Gastronomie

Marc de Passorio, la Provence étoilée

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Marc de Pasorio

Entretien Depuis 2008, c’est au cœur de la Provence, au Vallon de Valrugues, que le chef Marc de Passorio fait partager son amour de la grande cuisine à des hôtes conquis. Dans ce lieu d’exception qui regroupe pas moins d’un hôtel luxueux, un spa, un restaurant gastronomique étoilé et un bistrot, le chef, amiral de l’imposant navire, veille au moindre détail dans cet univers où l’à-peu-près est exclu. Amoureux des produits du terroir méridional, Marc de Passorio entretient une relation amicale avec ceux qui lui fournissent, chaque jour, ce qui constitue la pierre angulaire de ces mets inventifs et gorgés de soleil. Visite dans le fief de Nostradamus, à Saint-Rémy de Provence !


« Le verdict provient plus du client que du petit livre rouge ! »

La plupart des grands chefs évoquent une émotion culinaire liée à l’enfance, facteur déclencheur de cette vie dédiée à la cuisine. Et vous, quel a été le point de départ ?

Regarder ma grand-mère et mon grand-père cuisiner a bien évidemment contribué à ce désir de passer derrière les fourneaux, mais je définirais cela plus comme un élément confirmateur que déclencheur. Mes grands-parents vivaient dans le Gers, une terre où la bonne chère est souvent au cœur des débats. J’aimais beaucoup m’asseoir dans la cuisine et regarder ma grand-mère éplucher les oignons, assaisonner la salade, cuire la viande… Tout cela avait pour moi quelque chose de magique. Mes cousins, eux, préféraient bien entendu taper la balle dans le jardin ! En Corse, chez le papé, je me levais à l’aube tous les matins pour me rendre avec lui au four à bois du village afin d’y cuire le pain. À sept ans, j’avais d’ailleurs créé ma propre recette de pain. J’avais la cuisine dans le sang !

Naissance au Cameroun, études à La Réunion, chef à Moscou… Cette facette cosmopolite transpire-t-elle aujourd’hui dans votre inspiration culinaire ?

Je pense avoir, au fil du temps, donné naissance à une cuisine qui m’est propre. J’aime la liberté qu’apporte ce métier en fonction de son inspiration du moment. La Réunion m’a permis de découvrir des bulbes de fruits qu’aujourd’hui encore, j’incorpore à certains de mes plats. Mais je dois avouer avoir un faible pour les produits de proximité locale. Disons que ma cuisine a donc un côté exotico-méridional assez prononcé.

Comment se retrouve-t-on chef pour Vladimir Poutine afin de concocter un repas de Noël au Kremlin ?

À l’époque, j’étais chef de cuisine au relais et châteaux de Marçay à Chinon. Un couple russe est venu, au départ pour deux ou trois jours et, en définitive, ils y ont presque passé deux semaines. À chaque repas, je devais leur créer des plats originaux, hors carte. À la fin du séjour, ils m’ont simplement demandé si réaliser un repas de Noël au Kremlin pour Vladimir Poutine m’intéressait. Le challenge était de taille et je l’ai accepté ! Je me suis donc occupé du dîner organisé pour les trois cents convives le soir du réveillon 2004. Aujourd’hui encore, trois ou quatre fois par an, je retourne en Russie grâce à mon visa à l’année afin de réaliser un repas pour le président russe.

Ce retour en terre provençale, au Vallon de Valrugues, vous a permis de faire appel à des producteurs qui sont des amis depuis votre plus tendre enfance. Cette relation privilégiée entre ceux qui vous fournissent la matière première et vous-même est-elle un plus indéniable pour votre cuisine ?

Aujourd’hui, ce sont les enfants de celles et ceux que le papé m’avait présentés lorsque j’étais gamin qui ont repris les exploitations. Il y a donc un vrai rapport d’amitié et de confiance entre nous. Ils me conseillent sur les produits car ils connaissent sur le bout des doigts ce qui pousse sur leurs terres. Tout comme moi, ce sont des passionnés ! Dans mon restaurant, vous ne trouverez certainement pas de tomates ou de fraises au mois de janvier ou encore des coquilles saint-jacques en plein mois d’août. Je suis très attaché au produit, à ce qui est l’essence même du plat et donc, cela passe par un amour du beau produit, du bon produit en respectant les saisons. Chaque jour, mes journées débutent vers cinq ou six heures du matin. Je commence par rendre visite à un ou deux producteurs afin de discuter, voir le fruit ou le légume, le toucher, le palper, le humer, le goûter. C’est essentiel ! Mes amis producteurs n’hésitent d’ailleurs pas à me conseiller au regard de ma carte car ils goûtent eux-mêmes tout ce qui est issu de leurs exploitations. « L’asperge est sublime en ce moment, il faut que tu la travailles ! » Les idées ne manquent pas. C’est une confiance respective indispensable dans ce métier où l’excellence prime.

Que ce soit avec vos producteurs ou encore avec celles et ceux qui vous accompagnent en cuisine, la confiance est-elle l’élément essentiel dans votre secteur d’activité ?

Pour mes producteurs oui ! Pour le reste, disons que j’ai une confiance contrôlée car, avec le temps, on se rend compte que les choses dévient vite. Comme, dans ce métier, le moindre faux pas se paye cash, je contrôle tout de A à Z, ce qui explique mon rythme de travail de sept jours sur sept.

De Vinci disait « La simplicité est la sophistication suprême ». Peut-on appliquer cette citation à la grande cuisine ?

Ma devise, et je la répète constamment à celles et ceux qui m’entourent, est : « Le plus dur, c’est de rester simple ! » Ne pas s’éloigner du produit lui-même, ne pas en tuer le goût tout en le magnifiant, tel et le secret de la grande cuisine.

La tomate est l’un de vos ingrédients de prédilection. Pouvez-vous nous expliquer cette passion pour ce fruit typiquement méditerranéen ?

La tomate est un mets magnifique. Il en existe une quarantaine de sortes avec toutes les variantes, de la plus acide à la plus sucrée. Vous y ajoutez simplement un filet d’huile d’olive, un peu de fleur de sel, une bonne tranche de pain de campagne et les cigales font le reste. C’est un fruit qui respire le soleil et que j’aime utiliser dans nombre de mes plats, que ce soit en confit, en salé ou en sucré. À quatre heures, à la sortie de l’école, il arrive souvent que je remplace la pomme par la tomate dans laquelle mes enfants adorent croquer au goûter. La tomate est un vrai bonbon au même titre que le petit pois par exemple.

Dans la haute gastronomie, vins et mets sont intimement liés. Le sommelier est-il une pierre angulaire de l’édifice lorsque l’on parle de grande cuisine ?

Tout à fait ! Le sommelier de l’établissement connaît la carte par cœur et il goûte tous les plats afin de trouver l’équation parfaite entre mets et vin. Tous les jours, nous faisons ensemble des dégustations afin de nous interroger sur des nouvelles combinaisons possibles entre un plat et un vin. Même si nous laissons une totale liberté au client, nous proposons un repas où chaque plat est accompagné d’un verre de vin que le sommelier a sélectionné. Cela permet, s’il était nécessaire, de démontrer à quel point un mariage parfait entre le vin et le plat peut sublimer les papilles. Nombre des vignerons que je connais me disent que le choix du vin est le faire-valoir d’un plat réussi, et je partage leur opinion.

Vous êtes aujourd’hui un chef étoilé. Lorsque l’on obtient si rapidement une telle reconnaissance, la seconde puis la troisième étoile deviennent-elles des Graals à conquérir ?

Si l’étoile Michelin est un plus, je préfère une salle pleine et des clients heureux lorsqu’ils sortent de table plutôt qu’une récompense de mes pairs. Je connais, dans la région, de merveilleux restaurants qui vous proposent pour un prix très abordable une cuisine inventive, raffinée, pleine d’amour et de goût sans pour autant avoir d’étoile. Le verdict provient plus du client que du petit livre rouge !

Quel regard portez-vous sur cette frénésie culinaire actuelle qui transforme la gastronomie en show télévisuel ?

Comment vous le soulignez, c’est un show, une chose mise en scène et qui, donc, ne reflète pas ce qu’est la réalité des cuisines. On vous dit qu’il reste deux minutes pour achever un plat alors que tout cuisinier un peu chevronné sait qu’il en faut au moins trente ! On ment aux téléspectateurs, on biaise leur point de vue ce qui les rend encore plus exigeants lorsqu’ils viennent au restaurant. Sur le petit écran, on réalise des choses qui sont tout bonnement impossibles pour cent vingt couverts. J’ai animé pendant un an une émission culinaire sur une chaîne de télé russe, mais c’était du direct, de la réalité, pas de la mise en scène. Tous ces concours font perdre la vraie valeur de la cuisine. Nous sommes allés trop loin !

Hôtel, spa, restaurant gastronomique, bistrot… Comment faites-vous pour garder un œil avisé sur toutes les facettes de votre activité ?

J’aime ça ! Je suis un passionné et je ne sais faire que ça. Alors, je me donne à 200 % car ce métier que j’ai toujours voulu exercer, c’est toute ma vie.

Faire fonctionner un tel navire est-il un challenge de tous les instants où l’à-peu- près est interdit ?

Même si nous ne sommes pas des robots, nous faisons tout notre possible pour que le client soit heureux. Bien sûr, l’imprévu, que l’on tente de réduire au maximum, est impossible à anticiper, tout comme la réaction des convives. Pour vous citer un exemple, il y a quelque temps, j’ai présenté au bistrot une assiette proposant neuf sortes de tomates différentes afin de faire découvrir toutes les facettes et les saveurs de ce fruit. Certaines variétés coûtaient jusqu’à douze euros le kilo. Mon but n’était pas de faire de la marge, mais simplement de partager mon amour pour ce mets d’exception. Même si 99 % des clients ont adoré le concept, se sont régalés et m’en parlent encore aujourd’hui, une personne s’est permis de mettre un commentaire fortement négatif sur un site Internet. J’ai trouvé cela méchant, gratuit et ridicule. Cela m’a blessé pas uniquement à titre personnel, mais aussi pour les producteurs qui mettent leur cœur, leur énergie, leur savoir pour donner le meilleur produit possible.

Saint-Rémy de Provence est la ville de Nostradamus. Alors comment voyez-vous l’avenir ? Une envie de nouveaux challenges ?

J’ouvre fin juin un nouveau concept de restaurant à Châteaurenard qui se nomme « l’esprit culinaire par Marc de Passorio ». Ce sera un lieu où l’interactivité avec le client sera au centre des débats, un peu à la manière de mon ami Joël Robuchon. On pourra y déguster des mets simples et se faire plaisir pour un tarif assez modéré. Mais le mieux est encore que vous veniez le découvrir par vous-même !


Simone Zanoni, chef étoilé du restaurant Le George
Didier Prince-Agbodjan, président de Terre des Hommes France

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