Gastronomie

Christian Chu du restaurant Levitate, Prague en mets

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Il est des voyages qui, à défaut de former une jeunesse depuis trop longtemps disparue, livrent des trésors cachés où le temps suspend son vol et gravent en nos esprits une marque indélébile. Passer la porte du restaurant Levitate au cœur de Prague la romantique est une expérience qui dépasse largement le simple cadre de la gastronomie. Mobilier épuré d’inspiration nordique, mûrs végétaux, fond musical où s’invitent de discrets chants d’oiseaux, nos sens sont mis en éveil avant même que la partition gustative de Christian Chu ne nous emporte pour une symphonie des saveurs. Tartare de bœuf Wagyu, poisson chat, caviar, foie gras en gelée en guise de dessert, épices ou racines, la faune, la flore et le monde aquatique se donnent rendez-vous dans des assiettes aux allures d’œuvres d’art ou beau et bon s’accordent à l’unisson. Rencontre avec un chef qui prouve qu’à l’Est il y a assurément du nouveau !


« J’envisage chaque plat comme un tableau, la seule différence c’est que mon tableau à l’avantage de se déguster ! »

Quels sont vos premiers souvenirs culinaires ?

Je suis né au Vietnam. Les repas de famille revêtaient une grande importance et j’ai ces images de mon père préparant le repas qui sont restées ancrées en moi. Les odeurs qui émanaient de ses plats sont aujourd’hui encore figées telle une empreinte olfactive qui me renvoie invariablement à mon enfance.

L’envie de devenir chef est-elle apparue très vite comme une évidence ?

Pas vraiment. Enfant et même jusqu’à l’adolescence, j’avais d’autres aspirations professionnelles à vrai dire. Je me destinais plus, au départ, à une carrière d’avocat ou bien encore d’architecte. Je m’intéressais certes de près à la cuisine, mais c’était plus quelque chose qui m’attirait, un moment de partage avec mes proches, sans toutefois imaginer un jour en faire mon métier. Ce n’est que vers 16/17 ans que j’ai compris que cette passion allait guider ma vie.

Quelle est votre définition de la gastronomie ?

Une combinaison de saveurs asiatiques mêlée d’influences nordiques.

Et comment définiriez-vous votre style ?

Je dirais que les termes qui semblent me convenir le mieux sont l’innovation, la rigueur, l’effet de surprise… Une touche créative en gardant toujours à l’esprit un profond respect de la nature.

Quel a été votre parcours avant d’ouvrir le restaurant Levitate ?

Mes parents tenaient un petit restaurant à Prague et c’est à leurs côtés que j’ai commencé à faire mes premières gammes. Je devais avoir guère plus de 14 ans à l’époque. Après avoir emmagasiné pas mal d’expériences en les regardant faire, j’ai décidé de voler de mes propres ailes. Je suis donc parti pour parfaire mon expérience au restaurant SaSazu et au Mandarin Oriental. Il était primordial pour moi de travailler dans ces lieux prestigieux afin de me confronter à la haute gastronomie et me nourrir de cette rigueur, de cette créativité pour y trouver mon propre style culinaire.

Entretien

Plus qu’un simple restaurant, Levitate s’avère un véritable concept où tous nos sens sont mis en éveil à peine la porte franchie. C’était votre souhait de dépasser le simple cadre culinaire ?!

J’ai pensé ce lieu comme un voyage, une expérience unique que je tente de faire partager à celles et ceux qui viennent nous rendre visite. Le goût est une chose, mais il était primordial à mes yeux de ne pas me limiter à ce seul sens et d’élargir au maximum la palette des sensations afin que la vue et l’ouïe par exemple soient également mises à contribution.

Effectivement, au-delà du caractère si original et novateur de votre menu, on constate que l’aspect visuel de vos plats est également longuement pensé. Dans votre processus créatif, la vue tient-elle une part presque aussi importance que le goût ?!

Un plat, c’est un rêve à tous les niveaux. Le beau et le bon doivent donc se conjuguer de la plus belle façon possible afin qu’avant même de la porter en bouche, la création culinaire soit pour le client une expérience visuelle qui saura se prolonger gustativement. J’envisage chaque plat comme un tableau, la seule différence c’est que mon tableau à l’avantage de se déguster !

Votre menu dégustation brille par son inventivité. Comment nait l’inspiration ?

Les idées mettent du temps à murir dans mon esprit et puis d’un coup, comme ça, elles apparaissent comme une sorte d’évidence. Cela peut se produire quand je suis en voiture, que je marche dans la rue ou même quand je suis sous la douche. Là, tout est clair et imprimé dans mon esprit. Alors, je me précipite aussi vite que possible dans la cuisine pour préparer ce que je visualise afin de savoir si le goût est tel que je me l’étais imaginé. La plupart du temps, c’est le cas !

Votre foie gras en gelée et chocolat, mélange de sucré salé, est un dessert pour le moins original. Pour cette recette également vous avez eu une sorte d’apparition ?!

J’avais essayé le foie gras sous différentes formes dans bien des restaurants au cours de mes voyages, mais j’avais depuis longtemps cette idée de le proposer en dessert en l’associant à une saveur sucrée. Le chocolat blanc est apparu effectivement tout à coup comme une évidence et même s’il y a eu quelques modifications dans la recette en termes de techniques de réalisation ou de présentation, ce dessert, servi depuis l’ouverture du restaurant, est l’une des pierres angulaires du menu. Visuellement parlant, j’aimais beaucoup l’idée de servir ce foie gras onctueux et sucré au milieu de petits cailloux car il est aussi ressemblant par la forme que totalement opposé dans sa consistance.

Levitate s’apparente à un merveilleux voyage au pays du goût. Avez-vous pensé votre menu comme la partition d’un chef d’orchestre avec ses silences, ses accentuations, ses progressions… Sans aucune fausse note ?!

Entretien

Dans la gastronomie, tout est, comme dans la musique, une question d’équilibre. Il était donc primordial, dans la conception de mon menu, d’unir le plus justement possible la faune, la flore et le monde aquatique.

Il semble que le respect de l’environnement soit effectivement au centre de votre conception de la gastronomie. C’est un élément que vous prenez en considération dans l’élaboration de vos plats ?

Tout à fait ! Le respect de la nature, de ces produits qu’elle nous offre, est la principale idée de mon restaurant Levitate. Il est aujourd’hui primordial de toujours garder à l’esprit que sans le respect de notre environnement et le travail de producteurs que je qualifierais d’éco-responsables aucune haute gastronomie ne serait possible. Depuis que l’homme est sur cette terre, la nature nous fournit de quoi vivre alors, la moindre des choses est quand même de respecter notre mère nourricière, d’en prendre soin.

Comment justement sélectionnez-vous les produits qui constituent votre menu ?

J’ai essayé de nouer une relation forte et étroite avec celles et ceux que je considère comme les meilleurs fermiers, pêcheurs des environs de Prague. Par exemple, je ne vais pas proposer du poisson de mer mais uniquement de rivière car la République-Tchèque n’est pas bordée par la mer. Je ne sélectionne que des produits de première fraîcheur, des légumes bio, des animaux élevés en plein air. Mes menus varient également en fonction des saisons car proposer des produits en fonction de la saisonnalité est quand même une base qui, aujourd’hui, au-delà de tous les restaurateurs, devrait également faire partie intégrante du processus d’achat des consommateurs.

En France, alors que les étoiles du guide Michelin viennent d’être attribuées, on constate une certaine polémique autour du verdict rendu. Être étoilé, est-ce selon vous quelque chose dont tout chef rêve secrètement ?

Que vous soyez à Paris, Prague, New-York ou Tokyo, tout le monde connaît le guide Michelin. C’est un peu comme les Oscars de la gastronomie. Prétendre que faire partie du cercle somme toute assez fermé des étoilés ne nous concerne pas serait à mon sens mentir car on sait très bien que cette distinction apporte une visibilité et une reconnaissance déterminante dans ce milieu de la haute gastronomie. Personnellement, j’essaye néanmoins de me focaliser avant tout sur ma propre cuisine, sur le ressenti des clients, sur un respect environnemental, sur une sélection très stricte des produits utilisés, sur une remise en question permanente… La récompense de l’étoile sera la cerise sur le gâteau mais elle ne doit pas influencer l’inspiration personnelle, modifier la conception que l’on a de la gastronomie pour répondre à des codes qui, dès lors, deviendraient une sorte de norme.

Il y a aujourd’hui à travers le monde de plus en plus de jeunes et talentueux chefs d’origines asiatiques. L’Asie est-elle la nouvelle source d’inspiration en matière de gastronomie ?

Disons qu’effectivement, aujourd’hui, de nombreux jeunes chefs asiatiques s’exportent afin de parfaire leurs connaissances à travers le monde au sein des restaurants de renom. Le mélange des cultures a toujours été une bonne chose et la haute gastronomie ne déroge pas à la règle. L’Asie, c’est un monde au panel de saveurs incroyables qui, combinée à la cuisine dite européenne, créé quelque chose d’unique ou l’inventivité n’a visiblement pas fini de surprendre.

Si je vous invite à dîner, que dois-je préparer pour vous faire plaisir ?

Faîtes simple ! De préférence de la cuisine vietnamienne préparée à la maison afin de me rappeler mes racines et je passerai sans aucun doute un délicieux moment.

Entretien


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