C’est la raison pour laquelle en France, nous accueillons plus de 10.000 personnes.

KAFI LEILA – Maitresse de maison. Elle s’occupe de l’épicerie solidaire pour les familles qui passent au centre le mardi..EAN_NOEL HENNARD.Retraité- s’occupe de la prépapration des paniers repas.

L’ONU estime que la pandémie de Covid-19 pourrait faire basculer plus de 130 millions de personnes supplémentaires dans la faim à travers le monde. Comment le monde peut-il se relever d’un tel chaos qui annonce forcément une profonde et durable crise sociale qui risque de créer des tensions et modifier en profondeur notre société ?

C’est la question la plus compliquée à laquelle nous devons faire face aujourd’hui et, même si nous nous voulons porteurs d’espérance au sein de notre société, il est vrai que de tels chiffres font craindre le pire. Nous avons augmenté nos capacités d’aide alimentaire et réfléchissons à la question de l’économie sociale et solidaire ; savoir comment faire en sorte que des personnes retrouvent un emploi qui est la clé de la réinsertion. Nous considérons en effet que la question d’employabilité va de pair avec la question de la dignité. Nous menons également des actions pour lutter contre l’isolement des seniors et leur permettre d’avoir une place dans notre société. Après, la question reste en suspens quant à savoir ce vers quoi nous nous dirigeons pour demain. Nous avons d’ailleurs, en cette période de crise pandémique, édité une revue intitulée « un marathon qui n’en finit pas » et malheureusement, il est vrai que nous ne voyons pas à l’heure actuelle une quelconque ligne d’arrivée se profiler à l’horizon.

Le premier confinement a mis en lumière la précarité chez les enfants lorsque certains d’entre eux n’ont pu hélas suivre les cours à distance faute de matériel à la maison, disparaissant de fait des radars du système éducatif. Lutter contre la précarité, c’est s’y attaquer dès le plus jeune âge ?

Vous mettez là le point sur quelque chose de fondamental. Il faut, et ce dès le plus jeune âge, se concentrer sur la question de la prévention. La pandémie nous a révélé tout un tas de problèmes et c’est pourquoi, par exemple, à l’Armée du Salut, nous avons mis en place des brigades de courtoisie constituées de bénévoles qui ont assuré un soutien scolaire aux élèves en difficulté. Nous avons également travaillé avec le monde de l’entreprise pour obtenir du matériel pour ces enfants qui, faute de moyens, ne pouvaient pas suivre les cours à distance. Nous œuvrons actuellement sur un fond d’urgence enfance car c’est l’une de nos priorités essentielles d’éviter une discrimination qui s’opère hélas souvent dès le plus jeune âge.

Mme Sila Méhouas, bénéficiaire de l’Armée du Salut reçoit un kit d’hygiène et un colis alimentaire.

De l’autre côté du spectre, se trouvent, comme on l’a évoqué, des personnes âgées qui, elles aussi, ont durement été touchées par la Covid-19, soit directement, soit par l’isolement forcé auquel elles ont dû faire face chez elles ou dans les EHPAD. Quelles sont les actions que l’Armée du Salut mène pour les seniors qui, parfois, cumulent difficultés financières et solitude ?

L’Armée du Salut gère un certain nombre d’EHPAD qui accueillent des personnes âgées dépendantes. Nous tentons de faire au mieux avec les moyens qui sont les nôtres, entourés d’un personnel trop peu reconnu et en souffrance malgré le travail admirable qu’il mène tous les jours. Au-delà des EHPAD, nous travaillons également avec des seniors à domicile que ce soit par le biais de visites ou bien encore de coups de téléphone afin de rompre la solitude. Nous assurons également le transport de personnes âgées dans l’optique de leur permettre de passer une après-midi agréable auprès d’un proche. Nous essayons de répondre partout où l’on sent un besoin et tentons d’adapter notre réponse à ce besoin. Cela nous amène à nous trouver aux côtés de personnes vulnérables mais pas uniquement car nous considérons que l’aide ne doit pas se limiter aux seules personnes pauvres puisque notre société est faite de diversité et de singularité.

Comme nous l’avons évoqué, ce confinement a été pour beaucoup de personnes vivant seules une solitude plus amplifiée encore. Au-delà de la crise économique et financière, cette pandémie va-t-elle laisser des traces psychologiques ?

Hélas oui et je pense que vous notez là un point très important. Nous avons pu noter ce phénomène lors du premier confinement au sein des EHPAD dont nous parlions à l’instant. Lorsque certaines personnes âgées et dépendantes se sont vues confinées et dans l’impossibilité de voir du monde, de maintenir un lien social, plusieurs directeurs de nos institutions ont refusé d’appliquer cette logique-là, considérant que le risque de glissement d’une personne qui se laisse aller était plus important que la dangerosité de la Covid. On note les conséquences psychologiques avec un peu plus de recul aujourd’hui également sur les enfants au sein de nos établissements. Le port du masque, le fait de ne plus avoir le moindre contact physique pour respecter les gestes barrières, ne plus pouvoir trouver le réconfort dans des bras… Tout cela constitue autant de petits traumatismes qui, mis bout à bout, créé un traumatisme bien plus grand. Et je ne parle pas des personnes vivant dans la rue et qui manifestent aujourd’hui de très fortes décompensations. Il faut bien comprendre que celles et ceux en situation de pauvreté et de précarité ne sont pas différents du reste de la population et tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que ce confinement a entrainé chez nombre de personnes de forts troubles psychologiques.

L’agent de soins Elisabete Pinto passe dans les chambres pour apporter le petit déjeuner aux résidents. Ici, M. Leopold Pance

On compte dans notre pays environ 300.000 sans-abris. Comment peut-on laisser perdurer une telle situation sans que les pouvoirs publics ne prennent des mesures concrètes pour éviter que des personnes n’aient à vivre dans la rue ?

C’est un drame que l’on vient de rappeler avec notre campagne hivernale qui a fait beaucoup de bruit, campagne où l’on voit trois personnes sans-abri dans des sacs de couchage bleu, blanc et rouge pour rappeler que c’est bien en France qu’une telle situation inacceptable se produit là, sous nos yeux. Nous avons déposé cette grande banderole au pied de la Tour Eiffel qui se veut l’un des phares du monde, comme un symbole de cette France à deux vitesses. Nous voulions également rappeler que la question de fraternité qui noble notre société et est l’un des piliers de notre République n’est hélas pas respectée. Malgré toutes les promesses faites pendant des années par les différents responsables politiques, on ne peut que tristement constater que ce phénomène des sans-abris galope. C’est un sentiment insupportable et nous sommes convaincus que s’il y a un désir politique pour que les choses changent, le gouvernement est en capacité, à défaut de trouver des domiciles à tout le monde, au moins de pouvoir assurer des hébergements dignes de ce nom pour les 300.000 personnes qui peuplent nos rues.

Place Djebraïl Bahadourian à Lyon, la Fondation Armée du Salut a installé son foodtruck, rebaptisé « BoothTruck »

L’Armée du Salut est, de par son fondateur, très marquée par la foi. Aujourd’hui, on constate que les religions qui se veulent avant tout tolérance et amour sont sources de tensions, de rejet de l’autre, de violence même… Que vous inspirent ces dissensions ?

Nous considérons, nous protestants, que la laïcité est une chance. Je reprendrai volontiers la parole d’un prêtre qui disait : « Ne parlez pas trop de Dieu, vous l’abimez. Vivez-Le, respirez-Le, donnez-Le ! » L’Armée du Salut, dans sa quotidienneté et la rencontre qu’elle fait des personnes accueillies, n’est pas là pour propager la parole de Dieu mais dans l’idée de vivre cette parole auprès de celles et ceux qui le souhaitent. Notre pays n’est pas apaisé sur la question des religions et l’on constate que le prosélytisme est source de tensions très fortes où tout le monde pense détenir LA vérité. Aucune solution n’est meilleure qu’une autre et, à L’Armée du Salut, nous avons fait le choix de vivre l’évangile à travers nos actes, dans ce regard porté à notre prochain qui est pour nous le symbole de la fraternité mise en action et cela quelle que soit la sensibilité des personnes accompagnées ou des accompagnants d’ailleurs. Nous n’avons pas à nous interroger sur ce que les gens pensent ou croient mais simplement essayer ensemble d’agir pour réduire les inégalités et renforcer la fraternité.

Justement ensemble, comment aider l’Armée du Salut et s’engager concrètement dans cette lutte contre la pauvreté et l’exclusion ?

De façon simple ! Nous accueillons des bénévoles dans nos différentes institutions et, aujourd’hui, ce sont plus de 4000 bénévoles qui nous épaulent dans nos différentes actions en plus des 2800 salariés que compte l’Armée du Salut. Nous souhaitons également que des professionnels de l’action sociale s’engagent à nos côtés, continuent, poursuivent et amplifient notre mouvement car nous avons besoin d’éducateurs, d’agents de soin, d’aides-soignantes… De toutes celles et ceux qui souhaitent s’investir et nous aider.

Philippe Bianconi, la poésie des notes
Odon Vallet, le pape de la philanthropie

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