Société

Karine directrice d’école, la complexité d’une rentrée scolaire post-confinement

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Directrice d’une école maternelle du Sud de la France, Karine a vu sa rentrée post confinement repoussée par arrêté municipal. En effet, malgré les paroles rassurantes de notre ministre de l’Education nationale, nous sommes en droit de nous poser de multiples questions sur la faisabilité du respect des gestes barrières pour les tout-petits. Faut-il interdire les aires de jeux dans la cour face à l’impossibilité de désinfecter après le passage de chaque élève ? Peut-on décemment laisser un enfant de trois ou quatre ans pleurer sans le prendre dans ses bras pour le consoler ? Est-il raisonnable de penser que des petits jouant ensemble vont respecter les gestes barrières ? Décidemment, entre les décisions prises dans les bureaux des ministères et la réalité du terrain, le fossé semble abyssal !

« Si le choix est laissé par le ministère, c’est que, potentiellement, il est dangereux de remettre son enfant à l’école »

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Quel processus aviez-vous mis en place pendant ces deux mois de confinement pour que les enfants de votre école, même les plus petits, continuent à avoir un suivi scolaire ?

Notre école maternelle possède six classes et je suis l’une des enseignantes en petite section. Nous avons décidé, pendant la période de confinement, de donner du travail par mail aux enfants via leurs parents. Le processus était différent en fonction des niveaux de classe. Pour les plus petits, l’envoi de mail était quotidien, bi hebdomadaire pour les moyens et une fois par semaine pour les plus grands avec tout un protocole de travail.

Avez-vous eu des enfants qui ont décroché pendant ces deux mois parce qu’ils n’avaient pas forcément à domicile les outils pour suivre l’enseignement ?

C’est un peu complexe à dire. On a demandé des retours photos aux parents afin de se rendre compte des activités réalisées par les petits. Ce n’était pas forcément évident pour les parents qui poursuivaient le travail. Ceux qui étaient confinés à la maison voire qui télétravaillaient trouvaient toujours un moment pour gérer les activités scolaires des enfants, mais pour les autres qui devaient continuer à se rendre sur leur lieu de travail, c’était beaucoup plus compliqué. Nous avions des retours qui n’étaient pas réguliers de leur part. On sentait que faire l’école à la maison était quelque chose de pas forcément évident.

Avez-vous fait face au désarroi de certains parents qui, du jour en lendemain, devaient se transformer en enseignant ?

Dans la classe des petits, on a essayé de faire uniquement du travail de manipulation en expliquant bien la manière de le réaliser, ce qui a permis aux parents de bien voir ce que l’on attendait d’eux. Mais il est vrai qu’on a eu des parents qui se sont retrouvés confrontés au bout de quelques semaines a des enfants qui ne voulaient plus, n’avaient plus envie… Les parents se sentaient alors un peu désemparés face au manque de motivation et ne savaient plus vraiment quoi faire pour inciter l’enfant à réaliser une activité. L’échange avec les familles était à ce moment-là très important. Nous étions là pour les rassurer et les conseiller sur quoi dire à leurs enfants afin que ces derniers reprennent une habitude d’activité. Les enfants n’ayant pas tous le même âge, il a fallu également gérer les compétences, ceux capables d’aller plus loin dans l’activité comme ceux qui rencontraient plus de difficultés. Le dialogue avec les parents était donc essentiel.

Comme beaucoup d’écoles primaires, la vôtre, dont vous êtes directrice, devait rouvrir en début de semaine et pourtant le maire en a décidé autrement. Quelles en sont les raisons ?

Pour le maire, sa décision de ne pas rouvrir l’école a été motivée par des raisons sanitaires. Pour lui, le protocole mis en place par le ministère de l’Education nationale était tout simplement inapplicable. Au niveau de l’hygiène, il était impossible de respecter les règles avec le nombre d’élèves de l’école.

Les mesures de « gestes barrières » et plus largement le processus décidé par le gouvernement pour la réouverture des écolées étaient-ils tout simplement impossible à respecter ?

Le protocole mis en place par le gouvernement pour les écoles maternelles était utopique. C’est mal connaître des enfants entre trois et six ans, c’est mal connaître ce qu’on leur demande en classe. Certaines choses étaient réalisables comme la distanciation avec l’adulte lorsque les parents déposent leur enfant à l’école, des horaires différents d’arrivée… Mais au niveau des enfants, c’était tout simplement impossible à mettre en place. L’essence même de l’école maternelle, c’est la proximité, la communication entre les enfants, savoir prendre en compte l’autre, l’aider, l’interaction et là, tout était mis à mal et dans des conditions très complexes et tout simplement irréalisables.

On a l’impression d’un écart énorme entre la prise de décision bureaucratique et la réalité du terrain que vous vivez !

Comme les avis changent au niveau scientifique sur ce virus, c’est compliqué ! Un jour on nous explique que le virus est très contagieux pour, le lendemain, nous dire qu’en fait il l’est beaucoup moins chez les enfants, puis on entend quelques jours plus tard encore un autre son de cloche. Le ministère a décidé de mettre en place un protocole de respect des gestes barrières qui soit le même pour tout le monde. Cela veut dire un mètre de distanciation entre les enfants, pas d’enfants en face à face dans la classe… Il faut savoir qu’à l’école maternelle nous n’avons pas de tables individuelles mais des tables rondes avec huit enfants autour. Décider de séparer d’un mètre chaque enfant est tout simplement impossible car que fait-on des autres ? Où va-t-on les mettre dans la classe ? Comme le gouvernement laisse le choix aux parents de mettre ou non leur enfant à l’école avec, on le sait, cette dimension économique de vouloir relancer la machine en les incitant à reprendre le chemin du travail, on n’avait aucune visibilité sur le nombre d’élèves que l’on allait devoir accueillir. Minimiser les contacts avec les enfants oui, mais les interdire, c’est tout bonnement utopique !

On a vu des reportages télévisés montrant le ministre de l’Education nationale qui se rendait dans des écoles pour expliquer que tout était mis en place pour éviter la propagation éventuelle du virus dans les classes. Quand les caméras s’éteignent, on sait bien que la réalité est tout autre ?!

Il y a effectivement un réel décalage. J’ai des amies enseignantes dans d’autres communes alentours et il y avait pour cette rentrée 10 enfants pour toute l’école, repartis dans sept classes. Dans mon école, nous devions accueillir potentiellement jusqu’à soixante-dix enfants. Vous vous rendez bien compte qu’avec soixante-dix enfants, il est tout simplement irréalisable de respecter le protocole mis en place ! Je me suis personnellement occupée des enfants de soignants lorsque, pendant le confinement, certains enseignants ont assuré un service minimum. Même avec quatre enfants en même temps en maternelle, c’était complexe. Alors imaginez avec le double, voire le triple !

Les parents étaient-ils inquiets à l’idée de remettre leurs enfants à l’école ?

On a eu, j’imagine comme dans toutes les écoles de France, plusieurs cas de figure. On avait des parents qui n’avaient pas le choix et avaient décidé, contraints et très stressés, de remettre leurs enfants à l’école. Pour celles et ceux qui travaillent comme indépendants ou dans de petites entreprises familiales, il en va de leur survie financière, donc reprendre le travail est un impératif. C’était un vrai dilemme pour eux. Soit mettre la clé sous la porte, soit se résoudre avec la boule au ventre à remettre leurs enfants en classe. On avait aussi le cas de parents inquiets mais qui sentaient que leur enfant avait besoin de retourner à l’école car il vivait de plus en plus mal ce confinement. Désir de revoir les copains, d’avoir une interaction, besoin de revoir la maîtresse… Nous avions également le cas de parents qui poursuivent aujourd’hui encore le télétravail et nous ont clairement expliqué qu’ils ne souhaitaient pas faire prendre un risque à leurs enfants et donc que ces derniers ne reviendraient pas quelles que soient les conditions et le protocole à respecter.

Et vous, étiez-vous inquiète pour vous-même à l’idée d’une réouverture le 12 mai ?

On a encore l’utopie de se dire que l’on est dans un petit village qui n’a connu que très peu de cas de personnes infectées par le virus. Au niveau sanitaire, je n’étais pas inquiète pour moi mais sur le respect des gestes barrières pour les enfants et ce que cela impliquait de leur faire « subir » en les réintégrant à l’école dans de telles conditions. Il faut comprendre que les enfants allaient revenir à l’école, trop contents de revoir les copains et la maîtresse. On a des enfants de trois ans qui, quand ils nous voient, nous sautent dans les bras. Là, on allait être obligées de leur dire : « Non, ce n’est pas possible ! ». C’est d’ailleurs la question qui a été posée au ministre. « Que fait-on avec un enfant de trois ans qui pleure ? Allons-nous le consoler ou pas ? » Le ministre a alors bafouillé que c’était une question de bon sens. Il a botté en touche sans répondre à la question. On est confronté à ces problématiques tous les jours ; c’est l’essence même de notre travail. Devoir rassurer, aider, mettre la main sur l’épaule d’un enfant pour le calmer… Ne plus pouvoir faire cela était très inquiétant pour nous. Comment gérer une cour de récréation sans interaction car on ne peut pas désinfecter le coin jeux après le passage de chaque enfant ? Comment gérer nos élèves dans ces conditions particulières ? C’était une vraie pression psychologique à gérer et qui ne répond en rien à un accueil scolaire comme il se doit de l’être. Bâcher les coins jeux, mettre un seul enfant ou deux par classe sans jouer avec le copain, c’est quand même de l’inhumanité et l’inverse de ce que doit être l’école.

Aujourd’hui, comme vous l’évoquiez, on voit bien que le gouvernement a tenté au maximum d’ouvrir les écoles pour les plus petits afin que les parents puissent reprendre le chemin du travail et relancer une économie à l’arrêt. On entre un peu dans le dilemme économie ou santé ?!

Les parents nous disent effectivement que ce volontariat des familles de remettre ou non leur enfant à l’école est très angoissant. Cela veut dire : « On nous laisse le choix donc c’est à nous de prendre la décision de faire reprendre à nos enfants le chemin de l’école au risque de leur santé ou ne pas aller travailler et peut-être perdre son emploi. » C’est très anxiogène. Si le choix est laissé par le ministère, c’est que, potentiellement, il est dangereux de remettre son enfant à l’école. Ce virus va circuler des semaines, voire des mois et peut-être qu’on aura encore dans un an la même problématique. On peut ne pas vivre sous cloche.

Savez-vous quand le maire décidera d’ouvrir à nouveau votre école ?

Le maire nous expliqué que si le protocole sanitaire demandé aux mairies restait le même, l’école n’ouvrirait pas avant septembre. Mais, là encore, si le virus est toujours présent, la question se posera de la même manière. Elle sera même plus complexe pour nous, école maternelle. Aujourd’hui, les familles font encore le choix de mettre ou pas leur enfant à l’école car certains parents peuvent télétravailler et assurer l’école à distance, mais en septembre ils n’auront plus de solution. Il faudra bien alors que toutes les écoles ouvrent. On sait parfaitement qu’il faut rassurer un enfant le jour de la rentrée, surtout en première année de maternelle et, s’il faut continuer à respecter des gestes barrières, comment ferons-nous ? Cette rentrée du mois de septembre est sans aucun doute plus stressante encore que celle d’aujourd’hui, pour laquelle les parents trouvent des solutions.

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