Société

Franck Hériot, enquête sur la dérive de Mohammed Merah

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Entretien« – C’est pas la mort qui me fait peur, sinon j’aurais pas fait tout ça. – Tu nous avais donné ta parole que tu allais te rendre. J’ai dit ça pour reprendre de l’énergie, pour être prêt à un éventuel affrontement. Je n’ai pas dormi depuis que je suis rentré chez moi. Je n’ai pas peur de mourir, je suis un moudjahiddin, hamdou’llah. » Voici un extrait du dialogue entre le forcené retranché dans son appartement de Toulouse, Mohammed Merah, et le négociateur du RAID. Dans leur ouvrage « Vous aimez la vie, j’aime la mort, enquête sur la dérive de Mohammed », Franck Hériot et Jean-Manuel Escarnot plonge dans l’univers du tueur froid et déterminé qui a plongé la France entière dans l’émoi. Pour Agents d’Entretiens, Franck Hériot revient sur les dramatiques évènements de ce mois de mars 2012 afin de tenter de comprendre comment un petit délinquant a revêtu l’habit de l’ennemi public numéro 1.


« Des Muriel Degauque, il y en aura d’autres. Et des Richard Reid, des Mohammed Atta, des Mohammed Merah. Ils sont déjà là. »

Comment un petit délinquant comme Mohammed Merah a-t-il pu se transformer aussi rapidement en un tueur froid et fanatique ?

Rapidement n’est pas le mot. Il s’agit d’une lente maturation jusqu’au « déclic » qui l’a fait basculer. En l’occurrence, le déclic peut-être le refus qu’il essuie quand il veut s’engager dans l’armée, à cause de son casier judiciaire. C’est un gamin sans repères (père absent, mère dépassée sans autorité) livré longtemps à lui-même et qui va trouver dans la religion ce qui lui manquait dans sa vie sociale et familiale. Professionnellement, scolairement, il subit des échecs qui vont probablement créer chez lui de l’amertume, du ressentiment, avant que ne s’installe quelque chose qui ressemble à de la haine envers tous ceux qu’il rend « responsables » de sa situation… Et les « frères » sont venus parfaire le travail pour en faire un des leurs.

Son frère, qui est aujourd’hui en prison, a-t-il poussé Mohammed Merah vers un islam radical ?

Il a certainement joué un rôle dans sa formation idéologique. Impossible de dire s’il en a joué un dans les assassinats. Au stade de l’enquête rien ne le laisse supposer. De tous les voyages qu’il a effectué, celui du Caire (mis à part l’Afghanistan) nous semble le plus intéressant de ce point de vue : il y retrouve son frère dans une école coranique salafiste. On peut penser qu’il y a suivi quelques « cours ». En outre, Mohammed Merah a été très lié aux relations islamistes de son frère. Nous avons pu établir que son mariage (qui n’a duré que 15 jours ) a été célébré par un « imam » connu pour être un salafiste convaincu, le même que celui qui a officié à ses funérailles, le même qui avait remarié la mère de Mohammed et Abdelkader Merah !

Comment expliquer que Mohammed Merah qui est parti a deux reprises en Afghanistan pour y suivre un entraînement « militaire » n’ait pas été plus surveillé par l’antiterrorisme ?

Il avait été repéré par la DRRI de Toulouse (Direction régionale du renseignement intérieur/ ex RG), et même surveillé. Il semble qu’il y ait eu un « dysfonctionnement » à son retour d’Afghanistan, quand un agent de la DCRI de Paris, une femme arabisante, a voulu récupérer le dossier qui aurait alors échappé à l’officier toulousain qui le traitait depuis le début. Était-ce pour infiltrer Mohammed Merah dans des réseaux terroristes ? Probablement. Vu de Paris le cas Merah et ses éventuelles dérives étaient probablement moins… visibles. D’où le défaut d’analyse.

La prison a-t-elle été pour Mohammed Merah un endroit d’endoctrinement à l’islamisme radical ?

Lors de son deuxième séjour, sans aucun doute. Il supporte mal l’incarcération, tente de se suicider (une vraie tentative nous a confirmé un surveillant) et entre en relation avec des barbus à ce moment-là. C’est aussi et surtout à ce moment-là qu’il s’est juré de ne plus jamais remettre les pieds dans une prison.

Au-delà du cas Merah, pensez-vous qu’aujourd’hui, les prisons françaises soient un vecteur particulièrement usité par les islamistes radicaux ?

Les directeurs de prison, les surveillants de prison, peuvent le constater tous les jours. C’est un vrai problème. La religion – en tout cas celle qu’on leur présente – leur permet d’espérer, d’avoir une autre vision de leur propre avenir, d’intégrer une communauté qui remplace la famille qu’ils n’ont pas eu.

Pensez-vous que dès le départ des négociations avec le RAID, Mohammed Merah était décidé à aller jusqu’au bout, jusqu’à la mort ?

Je peux d’autant l’affirmer que j’ai eu accès à certains enregistrements, notamment le dernier. C’est un homme posé, décidé, déterminé, sans un mot plus haut que l’autre, qui parle. Son discours est structuré, son vocabulaire choisi. Il dit même à la fin : « Je veux mourir les armes à la main. Sinon pourquoi j’aurais fait tout ça ? »

Comment expliquer que les amis proches de Merah n’aient pas vu venir sa transformation vers une radicalisation de ses idées ?

Les témoignages que nous avons recueillis dans la cité des Izards où il a grandi prouvent au contraire que ses copains ou amis voyaient en lui quelqu’un de violent, incontrôlable, « à la limite du pétage de plomb ». Trois jours avant le premier assassinat, il exhibait ses armes dans le coffre de sa voiture, ce qui lui avait valu « une remontée de brettelles » de la part de son frère !

D’après les éléments de l’enquête auxquels vous avez pu avoir accès, les adresses IP des ordinateurs utilisés, le scooter, les écoutes téléphoniques… Tout cela aurait-il pu conduire plus rapidement à Mohammed Merah et éviter l’horreur perpétrée dans l’école juive de Toulouse ?

L’enquête PJ a été au contraire d’une rapidité étonnante : moins d’une semaine pour l’identifier ! Comme le dit un policier : « il a fallu quatre ans pour arrêter Guy Georges le tueur de l’est parisien. » Tout le monde s’accorde au moins sur ce point. La PJ a fait un travail incroyable en mobilisant un maximum de policier. Nous racontons d’ailleurs cette enquête express dans le détail.

L’affaire Merah s’est déroulée quelques mois avant l’élection présidentielle, Claude Guéant, ministre de Intérieur, se chargeant lui-même de faire l’attaché de presse des événements. Peut-on dire que le traitement du drame a été quelque peu orchestré par le gouvernement ?

Je laisse répondre les commentateurs politiques… Néanmoins, du point de vue judiciaire, rien ne l’interdisait d’autant que les procureurs de Toulouse et Paris étaient eux-mêmes présents.

Merah a-t-il agi seul et est-il le premier cas d’un « nouveau » terrorisme incontrôlable ?

Je vous renvoie à la fin de mon livre. En France c’est la première fois. Par ailleurs, j’évoque les kamikazes connus comme Muriel Degauque, une femme convertie de 38 ans de nationalité Belge qui s’est faite exploser en Irak. Nous écrivons : « Des Muriel Degauque, il y en aura d’autres. Et des Richard Reid, des Mohammed Atta, des Mohammed Merah. Ils sont déjà là. » Et le travail de renseignement va consister essentiellement à repérer ce type d’individus et pas seulement en surveillant les mosquées…


Paul Booth, encre macabre
Frédéric Sedel, neurologue

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