Société

Christophe Robert, fondation Abbé Pierre

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EntretienCréée en 1988, la fondation Abbé Pierre, lutte depuis plus de vingt ans contre le « mal logement » et sensibilise le grand public sur cette crise devenue un phénomène de société. Sociologue de formation et aujourd’hui délégué général adjoint de la fondation, Christophe Robert œuvre chaque jour pour tenter d’apporter des réponses concrètes à cette situation alarmante qui touche de plus en plus de personnes.


« Lorsque je vois la décision de démonter des camps au nom de la loi alors que, dans le même temps, on ne pousse pas certaines villes à respecter les 20 % de logements sociaux, je me dis qu’il y a malheureusement un double traitement des textes. »

Quelles sont les principales actions de la fondation ?

La fondation a trois missions principales : à partir de dons qu’elle recueille, elle finance le secteur associatif qui intervient auprès des gens en difficulté de logement. Deuxièmement, notre rôle est d’apporter des réponses adaptées par rapport à la question d’exclusion, ceci afin de montrer que l’on peut trouver des réponses concrètes à ce grave problème. Enfin, nous tentons de sensibiliser au maximum les personnes sur le mal logement et ses conséquences désastreuses. L’idée de départ de l’abbé Pierre était non seulement de venir en aide aux mal logés, mais également de comprendre les processus d’exclusion afin de pouvoir les endiguer.

Qui sont les mécènes de la fondation ?

Ce sont principalement des personnes privées, des individus qui font de petits dons et qui, chaque année, soutiennent notre action. Il y a également quelques financements de mécénats, mais c’est loin d’être la majorité.

L’abbé Pierre disait : « La misère est muette, le pouvoir est aveugle ». Pensez-vous que cette cécité des politiques face aux plus démunis soit le symbole d’une société à deux vitesses ?

On sait que le mal logement s’étend et que l’intérêt politique n’est pas à la hauteur de ce que provoque cette situation. Sensibiliser l’opinion en relayant le message par le biais de personnes est pour nous essentiel comme nous l’avons fait dernièrement avec le carton rouge distribué par Éric Cantona (voir la vidéo à la fin de l’article). On constate qu’il y a un décalage très fort entre ce que vivent les plus faibles et la décision politique. Les tentatives de réponses des pouvoirs publics reposent sur des principes qui ne fonctionnent plus aujourd’hui. Résultat, le fossé entre ce qui se passe et les actions gouvernementales est de plus en plus grand. Il va falloir beaucoup de travail et d’abnégation pour le combler. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a aujourd’hui 3,5 millions de mal logés dans notre pays et que cette situation est inacceptable. Nombre de personnes travaillent et, pourtant, elles n’arrivent pas à trouver un logement digne de ce nom !

Quelles seraient selon vous les mesures concrètes que devrait prendre le gouvernement pour tenter d’endiguer cette crise du logement ?

Dans un premier temps, il faudrait construire car il manque 800 000 logements en France. Mais attention, lorsque je dis construire, j’entends bâtir des logements avec des loyers qui correspondent à ce que touchent nos concitoyens. Deuxièmement, il convient de relancer une politique foncière digne de ce nom, par exemple par le biais d’un programme qui prévoit dans toute opération immobilière 25 % de logements à loyers accessibles. C’est quelque chose qui fonctionne déjà dans certaines communes, mais qu’il faut étendre. Les logements sociaux ne doivent plus être regroupés en banlieue, loin de tout, mais intégrés au cœur des programmes de construction afin d’entrer dans un registre de prévention d’exclusion par le logement. Il est totalement contre-productif de ne pas agir dans le domaine du logement car, sans habitation, aucune intégration n’est possible !

Certaines villes préfèrent payer des amendes plutôt que de respecter les quotas concernant les logements sociaux. Cela vous inspire quoi ?

Depuis 2000, il est de la responsabilité de l’Etat de faire appliquer la loi. (La loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, couramment appelée loi SRU, est un texte qui a modifié en profondeur le droit de l’urbanisme et du logement en France. Adoptée sous le gouvernement de Lionel Jospin , elle a été publiée au Journal officiel du 14 décembre 2000. Son article le plus notoire est l’article 55, qui impose aux villes de disposer d’au moins 20 % de logements sociaux.) Il y a aujourd’hui en France 300 communes qui n’appliquent pas la loi, c’est insupportable. La loi SRU demandait de respecter 20 % de logements sociaux en 20 ans, ce qui est très faible ! Il n’y a aucune raison pour que des collectivités ne contribuent pas à cet effort, c’est d’un égoïsme intolérable ! La loi permet initialement au préfet de se substituer à la commune défaillante et c’est ce que nous engageons les pouvoirs publics à faire. Il y a une réelle efficacité de cette loi qui n’est pas à remettre en cause, mais il y a hélas des mauvais élèves et c’est là que nous appelons à une intervention forte de l’Etat. Lorsque je vois la décision de démonter des camps au nom de la loi alors que, dans le même temps, on ne pousse pas certaines villes à respecter les 20 % de logements sociaux, je me dis qu’il y a malheureusement un double traitement des textes.

Pouvez-vous nous parler des boutiques solidarité ?

Ce sont des lieux d’accueils de jour pour les personnes à la rue. L’idée est de créer des espaces accueillants où la personne peut prendre une douche, un café, recevoir des conseils santé, disposer d’une bagagerie… Aujourd’hui la fondation gère quatre boutiques solidarité à proprement parler, mais s’occupe également d’un vaste réseau à travers toute la France.

On parle de 10 millions de personnes touchées par la crise du logement. Le simple fait de pouvoir se loger serait-il devenu un luxe ?

Ce ne sont pas 10 millions à proprement parler ! Il y a dans notre pays 3,5 millions de personnes mal logées (surpeuplement, absence de toit…) et 6,5 millions qui sont dans une situation fragile face au logement et qui, hélas, peuvent basculer du jour au lendemain. Cela fait bien entendu trop de monde et on peut donc effectivement parler d’un réel problème de société. Les prix de l’immobilier ont doublé en 10 ans. Les loyers, eux, ont augmenté de 50 % et les charges de 20 %. On se trouve face à une totale déconnexion entre le coût du logement et les revenus des personnes. Alors oui, le logement devient un luxe dans notre société et est aujourd’hui le premier poste de dépense des ménages. La classe moyenne inférieure, auparavant protégée par cette crise, est aussi confrontée à ces difficultés de logements dont on ne mesure hélas pas encore toutes les conséquences. La moitié des Français gagne en effet moins de 1 500 euros par mois alors que, dans certaines villes, il est bien difficile pour une famille de se loger à moins de 1 000 euros.

Pensez-vous que le marché locatif profite de la « misère » ?

Le manque de logement produit cette hausse et, clairement, on ne maîtrise plus rien en dehors du logement social. On dit qu’il ne faut pas consacrer plus de 25 % au logement, ce qui voudrait dire qu’une personne gagnant 1 500 euros ne devrait pas débourser plus de 370 euros pour se loger. C’est simplement impossible ! Alors, chacun se débrouille comme il peut, mais tout cela se fait en silence. Le gouvernement parle beaucoup de l’emploi surtout en période électorale, mais peu du logement au cœur d’un marché qui est devenu complètement fou et incontrôlable. Le prix du m2 est aujourd’hui de 7 500 euros en moyenne à Paris ce qui entraîne indubitablement un élargissement de la crise à de nouvelles catégories de la population.

On voit hélas fleurir de plus en plus d’abris de fortune, sous les ponts, au bord du périphérique parisien… Pensez-vous que cette augmentation de logements précaires va aller croissant ?

C’est le cas ! Sans une vraie politique du logement offensive avec des loyers accessibles et qui s’inscrit dans la durée, on va voir se développer toute cette forme de « non logement » ou de « mal logement » que, chez nous, nous appelons « la zone grise ». Je ne sais pas ce que sera la situation dans 10 ans, mais sans un réel sursaut, nous allons droit dans le mur ! Des propriétaires qui louent des boxes à chevaux, des caves ou encore des parkings, cela vous inspire quoi ? C’est l’horreur ! Ces marchands de sommeil profitent de la misère en se servant d’un marché qui a perdu la tête. On nous a même signalés des dessous d’escaliers qui avaient été fermés pour installer une personne. Jusqu’où irons-nous ? Nous sommes là dans une utilisation pyramidale de la misère et sans une action profonde et forte de l’état, ce type d’aberration ne fera que se développer.


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

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