Musique

Yoann Le Nevé, cofondateur du Hellfest

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EntretienÀ moins que vous n’ayez un goût prononcé pour les châteaux médiévaux ou que le métal ne coule en perfusion dans vos veines depuis la plus tendre enfance, peu de chance que vous connaissiez Clisson, ce village d’un peu plus de 6 500 âmes situé en Loire-Atlantique. Et pourtant, une fois par an,depuis 2006, l’irréductible village gaulois se transforme en véritable mecque du métal, accueillant plus de 100 groupes sur 6 scènes différentes et 100 000 festivaliers en furie pour trois jours de ripailles et d’explosion du conduit auditif. Black, Death, Doom, Funeral, Hardcore, Metal mélodique, Glam ou encore Stoner, tous les genres sont ici représentés entre grosses pointures et groupes underground ou en devenir. Yoann Le Nevé, cofondateur du Hellfest, nous révèle l’enfer du décor… À vos fourches !


” Les politiques peuvent continuer à nous cracher dessus,
cela ne les empêche pourtant pas de demander des places gratuites pour leurs gamins !”

Faire naître un gigantesque festival de métal à Clisson, en Loire-Atlantique, était, sur le papier, un pari risqué. Comment expliquer qu’aujourd’hui le festival soit un véritable succès, une référence mondiale ?

La musique métal était un genre délaissé sur le territoire français, comme toutes les musiques extrêmes d’ailleurs. Ben (Benjamin Barbaud, cofondateur du Hellfest, ndr) est un grand fan de hardcore et, au départ, il avait lancé l’idée du Furyfest, un festival qui se déroulait sur une seule journée avec sept ou huit groupes de référence en matière de hardcore. Grâce au succès rencontré la première année, en 2002, le festival a tout naturellement évolué vers un endroit plus grand et mieux adapté. Il a donc eu lieu en 2003 à Rezé. À partir de 2004, nous sommes parvenus à faire venir des groupes de renom tels que Slipknot, Soulfly ou Fear Factory par exemple. Le festival prenant au fil des années de plus en plus d’ampleur, nous avons fini sur deux jours au Parc des expositions du Mans. La structure était lourde et Ben et moi avons décidé de nous focaliser sur l’organisation, laissant les rênes financières de l’événement à des personnes que l’on pensait professionnelles. Malheureusement, il s’agissait d’escrocs qui, en un an, ont coulé le festival et tout le travail que nous avions effectué au fil des années.

La transition entre le Furyfest et le Hellfest a donc été obligatoire pour des raisons purement financières au départ !

Oui ! Nous avons dû tout reprendre à zéro et monter de A à Z un festival en l’espace d’une année. Bien sûr, nous bénéficiions des contacts accumulés lors des Furyfest. Internet a également modifié la donne en permettant de joindre les groupes, les managers ou les tourneurs directement. La notoriété, elle, s’est faite petit à petit. Lorsque tu parviens à faire venir sur scène Slayer comme ce fut le cas, tu franchis un échelon et les autres groupes sont forcément plus faciles à convaincre. Nous avons démarré le Hellfest avec 20 000 spectateurs pour, aujourd’hui, être le troisième plus gros festival musical français tous genres confondus avec 115 000 spectateurs sur trois jours. Mais il faut comprendre que le Hellfest ne doit pas sa notoriété qu’aux groupes qui y participent. Ici, les festivaliers viennent chercher un univers, une atmosphère qui transpire le métal. Dans une ambiance toujours bon enfant, les passionnés viennent écouter, partager, échanger et faire la fête pendant trois jours dans un environnement qui leur est à 100 % dédié. Décoration, exposition, illumination, projection… Nous avons fait le choix de nous démarquer, de privilégier le public et les gens apprécient réellement cet état d’esprit du Hellfest. Nous avons appris de nos erreurs passées et, aujourd’hui, Ben et moi nous occupons de tout, de la déco à la compta en passant par le choix de la programmation. Cela peut paraître quelque peu dictatorial de ne pas accepter d’autres personnes au sein de notre association, mais nous sommes maîtres de notre destin, libres et on constate que cette politique a porté ses fruits.

Comment se prépare un Hellfest d’une année sur l’autre ? Êtes-vous déjà en train de travailler sur l’édition 2014 par exemple ?

Concernant la programmation, Ben a effectivement déjà des noms en ligne de mire pour l’édition 2014. En fonction de l’actualité, des tournées, des groupes qui explosent… Nous sommes obligés d’anticiper plus d’un an à l’avance les potentielles têtes d’affiche. Pour le reste de l’équipe qui gère plus l’exécutif, on ne peut guère se projeter. Le débriefing du festival a lieu dès que tout est démonté. Là, on fait le point sur ce qui a bien fonctionné, les choses à améliorer pour l’édition suivante et on repart au travail !

De quel budget disposez-vous pour cette édition 2013 ?

Environ 8 millions d’euros dont moins de 1 % de subvention.

Accusation de satanisme, collectif qui tente de faire annuler le festival pour la sauvegarde de l’ordre public, jeunes indépendants qui réclament l’arrêt des subventions publiques allouées au festival, Christine Boutin qui, dans une lettre ouverte, demande au PDG de Kronenbourg de cesse de financer le festival… Comment avez-vous géré ces bâtons dans les roues et que rétorquez-vous aux politiques qui dénigrent le festival ?

Toutes ces accusations, ces idées reçues sur le Hellfest n’ont été qu’un grain de sable dans la chaussure. Comme je te le disais, la recette du Hellfest, ce sont les festivaliers et non les subventions. Nous travaillons pour satisfaire celles et ceux qui nous rendent visite et, visiblement, ça fonctionne. Si la musique est considérée comme de la culture, il semblerait que le métal n’en fasse pas partie. Les politiques peuvent donc continuer à nous cracher dessus, cela ne les empêche pourtant pas de demander des places gratuites pour leurs gamins. Malgré les plus de 100 000 festivaliers sur trois jours, je tiens à signaler qu’il n’y a jamais eu d’incidents notables, de dégradations en ville, même si beaucoup de politiques le regrettent, ce qui apporterait de l’eau à leur moulin.

Le public métal a souvent mauvaise réputation. Comment expliquer ce décalage entre l’image véhiculée et un festival qui se déroule sans heurts et dans une ambiance très bon enfant ?

Ceci est lié à l’image qui va de concert avec le métal. On pense, à tort, que tous ceux qui écoutent du métal sont des satanistes, des extrémistes qui se nourrissent de sang en ne sortant que la nuit. Les festivaliers sont des agneaux déguisés en loup et non l’inverse. Un universitaire s’est penché sur le public du Hellfest et il en ressort que ce sont des personnes ouvertes d’esprit, intelligentes avec souvent un haut niveau d’études. Nous sommes loin de l’image ridicule du vampire assoiffé de sang ! Sortir du lot par le biais de sa tenue vestimentaire et son look, évacuer une violence inhérente à toute personne en s’abreuvant les tympans d’une musique extrême ne vous transforme pas pour autant en monstre.

Le député-maire de Denain, Patrick Roy, a toujours milité pour la défense du Hellfest. Quelle image gardez-vous de cet homme politique disparu prématurément ?

Patrick Roy a été la première voix qui s’est élevée pour défendre le festival et la musique métal dans son ensemble. Lorsque je l’ai rencontré, j’ai compris que son discours n’était pas de la démagogie comme chez beaucoup de politiciens. Il avait une vraie passion, des convictions musicales comme le prouvent les Metallurgicales, ce festival dont il est à l’origine et qui existe encore aujourd’hui. Patrick Roy avait le mérite d’avoir un discours direct et vrai qui dénote avec ce que les femmes et hommes politiques hexagonaux nous servent à longueur de temps. On l’a reçu une année au festival et je me souviens que c’était l’émeute. Tout le monde souhaitait être pris en photo avec l’homme à la veste rouge. Il était encore plus populaire que les groupes sur scène !

Comment s’opère la sélection des groupes participant au Hellfest ?

C’est assez arbitraire en fait. Nous élaborons une liste idéale en fonction de l’actu, du fait que certains groupes « mythiques » ne sont pas venus en France depuis des lustres… Nous nous tenons informés des sorties d’album, nous lisons la presse spécialisée et nous sommes en contact avec pas mal de tourneurs. À partir de cela, nous tentons de mettre peu à peu en place une liste de groupes en respectant une certaine égalité entre les différents sous-genres musicaux du métal.

Respectez-vous un quota concernant les groupes hexagonaux ?

Non, pas vraiment ! Notre vocation n’est pas de faire découvrir des groupes français qui tournent deux ou trois fois dans l’année et que tout le monde peut voir en concert. Le but du festival est d’être à vocation internationale. Nous nous plaçons donc dans la peau de celles et ceux qui viennent au Hellfest afin de faire notre sélection. C’est plus notre cœur qui parle qu’une quelconque question de quotas.

Peut-on espérer voir un jour Tool sur la scène du Hellfest ?

On le souhaite sérieusement, mais hélas tout ne dépend pas que de nous ! Il faut que le groupe soit disponible au mois de juin et donc, qu’il n’ait pas de tournée française prévue en juillet ou en août. On doit également faire face au fait que certains groupes ne souhaitent pas faire partie d’un festival catalogué métal à 100 %. Nous avions presque réussi à faire venir Prodigy une année et puis, à la dernière minute, le Dj a fait marche arrière. Cela a également été le cas pour Nine Inch Nails ou Rammstein qui préfèrent se produire désormais dans des festivals multigenres comme les Solidays ou les Veilles Charrues. Mais nous y travaillons. Aujourd’hui, le seul groupe impossible à faire venir au Hellfest, c’est Metallica. Beaucoup de festivaliers nous demandent Iron Maiden et même si le projet reste en suspens, je pense que nous y parviendrons un jour !

Depuis 2006, si vous deviez retenir trois performances scéniques qui vous ont marquées, ce serait…

Durant les trois jours du festival, rares sont les groupes que j’ai l’opportunité de voir sur scène tant l’emploi du temps est chargé. Disons que, sur ce que j’ai pu voir au fil des années, si je devais choisir trois prestations, je commencerais par celle de Neurosis en 2007. Ils sont passés le dimanche soir, à la toute fin du festival. Le temps était horrible et le public transi de froid, de fatigue. Lorsque le chanteur s’est mis à hurler « To the wind » et que le déluge a redoublé d’intensité, il y avait un truc mystique là-dedans. La prestation du groupe était en tous points habitée et l’émotion qui rejaillissait sur le public était d’une intensité rare. En deux, je citerais la prestation de Refused l’année dernière. Ces mecs qui font partie des références en matière de punk hardcore avaient quelques dissensions au sein du groupe. Après un break, ils ont décidé de remettre exceptionnellement le couvert pour quelques dates dont le Hellfest. Tout le monde craignait que leur prestation soit emplie d’électricité et ne tourne au chaos. Étonnement, cela a été tout le contraire. On sentait bien que le quintet était heureux d’être ensemble, de jouer, de partager un moment en communion avec le public venu en masse les voir. C’était vraiment magique ! Enfin, j’ai un penchant très net pour The Dwarves, ce combo punk de Chicago qui s’est tourné vers le hardcore. Ils ont fait venir des chanteuses sur scène, un truc improbable et complètement incroyable qui a transcendé le public. En plus, comme je les adore, ils ont eu la gentillesse de me donner un slip avec leurs poils pubiens à l’intérieur. Classe non ?


Paul Booth, encre macabre
Frédéric Sedel, neurologue

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